1962.02.01.Article (source non précisée)
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Hypolite Worms
(1889-1962)
Une grande figure de l'économie française et du monde maritime disparaît : M. Hypolite Worms est décédé à Paris dimanche dernier. Les obsèques sont célébrées aujourd'hui même, à 10 heures, en l'église Saint-Pierre du Gros-Caillou.
C'est en 1911 que M. Hypolite Worms prit la direction de la maison Worms et Cie que son grand-père avait fondée, il y a plus d'un siècle, en 1848, et les traditions de la maison sont si établies et poursuivies dans le même esprit qu'il n'est pas possible de ne pas évoquer brièvement son passé. De la création de la maison à sa mort, en 1877, le premier Hypolite Worms, négociant en gros de Rouen, puis armateur, entreprit et développa, par ses propres forces financières et sous sa direction personnelle, une œuvre d'amplitude croissante ; sa haute intelligence lui fit suivre et comprendre les révolutions économiques et techniques de son temps : développement des chemins de fer, de la navigation à vapeur, substitution de l'hélice à la roue, rôle du charbon, et il sut y adapter ses activités. Il commença en 1848 l'importation du charbon anglais. Par les transports maritimes, par l'installation d'agences et de succursales en France et à l'étranger, par l'organisation d'un réseau de dépôts de charbons industriels et de charbons de soute, la maison devint le fournisseur des chemins de fer, d'industries diverses, des marines de guerre et marchande ; celui, en particulier, en 1850, de la première ligne de bateaux à vapeur reliant New York et Le Havre, des Messageries nationales à Marseille, de la base des transports de troupes pour la guerre de Crimée, des navires franchissant le canal de Suez, dans le rôle duquel M. Worms avait toujours eu foi, et où il avait créé des succursales et des dépôts à Port-Saïd et à Suez.
Dès 1856, la compagnie possédait quatre navires à hélice, les plus modernes des bateaux de charge en service ; des lignes pénétrèrent la mer du Nord ; après la ligne Bordeaux-Hambourg, étaient créées les lignes Bordeaux-Rouen et Bordeaux-Anvers. Vingt ans après sa création, la société possédait une dizaine de steamers et une quinzaine de succursales en France et à l'étranger.
Après la mort du fondateur, en 1877, et jusqu'à la première guerre mondiale, la maison dirigée par MM. Josse associé et H. Goudchaux, non seulement poursuivit son développement, mais entreprit la fourniture de pétrole, en particulier à Suez, et développa ses lignes de cabotage international, au départ de Bordeaux et de Dieppe, et de cabotage national, et, en 1903, M. H. Goudchaux prit part à la fondation du Comité central des armateurs de France.
Lorsque M. Hypolite Worms prit la direction de la compagnie Worms et Cie, s'ouvrait la période des deux guerres mondiales et la tâche devait être particulièrement difficile. Le nouveau directeur, par les mêmes qualités d'intelligence, de jugement, n'a cessé d'y faire face, assisté au cours de ces cinquante années par des associés distingués, notamment MM. Michel Goudchaux, M. Majoux, J. Barnaud, Robert Labbé, Raymond Meynial, ces trois derniers toujours associés.
Actuellement la maison comprend quatre départements :
— les services charbonniers, qui se sont adaptés à l'évolution générale du marché européen : diminution des exportations britanniques, progression des productions allemande, polonaise, réductions des besoins maritimes par la chauffe au mazout ; depuis la guerre, la maison reste négociant intérieur plutôt qu'importateur ;
— en 1917 étaient créés les chantiers de construction maritime du Trait au voisinage desquels, en plein pays rural, s'établit un nouveau secteur industriel, qui lança son premier navire en 1921 et où d'importantes œuvres sociales furent réalisées (cité ouvrière, école d'apprentissage). Détruits par les bombardements pendant la dernière guerre, et par les Allemands, ils ont été reconstruits suivant les plans de M. Pierre Abbat et reprirent, dès 1945, leur production, avec une main-d'œuvre supérieure à celle de 1939 ;
— en 1929, était créée la Banque Worms, d'abord banque de la maison pour ses activités charbonnières et maritimes, de transitaire et consignataire, puis banque d'affaires consacrées principalement aux petites et moyennes entreprises françaises, en métropole, en Afrique du Nord et dans les pays alors de l'Union française ;
— enfin, les services maritimes, qui ont connu pendant la même période, des événements particulièrement graves et des réalisations importantes. A moitié détruite par la guerre de 1914-1918, la flotte assurant avec les services de la Baltique, des liaisons de cabotage, dépassaient, en 1939 de 40 % le tonnage de 1914. La Compagnie maritime et charbonnière Worms et Cie exploite actuellement une importante flotte de cargos. Deux compagnies passaient, pendant l'entre deux guerres, sous la direction et le contrôle de la compagnie ; en 1929, la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire ; en 1938, suivant une formule de société d'économie, la Société française des transports pétroliers, M. H. Worms présidant les deux conseils d'administration. Les flottes, plus qu'à moitié détruites pendant la deuxième guerre mondiale, ont été reconstituées et modernisées.
La place de M. H. Worms dans l'armement français et son autorité internationale le firent appeler pendant la dernière guerre à des fonctions capitales. En 1939-40, il fut le chef de la délégation française au Comité exécutif anglo-français des transports maritimes qui coordonna au mieux les activités des flottes ; après la défaite, en juillet 1940, il fut le négociateur et le signataire des accords passés avec le gouvernement anglais et sut sauvegarder les intérêts maritimes français alors gravement menacés. Rappelons aussi l'épreuve qu'il a subie pendant cette guerre : après son arrestation par les autorités allemande, sa longue et pénible détention à Fresnes.
M. Hypolite Worms était titulaire de hautes distinctions françaises et étrangères : il était commandeur de l'ordre du Dannebrog, commandeur de l'ordre d'Orange Nassau, commandeur de la Légion d'honneur.
En présentant ses plus sincères condoléances à la famille et aux, sociétés qu'il dirigeait, le Journal de la Marine marchande exprime l'assurance que M. Hypolite Worms ne sera oublié ni par la Marine marchande, ni par le pays.
Jeudi 1er février 1962