1948.09.22.Du Figaro.Article

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La politique de Vichy vue de Washington

En 1944, le secrétaire d'État Hull demanda à l'historien américain William L. Langer de faire une étude détaillée et absolument objective de la politique qui fut suivie à Vichy par Roosevelt de l'armistice de juin 1940 à l'assassinat de Darlan, à Alger, en décembre 1942.
Il s'agissait de justifier la Maison-Blanche durant les furieux assauts qu'elle avait subis de la part de l'opinion américaine pour sa politique de temporisation et d'attente à l'égard du maréchal Pétain. En marge des mécontentements qui s'exprimaient parfois avec violence, à Londres, journaux et organisations politiques, dès le printemps 1941, menaient le combat pour la rupture des relations diplomatiques. Pourquoi, demande le journaliste Grafton, dénonçons-nous le fascisme lorsqu'il s'appelle Hitler,, mais non lorsqu'il s'appelle Pétain ? Et des associations comme Committee to défend America, le Fight for Freedom, l'Union for Démocratie Action, multipliaient interventions, manifestations et sommations.
L'historien William L. Langer a eu à sa disposition une documentation exceptionnelle : les archives du département d'État de la Guerre, de l'Office des services stratégiques, les papiers de l'amiral Leahy, de Murphy, de Mathews. Il a bénéficié dès 1946 des archives nazies. Mieux encore : les rapports secrets, du côté français, lui ont été communiqués et leurs renseignements sont de premier intérêt, puisque notre clandestin deuxième bureau de l'Armée, ainsi que de hauts fonctionnaires de nos Affaires étrangères, n'ont jamais cessé le contact.
Ce grand travail a paru aux États-Unis sous le titre Our Vichy Gamble et sa traduction vient au jour à la librairie Plon sous ce même titre : Le Jeu américain à Vichy.
L'ouvrage de Langer a cette vertu, qu'en voulant justifier la Maison-Blanche il apporte aux Français encore partagés le premier exposé objectif de la politique de Vichy de juin 1940 à décembre 1942. On n'y parle pas de "trahison" là où il n'y eut pas trahison ; on y discrimine, selon l'événement et sur documents, le rôle des hommes, et il apparaît fort divers, contrairement aux passions qui, depuis 1944, ont tendu à faire de Vichy un tout et à mettre tout le monde dans le même sac.
Quels furent les trois moteurs de l'effort diplomatique de Washington ? D'abord que la flotte française ne fût pas utilisée contre les Alliés, puis que l'Allemagne et l'Italie ne missent pas la main sur les bases françaises d'Afrique ou du nouveau continent ; enfin, que le gouvernement de Vichy ne dépassât pas les conditions d'armistice par "une politique servile de coopération et de collaboration" (Sumner Welles).
Et qu'en est-il advenu ? Comment Vichy a-t-il répondu à ces légitimes exigences américaines ? Le Jeu américain à Vichy est l'histoire dramatique et anxieuse de chasses-croisés, d'oscillations, un chaos d'incertitudes et bruits de toutes sortes.
Le fond est à la méfiance. Dès la fin de juillet 40, Laval explique à Murphy que la victoire allemande donnera à la France "un rôle important" et que, lui, « souhaite ardemment que les Anglais soient vaincus ».
Les représentants américains n'auront pas plus de chance avec Darlan qui, le 14 décembre, promu dauphin, déclare à Mathews qu'« une victoire allemande sera véritablement plus profitable à la France qu'une victoire britannique ».
Ces propos familiers donnent la mesure de l'anxiété avec laquelle Washington suit les intentions et les projets de Vichy.
Durant cette période, Weygand est le seul espoir solide et avoué dans les rapports diplomatiques (il finira par une déception, après des conversations poussées plus avant qu'on ne le pensait). L'historien américain lui donne le mérite incontestable d'avoir, dans un moment grave pour les Alliés, fait échouer les projets de Darlan de mettre Bizerte et Dakar à la disposition des Allemands, dure lutte des premiers jours de juin 41 autour d'un maréchal déjà consentant.
Le découragement définitif de Washington parait d'ailleurs être né du rappel de Weygand. Il est exprimé par un rapport de Leahy à Roosevelt où le gouvernement de Vichy est dépeint comme « dirigé par un vieillard faible et pusillanime, entouré de conspirateurs égoïstes et Intéressés ». L'ambassadeur renonçant à exercer sur lui quelque influence, abandonne tout espoir de donner « un semblant d'épine dorsale à une méduse ».
Notre analyse se limite à quelques points de repère de cette synthèse si riche en informations. L'ouvrage porte déjà la sérénité de l'Histoire.

J. F.


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