1952.11.29.De Hypolite Worms.Aux Chantiers Wilton.Pays-Bas.Discours
Copie de note
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[Rajout manuscrit :] Chantiers Wilton, “Camargue”, 29 novembre 1952.
C'est un grand plaisir pour moi de recevoir le second des quatre pétroliers que les Chantiers Wilton doivent construire pour notre société.
Aux raisons profondes de satisfaction sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure s'ajoutent celles que me donne la présence des hautes personnalités des Pays-Bas et de France qui honorent cette cérémonie traditionnelle, certes, mais toujours si chère aux gens de la mer. Aux remerciements que leur a adressés la direction des Chantiers Wilton, je joins les miens, que j'adresse également à tous les membres des Chantiers qui ont conçu et construit pour nous le magnifique navire que nous avons vu mettre à l'eau ce matin. A tous ceux donc, du plus important au plus modeste, qui ont travaillé à cette construction, je renouvelle l'expression de notre cordiale gratitude.
Je voudrais toutefois faire comprendre que les remerciements que j'adresse à nos amis hollandais - et spécialement à M. Van West et à M. Woltjer, vont au-delà des compliments de courtoisie traditionnelle, mais se justifient par l'esprit qui préside aux réalisations des Chantiers Wilton et par-là aux relations qu'ils entretiennent avec la France.
On parle beaucoup d'organisation européenne - et je suis de ceux qui pensent que c'est une voie féconde que celle qui doit conduire à une mise en valeur plus ordonnée de notre vieux continent. Mais, peut-être parce qu'on écoute plus volontiers ce que disent les gouvernements qu'on ne regarde ce que font les citoyens, on est parfois surpris de constater que les efforts particuliers en faveur d'une meilleure entente économique entre les peuples sont ou injustement ignorés, ou insuffisamment connus.
Le pétrolier qui a été mis à l'eau ce matin a un frère en construction aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime. Les Chantiers Wilton, sachant qu'il fallait hâter la construction n'ont pas hésité, pour faciliter le travail et pour réaliser une économie de force, à communiquer aux chantiers français leurs plans détaillés.
Ils sont allés, si j'ose dire, plus loin encore. On pourrait dire en effet que les liens qui unissent en ma personne la Société française de transports pétroliers aux Ateliers du Trait, expliquent dans une certaine mesure un geste si amical. Mais ce serait oublier que nos amis hollandais, pour les mêmes raisons de rapidité dans l'exécution et de concentration des efforts, ont accepté de laisser communiquer les plans à un autre chantier français qui va construire pour notre société un pétrolier de la même série.
II faut bien constater ainsi que nous nous trouvons en face d'une politique délibérée de coopération internationale, qui rejette les vieux particularismes, les secrets intéressés, pour ne plus voir que ce qu'exige le meilleur équipement de nos flottes, de quelque nationalité qu'elles soient. Dans le silence, sans la moindre publicité, l'entreprise dont nous sommes les hôtes donnait ainsi à tous les industriels européens un exemple dont la généralisation contribuerait à faire progresser, très sûrement, la politique de rapprochement international à laquelle la raison et la nécessité nous convient. Et M. André Morice, ministre des Travaux publics et de la Marine marchande française, s'adressant à M. Woltjer n'hésitait pas, lors d'un récent lancement dans un chantier français, à louer comme il convenait les Chantiers Wilton.
En prenant hardiment ce chemin, nos amis des Pays-Bas sont fidèles à cette audace raisonnée que nous admirons dans leur histoire. Ils ont été des premiers parmi les colonisateurs du Nouveau Monde comme de l'Extrême-Orient. Ils ont été des premiers dans le développement des relations bancaires internationales, quand au 17ème siècle la Banque d'Amsterdam était la banque du monde. Ils ont été des premiers à comprendre le rôle immense du pétrole dans la vie moderne. Quoi d'étonnant à ce que parmi les Néerlandais d'aujourd'hui nous trouvions des hommes qui vont de l'avant dans la modification des relations économiques, et donc politiques entre les nations européennes ?
En vérité, si l'on agissait partout ainsi les chances de faire l'Europe se multiplieraient, puisque des habitudes nouvelles et des liens solides se créeraient, nés non pas de l'obligation des lois, mais de l'adhésion volontaire des esprits.
S'il est un peuple dans notre Europe capable de substituer cet effort libre et discipliné des individus aux contraintes même bien intentionnées des États, c'est ce peuple laborieux, qui a imposé sa volonté à une nature rebelle. Ainsi aura-t-il prouvé une fois encore que les petits groupes, dans le monde des géants où nous sommes, sont encore le levain même de la vie.
Vous conviendrez ainsi, Mesdames et Messieurs, que les Chantiers Wilton qui nous donnent l'occasion d'aussi réconfortantes réflexions dans un temps où elles ne sont pas si nombreuses, méritent que nous portions leur santé - et que nous leur souhaitions de tout cœur de travailler longtemps encore, pour leur bien et pour le nôtre.