1945.12.31.De Gaston Bernard.Au juge Thirion.Rapport d'expertise.Pages 35 à 188
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Section I :
Département "Constructions navales" (Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime au Trait)
I - Conditions dans lesquelles ont fonctionné les chantiers avant et pendant I'occupation - conventions et marchés intervenus avec les autorités allemandes et exécution de ceux-ci
A - Origine et activité des chantiers avant juin 1940 et situation à cette époque
Les Ateliers & Chantiers de la Seine-Maritime ont été crées en 1917, au Trait (Seine Inférieure) à l'instigation des pouvoirs publics.
Doté de huit cales de construction, ces chantiers sont spécialisés dans la construction des cargos de haute mer, pétroliers, sous-marins et petits navires de guerre (escorteurs, torpilleurs), les ateliers et installations permettent également d'entreprendre des réparations ou transformations de navires.
Dans le cadre de ces possibilités, les chantiers du Trait passèrent en 1938 et 1939 différents marchés avec le gouvernement français, notamment pour la construction de sous-marins et de ravitailleurs d'escadre.
C'est ainsi qu'en juin 1940 un certain nombre de ces bâtiments se trouvaient encore sur cale au moment de l'avance allemande.
La Maison Worms & Cie fit alors - semble-t-il - tout ce qui était en son pouvoir pour éviter que les bâtiments en chantier ne tombent aux mains des forces allemandes.
En effet, le 9 juin 1940, M. Nitot faisait porter au général commandant la 3ème Région militaire mobilisée, une missive mettant cet officier au courant de la situation existant alors à Yainville et au Trait, et dans laquelle il lui exposait notamment :
- que dans la matinée du 9 juin, un motocycliste avait été envoyé par lui à deux reprises en vue d'obtenir des ordres, mais que celui-ci n'avait pu accomplir sa mission ;
- que, de plus, dans la même matinée, le lieutenant de vaisseau David, chargé du commandement de navires en achèvement, avait également envoyé en mission un motocycliste qui n'avait lui non plus rapporté aucun ordre.
- que dans l'après-midi un remorqueur de la Marine avait enfin apporté des ordres pour que deux chasseurs, l'un en achèvement et l'autre lancé la veille, soient immédiatement évacués, ce qui avait été exécuté aussitôt.
M. Nitot terminait sa lettre en demandant qu'il lui soit donné, soit un ordre d'évacuation, soit les possibilités de continuer l'exploitation des chantiers sous protection militaire.
Il rappelait enfin que, dans le cas où un ordre d'évacuation lui serait donné, il était dans l'impossibilité de procéder à une quelconque destruction des installations ou des constructions en cours pour la double raison qu'il n'avait reçu aucune instruction à cet égard, et qu'au surplus l'autorité militaire n'avait pu lui faire délivrer les explosifs nécessaires malgré des demandes renouvelées.
Dans cette lettre, qui figure en pièce annexe au présent rapport il résulte donc essentiellement que :
- d'une part, la direction des Chantiers réussit à soustraire in extremis à la mainmise allemande deux bâtiments en construction ;
- d'autre part, elle avait envisagé la destruction des bâtiments non évacuables (que les allemands firent continuer pour leur compte dans les conditions exposées plus loin), et c'est seulement par suite de la carence de l'autorité militaire que cette destruction n'eut pas lieu.
En effet, l'officier dont les instructions étaient sollicitées par la lettre précitée répondit par une fin de non-recevoir.
C'est dans ces conditions qu'à la veille de l'exode de juin 1940, les cales des chantiers du Trait étaient occupées par les bâtiments ci-après désignés, tous commandés par la Marine française.
- quatre sous-marins :
- "La-Favorite"
- "L'Africaine"
- "Andromaque"
- "Armide"
Trois ravitailleurs d'escadre :
- "Charente"
- "Mayenne"
- "Baïse"
De plus, les Chantiers avaient en portefeuille une commande relative à la construction de quatre sous-marins (n°P219 à 222), commande qui fut résiliée par la suite sans avoir, semble-t-il, jamais reçu un commencement d'exécution.
Telle était la situation lors de l'armistice franco-allemand de juin 1940.
B - Conventions et marchés intervenus avec les autorités occupantes et activité des Chantiers du Trait pendant l'occupation
Pendant la période d'occupation, la direction des Chantiers a comporté :
- un directeur général, M. Nitot, dont les services sont installés au siège social de la Maison Worms & Cie, 45 bd Haussmann, à Paris,
- un directeur des Chantiers, M. Abbat, ingénieur du Génie maritime, au Trait,
- un sous-directeur, M. Lamoureux.
MM. Nitot et Abbat ont occupé leur poste durant toute la période allant de juin 1940 à 1944.
M. Lamoureux, par contre, n'est sous-directeur que depuis juin 1942, ce poste étant resté vacant auparavant.
En outre, il a lieu de mentionner que le secrétaire général aux Chantiers est un sieur Roy.
La direction des chantiers du Trait revint d'exode dans les tous derniers jours de juin 1940.
Elle trouva les ateliers et installations occupés par un détachement de la marine allemande qui en refusait l'accès.
Elle fut dès lors obligée de se mettre en rapport avec les autorités allemandes de Rouen et du Trait, afin de pouvoir reprendre possession des lieux.
Simultanément, et dans le même but, M. Nitot, directeur général, conféra à Paris avec le capitaine de vaisseau allemand Degenhardt, mais il semble que celui-ci n'ait consenti à retirer des Chantiers la garde militaire allemande que si les travaux devaient être poursuivis pour satisfaire les besoins du commandement supérieur de la marine allemande.
Ceci résulte de la "convention provisoire" du 8 juillet 1940, par laquelle les Chantiers Worms & Cie étaient chargés de renflouer quatre bacs, de terminer les pétroliers "La-Charente" et "La-Mayenne" et de construire quatre chalands.
Le marché devait être confirmé ultérieurement.
La traduction exacte et intégrale de cette convention provisoire du 8 juillet 1940 figure en pièce annexe au présent rapport.
Il est à noter que le texte allemand comporte le mot "Vertrag", dont la signification exacte "contrat" est rendue dans la traduction française par "convention".
La rédaction du texte et le fait qu'il n'a été signé que de l'officier allemand indiquent qu'il ne s'agissait pas là, en réalité, d'un contrat synallagmatique, avec échange de consentement, mais bien d'un ordre sans possibilité de refus.
Il est à remarquer de plus que ce document ne concernant pas les quatre sous-marins, alors sur cales aux chantiers, dont, assure M. Nitot, il avait été cependant parlé à l'entrevue du 8 juillet 1940.
Quoi qu'il en soit, les délais de remise en état de la centrale électrique de Yainville et les moyens précaires de subsistance ne permirent pas de rouvrir les chantiers avant le 25 juillet 1940.
Les travaux reprirent donc à cette date.
Pour la clarté de I'exposé, il a paru préférable d'étudier les accords intervenus par la suite avec les allemands et le déroulement de ces travaux, non dans un ordre chronologique d'ensemble, mais dans le cadre de chacun des différents bâtiments terminés ou construits pendant l'occupation.
Au surplus, cette présentation sera en accord avec les différences de situation juridique de ces divers bâtiments, différences ayant influé sur la nature des accords intervenus.
Il va donc être procédé ci-après :
- d'une part, dans le cadre de chacun des bâtiments, à une étude de l'activité déployée par les Chantiers du Trait pendant l'occupation,
- d'autre part, à l'examen général des conditions dans lesquelles ont travaillé les Chantiers durant la même période.
a) Étude de l'activité déployée par les Chantiers du Trait pendant l'occupation, tant sur les commandes allemandes que sur les commandes françaises
A partir du 25 juillet 1940, il y a lieu de distinguer en ce qui concerne l'activité des Chantiers du Trait :
- d'une part, les commandes passées par l'amirauté française avant le 25 juin 1940, en cours à cette date, et continuées pour le compte des autorités allemandes,
- d'autre part, les commandes passées directement par les autorités allemandes elles-mêmes, postérieurement au 25 juin 1940, date de l'armistice franco-allemand,
- enfin, les commandes françaises passées antérieurement ou postérieurement au 25 juin 1940, et poursuivies ou enregistrées pour le compte de l'amirauté française.
1°) Commandes en cours au 25 juin 1941, et reprises en charges par les allemands
Au début de l'occupation, les allemands, semble-t-il, n'étaient intéressés que par les bâtiments susceptibles de grossir rapidement les effectifs de leur marine.
C'est ainsi qu'ils voulurent reprendre en charge l'achèvement des sous-marins "La-Favorite" et "L'Africaine", qui devaient être achevés respectivement vers la fin 1940 et le mois de juillet 1941.
Par contre, ils ne demandèrent ni de poursuivre les travaux sur les sous-marins "Andromaque", et "Armide" non susceptibles d'un achèvement rapide, ni de commencer les quatre sous-marins n°SQ 219 à 222.
L'amirauté française donna d'ailleurs le 8 octobre 1940 l'ordre de démonter l'"Andromaque" et l'"Armide".
Elle résilia, en 1943, le marché des sous-marins n°SQ 219 à 222.
Il restait donc susceptible d'être poursuivi pour compte allemand :
- les sous-marins "La-Favorite" et "L'Africaine"
- les ravitailleurs d'escadre "La-Mayenne", "La-Baïse" et "La-Charente".
Il va être étudié quelles furent les relations de la Maison Worms avec les allemands en ce qui concerne chacun des bâtiments précités, et dans quelle mesure les ordres des autorités allemandes furent finalement exécutés.
1. Sous-marin "La-Favorite"
Ce sous-marin se trouvait presque achevé en juin 1940, et M. Worms a indiqué qu'il avait été visité comme prise de guerre par plusieurs missions militaires allemandes.
Celles-ci donnèrent verbalement l'ordre de poursuivre la construction.
Cet ordre donné, semble- t-il, la 8 juillet 1940, en même temps que fut établie la convention provisoire écrite relative aux bâtiments de surface, fut confirmée par une lettre BMG 661/40 T du 2 septembre 1940, adressée à MM. Worms & Cie par le Kommandierender Amiral in Frankreich. Cette lettre figure en pièce annexe au présent rapport.
La direction de la Maison Worms n'accusa pas réception de cet ordre, semble-t-il, avant d'en avoir référé aux autorités françaises, et notamment à M. l'ingénieur général du Génie maritime Norguet, par lettre du 9 septembre 1940. Cette lettre comportait un passage ainsi conçu :
"Avant que nous accusions réception à l'amirauté allemande de l'ordre qu'elle vient de nous adresser, nous vous serions très obligés de bien vouloir nous faire parvenir les directives précises du gouvernement français à ce sujet ; nous nous permettons d'ailleurs d'attirer votre attention sur l'urgence de la question."
M. Norguet ne répondit pas lui-même, mais saisit vraisemblablement le service français des commandes allemandes du ministère de la Production industrielle et du travail. Ce dernier fit parvenir en réponse à MM. Worms & Cie, le 16 septembre 1940, par le canal de la Chambre syndicale des constructeurs de navires et de machines marines, une lettre dont le texte intégral figure en pièce annexe au présent rapport.
Par cette lettre, l'ingénieur Herck, chef du service des commandes allemandes au ministère de la Production industrielle, déclarait, en l'absence d'ordre du gouvernement français, ne pouvoir donner son visa à aucune commande.
Il recommandait, en outre, de temporiser et d'attendre les décisions dudit gouvernement.
Ces décisions parvinrent le 21 septembre 1940 par la même voie que la lettre du 16 septembre 1940 mais elles étaient incomplètes en ce qui concerne "La-Favorite". M. l'ingénieur général Herck, chef du service des commandes allemandes, disait, en effet, que le secrétariat d'État à la Marine n'avait pu examiner la demande formulée en ce qui concerne l'achèvement de ce bâtiment. Il ajoutait que d'une façon générale "l'industriel ainsi contraint peut différer aux ordres ou demandes de l'autorité occupante en se limitant, dans I'exécution, aux strictement nécessaires pour s'éviter des ennuis graves."
Cette lettre du 21 septembre 1940 de M. l'ingénieur général Herck figure in extenso en pièce annexe au présent rapport.
Les instructions contenues dans cette lettre, pour incomplètes qu'elles fussent, permirent à la direction des Chantiers, en accusant réception au
Kapitan zur see Rhein, le 21 septembre 1940, de l'ordre allemand du 2 septembre 1940, de se borner à permettre de se préoccuper des moyens de reconstituer les études et d'établir la situation des sous commandes.
L'imprécision des termes de cette réponse, qui figure in extenso en pièce annexe au présent rapport , montre à quel point la Maison Worms observa alors la consigne de temporisation qu'elle aurait reçue des autorités françaises.
Par ailleurs, copie de la note adressée au capitaine Rhein fut envoyée, le 27 septembre 1940, à l'amiral Darlan, alors amiral de la flotte française.
En même temps, M. Nitot, directeur général des Ateliers des Chantiers de la Seine-Maritime allait personnellement à Vichy, porteur d'une lettre pour l'amiral Darlan; De cette lettre du 27 septembre 1940 qui figure en annexe au présent rapport , il résulte essentiellement que la Maison Worms estimait ne pas devoir déférer de sa propre autorité à l'ordre allemand de continuation de "La-Favorite", étant donné que :
- les sous-marins et les approvisionnements y relatifs étaient propriété de l'État français ;
- la construction en était d'ailleurs interdite par l'article 1er de la loi du 20 juillet 1940, sur la construction de guerre ;
- si le gouvernement français donnait l'ordre d'achever cette construction pour le gouvernement allemand, l'exécution de cet ordre pouvait provoquer chez le personnel des tentatives de sabotage dont la direction ne saurait assumer la responsabilité.
A Vichy, M. Nitot fut reçu les 28 et 29 septembre 1940, notamment par l'amiral Leluc, chargé des constructions navales militaires, et l'amiral Auphan, chargé de la Marine marchande.
De l'ensemble des conversations qui eurent lieu et dont le compte-rendu se trouve dans les dossiers sous scellés, il ressort que :
1 - La question de la poursuite des constructions militaires n'engageait pas seulement la Marine, mais le gouvernement français tout entier. Celui-ci était disposé à admettre le principe de la continuation des bâtiments commandés par la Marine française, à condition que le gouvernement allemand accepte, à la Commission d'armistice de Wiesbaden, certaines contreparties, par exemple "la prestation à certaines industries, qui seraient désignées par la gouvernement, de facilités pour l'approvisionnement de leurs matières premières, ou encore la libération de certaines catégories de prisonniers" (compte-rendu rédigé par M. Nitot à son retour de Vichy).
2 - En ce qui concerne les bâtiments de commerce, la répartition de I'activité des chantiers français entre commandes allemandes et françaises devait faire l'objet de pourparlers à Wiesbaden.
3 - La consigne générale était d'attendre et de "passer l'hiver pour voir un peu plus clair"[1].
De toutes façons, les instructions utiles devaient être données par le service des commandes allemandes et le service français de surveillance à Paris.
A l'issue de ces conversations tenues le 29 septembre 1940, l'amirauté française qui paraissait décidément désireuse de ne pas engager sa responsabilité dans cette affaire, remit à M. Nitot une lettre résumant lesdites conversations, et rappelant à ce dernier que les commandes passées antérieurement par la Marine française (c'était le cas de "La-Favorite") auraient dû être en principe résiliées et que, de toutes manières, elles feraient ultérieurement l'objet d'instructions spéciales par l'entremise du service des commandes allemandes et du service de surveillance à Paris .
Le lendemain, 30 septembre 1940, eut lieu au ministère de la Marine à Paris, une réunion à laquelle assistaient :
- du coté français, M. Puech, secrétaire général de la Chambre syndicale des constructeurs de navires,
- du coté allemand, les conseillers navals Freiberg et Bergreen ; les représentants du ministère des Communications du Reich, M. Freitag, le docteur Haupt et l'ingénieur en chef Menselson.
Du compte-rendu de cette séance, il résulte que le point de vue allemand était le suivant : " Les chantiers français doivent exécuter strictement les ordres qui leur sont donnés par la Marine allemande, sans quoi les directeurs locaux de chantiers seront tenus pour personnellement responsables" (extrait du compte-rendu figurant dans les archives de la Maison Worms & Cie).
Ce point de vue fut d'ailleurs précisé par une lettre circulaire adressée le 4 octobre 1940 par l'autorité allemande aux divers chantiers de zone occupée. Cette lettre n°1767/40 figure en pièce annexe au présent rapport . Signée du capitaine Rhein, elle était rédigée en termes comminatoires et comportait notamment une menace de nomination de commissaires allemands sur les chantiers.
Cet ordre formel de continuation fut confirmé par une lettre du 5 octobre 1940 adressée au président de la Chambre syndicale des constructeurs de navires par l'ingénieur général Herck, chef du service français des commandes allemandes.
Cette lettre comportait en particulier le passage suivant :
"Dans ces conditions, et vu les instructions dont il vous a été donné lecture, je vous confirme que la continuation des bâtiments de guerre visés doit être effectuée en attendant l'arrivée des instructions définitives qui ont été annoncées dans la lettre adressée aux Chantiers Worms le 29 septembre 1940 par l'amiral de la flotte, secrétaire d'État à la Marine."
C'est en vertu de ce document que les Chantiers du Trait reprirent le travail sur "La-Favorite".
Cette reprise fut annoncée au personnel par un avis daté du 8 octobre 1940.
Par cet avis, dont le texte figure en pièce annexe au présent rapport, la direction de la Maison Worms & Cie faisait notamment connaître à son personnel qu'elle avait été prévenue par les autorités allemandes que, si du coté des chantiers, tout n'était pas mis en oeuvre pour assurer la continuation des constructions, elles se verraient dans l'obligation de placer lesdits chantiers sous la direction d'un commissaire allemand.
Le travail ayant ainsi été repris au Trait, la Maison Worms & Cie échappa effectivement à la nomination d'un commissaire allemand sur ses chantiers maritimes.
Cependant, il y a lieu de rappeler qu'elle n'évita pas qu'un commissaire gérant allemand lui fut affecté le 25 octobre 1940, pour l'ensemble de ses activités, dans les conditions exposées précédemment page 17, mais ainsi qu'il a été dit, celui-ci ne s'occupa jamais spécialement des constructions maritimes.
Entre-temps, M. Worms lui-même qui, semble-t-il, craignait toujours que la responsabilité de sa maison ne soit gravement engagée dans cette affaire, malgré les assurances et ordres formels reçus, tint à s'enquérir spécialement, au cours d'une séance du comité technique tenue le 11 octobre 1940, du point de savoir si le gouvernement français avait l'intention de discuter avec le gouvernement allemand la question de fond, c'est-à-dire la conformité de la continuation des constructions militaires avec les clauses de l'armistice. Il ne semble pas qu'il obtint alors de réponse précise à sa demande.
Ultérieurement, les instructions du 5 octobre 1940 furent confirmées par une lettre de l'amiral Darlan du 2 novembre 1940, dans laquelle celui-ci avisait la Maison Worms & Cie :
- d'une part, qu'elle ne devait communiquer les spécifications techniques des marchés aux allemands que sur exigences expresses de ceux-ci ; - d'autre part, qu'en attendant le résultat des conversations de Wiesbaden, seules devaient être poursuivies les commandes allemandes passées par le service français des commandes allemandes à Paris, toutes les autres devant être refusées sauf autorisation spéciale du gouvernement français.
Cette lettre de l'amiral Darlan figure en pièce annexe au présent rapport.
En conséquence, et comme suite aux instructions précédemment demandées par la Maison Worms au gouvernement français, celui-ci délivra, le 28 novembre 1940, une licence pour régularisation des commandes de matériel de guerre. Cette licence s'appliquait uniquement à "La-Favorite".
En exécution des ordres allemands des 2 septembre et 5 octobre 1940, la Maison Worms & Cie demanda, le 20 janvier 1941, une licence complémentaire pour achèvement des commandes passées en zone libre pour le sous-marin "La-Favorite". Cette licence lui fut refusée par une lettre n°2.095 SCAMC du 5 février 1941 de l'ingénieur général Herck, chef du service français des commandes allemandes, lettre figurant en pièce annexe au présent rapport.
II est à noter que la demande de licence complémentaire faite par la Maison Worms & Cie le 20 janvier 1941, qui lui avait été adressée par M. Herck, et dans laquelle celui-ci laissait prévoir ce refus. Il y était dit, en effet :
"Aucune licence nouvelle pour la continuation des bâtiments de guerre ne sera délivrée jusqu'à nouvel avis, tant que n'auront pas abouti les pourparlers en cours à Wiesbaden sur ce sujet."
La correspondance échangée d'autre part montre d'ailleurs que c'est seulement sur une interprétation erronée de l'expression "licence nouvelle" que Worms & Cie avaient fait une nouvelle demande le 20 janvier 1941.
Le refus des licences de fabrication ralentissait effectivement le développement des travaux sur chantiers, et reculait d'autant la livraison des bâtiments aux allemands. Il semble que, par ce moyen détourné, le gouvernement français se soit efforcé de faire pression sur la commission allemande de Wiesbaden dans le but d'aboutir à un accord formel et d'obtenir les contreparties évoquées devant M. Nitot lors de son voyage en septembre 1940 à Vichy.
Les résultats des pourparlers de Wiesbaden furent notifiés à la Maison Worms & Cie par lettre n°6.713 STFO de l'ingénieur général Genon, chef du service français de surveillance des travaux et fabrications, le 3 octobre 1941.
De cette lettre, qui figure en pièce annexe au présent rapport, il ressort essentiellement que l'amirauté allemande devenue "maîtresse de l'oeuvre" pouvait prendre toutes disposition relatives à l'achèvement de "La-Favorite", sans autorisation d'un quelconque organisme français. C'est dans cet esprit qu'une licence définitive fut en conséquence remise aux chantiers, portant dérogation, pour le sous-marin "La-Favorite" à l'interdiction de construire du matériel de guerre.
A partir de ce moment, la poursuite des travaux aurait dû, semble-t-il, se développer normalement et laisser prévoir à brève échéance le lancement et la livraison de ce sous-marin aux autorités allemandes, puisqu'il était à peu près terminé en juin 1940.
Mais les fournisseurs des Chantiers du Trait (Chantiers de la Loire, Schneider & Cie, Aciéries de Rombas, Matériel électrique SW, etc.) ne paraissaient pas faire diligence pour leurs livraisons.
De plus, les alertes interrompaient fréquemment le travail, qui ne se poursuivait pas, de ce chef, à une cadence jugée satisfaisante par les allemands. Ceux-ci, pourtant se faisaient pressants. Ils destinaient en effet, "La-Favorite" à des expériences et, devant l'inertie de tous, menaçaient de prendre des mesures de coercition.
C'est dans ces conditions, et pour éviter des sanctions, semble-t-il, que la direction des Chantiers du Trait fut amenée à relancer fréquemment ses fournisseurs et à écrire au Kommandierender Admiral in Frankreich :
"Nos chantiers continuent de relancer leurs fournisseurs, de notre côté nous allons intervenir auprès de ceux de la région parisienne, mais nous croyons qu'il serait utile que vous fassiez en particulier auprès des Établissements Merlin & Cie à Grenoble et de la Société de construction électromécanique à Saint-Étienne ; car il est probable que sans votre visite nous aurons beaucoup de mal à obtenir des délais satisfaisants."
Quoi qu'il en soit, c'est seulement le 12 septembre 1942 que fut lancé, au Trait, le sous-marin "La-Favorite".
Il fut définitivement pris en charge par la Marine marchande le 24 novembre 1942 ; ainsi qu'en témoigne le procès-verbal de livraison.
Il est a noter que le 10 septembre 1942, soit deux jours avant le lancement, le comité allemand de surveillance des chantiers, qui craignait sans doute un sabotage, crût devoir s'assurer la garantie d'otages en la personne de :
- MM. Roy J., secrétaire général au Trait,
- Bonnet R., chef du secrétariat de la direction du Trait,
- Rougeolle Émile et André, ouvriers au Trait.
Ils furent emprisonnés au Palais de justice de Rouen, et remis en liberté le 4 novembre 1942, soit
deux jours, après la prise de possession de "La-Favorite" par les autorités allemandes.
Telles furent les conditions dans lesquelles fut poursuivie et terminée la construction du sous-marin "La-Favorite" qui, bien que presque achevé en 1940, ne fut livré aux allemands qu'en novembre 1942. Ce bâtiment se trouvait d'ailleurs, selon M. Worms dépourvu de toute valeur militaire pour des raisons techniques.
Il fut exporté en Allemagne par licence du 18 décentre 1942.
2. Sous-marin "L'Africaine"
Le sous-marin "L'Africaine" se trouvait sur cale lors de l'armistice franco-allemand de juin 1940.
D'après les renseignements recueillis, ce bâtiment devait être lancé fin 1940 et livré à l'amirauté française en juin 1941.
La situation de ce bâtiment était identique à celle de "La-Favorite" et tout ce qui a été dit au sujet de celui-ci, quant à l'attitude de la Maison Worms et du gouvernement français s'applique également
à "L'Africaine".
L'ordre écrit de poursuivre les travaux sur "L'Africaine" ne semble pas être intervenu avant le 24 octobre 1940. A cette date, les chantiers reçurent du Kommandierender admiral in Frankreich une lettre référencée BNr 2.430/40 par laquelle les allemands demandaient la continuation de la construction de "L'Africaine".
La Maison Worms & Cie qui, à propos du sous-marin "La-Favorite" avait, ainsi qu'il a été dit, sollicité du gouvernement français des instructions précises, s'adressa à nouveau à celui-ci le 30 octobre 1940 au sujet de "L'Africaine". A cette date, elle écrivit dans ce sens à l'amiral Darlan.
Les instructions demandées parvinrent aux chantiers le 12 novembre 1940, sous la forme de la lettre 2.257 FMF 3SECA du 3 novembre 1940 déjà citée à propos de "La-Favorite" et qui donnait la position de l'amirauté tant en ce qui concerne la communication de documents à la marine allemande
qu'au sujet de la poursuite des travaux sur bâtiments de guerre.
Forts de ces instructions, les Chantiers du Trait laissèrent sans écho l'ordre allemand du 24 octobre 1940. Une confirmation émanant du Kommandierender admiral in Frankreich intervint alors le 22 décembre 1940, sous la forme d'une lettre référencée BNr 3.465 TS qui figure en pièce annexe au présent rapport.
La Maison Worms répondit à cet ordre en demandant au gouvernement français une licence de fabrication de matériel de guerre.
Elle espérait sans doute gagner ainsi du temps et recevoir des instructions définitives du gouvernement français.
Ces instructions lui furent notifiées par lettre n°3.105 INSP, émanant de la direction centrale des industries navales, le 14 janvier 1941.
Cette lettre, figurant en pièce annexe était une invitation directe à ne manifester aucune activité en ce qui concerne l'achèvement des bâtiments de guerre en cours de construction. Elle fut confirmée par une autre lettre du 17 janvier 1941, émanant du service des licences de matériel de guerre.
Entre-temps, la direction générale des Chantiers Worms à Paris avait donné pour mission à la direction locale du Trait :
- de ne pas se livrer à aucun travail à bord de "L'Africaine" avant la réception de la licence de fabrication (lettre du 28 décembre 1940),
- de ne pas presser le mouvement, de manière à éviter de mettre en évidence les difficultés signalées (lettre du 3 janvier 1941).
Les consignes internes de la Maison Worms se trouvaient donc, en tous points, conformes aux instructions émises dans la lettre du 14 janvier 1941 de la direction centrale des industries navales.
La Maison Worms s'appuyant sur ces consignes, fit alors connaître aux autorités allemandes par lettre du 5 février 1941, à destination de la Rustungs Inspektion de Saint-Germain, que les instructions du gouvernement français ne lui permettaient pas de poursuivre la construction, et elle resta dans l'expectative.
Cette attitude provoqua une protestation de I'amirauté allemande et une mise en demeure adressée aux Chantiers du Trait par lettre du 4 mars 1941 (lettre BNr G.734 W 233). Cette lettre était très catégorique, elle avait même le caractère d'une sommation et était au surplus, assortie d'une menace. La Maison Worms & Cie fit immédiatement communication de cette lettre à la direction des industries navales et au Comité d'organisation de la construction navale, qui intervinrent le 11 mars 1941 auprès de l'amiral allemand Kinzel pour que celui-ci n'exerçât aucune pression sur les Chantiers avant que les pourparlers de Wiesbaden n'aient abouti à une solution entre les deux gouvernements.
C'est le 3 octobre 1941 que le ministère de la Production industrielle, s'appuyant sur l'accord franco-allemand du 16 septembre 1941, relatif aux constructions navales en zone occupée, notifia aux Chantiers du Trait d'avoir à reprendre pour compte allemand la construction de "L'Africaine".
II leur délivra la licence correspondante le 9 octobre 1941, en même temps que la licence définitive de "La-Favorite".
Le travail ne reprit cependant pas à cette date à bord de "L'Africaine". En effet, le 12 février 1942, la Maison Worms & Cie pouvait écrire au Kommandierender Admiral in Frankreich qu'elle n'avait pas encore reçu d'ordre formel lui permettant de poursuivre les travaux. Cette lettre figure en pièce annexe au présent rapport.
La confirmation arriva, enfin, le 16 février 1942, émanant de la Marine Bauaufsicht de Rouen. L'ordre était ainsi rédigé :
"Suivant télégramme du KAP erftbeauftragte BNr G.8266 TS.II du 17 décembre 1941, le sous-marin "L'Africaine" doit également être exécuté d'une manière accélérée. Ce qui précède vous a été transmis verbalement et pour le bon ordre vous est confirmé par écrit par la présente".
Cependant, il ne semble pas que le travail fut poursuivi avec toute la rapidité possible. La documentation importante constituée par les dossiers saisis au siège de la Maison Worms ne comporte aucune pièce indiquant que le sous-marin "L'Africaine" ait en définitive été livré aux allemands.
Des renseignements recueillis, il résulte même que ce bâtiment n'a jamais été lancé et que les troupes alliées, en pénétrant dans les Chantiers en septembre 1944, ont pu s'emparer dudit bâtiment encore sur cale.
3. Ravitailleurs d'escadre : "La-Mayenne", "La-Baïse", "La-Charente"
Les Chantiers avaient été, aux termes de la "convention" du 8 juillet 1940 entre le capitaine Begenhart et le directeur des Chantiers, chargés de terminer les pétroliers "La-Charente" et "La-Mayenne". Vers la même époque, M. l'ingénieur général Norguet, chef du service technique français des constructions navales, donna l'ordre verbal de poursuivre les travaux sur ces bâtiments.
La direction des chantiers se trouvait donc saisie de deux ordres identiques émanant des amirautés française et allemande, sans qu'elle soit en mesure de déterminer quel était le destinataire des deux bâtiments. De plus, il s'agissait de navires auxiliaires de la Marine de guerre et la Maison Worms & Cie, semble-t-il, ne voulait pas s'engager avant d'avoir reçu une confirmation écrite des instructions de la Marine française.
Elle référa donc de sa situation :
- d'une part au ministère français de la Marine, par lettre des 12 juillet, 24 et 27 septembre 1940,
- d'autre part, à l'amirauté allemande, par lettre du 21 septembre 1940.
L'amirauté française répondit par lettre 4 n°30.042 CN4, en date du 29 septembre 1940, et surtout par celle du 2 novembre 1940 de référence 2849 CN4, que la construction des trois ravitailleurs d'escadre "La-Charente", "La-Mayenne", et aussi "La-Baïse" devait être poursuivie "à l'exception des installations militaires".
Une dépêche ministérielle 22 CN5 du 10 octobre 1940, confirma cette décision. Le texte de cette dépêche qui figure en pièce annexe au présent rapport ne précisait toujours pas quel devait être le destinataire des bâtiments en cause, l'amirauté française ou l'amirauté allemande. Cependant, en faisant allusion à une dérogation à la loi du 20 juillet 1940 sur l'interdiction du matériel de guerre, l'amirauté française laissait implicitement entendre dans cette dépêche qu'elle était d'accord pour que la construction fût poursuivie au profit des allemands.
De plus, une note manuscrite, émanant du cabinet du contre-amiral Auphan, chef de l'État-major de l'amirauté de la Marine marchande, précisait que les demandes allemandes devaient être acceptées "sous réserve des discussions en cours à la commission d'armistice".
Entre-temps, l'amirauté allemande, par sa lettre du 27 septembre 1940, avait fait connaître son accord en ce qui concerne la poursuite des travaux sur "La-Charente" et sur "La-Mayenne", mais il n'était pas question de "La-Baïse".
Au contraire, la direction des chantiers fut avisée téléphoniquement, le 8 novembre 1940, par la marine Bauafsieht de Rouen, d'avoir à démolir "La-Baïse".
D'autre part, un agent de cet organisme allemand, vint le 16 novembre 1940 identifier les matériaux se trouvant sur parc et, ayant été approvisionnés pour la construction de ce dernier bâtiment.
Un compte-rendu de cette visite fut, par lettre du 19 novembre 1940, adressé par la Maison Worms & Cie à l'ingénieur général du Génie maritime Genon. Le texte de ce compte-rendu, particulièrement important et faisait ressortir nettement la position ferme de la Maison Worms & Cie à l'égard des allemands, figure en pièce annexe au présent rapport.
II ressort notamment de ce compte-rendu ainsi que du contenu de plusieurs lettres pressantes adressées tant à l'ingénieur général qu'à l'inspecteur général du Génie maritime, que la direction des Chantiers s'est efforcée d'obtenir le plus tôt possible de l'amirauté française des instructions qui leur permettaient de s'opposer aux prélèvements envisagés par les allemands sur le matériel destiné à "La-Baïse".
Elle engageait d'ailleurs des pourparlers simultanément avec les organismes allemands pour obtenir l'autorisation de continuer la construction de "La-Baïse" pour compte français, et avoir ainsi des ordres allemands en concordance avec ceux du ministère français.
Ces pourparlers aboutirent le 30 novembre 1940, ainsi qu'en témoigne le post-scriptum d'une lettre adressée par la direction générale de la Maison Worms & Cie aux Chantiers du Trait.
Cette autorisation fut confirmée par le Kommandierender admiral in Frankreich par lettre BNr-3.465 TS du 25 décembre 1940.
Sur ces entrefaites, le ministère français croyant que l'amirauté allemande en était encore aux décisions exprimées par la lettre du 16 novembre 1940 rapportée ci-dessus, et désirant se ranger à son point de vue, passa avis par dépêche n°2.360 CNO du 3 décembre 1940, d'annuler le marché de "La-Baïse" et de la laisser démolir.
La direction de la Maison Worms & Cie se trouvant à nouveau, par malentendu, devant deux ordres contradictoires, fit annuler les termes de la dépêche n°2.360 CNO. Cette annulation intervint par une autre dépêche n°28 CN.5 du 3 janvier 1941.
A cette date, la construction des seuls pétroliers "La-Charente" et "La-Mayenne" devait donc être formellement poursuivie par les autorités allemandes, suivant ordre du 22 décembre 1940.
Il semble que, par contre, les allemands auraient dû, à ce moment, avoir abandonné leurs prétentions initiales sur "La-Baïse" mais, malgré le succès des pourparlers engagés par la Maison Worms & Cie, dans ce sens, la situation restait très confuse et une lettre du 3 février 1941 citée ci-après, rangeait encore "La-Baïse" parmi les bâtiments destinés aux allemands.
En réalité, se sont seulement les décisions de la commission d'armistice de Wiesbaden qui tranchèrent définitivement la question en août-septembre 1941.
Quoi qu'il en soit, les travaux de construction avaient été poursuivis sur les chantiers dès juillet 1940. Par suite des divers pourparlers et malentendus précédemment exposés, ils furent ralentis en novembre et décembre 1940 sur les trois bâtiments précités, mais le 30 décembre 1940, la direction des Chantiers pouvait notamment écrire à Monsieur l'ingénieur général du génie maritime Genon :
"En ce qui concerne les trois pétroliers nous travaillons actuellement normalement sur ces unités en vertu des instructions que nous avions antérieurement reçues de la Marine française."
Il semble que la continuation des travaux ne peut être faite au rythme tout d'abord prévu, en raison de la difficulté d'approvisionnement en matériaux de toutes sortes et des nombreuses formalités à remplir avant de pouvoir les amener sur les Chantiers.
En effet, la livraison des trois pétroliers était d'abord prévue dans une lettre du 5 février 1941 à la Rustungsinspektion de Saint- Germain :
- pour le 1er octobre 1941, en ce qui concerne "La-Charente"
- pour le 1er février 1942, en ce qui concerne "La-Mayenne"
- pour septembre 1942, en ce qui concerne "La-Baïse".
Mais dès le 24 mars 1941, les prévisions de livraison étaient à bien plus longue échéance et s'établissaient comme suit selon une note en réponse aux demandes de M. Thomson de l'amirauté allemande :
pour "La-Charente" le 1er avril 1942
pour "La-Mayenne" le 1er décembre 1942,
pour "La-Baïse" le 1er mai 1943
C'est alors qu'en août-septembre 1941, la commission d'armistice de Wiesbaden mit enfin au point le programme des constructions sur les chantiers
navals français et les Chantiers du Trait reçurent notification des décisions prises à leur égard, par deux lettres du secrétariat d'État à la Marine :
- la première du 3 octobre 1941 concernant le pétrolier "La-Charente"
- la seconde du 8 octobre 1941 concernant les pétroliers "La-Mayenne" et "La-Baïse".
Il résultait de ces deux lettres que, en vertu des pourparlers de Wiesbaden, seul le pétrolier "La-Charente" devait être poursuivi pour le compte allemand.
D'après les prévisions de la commission de Wiesbaden, la livraison de "La-Charente" devait avoir lieu dans le courant de janvier 1942. A la suite de fréquentes alertes et de nombreuses difficultés d'approvisionnement (les appareils à gouverner, notamment, commandés à Oran avant juin 1940 ne parvinrent aux Chantiers qu'en mars 1943 après de nombreuses péripéties), cette livraison n'eut pas lieu. Il est à rappeler d'ailleurs qu'en mars 1941, et comme il est dit plus haut, les Chantiers n'avaient pas envisagé cette livraison que pour avril 1942.
Ce délai lui-même ne fut pas observé et, dans le courant de mai, une nouvelle cause de retard survint sous la forme d'un ordre de transformation à apporter au pétrolier "La-Charente" qui devait s'appeler désormais "Ostfriesland".
Par lettre du 27 mai 1942 la direction avisa alors le président du Comité d'organisation de la construction navale qu'il y avait lieu de prévoir une importante prolongation du délai de livraison.
Par une autre lettre du 30 juin 1942, la direction fit de plus connaître au Kommandierender admiral in Frankreich que :
"dans toute la mesure où les répercussions peuvent actuellement être appréciées par nous, l'exécution des modifications décidées conduit à envisager comme date de livraison la plus rapprochée possible de l'"Ostfriesland" le mois d'avril 1943."
La livraison s'avéra cependant impossible en avril 1943 et le lancement prévu d'abord pour le 5 juin 1943, n'eut effectivement lieu que le 10 juin 1943.
Ce lancement eut d'ailleurs lieu dans des conditions particulières exposées ci-après page 102 à l'occasion de l'étude des conditions de travail sur les Chantiers.
Ainsi "La-Charente" dont la livraison devait primitivement avoir lieu en octobre 1941 ne fut lancée qu'en juin 1943.
4. Chaudières des paquebots : "Londres" et "Vichy"
La construction de quatre chaudières à tubes d'eau destinées aux deux paquebots "Londres" et "Vichy" avait, avant juin 1940, été sous-traitée aux Chantiers du Trait par les Forges et Chantiers de la Méditerranée.
Les deux premières chaudières furent terminées vers fin 1941. Le paquebot auquel elles étaient destinées ayant été entre-temps cédé aux allemands par le gouvernement français, ceux-ci en réclamèrent la livraison d'urgence au Havre.
A cette demande, la direction des Chantiers du Trait opposa que le ponton grue, dont disposait avant 1939 le port de Rouen, et qui était nécessaire pour pouvoir embarquer ces chaudières, n'existait plus et qu'elle ne pouvait en conséquence se charger de la livraison.
Devant cette carence, la Marine allemande s'est occupée elle-même de trouver les pontons et chalands nécessaires et a procédé à l'embarquement des chaudières en dehors même de la présence de techniciens des Chantiers.
Les deux autres chaudières n'ont pas été livrées sous l'occupation.
2°) Commandes passées directement par les autorités allemandes
1. Cargos de 1.000 tonnes
La Chambre syndicale des constructeurs de navires semble avoir été impérativement saisie par l'amirauté allemande d'un programme de construction de cargos de différents tonnages que ladite Chambre syndicale devait répartir entre les chantiers navals de la zone occupée.
Les installations techniques des Chantiers Worms au Trait, permettant de préférence les constructions de bâtiments de moyen tonnage, la Chambre syndicale leur attribua, après en avoir conféré avec eux, la mise en chantier de trois cargos de 1.150 tonnes chacun. C'est néanmoins l'amirauté allemande qui notifia la commande ferme le 22 octobre 1940 en ces termes :
"Sur la base des négociations avec la Chambre syndicale des constructeurs de navires et de machines marines des 28/9 - 30/9 - 1/10 - 4 /10 - 15/10 - 18/10 et 19/1O dont la Chambre syndicale possède les procès-verbaux, vous êtes chargés de construire des navires ci-après dans les délais de livraison maxima suivants dans vos Chantiers du Trait : - 3 navires destinés à transporter des colis divers de 2.000 T[2]."
La Maison Worms & Cie accusa réception de la commande dans une lettre du 16 novembre 1940 adressée au vice-amiral Monzel dans laquelle elle remerciait l'amiral de cet ordre auquel elle disait apporter tous ses soins.
Il semble cependant que cet empressement marqué au commencement de la lettre fut purement verbal et avait surtout pour but d'amener les "observations" qui suivaient. Ces observations remettaient en question la plupart des points énoncés dans la lettre de commande (plans, délais, prix, termes de paiement) et n'étaient pas de nature à hâter le commencement des travaux de construction. Le texte intégral de cette lettre est donné en annexe au présent rapport.
Ces travaux, semble-t-il, ne commencèrent pas avant qu'un technicien de la Maison Worms, M. Scheerens se fût rendu à Wesermunde (Allemagne)pour prendre contact avec les chantiers qui construisaient là-bas le même modèle de cargos.
Au retour de M. Scheerens, de nombreuses et longues mises au point ainsi que de multiples échanges de plans eurent lieu entre les techniciens allemands et la Maison Worms & Cie et les travaux de construction ne commencèrent qu'en décembre 194I pour les deux premiers cargos et en janvier 1942 pour le troisième.
Mais l'achèvement de "La-Charente" et des deux sous-marins, "La-Favorite" et "L'Africaine" étant considéré comme de première urgence, les travaux de construction des cargos furent interrompus au début de 1943. Ils ne reprirent jamais sur le cargo n°112 et recommencèrent fin 1943 seulement sur les cargos 111 et 113.
Aucun de ces cargos ne fut livré à l'Allemagne et M. Worms a précisé que, lors de la libération des Chantiers, en septembre 1944, ces trois bâtiments étaient encore sur cale.
2. Chalands non automoteurs de 2.000 tonnes
Les Chantiers du Trait furent chargés par la "convention" provisoire du 8 juillet 1940 de la construction de quatre chalands non automoteurs de 200 tonnes chacun[3].
Il semble qu'ils ne passèrent pas immédiatement à exécution et il résulte même d'une note rendant compte d'un entretien qui eut lieu le 31 juillet 1940 entre le commandant Degenhart et Monsieur Nitot, directeur général des Chantiers du Trait, que la direction des Chantiers avait émis le voeu d'être déchargée de cette commande si la marine allemande n'en avait pas un pressant besoin.
Cette note, en effet, débutait comme suit :
"A la fin de la réunion tenue par le commandant Degenhart le 31 juillet nous avions demandé à ce dernier si la commande des quatre chalands non automoteurs passée par la Marine allemande avait eu pour but simplement de donner du travail à nos ouvriers ou si elle répondait au contraire à des besoins urgents de la Marine allemande. Nous avions ajouté que dans la première hypothèse nous serions heureux d'être déchargés de cette construction, les moyens de production de nos chantiers étant mieux adaptés a des unités de plus fort tonnage."
La commande fut cependant confirmée par le commandant Rhein, successeur de Degenhart, dans une lettre du 24 août 1940 qui commençait ainsi :
"A la suite de l'entretien que nous avons eu avec votre directeur, M. Nitot, et à la suite de notre accord préalable du 8 juillet, nous vous confirmons par la présente la commande de quatre chalands citernes d'un port de 500 T à exécuter rapidement et conformément aux dessins et devis descriptifs que vous nous avez soumis sous prévision d'un prix acceptable, vous êtes prié de présenter votre offre en vue d'une acceptation définitive."
Les pourparlers ainsi engagés continuèrent dans le courant d'août et de septembre 1940 ; des officiers de la Marine allemande firent à cette époque plusieurs visites aux Chantiers du Trait et il fut convenu que les chalands seraient livrés :
- le premier quatre mois après que les matériaux nécessaires seraient parvenus aux Chantiers.
- les autres, à la suite, à six semaines d'intervalle.
Les allemands se chargeaient de prospecter les matériaux, qui devaient être achetés par les Chantiers et facturés à la livraison. Il semble que la Marine allemande ait éprouvé quelque difficulté à approvisionner les Chantiers en matériaux; le 9 novembre, en effet, les travaux n'étaient pas encore commencés ainsi qu'en témoigne le passage d'une lettre adressée par les Chantiers à la direction général à Paris, passage ainsi conçu :
"Nous n'avons aucune nouvelle en ce qui concerne les possibilités d'approvisionnement du complément de profilés ni de la totalité des tôles, en sorte que cette construction ne peut recevoir aucun commencement d'exécution."
Les quatre chalands furent commencés au début de 1941 sous les n°105, 106, 107 et 108 et la direction prévoyait, dans une note du 24 mars 1941, que les dates de livraison pourraient être les suivantes :
- 1er chaland, 1er octobre 1941
- 2ème chaland, 15 novembre 1941
- 3ème chaland, 1er janvier 1942
- 4ème chaland, 15 février 1942
à condition toutefois que tous les matériaux nécessaires à leur construction se trouvent sur chantiers au 1er mai 1941 et que les approvisionnements se réalisent normalement ensuite.
En août 1941, le chaland n°105 était sur cale, mais en septembre 1941, les chantiers reçurent de l'amiral commandant en France, la lettre de référence B.Nr 13.263 TS.I.
Cette lettre, dont la traduction complète est reproduite en annexe au présent rapport portait annulation de la commande du 24 août 1940, relative aux quatre chalands en cause.
L'affectation des matériaux déjà livrés devait faire l'objet d'une entrevue personnelle.
En réalité, les allemands avaient pour but de consacrer à des réparations sur d'autres bâtiments de la Marine allemande, les matériaux d'abord prévus pour la construction desdits chalands mais ils s'aperçurent que la plupart des matériaux sur chantiers avaient déjà été usinés et n'étalent plus disponibles pour d'autres travaux. Aussi rapportèrent-ils leur décision le 4 octobre 1941, "en considération du degré d'avancement de l'usinage du matériel se trouvant déjà sur les Chantiers".
Quoi qu'il en soit, cet ordre et ce contre-ordre ne furent pas de nature à modifier les délais de livraison, la construction n'ayant pas été arrêtée entre le début de septembre 1941 et octobre 1941, ainsi qu'en fait foi une lettre du 20 septembre 1941 adressée à l'amiral commandant en France (Kommandierender Admiral in Frankreich).
Le véritable retard provint, semble-t-il, essentiellement du fait que les allemands ne pouvaient fournir les matériaux nécessaires aux Chantiers en temps utile.
- Un seul chaland n°105 fut livré le 4 mars 1944 aux allemands au titre de ce contrat,
- les trois autres, 106, 107 et 108, étaient encore sur cale au moment de la Libération.
3. Contrat "Transformation de chalands"
Il semble que ce fut sur convocation que M. Abbat, directeur des Chantiers du Trait, se rendit à Rouen le 4 août 1940, où la Marine Baurat Freiberg lui demanda dans quelles conditions les Chantiers pouvaient être chargés de la transformation de chalands de rivière de 38m à 50. M. Freiberg remit en même temps à M. Abbat les plans et dessins de ces transformations.
La convocation de M. Abbat à Rouen n'était que l'aspect local d'une enquête menée à Paris par le capitaine Begenhart sur "les possibilités de l'ensemble des Chantiers de la Manche en ce qui concerne les transformations de chalands".
Le 5 août 1940, M. Abbat donna, par lettre, au Baurat [conseil technique] les conditions demandées.
Le 9 août et 11 août, les Chantiers reçurent la visite d'officiers allemands, notamment le Fregatten Kapitän Iahl - qui procédèrent à "un examen local de la situation" et avec lesquels la direction eut des échanges de vues abondants (lettre du 12/8/40 à la direction générale des Chantier à Paris.
La mise au point de ces pourparlers fut faite par une lettre des Chantiers au Capitaine Iahl en date du 11 août 1940, qui précisa en ces termes la nature des travaux à effectuer et les délais possibles de livraison :
1 - Travaux à effectuer sur les chalands :
a) Ces travaux comprendraient le traçage, le découpage, la confection et la mise en place (rivetage et soudure) des tôleries et détails de charpente prévus aux plans.
Si les chalands parviennent dans nos chantiers dans la journée du lundi 12 août, on peut escompter que l'ensemble des travaux serait terminé pour la fin de la semaine, et que vous pourrez disposer des chalands pour les autres travaux que vous avez à effectuer à partir du dimanche [...] août.
2 - Plateforme (plan K 16.1499)
Nous disposions des tôles nécessaires à la confection de 21 plateformes, mais nous ne disposons ni des fers U ni fer I. Il serait nécessaire que cette livraison soit assurée par vos soins.
... La première plateforme serait confectionnée dans un délai de six jours francs et à partir de ce moment les autres plateformes pourraient être livrées à la cadence de deux par jour."
Sur la base de ces pourparlers, les premiers chalands arrivèrent aux Chantiers les 13 et 14 août 1940, et les travaux semblent avoir commencé aussitôt.
Cependant, le contrat ne fut effectivement passé qu'entre le 22 août et le 3 septembre 1940.
Par les clauses essentielles de ce contrat, il était convenu notamment :
- que les chantiers devaient entreprendre la reconstruction de péniches selon les plans et dans les délais indiqués par un inspecteur de l'empire allemand
- que le travail serait exécuté avec toute l'accélération possible, le personnel devant travailler sur demande les dimanches, et faire des heures supplémentaires,
- que l'empire allemand pourrait procurer aux Chantiers les matériaux bruts et demi bruts ne se trouvant pas disponibles sur le Chantier,
- que l'empire allemand pouvait, à tout moment, annuler le contrat.
Les autres clauses de moindre importance, portaient sur le mode de facturation et sur les comptes perçus par les Chantiers au début des travaux effectués sur chaque chaland.
Il s'agissait là d'un contrat type proposé aux divers chantiers français ayant à exécuter des travaux similaires (Chantiers de Penhost et Chantiers Augustin Normand). Il fut signé par les Chantiers du Trait sous trois réserves :
- les deux premières ayant trait au calcul des frais de chantier,
- la troisième précisant que dans tous les cas "notre responsabilité est dégagée en ce qui concerne les accidents pouvant survenir aux péniches" (dernier alinéa de la lettre, en langue allemande, du 3 septembre 1940, adressée au Marine Baurat Klawitter à Rouen).
Les autres chantiers firent probablement des réserves analogues et, le 24 septembre 1940, fut passée à Paris, entre le responsable des Chantiers à l'Amirauté allemande en France et M. Nitot, directeur général des Chantiers du Trait, une nouvelle convention à l'effet de déterminer exactement les prix de facturation, il semble qu'à cette époque les travaux étaient terminés. Les Chantiers du Trait avaient transformé 27 péniches.
Ce fut là le seul contrat de transformation qu'aient passé les Chantiers Worms durant l'occupation.
4. Construction de bacs
Par la lettre B.Nr 2165/44 du 20 juin 1944, le Banaufsicht de Rouen passa commande de guerre pour la construction de huit bacs de 15 tonnes chacun, suivant des plans transmis déjà. Un nouveau bac du même modèle fut commencé le 4 août 1944.
Ces bacs devaient être livrés :
- le premier, le 3 juillet 1944,
- le second, le 5 juillet 1944,
- le troisième, le 15 juillet 1944,
- les suivants, tous les dix jours.
Sur instigations allemandes, il devait être travaillé à ces bacs pendant les alertes, et les ouvriers recevaient, de ce fait, une majoration de 80% sur leurs salaires. Une prime de F 16.000 et 10.000 devait en outre être accordée en cas de livraison anticipée.
Le 22 juillet 1944, les Chantiers du Trait reçurent l'ordre de construire trois autres bacs de 24 tonnes, conformément à des instructions des 1er juillet et 3 juillet 1944, et à un plan n°12.994, établi par les Chantiers.
De l'examen des dossiers, il résulte que, du fait des mesures d'accélération du travail expressément ordonnées par les allemands (notamment travail ininterrompu pendant les alertes), les deux premiers bacs furent terminés et livrés aux allemands. Par contre, les trois bacs faisant l'objet de la seconde commande ne furent jamais livrés aux allemands, bien qu'achevés.
5. Commandes de quatre machines à triple expansion de 10 CV pour des remorqueurs
En novembre 1940, les Chantiers du Trait ont reçu des Forges et Chantiers de la Gironde, à Bordeaux, la commande de quatre machines à triple expansion de 1.000 CV pour équiper quatre remorqueurs qui devaient être construits aux Forges et Chantiers de la Gironde pour le compte de la Marine allemande.
Les dates de livraison envisagées étaient pour la première machine, 1er octobre 1941, et pour la seconde machine, mars 1942 ; des pénalités de retard étaient prévues.
En raison de la lenteur de la construction, la Marine allemande a résilié, en juin 1942, la commande de deux remorqueurs et, par conséquent, les Chantiers du Trait n'avaient plus à exécuter que deux machines. Celles-ci n'ont jamais été livrées aux allemands, et leur construction a pu être reprise en septembre 1944 pour le compte de la Marine française.
6. Location de main d'oeuvre
Enfin, les Chantiers du Trait reçurent à plusieurs reprises notifications émanant de la Marine allemande d'avoir à envoyer un certain nombre de spécialistes sur d'autres chantiers français effectuant également des constructions pour l'autorité occupante.
C'est ainsi que :
- par ordre B.Nr 259/44 L du 25 janvier 1944, émanant du Bauaufsicht de Rouen, quarante-quatre ouvriers durent, au début de février 1944, quitter le Trait pour Rochefort.
Ils partirent primitivement pour trois mois, mais restèrent en réalité absents plus longtemps.
Par ordre B.Nr 697/44 au 27 février 1944, du même organisme, soixante et un ouvriers partirent, fin février 1944, à Cherbourg en vue de l'exécution de travaux spéciaux à court terme. L'absence de ces ouvriers devait durer un mois.
Par ordre du 26 janvier 1944, du même organisme, d'autres ouvriers partirent à Rouen pour démonter quatre chalands dans le port. Les travaux se prolongèrent jusqu'au 11 août 1944.
Les ouvriers qui quittaient ainsi le Trait n'avaient, durant leur absence, aucune relation professionnelle avec les Chantiers Worms, et recevaient leur paye sur place, directement des entreprises qui les employaient. Néanmoins, ils figuraient dans les rôles des Chantiers Worms, et continuaient à faire partie de son personnel.
Ces sortes de contrats n'intervinrent qu'à la fin de l'occupation, et sont tout à fait exceptionnels dans l'activité des Chantiers Worms & Cie. Ils sont d'ailleurs d'importance minime.
3°) Commandes françaises passées antérieurement ou postérieurement au 5 juin 1940, et poursuivies ou enregistrées pour le compte de la Marine française
1. Pétrolier ravitailleur d'escadre "La-Baïse"
Il a été expliqué ci-dessus dans quelles conditions les allemands ont fait connaître aux Chantiers du Trait d'avoir à démolir "La-Baïse" et ont manifesté l'intention d'employer ailleurs les matériaux primitivement destinés à ce bâtiment.
Il a été dit également comment, par dépêche ministérielle 22 CN5 du 10 octobre 1940, le gouvernement français donna l'ordre de poursuivre les travaux sur ce bâtiment, comment, après tergiversations, il fut arrêté définitivement le 3 janvier 1941, que les travaux seraient poursuivis pour compte français.
Pratiquement, les allemands,exigeant que l'on travaillât exclusivement sur leurs commandes les travaux ne purent être poursuivis entre 1942 et 1944.
"La-Baïse" était encore sur cale à la Libération.
2. Pétrolier ravitailleur d'escadre "La-Mayenne"
Comme il a été dit ci-dessus, les allemands avaient donné, le 28 juillet 1940, l'ordre de poursuivre pour leur compte les travaux sur ce bâtiment. Mais, à la suite des pourparlers de septembre 1941 à Wiesbaden, il fut décidé que ce navire serait poursuivi pour compte français. Postérieurement à cette décision, quelques travaux furent encore faits jusqu'au début de 1942, puis tout fut abandonné. "La-Mayenne" était encore sur cale en août 1944.
3. Appareils moteurs et évaporatoires de deux charbonniers de 3.500 tonnes destinés à la Marine marchande française
La commande de deux appareils moteurs et évaporatoires comprenant quatre chaudières cylindriques et deux machines à triple expansion de 1.500 CV destinés à équiper deux charbonniers de 3.500 tonnes construits aux Chantiers navals français, à Caen, et destinés à la Marine marchande française, a été passée en juillet 1940.
Durant l'occupation, les chaudières n'ont pas été commencées, bien que les matériaux aient été à pied d'oeuvre depuis 1941.
Quant aux machines, la construction commencée en 1941 a été arrêtée en 1943, à 5% d'avancement.
Vu le faible état d'avancement, les allemands n'ont jamais émis de prétention ni sur les navires en question, ni sur leurs machines ou chaudières.
4. Commande de quatre chaudières cylindriques destinées à deux charbonniers de 2.650 tonnes
En janvier 1941, les Chantiers du Trait ont reçu la commande de quatre chaudières cylindriques complètes avec leur habillage, pour deux charbonniers de 2.650 tonnes, également destinés à la Marine française, et en construction aux Chantiers de Normandie, à Rouen.
La construction de ces chaudières, arrêtée fin mars 1943, n'a été reprise qu'en juin 1945.
De l'étude ci-dessus, il résulte que, pendant l'occupation, les Chantiers du Trait ont effectivement livré aux autorités allemandes trois bâtiments seulement, à savoir :
- en novembre 1942 : un sous-marin "La-Favorite"
- en juin 1943 : un pétrolier "La-Charente"
- en mars 1944 : un chaland de 200 tonnes.
En outre, les Chantiers ont effectué également pour les allemands quelques travaux secondaires de minime importance, qui ont consisté :
- d'une part, en la transformation de vingt-sept péniches, en septembre 1940,
- d'autre part, en la construction et la livraison de bacs de 15 tonnes.
De prime abord, il apparaît que, pour des chantiers de l'importance de ceux du Trait, le nombre de bâtiments livrés aux allemands, durant les quatre années d'occupation, a été bien faible.
M. Worms a affirmé devant vous, M. le juge d'instruction, qu'il s'est "attaché personnellement à retarder toutes livraisons, et que l'agencement des Chantiers qui occupaient mille ouvriers et disposaient de huit cales de lancement, permettaient une livraison rapide, voire même une construction beaucoup plus intensive" (déposition de M. H. Worms le 26 septembre 1944).
Il a, en conséquence, paru indispensable de procéder à une étude des conditions dans lesquelles le travail s'est poursuivi sur les Chantiers du Trait de 1940 à 1944. Dans ce cadre, il a été notamment recherché si le personnel desdits chantiers a effectivement reçu la consigne de retarder les travaux, ou si, tout au moins, il a eu l'impression qu'on n'exigeait pas de lui le rendement que la direction s'efforçait d'obtenir avant-guerre.
Les résultats de cette étude sont exposés dans le paragraphe ci-après :
b) Examen général des conditions dans desquelles travaillèrent les Chantiers du Trait pendant l'occupation
Sur commission rogatoire lancée le 26 octobre 1944 par vous-même, M. le juge d'instruction, une enquête a été effectuée parmi les membres du personnel et de la maîtrise ayant travaillé aux Chantiers du Trait pendant les années d'occupation.
De cette enquête, il résulte essentiellement que, sur vingt-sept personnes interrogées sur la question de savoir si la Maison Worms & Cie s'était efforcée d'accélérer la production au profit des allemands :
- trois ont répondu affirmativement, deux de ces personnes ont produit des pièces qu'elles estiment venir à l'appui de leurs dires ;
- quatre ont dit être d'avis que si la production pendant l'occupation n'avait pas été meilleure aux Chantiers, cela était plutôt dû aux conditions d'exploitation et aux dégâts causés par les bombardements alliés qu'à la volonté de freinage de la direction.
- vingt ont répondu formellement par la négative.
Il va être étudié dans quelle mesure ces différentes réponses paraissent devoir être retenues.
1° - Examen des déclarations aux termes desquelles la Maison Worms & Cie aurait cherché à accélérer la production
Sur les trois ouvriers ayant déclaré que la direction de la Maison Worms & Cie avait cherché à accélérer la production, l'un s'est borné à une affirmation générale et n'a fourni aucune précision. Les deux autres, tout en restant également dans le cadre des généralités, ont produit diverses pièces qu'ils estiment venir à l'appui de leurs dires.
Ces pièces ont trait :
- aux notes de service parues sur les Chantiers,
- aux départs d'ouvriers en Allemagne.
Ces pièces ont été examinées à la lueur des renseignements fournis d'autre part par l'ensemble du dossier et les recoupements opérés ont abouti au résultat ci-après exposé.
En ce qui concerne les notes de service, les investigations effectuées ont montré que la direction des Chantiers correspondait avec son personnel par le moyen de telles notes affichées sur le lieu du travail à des endroits prévus à cet effet.
Un certain nombre de ces notes de services ont été considérées par certains éléments du personnel comme traduisant le désir de la direction d'accélérer la production au profit des allemands.
Il en a été ainsi, notamment, de la note de service du 8 octobre 1940, dont le texte figure en pièce annexe au présent rapport.
Or, il a été indiqué précédemment quelles circonstances avaient amené la direction à publier cette note de service qui, certes, demandait aux ouvriers de reprendre le travail sur le sous-marin "La-Favorite", mais ne faisait, en fait, que reprendre une partie des termes comminatoires de la lettre n°1767/40 adressée aux Chantiers par le capitaine Rhein.
Deux autres notes des 21 avril 1943 et 10 mai 1943 reproduites intégralement en annexe au présent rapport faisaient connaître la décision qu'avait prise la direction d'allouer au personnel une prime tenant compte de son assiduité, et dont le but était de faire respecter la date prévue pour la livraison de "Ostfriesland" (ex-"Charente").
Entendu, en cours d'expertise à ce sujet, M. Nitot, directeur général des Chantiers du Trait a expliqué que, dans les derniers jours qui ont précédé le lancement, les allemands avaient fait de fréquentes et violentes irruptions dans les bureaux de la direction, se plaignant de l'inertie générale.
Pour éviter des solutions extrêmes, et dans la crainte de voir se renouveler des arrestations analogues à celles qui avaient précédé le lancement de "La-Favorite" la direction avait dû prendre cette mesure destinée à calmer l'autorité occupante.
Il a ajouté que ce fut la seule fois où fut offerte une prime au rendement pendant l'occupation et qu'au surplus, l'efficacité n'en fut pas certaine.
Par ailleurs, il a été trouvé dans les dossiers placés sous scellés, un modèle de lettre circulaire non daté, dont le texte intégral est reproduit en annexe au présent rapport et invitant le personnel absent à reprendre sans délai son poste, sous peine de poursuites de la part de la gestapo.
La direction a expliqué qu'en effet, à la suite du bombardement sévère de mars 1942 les effectifs ouvriers décroissaient rapidement, ce qui a attiré l'attention de la surveillance allemande des Chantiers. Cette lettre circulaire ne faisait que prévenir les intéressés des mesures que les allemands comptaient prendre à leur endroit.
Enfin, le rapport de police de l'inspecteur Jourde, du 10 février 1945, figurant au dossier de l'information, fait mention d'un système de "planning", plan de rationalisation, qui aurait été instauré au Trait durant l'occupation dans le but d'améliorer le rendement du travail.
La direction des Chantiers a fait connaître en cours d'expertise, à ce sujet, qu'effectivement, en 1941, elle avait essayé d'instituer au Trait un système nouveau destiné à rendre plus précis le calcul des prix de revient.
Il n'avait pas pour but d'améliorer le rendement du travail. Bien au contraire, la direction affirme qu'il s'agissait de mettre à l'essai, pendant l'occupation, un système susceptible de créer, au début de son application, une certaine perturbation et ce, afin d'obtenir un meilleur rendement après la Libération.
De toute façon, ce système a été très vite abandonné et n'a pas, aux dires de la direction, accru le rendement du travail.
Ce point de vue paraît devoir être partagé car il est corroboré par l'étude du rendement, effectué ci-après page [...] et suivantes.
En ce qui concerne la question des départs en Allemagne, il résulte des renseignements recueillis que les Chantiers Worms, comme toute entreprise française à cette époque, furent saisis de la part des autorités allemandes de demandes de main-d'oeuvre spécialisée destinée à être envoyée en Allemagne. Ces demandes étaient faites soit en application de décisions générales des gouvernements français et allemands, soit en vertu d'accords particuliers à la Marine et aux Constructions navales, accords intervenus entre les autorités d'occupation et la COCN (Comité d'organisation des constructions navales).
Il semble qu'en septembre 1941, lors d'une conférence entre les représentants des Chantiers français et l'amiral allemand Kinzel, la question fut nettement posée pour la première fois de savoir "si les chantiers français accepteraient éventuellement de repasser de la main-d'oeuvre aux chantiers allemands"[4]. Il n'y eut pas de suite.
Les pourparlers reprirent entre les allemands et la COCN au début de juillet 1942, car la Marine allemande s'était aperçue que la proportion de spécialistes dans les chantiers français était plus élevée que sur les chantiers allemands.
A la suite des décisions prises, une première délégation allemande visita les chantiers le 7 octobre 1942, et demanda cent vingt neuf spécialistes. Une nouvelle délégation vint le 21 novembre 1942 et porta ce chiffre à cent cinquante.
Une intervention de la direction auprès des allemands fit ramener ce chiffre à cent vingt.
Les cent vingt ouvriers nommément désignés par l'inspecteur du travail de Rouen partirent les 5 et 12 décembre 1942 à destination de la Dantzigiwert à Dantzig. Deux d'entre eux reconnus inaptes furent rapatriés aussitôt.
Les Chantiers Worms furent pressentis en janvier 1943 pour de nouveaux prélèvements qu'ils ne pourraient éviter, leur dit le professeur allemands Noe, que s'ils étaient reconnus par l'amirauté allemande comme "centre de formation de main-d'oeuvre spécialisée"[5].
La direction en référa immédiatement au COCN qui répondit : "Il a été formellement admis par la Marine allemande qu'aucun prélèvement nouveau ne devait plus avoir lieu dans vos Chantiers" (lettre circulaire 1205 du 22 janvier 1943). Personne ne partit.
Par la suite, en février et mars 1943, de nouveaux ouvriers furent nommément désignés. Chaque fois la direction fit le nécessaire pour qu'ils restent. Elle ne put toutefois éviter le départ de faibles contingents de jeunes gens des classes 1940-1941 et 1942.
En bref, 118 ouvriers et deux agents de maîtrise sur un effectif moyen de l'ordre de huit cents ouvriers - soit 15% environ - durent s'expatrier sur ordre allemand. La direction ne semble pas avoir fait de publicité pour encourager les départs.
En bref, il est possible de dire que, bien au contraire, les Chantiers du Trait se sont efforcés dans toute la mesure du possible, et, en s'appuyant sur le Comité d'organisation des constructeurs de navires de garder leur effectif ouvrier au Trait.
En définitive, les explications données ci-dessus en ce qui concerne les notes de services et les faits invoqués par trois ouvriers à l'encontre de la Maison Worms & Cie, montrent que les dires de ces ouvriers ne sauraient être sérieusement retenus.
2° - Examen des déclarations aux termes desquelles le ralentissement de la production des Chantiers aurait été dû aux dégâts causés par les bombardements et aux difficultés d'approvisionnement, et non à la volonté de freinage de la direction
Quatre membres du personnel du Trait ont dit être d'avis que la faible production des Chantiers durant l'occupation était due :
- aux conditions générales de travail pendant cette période,
- aux dégâts causés par les bombardements alliés.
L'examen des dossiers permet effectivement de dire que les Chantiers rencontrèrent de nombreuses difficultés d'approvisionnement en matériaux ou installations de bord ; les allemands, en effet, se préoccupaient de la prospection de ces matériaux mais l'affaire était négociée par les Chantiers et les livraisons tardaient beaucoup.
D'autre part, les allemands allaient jusqu'à la menace et à l'emprisonnement des membres du personnel si les lancements de navires n'étaient pas faits aux dates prévues.
C'est dans ces conditions, semble-t-il, que la direction des Chantiers du Trait fut amenée à solliciter l'intervention de l'amiral Kinzel afin d'obtenir les approvisionnements nécessaires dans les plus courts délais.
Ceci ressort des paragraphes suivants extraits de trois lettres :
- l'une en date du 24 juillet 1942 au Kommandierender Admiral in Frankreich.
"Nous espérons que vous voudrez bien transmettre le plus rapidement possible ces spécifications aux aciéries intéressées afin que nos chantiers puissent être mis en possession des matières nécessaires aux travaux dans les délais les plus courts."
- la seconde du 1er août 1942 émanant de Worms-Paris à Worms au Trait :
"Nous comptons rendre une nouvelle visite incessamment à l'amirauté allemande pour être certains qu'elle a fait le nécessaire pour faire acheminer ces matériaux sur nos Chantiers dans le plus bref délai possible."
- La troisième du 14 décembre 1942 au Kommandierender Admiral in Frankreich :
"Nous vous serions très obligés de vouloir bien nous retourner dès que possible un des exemplaires de ce plan pour que nos Chantiers puissent passer rapidement à l'exécution."
M. H. Worms, entendu à ce sujet, au cours de l'instruction, a précisé que cette insistance à obtenir rapidement le maximum de matériaux possibles, faisait partie d'un plan général d'accroissement des stocks poursuivis par les Chantiers du Trait. Ces matériaux, une fois sur parc, n'entraient en construction qu'après bien des tergiversations et des délais.
Il s'agissait en somme d'immobiliser le plus de matériaux possibles sur parc et d'en laisser un minimum devenir productif.
L'étude comptable du mouvement des stocks pendant l'occupation, effectué ci-après page 186, démontrera si le but poursuivi a été effectivement atteint.
Les Chantiers du Trait eurent à plusieurs reprises à souffrir des bombardements alliés et la production s'en trouvait chaque fois plus ou moins ralentis selon leur efficacité et l'importance des dégâts.
Il est à noter cependant que les dégâts causés aux navires en cours de construction ont été très faibles et l'examen comptable effectué ci-après page 135 montre qu'ils n'ont entravé que de façon tout à fait négligeable la production des Chantiers.
Ils ne furent pas, en tous cas, de nature à retarder les travaux de plusieurs années comme cela a été le cas pour "La-Favorite", "L'Africaine" et "La-Charente".
3° - Examen des réponses négatives à la question de savoir si la direction s'est efforcée d'accélérer la production au profit des allemands
Parmi les vingt membres du personnel, sur vingt-sept interrogés - qui ont affirmé que la direction des Chantiers n'avait pas accéléré la production, certains ont même ajouté qu'au contraire elle l'avait freinée et, en particulier, avait fermé les yeux, lorsque les ouvriers ne reprenaient pas les travaux immédiatement après les alertes.
Enfin dit un rapport de police figurant au dossier, il est notoire au Trait que les Chantiers Worms ont fait preuve de la plus grande passivité pendant l'occupation et qu'en fait la direction à la reconnaissance de la presque totalité du personnel.
De l'étude qui vient d'être effectuée, en ce qui concerne les commissions rogatoires lancées au Trait, à l'effet d'entendre les membres du personnel des Chantiers de la Maison Worms & Cie, il résulte donc essentiellement que :
- si différentes notes de service au cours des années d'occupation rappelaient aux ouvriers d'avoir à d'être présents sur les Chantiers, faute de quoi la direction devait prendre des sanctions, il apparaît que ces notes de service ne faisaient que traduire les menaces faites par les allemands à la direction elle-même,
- si un certain nombre d'ouvriers (12% de l'effectif total) a dû dans le cadre de la législation française de cette époque, partir pour l'Allemagne, la direction a fait tous ses efforts pour que ces départs soient le moins nombreux possible et pour que des prélèvements de main-d'oeuvre ne se renouvellent pas,
- si la direction des Chantiers est intervenue à plusieurs reprises auprès des allemands pour faire accélérer l'approvisionnement des Chantiers en matériaux, elle agissait là uniquement pour donner aux allemands une satisfaction de principe, et aussi dans le but d'accroître ses stocks tout en produisant le moins possible (le peu de livraisons effectuées, en définitive, par les Chantiers, aux allemands le montre),
- si, enfin, la direction a essayé d'instaurer un système de "planning" destiné à rendre plus précis le calcul de ces prix de revient, ce nouveau système n'a pas eu pour résultat, semble-t-il, d'augmenter de quelque façon que ce soit le rendement du travail ; la direction des Chantiers affirme, d'ailleurs, qu'elle n'a jamais poursuivi ce but et, au surplus, ce "planning" n'est jamais entré effectivement en vigueur.
II - Examen comptable relatif aux Chantiers du Trait
L'examen comptable qui va suivre, comporte essentiellement deux parties distinctes :
- d'une part, une étude comparative des tonnages montés et lancés durant la période de quatre ans précédant l'occupation et pendant l'occupation elle-même, et une étude de l'emploi de la main-d'oeuvre sur les Chantiers entre juin 1940 et août 1944. Il sera ainsi possible, notamment de déterminer un coefficient de rendement du travail sous l'occupation, comparé au rendement obtenu antérieurement à juin 1940 sur les Chantiers du Trait,
- d'autre part, une étude approfondie des comptes d'exploitation et de pertes et profits, ainsi que des résultats et de la situation financière des Chantiers du Trait sous l'occupation. Il sera procédé, en particulier, à l'examen de quelques-uns des principaux postes de bilans des exercices 1940 à 1944, susceptibles de présenter un intérêt dans le cadre de la présente affaire.
A) Études des tonnages lancés ainsi que de l'emploi de la main d'oeuvre sur les Chantiers de 1936 à 1940 et pendant l'occupation allemande
Il a paru intéressant d'examiner :
- d'une part, quels furent les tonnages lancés et les tonnages montés pendant les quatre années qui ont précédé l'occupation, comparativement à ce qui a été monté et lancé pendant celle-ci. La période des quatre années immédiatement antérieures à l'occupation, laquelle sert de base de comparaison, est égale à la durée de l'occupation elle-même, et constitue le délai minimum auquel on puisse se référer (en effet, certains navires du tonnage de ceux qui sont construits au Trait restent sur cale pendant plusieurs années, mais pratiquement jamais plus de quatre ans),
- d'autre part, quel a été l'emploi fait de la main-d'oeuvre sur les Chantiers et quel fut le rendement horaire comparé par tonne montée, tant pour les années 1936 à 1940 que pour l'occupation.
a) Étude comparative des tonnages lancés et des tonnages livrés pendant les quatre années qui ont précédé l'occupation et pendant celle-ci
1° - Étude des tonnages lancés
Il a été examiné, tout d'abord, par quels navires ont été occupées les huit cales de construction pendant les deux périodes considérés, soit :
- en premier lieu, pendant les années 1936 à juin 1940,
- puis, de juin 1940 au 31 août 1944.
Cet examen a été schématisé par un tableau dans lequel chaque bâtiment est représenté par un trait continu, depuis la date de mise sur cale jusqu'au lancement. Un trait discontinu et parallèle au premier indique les périodes pendant lesquelles il a été effectivement travaillé sur le bâtiment en question. Les périodes pendant lesquelles le bâtiment est resté sur cale, tous travaux interrompus, ne comportent donc, par bâtiments, qu'un trait unique.
Ce schéma qui précise la situation par bâtiment et par cela de 1936 à 1944 est reproduit ci-après.
Tableau d'occupation des cales de 1936 à 1945 [manque]
Le tableau qui précède appelle les remarques suivantes :
1/ Le tonnage lancé de 1936 à juin 1940 s'établit ainsi :
- cargo "François L.D." - 4.580 tonnes
- cargo mixte "Malgache" - 6.000 tonnes
- remorqueur "Saint-Louis" - 325 tonnes
- torpilleur "Incompris" - 609 tonnes
- sous-marin "Cérès" - 600 tonnes
- torpilleur "Bouclier" - 609 tonnes
- charbonnier "Danaé" - 2.000 tonnes
- quatre chasseurs CH13 à CH16 de 114 tonnes chaque - 456 tonnes
- charbonnier "Egée" - 2.000 tonnes
- charbonnier "Dioné" - 2.000 tonnes
ce qui représente un total de 19.179 tonnes.
2/ Le tonnage lancé pendant l'occupation allemande, de juin 1940 à août 1944 se traduit comme suit :
- ravitailleur d'escadre "La-Charente" 4.910 tonnes
- sous-marin "La-Favorite" 800 tonnes
- un chaland non automoteur 200 tonnes
soit un total de 5.910 tonnes pendant l'occupation.
3/ La comparaison de ces résultats montre que le tonnage lancé pendant l'occupation représente moins de 30% du tonnage lancé de 1936 à 1940.
Les résultats de l'activité des Chantiers en tonnages lancés pendant l'occupation, sont donc sensiblement inférieurs au tiers des résultats obtenus pendant une période de durée équivalente, antérieure à l'armistice de juin 1940.
Il n'en découle pas que l'activité déployée par les Chantiers de 1940 à 1944 ait été trois fois plus faible que pendant les années 1936 à 1940.
En effet, il se trouvait au début et à la fin de chacune des périodes considérées, que des bâtiments avaient été montés en partie, mais, que les travaux restaient en cours, il n'en a pas été tenu compte dans le présent calcul.
C'est pourquoi il importe de compléter cette étude par celle des tonnages montés,
- d'une part, de 1936 à 1940,
- d'autre part, pendant l'occupation.
2° - Étude des tonnages montés
Les tonnages montés ne ressortent pas directement de la comptabilité.
Il a donc été nécessaire, pour procéder à cette étude, de rechercher dans les dossiers de fabrication, et dans les documents et notes relatifs à la construction des divers bâtiments, tous les éléments susceptibles de donner le degré d'avancement desdits bâtiments au début et à la fin de chacune des années 1936 à 1944.
Les résultats de ce travail ont été présentés sous la forme d'un tableau donnant par année et par cale, les tonnages montés ainsi que les heures effectuées à ce montage.
Deux totaux partiels ont été ressortis afin d'obtenir :
- d'une part les tonnages montés entre 1936 et juin 1940
- d'autre part, les tonnages montés de juin 1940 à août 1944,
et de pouvoir ainsi comparer l'activité déployée pendant les deux périodes de durée sensiblement égale.
Ce tableau se présente comme suit :
[Voir PDF, pages 120, 121, 122 et 123 "Tableau des tonnages montés et des heures affectées à la construction de 1936 à août 1944".]
L'examen du tableau qui précède amène les remarques essentielles suivantes :
1/ Pendant les années 1936 à 1940, le tonnage monté par année n'a jamais été inférieur à 4.100 tonnes (en comptant l'année 1940 entière dans cette période).
Pendant l'occupation, le tonnage annuel monté n'a jamais atteint ce chiffre, le maximum ayant été en juin 1941 de 3.105 tonnes.
De plus à partir de 1941, le tonnage monté va en décroissant, pour arriver à 30 tonnes en huit mois, en 1944. Pour l'ensemble de la période d'occupation, le total du tonnage monté n'a pas dépassé 7.765 tonnes.
2/ En considérant le tonnage monté sur cale de 1936 à 1940, soit 23.909 tonnes en quatre années environ, il est possible d'admettre que le tonnage monté de 1940 à 1944 aurait pu être, puisqu'il s'agissait d'une durée sensiblement égale, voisin de 23.000 tonnes. Encore y a-t-il lieu d'observer que le tableau de l'occupation des cales reproduit ci-dessus page 116 indique que celles-ci n'ont pas été constamment occupées entre 1936 et 1940 ; il en ressort donc que le nombre de 23.009 tonnes en quatre ans ne constituait pas pour les Chantiers du Trait un résultat exceptionnel mais qu'au contraire il aurait été possible, en poussant les travaux, d'atteindre beaucoup plus, soit 40.000 tonnes environ.
Le tonnage monté pendant l'occupation, soit 7.765 tonnes représente 19.4%, c'est-à-dire à peine le cinquième des possibilités et 33%, c'est-à-dire le tiers du tonnage effectivement monté de 1936 à 1940.
3/ - Les allemands avaient en réalité passé les commandes suivantes :
pour leur marine marchande :
- achèvement du pétrolier "La-Charente" - 2.610 tonnes
- trois cargos de 1.000 tonnes - 3.000 tonnes
- quatre chalands de 200 tonnes - 800 tonnessoit un total de 6.410 tonnes
pour leur marine de guerre :
- achèvement du montage de "La-favorite" - 250 tonnes
- achèvement du montage de "L'Africaine" - 200 tonnes
soit un total de 450 tonnes
ce qui représente un tonnage total de 6.860 tonnes commandé par la marine allemande.
Le tonnage livré à celle-ci fut comme il a été dit précédemment de 5.910 tonnes sur lesquelles ont été réellement montées pendant l'occupation :
- sur "La-Charente" - 2 .610 tonnes
- sur un chaland (tonnage total) - 200 tonnes
- sur "La-Favorite" - 250 tonnes
soit au total 3.060 tonnes.
Ce total représente donc :
- 44% environ des commandes allemandes,
- 40% à peine du tonnage total monté pendant l'occupation (60% du tonnage monté pendant cette période n'ayant pas été livré).
- 8% environ de la capacité de production des Chantiers pendant 4 années (quatre).
b/ Étude de l'emploi de la main d'oeuvre sur les Chantiers durant les années 1936 à 1940 et pendant l'occupation
Il y a lieu d'examiner :
- d'une part, quels furent les effectifs travaillant sur les Chantiers avant et pendant l'occupation allemande.
- d'autre part quel a été l'emploi de la main d'oeuvre notamment en ce qui concerne les heures affectées à la construction des bâtiments pendant les mêmes périodes,
- enfin, quel a été le rendement horaire du travail à la tonne de bâtiment monté avant et pendant l'occupation.
1/ Étude des effectifs
Il a été recherché quels furent les effectifs ouvriers, employés et cadres (contremaîtres et chefs d'équipe) travaillant sur les chantiers :
- d'une part, au 31 décembre 1938 et au 31 décembre 1939
- d'autre part, à la fin de chaque trimestre du 30 septembre 1939 au 30 juin 1944.
Cette comparaison des effectifs, faisant ressortir à part les effectifs ouvriers, les effectifs employés et les cadres, est présentée dans le tableau suivant.
[Voir PDF page 128, "Comparaison des effectifs ouvriers, employés et cadres".]
L'examen du tableau qui précède permet de noter que :
1 - Les effectifs employés et cadres, faibles au début de l'occupation ont constamment tendu à redevenir ce qu'ils étaient en 1938 et 1939. II s'agit en effet, d'un personnel technique attaché depuis longtemps à l'établissement et que la direction n'aurait pas trouvé à la fin de la guerre si elle l'avait licencié ; la direction a ajouté qu'elle avait vis-à-vis de ce personnel des obligations d'ordre moral incontestables.
Le personnel employé a même augmenté par rapport à ce qu'il était en 1938 et 1939 (275 en 1938-1939 contre 295 en 1943-1944). Cela est dû au fait que la besogne administrative n'a cessé de se compliquer depuis 1940 tant en ce qui concerne les lois sociales que pour faire face à la réglementation relative à la répartition des matières premières. Un personnel de bureau plus nombreux a ainsi dû être employé.
2 - L'effectif ouvrier moyen des années 1938 et 1939 s'établit à 1.038 ouvriers. Ce chiffre n'a jamais été atteint au cours de l'occupation.
Au 30 septembre 1940, l'effectif ouvrier était de 672. Il a atteint 812 au 31 décembre de la même année. Cette augmentation provient du retour de nombreux partis en exode et qui n'ont pu rejoindre le Trait dès l'armistice.
En 1941, l'effectif ouvrier moyen était de 370 environ (avec le maximum atteint pendant l'occupation, soit 895 au 30 juin 1941). Cette augmentation nette fut consécutive à l'embauchage nécessité par la reprise des travaux. Cependant, il ne semble pas qu'un effort particulier ait été fait pour retrouver les effectifs d'avant-guerre, car à partir de 1941 ceux-ci s'effondrent.
Une dépression très nette s'est produite à la suite des bombardements de mars 1942 et août 1943. Les ouvriers quittaient, en effet, les Chantiers pour s'éloigner du danger.
A la fin 1943, une diminution aurait normalement due être enregistrée par suite du départ de plus de cent ouvriers en Allemagne. Il semble que cette diminution ait été compensée par l'envoi au Trait de requis par les Allemands. Les requis affluèrent au deuxième trimestre 1943, c'est la raison pour laquelle au 30 juin 1943, les effectifs marquèrent un léger excédent sur ceux du premier trimestre.
Cet excédent ne fut que momentané d'ailleurs, et au 30 juin 1944, l'effectif ouvrier s'établissait à 658, soit moins qu'après l'exode de juin 1940.
Ainsi, pendant l'occupation, les Chantiers du Trait ont toujours employé une main d'oeuvre numérique très inférieure à celle qui, avant la guerre, assurait auxdits Chantiers une activité normale mais déjà inférieure aux possibilités.
2/ Étude de l'emploi de la main d'oeuvre
Un dépouillement du livre et des feuilles de paie a permis de déterminer l'emploi de la main d'oeuvre en 1938 et 1939 et durant l'occupation.
Le résultat de ce dépouillement a été présenté dans un tableau qui fait ressortir le nombre d'heures affectées aux commandes des marines française ou allemande ainsi que celles affectées aux autres commandes françaises à l'entretien et aux réparations sur les chantiers.
Ce tableau se présente comme suit :
[Voir PDF pages 132 et 133 : "tableau récapitulatif de l'emploi de la main d'oeuvre des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime de 1938 à 1944".]
Le tableau qui précède appelle les remarques suivantes :
1 - Le nombre total d'heures de main d'oeuvre des années 1938 et 1939 est de 4.128.144, soit une moyenne annuelle de 2.064.072 heures. Cette moyenne n'a jamais été atteinte pendant l'occupation. L'année 1940 s'en rapproche avec 1.923.354 heures, mais il est à noter que l'occupation allemande n'a commencé qu'en juin 1940 et que, pendant cette année-là, 178.142 heures seulement, soit à peine le dixième ont été consacrées aux commandes allemandes.
De plus, le nombre total d'heures enregistrées durant les années d'occupation constitue un nombre d'heures payées et non pas obligatoirement d'heures utilisées à la production. C'est ainsi que 751.523 heures ont été consacrées en 1942, 1943 et 1944 à la réparation des dommages de guerre causés :
- installations, pour 673.624.40 heures
- aux navires sur cale, pour 78.479.35 heures
C'est ainsi également que les totaux annuels comportent les heures d'alerte qu'il a été impossible d'isoler jusqu'à janvier 1944 et qui ont représenté à partir de cette date, pour les Chantiers, 217.000 heures environ, soit un peu plus de 20% du total des heures payées pendant la même année. Le total annuel des heures figurant au tableau qui précède, forme donc, pour les années d'occupation un maximum difficilement comparable à celui des années 1938 à 1939, représentant lui, uniquement des heures consacrées à la productivité des Chantiers.
2 - II paraît intéressant de signaler que, durant les années 1936 et 1939, les activités accessoires ont représenté 1.402.000 heures, soit le tiers du nombre total d'heures de main d'oeuvre alors que durant l'occupation les dites activités accessoires ont représenté 3.566.766 heures sur un total de 7.548.000, soit 47% environ du total. Ceci serait de nature à indiquer que les Chantiers du Trait, ne pouvant pas travailler pour la Marine française pendant l'occupation, se sont efforcés de consacrer le plus d'heures possibles à des activités accessoires non susceptibles d'aider l'effort de guerre allemand.
Les remarques précédentes étant faites, il est utile de noter enfin que les heures affectées aux commandes allemandes ont représenté 2.348.628 heures sur un total général de 7.548.143 heures enregistrées pendant l'occupation, soit 31%. Une ventilation plus poussée des horaires de travaux a permis de faire ressortir sur le tableau de la page 120 en regard des tonnages montés, les heures affectées à la construction sur les différentes cales pendant les années 1936 à 1944.
Le décompte de ces heures ne constitue qu'une partie des heures de main-d'oeuvre reproduites dans le tableau de la page 132, celles qui ont été affectées à la construction des bâtiments sur cale à l'exclusion de toute autre activité. L'examen de la deuxième colonne consacrée à chaque cale dans le tableau de la page 120 permet de noter que :
1 - Durant les années 1936 à 1940, la progression des heures affectées à la construction fut à peu près constante. En effet, de 1.130.000 heures en 1936, elle passa à 1.226.000 heures en 1937 puis 1.306.000 heures en 1939.
Pendant l'occupation, le maximum fut représenté en 1941 par 871.000 heures, ?'est-à-dire un chiffre inférieur à celui de l'année 1938, la plus faible des années 1936 à 1940.
2 - Comme les tonnages montés, les heures affectées à la construction diminuent chaque année ce qui corrobore la remarque faite plus haut au sujet de la politique qui paraît avoir été adoptée par les Chantiers Worms & Cie en ce qui concerne l'emploi de la main d'oeuvre.
3 - Le total des heures affectées à la construction pendant l'occupation est de 2.531.200 contre 5.349.000 dans les quatre années qui l'ont précédée, c'est-à-dire moins de 50%. Le tonnage ayant diminué, comme il a été dit plus haut, dans des proportions sensibles, il a paru intéressant de déterminer si le rapport de l'heure affectée à la construction à la tonne montée, en un mot le rendement heure tonne a augmenté ou diminué pendant l'occupation.
3/ Rendement heure/tonne
Le rapprochement du tonnage monté avec le nombre d'heures affectées à la construction ne peut permettre d'établir, étant donné les différences existant dans la spécification des navires et dans leur degré d'avancement au moment de l'occupation, des comparaisons d'un caractère rigoureusement mathématique. Néanmoins, il est possible d'en tirer un certain nombre de constatations intéressantes.
En conséquence, le tableau de la page 120 comporte pour chaque cale et pour chaque période de quatre ans un coefficient heures-tonnes.
Ce coefficient s'établit comme suit :
Pour les années 1936-1940 |
Pour la période d'occupation |
|
Cale n°1 |
166 |
448 |
Cale n°2 |
166 |
258 |
Cale n°3 |
434 |
1.140 |
Cale n°4 |
561 |
497 |
Cale n°5 |
960 |
202 |
Cale n°6 |
574 |
316 |
Cale n°7 |
151 |
262 |
Cale n°8 |
155 |
174 |
Coefficient global |
229 |
325 |
Le schéma qui précède appelle un certain nombre de remarques :
1 - Sur la cale n°1, ont été construits, avant et pendant l'occupation, des navires très comparables du point de vue de l'allure générale de la construction le navire "François L.D." et "La-Charente". Le coefficient heure-tonne qui était de 166 avant 1940 passe à 448 pour les années d'occupation, ce qui montre une diminution considérable de l'efficacité de la main d'oeuvre.
2 - Sur la cale n°2 où se sont succédé également un cargo rapide "Le-Malgache" et le pétrolier "La-Baïse" le coefficient heure-tonne passe de 166 à 258 ; sans doute le coefficient heure-tonne de la période 1940 à 1944 est moins élevé pour la cale n°2 que pour la cale n°1, mais la raison en est que "La-Charente " se trouvait lors de l'occupation dans son stade d'achèvement, alors qu? "La-Baïse" était encore dans la première période de sa construction ou le nombre d'heures qui s'avère nécessaire à la tonne est beaucoup moins élevé.
3 - La cale n°3 permet de comparer les résultats de la construction du sous-marin "La-Favorite" avant et après 1940, le coefficient heure tonne passe ainsi de 454 avant l'occupation à 1.140 pendant l'occupation.
4 - Sur la cale n°4 a été construit en 1936-37 le torpilleur "L'Incomprise" et, à partir de 1938 le sous-marin "L'Africaine". La différence qui existe entre ces deux navires a amené à considérer à part pour chaque bâtiment les coefficients heure-tonne. Pour le sous-marin "L'Africaine", il passe de 290 avant l'occupation à 497 pendant l'occupation.
Ici encore, si le coefficient heure tonne paraît moins élevé pour le sous-marin "L'Africaine" que pour "La-Favorite" était très proche de sa terminaison en 1940, alors que "L'Africaine" se trouvait à un degré d'avancement nettement moins grand.
5 - En ce qui concerne les cales n°5 et n°6, les coefficients heure tonne sont moins élevés pendant l'occupation que auparavant. Il y a lieu de mentionner qu'il est difficile de les rapprocher, étant donné les types de navires tout à fait différents qui ont été construits au cours des deux périodes considérées.
6 - Il semble intéressant de faire les rapprochements des coefficients 151 et 156, coefficients relatif aux cales n°7 et n°8 avant 1940 pour des cargos charbonniers de 2.000 tonnes avec les coefficients heure tonne des cales n°5 et n°6 pour la période postérieure à 1940 pour les cargos à moteurs de 1.000 tonnes soit 202 et 316. Ici encore, les coefficients heure tonne qui caractérisaient l'activité des Chantiers avant l'occupation se sont trouvés nettement dépassés pendant la période d'occupation allemande.
7 - Enfin, le coefficient heure/tonne global qui ne peut naturellement être retenu qu'à titre indicatif puisqu'il fait totalement abstraction de la différence de spécification de navires et de leur degré d'avancement s'établit à 229 avant juin 1940 contre 325 pendant l'occupation, ce qui indique qu'en gros le rendement du travail sur cale pendant l'occupation a été de 30% inférieur à ce qu'il était antérieurement.
De ce qui précède, il résulte :
1 - Le tonnage lancé par les Chantiers du Trait pendant l'occupation a été livré en totalité aux allemands, ceux-ci ayant interdit le travail sur les bâtiments destinés à la Marine française, ce tonnage représente moins de 30% du tonnage lancé pendant les quatre années qui ont précédé l'occupation.
Si le tonnage monté sur cale pendant l'occupation, ne constitue déjà qu'un tiers du tonnage monté pendant les années 1936 à 1940, 60% dudit tonnage monté pendant l'occupation n'a jamais été livré. Ceci revient à dire que, pour une grande partie, les allemands n'ont détenu la livraison des tonnages précédemment indiqués que parce qu'ils ont profité des montages effectués avant juin 1940.
Il est à noter au surplus que le tonnage effectivement monté pour les allemands ne représente que 44% du tonnage qu'ils avaient commandé. De plus si l'on admet que les Chantiers du Trait ont une capacité de montage de 10.000 tonnes par an, soit 40.000 tonnes pour l'occupation, le tonnage monté pour les allemands n'a pas atteint 8% de ce chiffre.
3 - Les effectifs ouvriers durant l'occupation ont été constamment inférieurs à ceux des années 1936 à 1940. La moyenne des heures travaillées par an, qui était de 2.064.072 pour les années 1936 & 1939 n'a jamais été atteinte sous l'occupation.
Le total des heures enregistrées de 1940 à 1944 se monte à 7.548.143 heures, sur lesquelles 3.666.000, soit 47%, ont été consacrées à des activités accessoires, 2.348.628 heures, soit 31%, furent affectées aux travaux allemands, et 1.632.748,72 aux travaux de la Marine française.
Les heures effectivement consacrées à la construction sur cale n'ont atteint que 2.531.200 contre 4.349.000 dans les quatre années 1936 à 1940.
4 - Le rendement comparé, les heures affectées à la construction par rapport au tonnage monté avant et pendant l'occupation s'établit globalement à 229 de 1936 à 1940 contre 325 pendant l'occupation ce qui montre une diminution de rendement d'environ 30%.
Il est à remarquer qu'au cours de cette étude comptable, les chiffres et rapports établis en ce qui concerne le tonnage lancé et monté ainsi que les heures affectées à la construction des bâtiments sur cale, ont été établis, abstraction faite de travaux peu importants tels que :
- les transformations de 27 péniches en 1940,
- la construction de 2 bacs de 10 tonnes et trois de 24 tonnes en 1944. Ceux-ci en effet, ne sont pas susceptibles de modifier, de façon appréciable les résultats obtenus. Ils ont été négligés.
B - Examen des comptes de pertes et profits et détermination des résultats obtenus pendant l'occupation par le département chantiers navals de la société Worms & Cie, étude de sa situation financière durant la même période
a/ Étude des comptes de pertes et profits et des résultats obtenus
La nature même des constructions effectuées par ce département de la Maison Worms non plus que la méthode de comptabilisation employée, ne permettent de comparer entre eux, les résultats des exercices successifs écoulés avant et pendant l'occupation.
En effet, ces résultats sont susceptibles de varier considérablement d'une année à l'autre selon le degré d'avancement des constructions en cours. C'est ainsi que plusieurs exercices comptables faisant ressortir un résultat médiocre ou nul peuvent être suivis d'un exercice largement bénéficiaire par suite du lancement et de la facturation de plusieurs navires, dont la construction était en cours précédemment.
De plus, les comptes sur constructions en cours ne sont portés au crédit du compte d'exploitation que lorsque la commande a été complètement exécutée et le bâtiment livré.
Pendant la durée de la construction, ces acomptes sont portés à un poste d'attente intitulé "acomptes sur constructions en cours", jouant en contrepartie des comptes de trésorerie et qui figure au passif du bilan.
Par contre les dépenses sur constructions en cours sont portées au débit du compte d'exploitation au fur et à mesure de leur engagement. Ce mécanisme comptable ne fait qu'augmenter les variations d'amplitude des résultats obtenus à chaque exercice.
Enfin, les exercices comptables écoulés durant l'occupation, n'ont pas été tous de durée égale ce qui rend plus précaire encore leur comparaison.
En conséquence, il n'a pas semblé utile d'étudier les résultats obtenus par les chantiers navals dans le cadre des exercices comptables mais il est apparu préférable de considérer l'ensemble des bénéfices ou des pertes ressortant de la construction de chacun des bâtiments livrés aux allemands et des constructions, et travaux poursuivis pour leur compte, mais restés non achevés en août 1944.
Dans ce but, les comptes de pertes et profits des exercices 1938 à 1944 inclus ont été présentés dans les tableaux reproduits ci-après : [Voir PDF, pages 147-148, 149-150, 151-152, 153-154, 155-156, 157-158, 159-160.]
Étude des résultats bruts
Il ressort de l'examen des tableaux qui précèdent que les bénéfices bruts sur opérations commerciales s'établissent comme suit :
- au 31 décembre 1938 - F 2.112.003,84
- au 31 août 1939 (8 mois) - F 7.248.584,68
- au 30 septembre 1940 - F 1.890.327,03
ce qui représente un total de F 11.250.915,95 pour la période ayant immédiatement précédé l'occupation.
Durant I'occupation, ces mêmes bénéfices bruts se sont élevés :
- au 30 septembre 1941 à F 3.010.432,83
- au 31 décembre 1942 à F 4.673.281,07
- au 31 décembre 1943 à F 5.296.125,81
- au 31 décembre 1944 à F 5.779.478,07
ce qui représente un total de F 18.759.227,78.
Toutes les réserves formulées pages 145 et 146 étant faites, concernant les éléments susceptibles de fausser les comparaisons d'un exercice à l'autre, il peut être mentionné à titre purement indicatif que ces résultats font ressortir une moyenne annuelle :
- pour les exercices 1938, 1939 et 1940 de F 3.750.000 environ,
- pour les exercices 1941 à 1944 de F 5.150.000 environ.
Ces bénéfices bruts sur opérations commerciales sont essentiellement constitués :
- par des bénéfices bruts sur constructions,
- par des bénéfices bruts sur travaux et réparations divers,
- par un poste "commandes soldées".
Il a été procédé à un dépouillement de ces différents postes aux fins de déterminer quel est le montant de ces bénéfices provenant des travaux effectués pour les allemands pendant l'occupation.
Il est à noter que le poste "commandes soldées" est constitué, durant les exercices 1941 à 1944, par des bénéfices apparaissant à la suite de règlements définitifs sur des commandes terminées et soldées antérieurement à juin 1940.
Le montant de ces commandes s'est élevé :
- en 1941 à F 1.068.927,02
- en 1942 à F 3.477.673,57
- en 1943 à F 4.378.444,38
- en 1944 à F 1.688,-
ce qui représente un total de F 8.926.732,97 concernant seulement des commandes françaises.
Au poste "bénéfices bruts sur travaux et réparations divers" sont enregistrés les résultats provenant de ventes de petit matériel, de travaux et de réparation très peu importants effectués dans les ateliers pour les firmes avoisinantes. Les "travaux et réparations divers" figurent aux comptes des pertes et profits pour un montant :
- en 1940 de F 1.447.472,31
- en 1941 de F 946.782, 91
- en 1942 de F 328.361,28
- en 1943 de F 917.681,43
- en 1944 de F 150.740,98
ce qui représente un total de F 3.791.039,11.
Sur ce total, une partie provient de travaux de transformation et ventes divers faits pour compte allemand. Le montant des bénéfices bruts résultant de ces travaux et ventes divers est donné par le schéma ci-après reproduit, ainsi que les chiffres d'affaires qu'ils représentent :
Années |
Bénéfices brut résultant des travaux de transformation et vente divers |
Chiffre d'affaires représentés par les bénéfices bruts ci-contre |
1940 |
147.70 |
1.241.542.50 |
1941 |
700.511.56 |
1.604.980.75 |
1942 |
105.671.94 |
1.084.402.10 |
1943 |
466.922.32 |
1.296.435.60 |
1944 |
126.923.39 |
4.693.052.20 |
Totaux |
1.399.876.91 |
9.920.413.15 |
Dans le total de F 1.399.876,91 de bénéfice brut sur travaux divers allemands, les transformations de péniches exécutées par les Chantiers dans les conditions exposées ci-dessus page 86 figurent pour un montant de F 562.555,04 représentant un chiffre d'affaire de F 2.338.101,60 réparti sur 1940 et 1941.
De plus la main d'oeuvre envoyée à Rouen dans les conditions exposées ci-dessus page 92 a représenté approximativement un chiffre d'affaires de F 3.000.000 en 1944.
Le résultat brut ressortant de cette opération n'a pu être isolé. De l'avis des dirigeants des Chantiers du Trait, cette opération aurait été onéreuse pour eux. Les bénéfices bruts sur constructions s'établissent d'après les comptes reproduits ci-dessus page 147 à 160 :
- pour l'exercice 1941, à F 994.632,84
- pour l'exercice 1942, à F 867.246,92
- pour l'exercice 1943, à F -
- pour l'exercice 1944, à F 5.627.049,09
ce qui représente un total de F 7.488.928,15.
Dans ce total, les bénéfices bruts provenant de constructions effectuées pour les allemands n'interviennent qu'en 1944. En effet, les chiffres enregistrés en 1941 et 1942, sont afférents à des constructions faites antérieurement à l'occupation, pour des clients français et soldées seulement pendant celle-ci, selon le mécanisme comptable expliqué précédemment page 146. Leur montant total s'élève pour 1941 à 1942 à F 1.861.879,06.
C'est à la fin de l'année 1944 qu'a été enregistré en comptabilité le lancement des bâtiments livrés aux allemands, c'est-à-dire :
- le sous-marin "La-Favorite"
- le pétrolier "La-Charente"
- un chaland de 200 tonnes n°105
- deux bacs de 15 tonnes.
Il a donc paru intéressant de déterminer quels ont été les résultats bruts obtenus par les Chantiers du Trait sur chacun des bâtiments. Étant donné que la Maison Worms & Cie, n'a jamais facturé ces bâtiments et considère, en l'état actuel, ne pouvoir jamais les facturer aux allemands, les bénéfices bruts sur constructions sont purement et simplement constitués par la différence entre les acomptes reçus (considérés comme constituant le prix définitif) et les dépenses engagées pour ces mêmes constructions.
Il a été donc procédé à une ventilation du poste figurant au bilan sous la dénomination "acomptes sur constructions en cours". Ce travail a été effectué de manière à faire ressortir le montant des acomptes reçus par exercice et par bâtiment tant en ce qui concerne les commandes allemandes que les commandes françaises.
De plus, la comptabilité des Chantiers du Trait permet de relever les dépenses sur constructions engagées également par exercice, par bâtiment livré aux allemands. Ces deux ventilations font l'objet de tableaux présentés ci-après :
[Voir PDF, pages 168-169 et 170-171.]
Ces tableaux permettent de dresser un état des résultats bruts obtenus sur chaque bâtiment livré aux allemands. Cet état peut être présenté comme suit :
Acomptes reçus |
Dépenses engagées sur constructions |
Bénéfices |
Pertes |
|
"La-Favorite" |
51.181.037.56 |
45.933.172.40 |
5.247.865.16 |
|
"La-Charente" |
110.396.043.64 |
108.453.634.28 |
1.942.409.38 |
|
Chaland n°105 |
3.440.000 |
3.812.114.79 |
372.114.79 |
|
Bacs de 15 T |
300.000 |
1.605.362.52 |
1.305.262.52 |
|
Totaux |
165.317.081.20 |
159.804.283.99 |
7.190.274.52 |
1.677.477.31 |
Bénéfice brut : 5.512.797.21
Il ressort du schéma qui précède que la construction de "La-Favorite" et "La-Charente" laissait un bénéfice d'environ F 7.000.000 tandis que le résultat de la construction d'un chaland et des deux bacs de 15 tonnes se traduisit par une perte brute de F 1.650.000 environ.
La compensation de ses résultats donne un bénéfice brut sur constructions allemandes de F 5.518.797.21, ce qui représente la quasi-totalité du bénéfice brut sur constructions enregistré en 1944 et confirme les dires de la direction des Chantiers selon lesquels les commandes allemandes de navires n'auraient été soldées qu'après la Libération et reportées entièrement sur l'exercice 1944.
En bref, les résultats bruts sur commandes allemandes livrées à leur destinataire pendant l'occupation s'établissent comme suit :
- bénéfice brut sur travaux et réparations divers 1.399.876.91
- bénéfice brut sur constructions 5.512.797.21 ce qui représente un total de 6.912.674,12 constituant le bénéfice brut retiré par les Chantiers du Trait dans l'exécution des ordres allemands.
Étude des résultats nets Les comptes présentés de la page 147 à la page 160 font ressortir les résultats nets suivants :
- au 31 décembre 1938 - perte F 6.870.030.89
- au 31 août 1939 - bénéfice 4.229.464.37
ce qui représente une perte de 2.640.566.52
Les résultats nets ont été :
- au 30 septembre 1940 - perte 3.684.210.70
- au 30 septembre 1941 - 1.280.550.59
- au 31 décembre 1942 - 5.543.245.87
- au 31 décembre 1943 - 2.854.51
- au 31 décembre 1944 - 18.803.009.05
ce qui représente une perte totale de 29.313.930.73 pour les exercices 1940 à 1944 inclus.
Il est rappelé que les pertes accusées durant les exercices 1940, 1941, 1942 et 1943 s'expliquent normalement par le fait que les facturations françaises ayant été presque complètement interrompues et la quasi-totalité des facturations aux allemands ayant été postées sur l'exercice 1944, les dépenses de toutes sortes engagées par les Chantiers n'avaient pas de contrepartie durant lesdits exercices.
Par contre, il pourrait paraître anormal qu'une telle situation déficitaire ait pu non seulement persister, mais s'aggraver encore en 1944, exercice de facturation des constructions livrées aux allemands.
C'est pourquoi il a semblé utile de déterminer par l'examen qui va suivre quels ont été les résultats nets obtenus par les Chantiers du Trait sur les travaux et constructions effectuées et livrées aux allemands.
Pour passer des résultats bruts aux résultats nets, il convient de faire application, exercice par exercice, pendant la durée de constructions de chaque navire et proportionnellement pour chaque exercice au montant des dépenses relatives aux divers constructions en cours, des charges communes qui figurent au débit des comptes de pertes et profits présentés ci-dessus page 147. Ces charges sont les amortissements, les dépenses de logement du personnel, les frais du siège social non compris dans les frais généraux, les provisions diverses, etc.
Les divers postes communs ont atteint pour les années 1939 (date où fut mis en chantier le sous-marin "La-Favorite") à 1944 inclus.
- En ce qui concerne les charges communes - F 36.280.004.16
- supplément pour frais de siège social - F 3.939.420
- provisions de dommages de guerre - F 24.817.990.
ce qui représente un total de F 65.027.414.16.
La provision de dommages de guerre de F 24.817.990 est destinée à faire face aux charges qui résulteront pour les Chantiers du Trait de la reconstruction et la remise en état d'ateliers ou d'installations détruites ou endommagées par les bombardements.
La direction générale des Chantiers a déterminé le montant de cette provision conformément à la réglementation actuelle de l'administration des contributions directes, mais elle estime que le coût de la reconstruction en l'état antérieur des installations sinistrées s'élèverait sur la base des prix pratiqués en septembre 1944 à environ 258.000.000. Ce chiffre n'a pu faire l'objet d'aucune vérification mais il a paru raisonnable d'admettre comme un minimum venant en déduction de bénéfice, la provision pour dommages de guerre, de F 24.817.990.
Les frais communs ont été imputés à chacun des bâtiments livrés aux allemands dans le rapport des dépenses sur constructions engagées par exercice pour lesdits bâtiments aux dépenses totales engagées pendant le même exercice pour toutes les constructions en cours.
La répartition de ces frais entre les divers bâtiments considérés fait l'objet d'un tableau ci-après, présentant par exercice et par bâtiment le montant des charges supplémentaires venant en déduction des résultats bruts mentionnés plus haut.
Ce tableau se présente comme suit :
[Voir PDF, page 178.]
Le tableau qui précède permet de déterminer les résultats nets obtenus par les bâtiments livrés par les Chantiers du Trait aux allemands de 1940 à 1944.
Ceux-ci s'établissent comme suit :
Résultats bruts |
Charges communes |
Résultats nets (pertes) |
|
Pour "La-Favorite" (bénéfice) |
5.247.865.16 |
7.471.006 |
2.223.140.84 |
pour "La-Charente" (perte) |
1.942.409.36 |
17.439.969 |
15.497.559.64 |
pour les bacs 15 T |
1.305.362.52 |
530.689 |
1.836.051.52 |
pour le chaland 105 |
372.114.79 |
870.450 |
1.242.564.79 |
totaux |
5.512.797.21 |
26.312.114 |
20.799.316.79 |
Il est à noter que, dans le schéma précédent, il n'a pas été tenu compte des résultats provenant des transformations de péniches effectuées en août 1940 ni des envois de main-d'oeuvre à Rouen, Cherbourg et Bordeaux en 1944. Étant donné leur faible importance, ces opérations ne sont pas susceptibles de modifier de façon appréciable la perte nette précitée de F 20.799.316.79. De toutes manières elles se seraient inscrites elles-mêmes en perte. La perte totale qui ressort du schéma ci-dessus reproduit doit donc être considéré comme minimum.
Cette perte ne concerne d'ailleurs que les bâtiments livrés aux allemands et non les bâtiments dont la construction a été commencée ou poursuivie pour eux sur leur demande, pendant l'occupation et qui se trouvaient encore sur chantiers en 1914.
De plus, un certain nombre de travaux distincts des constructions ont été effectués pour les allemands et sont restés impayés du fait de leur départ précipité.
Pour tenir compte de ces nouveaux éléments, le compte des pertes et profits de l'exercice 1944 (voir page 159) prend en charge diverses provisions pour un total de F 13.389.242.08 décomposé comme suit :
- provision pour déficit probable sur liquidation des bacs de 24 T - F 1.000.000
- provision pour aléa sur achèvement des constructions en cours - F 6.000.000
- provision pour créance allemande impayée - 6.889.242.08
ce qui représente un total de 13.389.242.08
La provision pour déficit probable sur liquidation des bacs de 24 tonnes a été constituée du fait que ces trois bacs de 24 tonnes, étant prêts à livrer en août 1944, la Marine allemande n'a pu en prendre livraison. En l'état des renseignements recueillis, il n'apparaît pas que ces bacs puissent être l'objet d'une reprise par la Marine française ; leur construction se traduit donc en une perte évaluée à F 1.000.000.
L'évaluation de cette perte à F 1.000.000 correspond à des dépenses engagées de F 1.750.000, (il ressort en effet du tableau de la page 172 que les acomptes reçus pour ces bacs ont atteint F 750.000) ce qui paraît normal si l'on se souvient que les deux bacs de 15 tonnes livrés ont nécessité l'engagement des dépenses sur constructions de F 1.605.362.
La provision pour aléas sur achèvement des constructions en cours est destinée à faire face aux pertes éventuelles sur les navires telles que le sous-marin "L'Africaine", les trois chalands de 200 T et les trois cargos de 1.000 T qui étaient encore sur cale en août 1944. D'après un état remis par la Maison Worms & Cie à la surveillance de la Marine, le 14 décembre 1944, ces pertes seraient de F 17.452.532.99. La provision constituée en 1944 représente le tiers environ de ce dernier chiffre. La direction de la maison Worms a donc envisagé que la fixation des accords financiers à intervenir avec le gouvernement français au sujet de ces navires, entraînerait la perte d'environ un tiers de sa créance sur les allemands. Il semble que ce chiffre puisse être retenu.
Enfin, la provision pour créances allemandes impayées de F 6.389.242.08 est destinée à faire face à des pertes sur travaux divers et sur réquisitions allemandes impayées. L'état de ces impayés a été versé au dossier de l'expertise par la direction générale des Chantiers du Trait. Il est reproduit en annexe au présent rapport. La provision constituée en 1944 en représente la totalité.
Compte tenu des différentes remarques qui précèdent les résultats définitifs sur travaux ou constructions effectuées pendant l'occupation pour compte allemand, ressortent comme suit :
- perte sur bâtiments livrés (voir page 179 ) - F 20.799.316.79
- perte sur travaux impayés ou constructions non achevées au mois d'août (voir page 180) - F 13.389.242.08
ce qui représente un total de F 34.188.558.87
Il peut paraître étrange que les pertes nettes sur travaux et constructions allemandes soient supérieures aux pertes nettes totales accusées page 174 pour la période d'occupation.
Cela tient au fait que le chiffre des pertes des années 1940 à 1944 s'élevant à F 29.313.930.74 est obtenu avant la déduction de la presque totalité de la provision pour dommages de guerre, soit F 24.117.990 qu'il y aurait donc lieu d'ajouter aux 29.313.930.73 pour obtenir la perte totale de F 53.431.921.73.
Il est à noter enfin que sur F 34.188.558.87 de pertes sur travaux et constructions allemandes, seuls F 20.799.316.79 constituent des pertes définitives, la perte complémentaire de F 13.389.242.08 pouvant être résorbée en partie ou en totalité à la suite d'accords financiers éventuels avec le gouvernement français.
b) Étude de la situation financière du département "Chantiers navals" de la société Worms & Cie de 1938 à 1944
Les bilans établis par le département Chantiers navals de la Société Worms & Cie ont fait l'objet d'un examen attentif.
Les postes de ces bilans dont l'étude est susceptible de présenter un intérêt dans le cadre de la présente affaire sont les suivantes :
- immobilisation,
- matières premières et approvisionnements,
- acomptes sur constructions en cours,
- caisse et banques.
Il peut être présenté, à leur sujet, les remarques suivantes :
1 - Les "immobilisations" ont marqué un accroissement continu puisqu'elles étaient
au 30 septembre 1940 de F 87.437.518.33 et
au 31 décembre 1944 de 95.471.581.65
l'accroissement total de 8.034.063.32
est dû essentiellement à l'achat de matériel pour F 5.000.000 environ et à la construction de bâtiments pour F 3.000.000 environ, mais il est à noter que dans les F 95.471.581.65, qui représentent le montant des immobilisations au bilan du 31 décembre 1944 sont comprises les immobilisations détruites à savoir :
Bâtiments détruits : 4.598.083.59
Habitations détruites : 1.074.415.66
Baraquements détruits : 215.742.87
Matériel détruit : 8.301.433.24
Mobilier détruit : 1.200.182.93
ce qui représente un total 15.389.648.29
En conséquence, l'augmentation du montant des immobilisations figurant au bilan ne correspond pas à un accroissement des moyens de production, mais, au contraire, il s'en faut environ de F 7.000.000 pour qu'elle compense les destructions intervenues du fait de la guerre.
2 - Les matières premières et approvisionnement sont passés de F 8.508.992.10 au 30 septembre 1940 à F 8.849.991.64 au 30 septembre 1941. Ils se sont élevés à F 9.881.460.65 au 31 décembre 1942 pour atteindre F 11.376.174.73 au 31 décembre 1943 et pour retomber à F 10.762.750.26 au 31 décembre 1944.
Ces chiffres montrent que les approvisionnements et matières premières sur parc ont été d'importance sensiblement constante pendant toute l'occupation.
Ceci est de nature à corroborer la déclaration de M. H. Worms relativement à la politique d'accroissement des stocks poursuivis par les Chantiers pendant l'occupation. Cette politique a eu, pour résultat, de remplacer, au fur et à mesure de leur emploi, sur parc, les matériaux consacrés aux constructions livrées aux allemands de 1940 à 1944.
Il est à noter cependant que dans les F 10.762.750.26 sont compris des matériaux détruits par faits de guerre pour F 5.969.130.32 Ceci résulte d'une note du 20 octobre 1945 versée par les Chantiers au dossier de l'expertise. Les existants réels au 31 décembre 1944 n'étaient que de F 4.793.619.94 sans que la diminution par rapport à 1940 soit imputable à la Maison Worms & Cie.
3 - Il est rappelé que les acomptes sur constructions en cours qui figurent au passif des bilans de chacun des exercices 1940 à 1944 inclus pour :
F 321.747.375.44 au 30 septembre 1940,
F 347.147.633.79 au 30 septembre 1941
F 424.300.806.75 au 31 décembre 1942
F 469.964.212.95 au 31 décembre 1943
F 312.570.298.37 au 31 décembre 1944
ont fait l'objet d'un examen détaillé au cours de l'étude des résultats obtenus par les Chantiers pendant l'occupation. Ils n'appellent aucune remarque supplémentaire.
4 - Quant aux disponibilités du département "Constructions navales", elles ont marqué, au cours de l'occupation, une régression certaine, puisqu'elles sont tombées de F 91.678.778.60 au 30 septembre 1940 à F 77.812.756 au 31 décembre 1943 et à F 30.384.719.10 au 31 décembre 1944.
Il y a lieu de remarquer que la quasi-totalité de ces disponibilités était constituée par le compte courant au nom des Chantiers dans les livres de la Banque Worms elle-même.
5 - Le poste "Participations" figure dans les bilans des exercices d'occupation pour une valeur courante de F 296.490. Cette somme est l'un des éléments de participations Worms qui font l'objet d'une étude spéciale dans la deuxième partie du présent rapport.
[2] Ces cargos sont dans la correspondance et les divers documents mentionnés comme étant tantôt de 2.000 T, tantôt de 1.150 T, tantôt de 1.000 T. Il n'y a là qu'une divergence apparente, 2.000 T représentant le déplacement total, 1.150 T le port en lourd et 1.000 T le déplacement lège. Dans la suite de l'étude et dans les calculs, c'est ce déplacement lège qui sera retenu.
[3] Ces chalands sont dans la correspondance et les divers documents mentionnés comme étant tantôt de 700 T tantôt de 200 T. En fait 1.700 T est le port en lourd et 200 T le déplacement lège. Dans la suite de l'étude et dans les calculs c'est le déplacement lège qui sera retenu.
[4] PV de la réunion aux Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire Penhoët le 11 septembre 1941.
[5] PV de la visite de M. Abbat au professeur Noe, le 19 janvier 1943.