1968.10.19.De Albert Gethmann.Bruxelles.Historique Rotterdam.Original
Original
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Albert Gethmann
Bruxelles, le 19 octobre 1968
92, avenue Maréchal Joffre
Cher Monsieur,
Je vous remets ci-joint le petit rapport que vous m'avez chargé de rédiger sur les activités de Rotterdam, depuis sa création en 1919.
Ce récit succinct où j'ai souligné quelques faits marquants de la vie de la succursale pendant cette longue période répondra, je l'espère, à votre désir.
Puis-je, d'autre part, me permettre de vous signaler que M. Corver, directeur du Bureau Veritas à Rotterdam, recevra le mois prochain les insignes du Mérite maritime, de la main de l'ambassadeur de France.
Je vous présente, Cher Monsieur, l'assurance de mes sentiments respectueux et entièrement dévoués.
A. Gethmann
Worms & Cie. Succursale 1919-1949. Worms & Cie NV
Rotterdam
La guerre de 1914/18 terminée, la Maison Worms & Cie. Paris décida d'ouvrir une succursale maritime à Rotterdam.
Jusqu'à cette époque la DGSM n'entretenait qu'une ligne régulière du Havre à Rotterdam, desservie par un de ses propres navires, consigné chez des agents attitrés, et cela depuis le début du siècle.
La représentation, en France, de la Cosmopolitan Shipping Co, appelée par le United States Shipping Board à créer une nouvelle ligne des USA sur Rotterdam, d'une part, et le trafic des charbons allemands de réparations, d'autre part, incitèrent la Maison à s'installer à Rotterdam.
C'est donc en mars 1919 que Worms & Cie, sous la direction de M. Louis Tassart, ouvrit une succursale et fit, presque aussitôt, l'acquisition de l'immeuble Westerkade 31, construit vers 1900 par M. Bart Wilton, propriétaire du chantier naval bien connu, et y installa ses bureaux.
Peu après son arrivée, M. Tassart s'adjoignit M. E. Carbonnaux, en qualité de sous-directeur.
Au moment où le rédacteur de la présente note fut engagé par M. Carbonnaux (1.11.1919), la succursale avait reçu plusieurs navires de la Cosmopolitan et c'est alors que commença le trafic charbonnier.
Non seulement consignataire de navires, Worms Rotterdam conclut alors d'importants contrats pour le transport sur le Rhin, des charbons de réparations, avec la Nieuwe Rijnvaart Maatschappij (appartenant au groupe van Beuningen) et de stevedoring pour leur transbordement, avec Thomsen's Havenbedrijf, le manutentionnaire auquel elle avait déjà fait appel pour les opérations des navires de la Cosmopolitan Line.
Pendant les trois premières années de son existence, la succursale de Rotterdam connut une très grande activité, amputée, en 1923, des consignations des navires de la Cosmopolitan. En effet, cette ligne s'établit sur place après une période quelque peu tendue, car elle contestait les tarifs que nous lui avions portés en compte.
Après de longs pourparlers d'arbitrage et, finalement, notre refus d'y procéder, le USSB nous assigna, au début de 1931. L'affaire était très importante, s'agissant d'une réclamation de plus de FI. 500.000, augmentés de 6% d'intérêts l'an, jusqu'à la date du jugement qui fut rendu, en appel, à la Haye, fin 1938. Ce procès était un "test case", car il était notoire que si le USSB l'avait gagné, il aurait poursuivi ensuite toutes les maisons qui avaient opéré des navires américains dans des conditions comparables aux nôtres (Wm. H. Muller, Phs. van Ommeren, Furness et van Nievelt, Goudriaan & Co). Le tribunal de Rotterdam adopta notre thèse, à savoir que nous étions "libres entrepreneurs maîtres de nos prix". Son jugement fut confirmé par la cour de la Haye et ce grand procès se termina donc entièrement à notre avantage.
Dans les années qui suivirent, ce furent les opérations du département "charbons" et les consignations des navires de la Compagnie navale Delmas-Vieljeux qui nous apportaient des cargaisons de bois de l'AOF, qui formèrent notre principale activité. Notre activité dépendait, en premier lieu, de l'importance des achats, pour compte français, de charbons auprès du Kohlen Syndikat d'Essen ou de groupes industriels tels que Klöckner Duisbourg, etc.
La ligne du Havre, grâce à un accord de frets conclu avec nos seuls concurrents directs, MM. Kuyper, van Dam & Smeer, armateurs du s/s "Ary-Scheffer", poursuivit son activité avec régularité.
L'année 1926, lorsque éclata, en Grande-Bretagne, une grève de mineurs, fut particulièrement mémorable, car le nombre de consignations de charbonniers dont nous avons bénéficié alors s'éleva jusqu'à 125 navires par mois.
A commencer par les Services charbons de la Maison de Paris, notre clientèle, notamment les réseaux du PLM, de l'État, la Société gazière, le Gaz de Paris, la Société métallurgique de Normandie, les Hauts Fourneaux de Rouen et bien d'autres encore nous adressèrent de nombreux navires ou nous chargèrent d'en affréter pour leur compte.
Les bateaux venant charger du charbon à Rotterdam étaient si nombreux, et le manque de place si considérable, qu'ils furent mouillés, en rivière, les uns derrière les autres, du Waalhaven jusqu'à la mer et qu'à certains moments on pouvait en compter, en outre, une ou deux dizaines en rade de Hoek van Holland.
Un ralentissement considérable se produisit dans les années qui suivirent la crise de 1929 avec le point le plus bas en 1934 et 1935, mais avec une bonne reprise en 1936 et 1937. Celle-ci ne fut, malheureusement, que de courte durée, car à la suite d'accords entre le gouvernement allemand et les autorités belges, une grande partie des charbons allemands transita par Anvers.
Après la déclaration de guerre, le 1er septembre 1939, M. Carbonnaux fut rappelé à Paris, où il décéda au début de l'année 1944. Le personnel fut remercié en grande partie et le reste, quelques mois plus tard, au début de l'occupation, faute de moyens, car nous étions coupés de la DGSM à qui nos fonds avaient été transférés.
Ainsi l'immeuble Westerkade 31, où M. Carbonnaux installa le rédacteur de cette note, resta sous sa garde et la succursale en état d'inactivité jusqu'à la fin des hostilités.
Lors de la Libération, en mai 1945, l'immeuble était intact à quelques petits dégâts près (effondrement de plafonds par suite du bombardement de 1940 et d'explosions). Une partie du personnel fut réengagé en prévision du courant charbonnier qui devait reprendre sous l'égide de l'Atic, et des consignations que nous espérions obtenir de notre ancienne clientèle. Celle-ci nous resta, en effet, fidèle et petit à petit, nous avons vu revenir des bateaux chargeant ou déchargeant du charbon pour l'Atic, des céréales pour l'Onic, des bois d'AOF apportés par les navires de la Compagnie navale Delmas-Vieljeux, ainsi que des pétroliers venant décharger ou effectuer des réparations.
La DGSM fit construire, par le Chantier Vuyk de Capelle sur l'Ysel, le "Sauternes" qui fut lancé en 1951 et la SFTP plusieurs navires chez Wilton-Feijenoord ce qui, après la reconstruction, par le même chantier du "Salomé" de la Compagnie auxiliaire de navigation nous procura, dans ce domaine particulier, une certaine activité pleine d'agrément.
Dès la réouverture de notre succursale nous avions offert à l'Atic de l'héberger dans notre immeuble. Elle s'y installa et nous lui avons cédé un de nos collaborateurs, M. van Der Linde, qui assuma la gestion de l'agence sous la direction de M. Hauzeur, l'ancien directeur de la succursale de Duisbourg, tous deux décédés, il y a quelques années.
En 1949 la succursale de Rotterdam fut transformée en société anonyme. La décision d'effectuer ce changement fut influencée par le fait que le fisc, contestant l'exonération dont elle avait bénéficié jusqu'alors, en vertu des accords fiscaux existants dans le domaine maritime, entre la France et les Pays-Bas, entendait nous taxer à l'avenir et même sur un certain nombre d'exercices passés.
L'exonération nous fut accordée lorsque nous avons déclaré que nous allions nous transformer en société anonyme de droit néerlandais.
L'opération fut réalisée par l'absorption de la succursale maritime par la Wester Financiering Maatschappij, dont la Maison possédait toutes les actions, et le changement de nom de cette société financière en Worms & Cie NV, après paiement à la succursale maritime de FI. 300.000 de "goodwill".
L'Atic, désirant prendre en main les manutentions de charbons, fonda en 1951 la société Manufrance NV dans laquelle Worms & Cie NV prit une participation importante. L'exploitation est effectuée en commun avec la Steenkolen "Utrecht", son ancien manutentionnaire, avec lequel nous entretenons d'anciennes relations et qui a des liens étroits avec les mines allemandes. Un des 4 portiques de 15 tonnes, installés sur le quai de la Steenkolen, au Waalhaven, est la propriété de Manufrance.
C'est également en 1951 que Worms & Cie NV créa l'armement Feronia, dans le but d'exploiter des caboteurs, mais ce projet n'a pas eu de suite à l'époque. Après une augmentation de capital et une prise de participation par la Nochap et la Saga, Feronia fit construire, en 1966, le ravitailleur "Blue-Fish" qui opère actuellement au Gabon.
Dans les années qui suivirent, le trafic charbonnier prit une extension considérable grâce aux exportations des mines sarro-lorraines et des importations de charbons américains. Nous avons alors pris le contact avec les divers importateurs scandinaves et obtenu de nombreuses consignations.
Par contre nous avons eu à déplorer, fin 1953, la perte des consignations, à la sortie, des navires de la Compagnie navale Delmas-Vieljeux, à la suite des accords de cette dernière avec la Compagnie Svedel de Göteborg et de la concurrence qu'elle fit ensuite à la Nochap sur le trafic de l'océan Indien. Nous avons néanmoins bénéficié, pendant 4 ans encore, de l'agence des navires à l'entrée (bois et marchandises diverses), c'est-à-dire jusque fin 1957 lorsque, sous la pression de ses agents à la sortie, et d'intérêts communs dans un armement hollandais qui avait fait construire deux navires à la Pallice, MM. Delmas-Vieljeux décidèrent de nous quitter.
En 1958 le courant d'exportations de charbons de la Lorraine et de la Sarre étant tari et les importations, en France, de charbons allemands et américains fortement réduites, les consignations de Worms & Cie NV tombèrent d'un sommet de 419 navires en 1955 à 146 en 1962.
Heureusement le courant charbonnier reprit fortement en 1963. Ceci, et une augmentation sensible des tonnages de la Nochap, actuellement en pool avec d'autres lignes sur Madagascar et la mer Rouge, influencent très favorablement les résultats de la Maison de Rotterdam.
L'immeuble Westerkade 31 a été démoli en 1962 et reconstruit à la suite d'accords passés avec Phs. van Ommeren NV, propriétaires des nouvelles constructions contiguës.
Lorsqu'on jette un regard en arrière on peut constater que la presque totalité des clients de Rotterdam, pour autant qu'ils aient subsisté, lui sont restés fidèles tout au long des bientôt 50 années de son existence ; témoignage que ses services ont été appréciés et de la constance de ses traditions.
Octobre 1968