1977.03.10.De William Mannings.A Francis Ley.Entretien
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Propos recueillis auprès de M. Mannings
M. Mannings, au moment de sa démobilisation à la fin de 1918, apprit que James Burness & Sons, agents à Londres de Worms & Cie, cherchaient un correspondant anglais pour le siège de ces derniers à Paris. M. Hypolite Worms recherchait en effet, à l'époque, un secrétaire de direction bilingue dont la langue habituelle était l'anglais. Après un premier contact avec MM. Burness qui lui indiquèrent qu'il y avait déjà 75 candidats, M. Mannings fut convoqué deux à trois semaines après par ceux-ci. Pour lever toute hésitation M. Mannings consulta le "SEYD", annuaire de la cote des grandes sociétés, et vit que Worms et Cie était classée en 1ère catégorie A1 "crédit illimité". C'est ainsi que M. Mannings commença à l'âge de 23 ans sa carrière chez Worms & Cie, au début de 1919, qu'il poursuivit même après sa retraite à 65 ans, en venant deux fois par semaines auprès de M. Hypolite Worms jusqu'à la disparition de celui-ci.
Il se souvient fort bien de l'ancienne façade du 45, boulevard Haussmann dont l'entrée était en porte-cochère, et de l'immeuble, par derrière, de la rue des Mathurins qui n'avait alors que deux étages. Madame Fauchier-Magnan, femme du commanditaire et tante de M. Worms, habitait au 5ème étage du 45 et y donnait de belles réceptions. Le siège social employait à ce moment-là environ 17 personnes en tout.
Vers le milieu de 1928 M. Hypolite Worms présenta dans la Maison un nouveau directeur général qui était M. Jacques Barnaud, inspecteur des Finances et ancien directeur-adjoint du mouvement général des fonds sous le gouvernement Poincaré (1926-1928).
MM. Worms & Cie étaient les agents et les fournisseurs de charbon, au canal de Suez, des plus grandes compagnies de navigation françaises et étrangères. Pour éviter aux armateurs les ennuis du fait que les droits de transit du Canal devaient être payés d'avance, la Compagnie du canal avait accepté que la Maison s'occupe de l'encaissement des droits de certains de ses clients. Worms-Port-Saïd était ainsi amené à télégraphier à Worms-Paris deux fois par semaine, le montant global approximatif des sommes dues à la Compagnie du canal, et Paris donnait alors immédiatement des instructions à Londres pour faire verser à la Compagnie du canal à Londres le montant en question. Parmi ses clients se trouvait la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur qui rencontra, en 1929, des difficultés. Celle-ci exploitait des lignes de longs-courriers desservant l'Espagne, le Portugal, l'Algérie, l'océan Indien et Madagascar et même, par l'océan Pacifique, la rive occidentale de l'Amérique du Sud. M. Worms s'intéressa à cette affaire et décida de la reprendre progressivement, d'abord en créant une société d'exploitation (avec des groupes amis), puis en constituant une nouvelle société dont il devint le président et qui marcha bien par la suite.
L'une des multiples raisons qui semblent avoir présidé à la décision que prit M. Worms de fonder un nouveau département c'est le déclin de l'activité charbonnière qui paraissait devoir être relayée à terme par celle du mazout. Avec M. Barnaud, M. Worms avait fait venir dans la Maison, en 1928, M. Erwyn Marin, fonctionnaire au ministère des Finances. Puis il fut fait appel à M. Ferdinand Vial, inspecteur de la Société générale, qui remplit les fonctions de chef des Services bancaires pendant quelques années et qui dut céder la place à M. Gabriel Le Roy Ladurie. M. Marin eut bientôt pour mission de s'occuper des affaires des Établissements Marret-Bonnin, Lebel et Guei et sortit de Worms et Cie alors qu'y entrait M. Meynial.
L'une des premières grandes affaires internationales à laquelle Worms et Cie participa fut la French and Foreign Investing Corporation, constituée au Canada, en 1928, sous les auspices de Lazard Frères. Messieurs Hypolite Worms et Jacques Barnaud firent partie du conseil, mais l'affaire fut bientôt dissoute par anticipation et le capital remboursé.
Au début de la Seconde Guerre mondiale M. Worms fut envoyé par le gouvernement français à Londres pour y représenter les intérêts de la France dans le pool franco-anglais des marines marchandes des deux pays. Au moment de la débâcle, M. Mannings se trouva à Bordeaux pour embarquer le 10 juin 1940 sur le dernier bateau à destination de l'Angleterre. En cours de traversée qui dura 5 jours en raison des hostilités, le navire dut recueillir tout un lot de naufragés. Dès son arrivée à Londres, M. Mannings alla voir M. Worms (le 27 ou le 28 juin 1940) qui était à la veille de son départ pour le continent et la France via le Portugal.
Aussitôt, après la libération de Paris, alors que M. Hypolite Worms risquait d'être inquiété du fait de la participation au gouvernement de Vichy, jusqu'en décembre 1942, de M. Barnaud, M. Mannings fut rappelé et put reprendre son poste au 45, boulevard Haussmann, grâce aux démarches faites par M. Robert Labbé et par MM. Burness auprès de leurs ministères des Affaires étrangères respectifs, tant à Paris qu'à Londres.
Bien que l'activité du charbon ait baissé, M. Mannings se souvient encore de certains chiffres d'après-guerre. Pour Port-Saïd seulement les commandes totalisaient quelques 50 à 60.000 tonnes par mois. En métropole, l'Électricité de France passait encore des ordres de 100.000 tonnes à la fois à cette époque-là.
M. Hypolite Worms était un "grand patron" avec lequel il était agréable de travailler. M. Mannings ne se rappelle que de rares occasions où il manifesta à certaines personnes et pour des motifs graves, un sévère mécontentement.
Très discret sur ce qu'il eut à supporter pendant l'occupation, M. Worms ne pouvait admettre le mensonge à ce sujet. Alors qu'aux États-Unis paraissait, après la guerre, un ouvrage [il s'agissait très probablement du livre du professeur d'histoire de Harvard, William L. Langer, "Our Vichy Gamble", édité par Alfred A. Knopf Inc., New York, 1947] dans lequel l'auteur l'accusait d'avoir fait de la collaboration avec l'Allemagne, M. Worms intervint personnellement auprès de M. Foster Dulles, secrétaire d'État américain, pour obtenir la rectification nécessaire et la suppression de cette erreur, vu les preuves qui avaient été établies de l'attitude négative qu'avait eue la Maison Worms envers l'occupant. Satisfaction lui fut donnée.
On peut ajouter que la mère et la femme de M. Worms étaient d'origine britannique et que lui-même entretenait des liens étroits avec les Anglais. Il était fort naturellement porté vers les gens d'outre-Manche plutôt que vers ceux d'outre-Rhin !
Il se souvient fort bien de l'ancienne façade du 45, boulevard Haussmann dont l'entrée était en porte-cochère, et de l'immeuble, par derrière, de la rue des Mathurins qui n'avait alors que deux étages. Madame Fauchier-Magnan, femme du commanditaire et tante de M. Worms, habitait au 5ème étage du 45 et y donnait de belles réceptions. Le siège social employait à ce moment-là environ 17 personnes en tout.
Vers le milieu de 1928 M. Hypolite Worms présenta dans la Maison un nouveau directeur général qui était M. Jacques Barnaud, inspecteur des Finances et ancien directeur-adjoint du mouvement général des fonds sous le gouvernement Poincaré (1926-1928).
MM. Worms & Cie étaient les agents et les fournisseurs de charbon, au canal de Suez, des plus grandes compagnies de navigation françaises et étrangères. Pour éviter aux armateurs les ennuis du fait que les droits de transit du Canal devaient être payés d'avance, la Compagnie du canal avait accepté que la Maison s'occupe de l'encaissement des droits de certains de ses clients. Worms-Port-Saïd était ainsi amené à télégraphier à Worms-Paris deux fois par semaine, le montant global approximatif des sommes dues à la Compagnie du canal, et Paris donnait alors immédiatement des instructions à Londres pour faire verser à la Compagnie du canal à Londres le montant en question. Parmi ses clients se trouvait la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur qui rencontra, en 1929, des difficultés. Celle-ci exploitait des lignes de longs-courriers desservant l'Espagne, le Portugal, l'Algérie, l'océan Indien et Madagascar et même, par l'océan Pacifique, la rive occidentale de l'Amérique du Sud. M. Worms s'intéressa à cette affaire et décida de la reprendre progressivement, d'abord en créant une société d'exploitation (avec des groupes amis), puis en constituant une nouvelle société dont il devint le président et qui marcha bien par la suite.
L'une des multiples raisons qui semblent avoir présidé à la décision que prit M. Worms de fonder un nouveau département c'est le déclin de l'activité charbonnière qui paraissait devoir être relayée à terme par celle du mazout. Avec M. Barnaud, M. Worms avait fait venir dans la Maison, en 1928, M. Erwyn Marin, fonctionnaire au ministère des Finances. Puis il fut fait appel à M. Ferdinand Vial, inspecteur de la Société générale, qui remplit les fonctions de chef des Services bancaires pendant quelques années et qui dut céder la place à M. Gabriel Le Roy Ladurie. M. Marin eut bientôt pour mission de s'occuper des affaires des Établissements Marret-Bonnin, Lebel et Guei et sortit de Worms et Cie alors qu'y entrait M. Meynial.
L'une des premières grandes affaires internationales à laquelle Worms et Cie participa fut la French and Foreign Investing Corporation, constituée au Canada, en 1928, sous les auspices de Lazard Frères. Messieurs Hypolite Worms et Jacques Barnaud firent partie du conseil, mais l'affaire fut bientôt dissoute par anticipation et le capital remboursé.
Au début de la Seconde Guerre mondiale M. Worms fut envoyé par le gouvernement français à Londres pour y représenter les intérêts de la France dans le pool franco-anglais des marines marchandes des deux pays. Au moment de la débâcle, M. Mannings se trouva à Bordeaux pour embarquer le 10 juin 1940 sur le dernier bateau à destination de l'Angleterre. En cours de traversée qui dura 5 jours en raison des hostilités, le navire dut recueillir tout un lot de naufragés. Dès son arrivée à Londres, M. Mannings alla voir M. Worms (le 27 ou le 28 juin 1940) qui était à la veille de son départ pour le continent et la France via le Portugal.
Aussitôt, après la libération de Paris, alors que M. Hypolite Worms risquait d'être inquiété du fait de la participation au gouvernement de Vichy, jusqu'en décembre 1942, de M. Barnaud, M. Mannings fut rappelé et put reprendre son poste au 45, boulevard Haussmann, grâce aux démarches faites par M. Robert Labbé et par MM. Burness auprès de leurs ministères des Affaires étrangères respectifs, tant à Paris qu'à Londres.
Bien que l'activité du charbon ait baissé, M. Mannings se souvient encore de certains chiffres d'après-guerre. Pour Port-Saïd seulement les commandes totalisaient quelques 50 à 60.000 tonnes par mois. En métropole, l'Électricité de France passait encore des ordres de 100.000 tonnes à la fois à cette époque-là.
M. Hypolite Worms était un "grand patron" avec lequel il était agréable de travailler. M. Mannings ne se rappelle que de rares occasions où il manifesta à certaines personnes et pour des motifs graves, un sévère mécontentement.
Très discret sur ce qu'il eut à supporter pendant l'occupation, M. Worms ne pouvait admettre le mensonge à ce sujet. Alors qu'aux États-Unis paraissait, après la guerre, un ouvrage [il s'agissait très probablement du livre du professeur d'histoire de Harvard, William L. Langer, "Our Vichy Gamble", édité par Alfred A. Knopf Inc., New York, 1947] dans lequel l'auteur l'accusait d'avoir fait de la collaboration avec l'Allemagne, M. Worms intervint personnellement auprès de M. Foster Dulles, secrétaire d'État américain, pour obtenir la rectification nécessaire et la suppression de cette erreur, vu les preuves qui avaient été établies de l'attitude négative qu'avait eue la Maison Worms envers l'occupant. Satisfaction lui fut donnée.
On peut ajouter que la mère et la femme de M. Worms étaient d'origine britannique et que lui-même entretenait des liens étroits avec les Anglais. Il était fort naturellement porté vers les gens d'outre-Manche plutôt que vers ceux d'outre-Rhin !
10 mars 1977