1950.05.31.De Hypolite Worms.Discours non signé.Le Trait
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Lancement du "Ville-de-Tananarive", au Trait
Le 30 mai 1950
Monsieur le ministre,
Mes premiers mots seront pour vous remercier, Monsieur le ministre, de votre présence parmi nous. Nous savons que vous êtes ici non seulement pour remplir un des devoirs de votre haute charge, mais aussi en voisin, puisque vous représentez à l'Assemblée la magnifique région où nous sommes nous-mêmes installés. A quoi vous me permettrez d'ajouter que vous êtes ici également comme un membre expérimenté de notre métier d'armateur. Aussi ne serez-vous pas surpris que nous nous réjouissions de vous saluer à cette cérémonie de lancement, où vous accueillez une unité nouvelle dans la flotte marchande française, que vous avez la difficile mais passionnante mission de diriger.
A la vérité, "Ville-de-Tananarive" dont nous prenons livraison aujourd'hui n'est pas une unité nouvelle, puisque nous connaissons déjà tout ce dont il est capable, depuis que son frère jumeau "Ville-de-Tamatave", construit et lancé ici même, en votre présence, il y a quelques mois, a déjà accompli son premier voyage dans l'océan Indien, à la satisfaction générale, donnant une première démonstration des services immenses que nous pourrons attendre de la flotte de notre Compagnie lorsque sa modernisation sera achevée, c'est-à-dire avant la fin de l'année prochaine.
Mais précisément ce problème de la modernisation de la flotte marchande, dont Monsieur Robert Labbé vient d'esquisser les données du point de vue des constructeurs de navires, je désirerais en dire à mon tour quelques mots, en l'envisageant du point de vue de l'armateur.
Nous venons de commander un bateau qui doit compléter notre flotte. II ne s'agit pas d'une unité de remplacement se substituant à une unité perdue au cours de la dernière guerre, mais bien d'un cargo mixte supplémentaire, dont nous avons besoin pour faire face à des tâches nouvelles, et que par conséquent nous payons entièrement avec nos propres ressources.
Or, cette commande, nous avons dû la passer aux Chantiers danois d'Odense, qui nous ont déjà livré "Ile-de-La-Réunion", parce que le coût de la construction est sensiblement inférieur, et que nous avons le devoir, justement, vis-à-vis de notre Compagnie, de nous adresser là où le prix de revient est pour nous le plus avantageux. Ai-je besoin de dire, quelque sympathie amicale que nous nourrissions pour nos amis danois, que nous eussions préféré passer cette commande à un chantier naval français ? Nous ne l'avons pas pu. Si nous devions passer une autre commande, nous la passerions encore à l'étranger, et pour les mêmes raisons. Tous les armateurs sont dans la même situation, et seront de plus en plus contraints d'agir de la même manière, malgré leur désir d'assurer aux ouvriers et aux propriétaires des chantiers français, le travail qui leur est nécessaire.
Je sais, Monsieur le ministre, que ces problèmes si préoccupants vous sont familiers. Si je les ai évoqués brièvement, c'est non seulement parce que je sais à quel point ils vous trouvent attentif, mais parce que j'avais à vous soumettre le cas concret devant lequel notre Compagnie venait de se trouver. Sauf à envisager d'un cœur léger les graves conséquences d'une semblable situation, il est urgent que les pouvoirs publics proposent les remèdes appropriés. Nous savons d'ailleurs que leur application ne sera pas facile.
Il me serait désagréable de terminer sur une note pessimiste. Le renouveau de notre Marine marchande, acquis par une souple collaboration de l'État et de l'industrie privée, est une preuve de ce que peut notre pays, même après de terribles épreuves. J'ai la ferme espérance que la France peut encore surmonter les difficultés qui l'assaillent, dans le domaine maritime, comme dans les autres, si tous ses fils comprennent que le travail est le secret de la prospérité et de la force des nations.