1948.06.16.De Worms et Cie Port-Saïd.Historique.Egypte (1869-1948)
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[Papier à en-tête]
Worms & Cie Port-Saïd, le 16 juin 1948
Messieurs Worms & Cie - Paris
Messieurs,
Centenaire de la Maison
Nous avons l'honneur d'accuser réception de votre lettre du 19 mai 1948.
Comme nous vous l'avons déjà signalé, le soussigné a été absent pour quelque temps à Istanbul ce qui explique le délai que nous avons involontairement apporté à répondre à votre lettre. Nous nous excusons mais nous espérons que vous comprendrez les circonstances qui nous ont empêchées d'agir plus tôt.
Nous espérons toutefois que notre réponse arrivera à temps pour vous permettre d'inclure quelques notes, inspirées de notre mémorandum ci-joint, dans l'ouvrage que vous avez l'intention de publier à l'occasion du centenaire de notre Maison.
Nous essayerons de vous faire parvenir quelques photographies sous pli séparé recommandé, lesquelles croyons-nous, seront susceptibles de vous intéresser mais vous comprendrez facilement qu'étant donné l'état de siège en Égypte nous ne pouvons pas vous faire parvenir tout ce que nous désirerions.
En ce qui concerne les illustrations se rapportant à l'activité ancienne de votre Maison tant à Port-Saïd qu'à Suez, nous nous permettons de vous rappeler que des illustrations très intéressantes avaient été publiées dans l'ouvrage marquant le cinquantenaire de Monsieur Goudchaux dans notre Maison ; cet ouvrage est très certainement entre vos mains et nous ne trouvons ici aucune photographie, à part celles dont nous vous entretenons ci-dessus, qui pourrait aussi bien illustrer les activités de notre Maison.
Nous nous excusons de ce rapport quelque peu sommaire mais vous apprécierez, nous en sommes sûrs, que le temps à notre disposition ne nous a pas permis de faire des recherches vraiment approfondies dans nos archives.
Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de nos sentiments bien dévoués.
P. Pon Worms & Cie
[Signature illisible]
Égypte
Peu de temps après que Ferdinand de Lesseps, en présence de Sa Majesté l'Impératrice Eugénie, eut inauguré la grande voie maritime internationale qui devait unir l'Europe à l'Extrême-Orient, la Maison Worms s'installait à Port-Saïd près de la place de Lesseps à quelques centaines de mètres de l'endroit qu'elle occupe actuellement.
Elle ouvrait dans le même temps à Port-Tewfik de l'autre côté du Canal, des bureaux à l'angle formé par l'avenue Hélène qui longe le Canal et de la rue Worms.
Le but de la Maison Worms, déjà établie en France depuis 1848 était de prendre soin des intérêts des armateurs amis qui utiliseraient la nouvelle route maritime.
Elle rencontra immédiatement le succès et en 1872 elle dût à Port-Saïd pour répondre à ses besoins, acquérir une large portion d'un terrain voisin le long du bassin du commerce sur lequel elle bâtit de nouveaux bureaux et un habitat pour les membres de sa direction.
Par la suite la Maison Worms ne cessa de suivre le développement du canal de Suez et elle acheta successivement en 1881 et 1890 d'autres terrains. Elle possède à présent de confortables bureaux dans lesquels plus de cent personnes s'occupent de ses affaires maritimes tandis que trois spacieux appartements avec jardins sont mis à la disposition de ses directeurs.
D'ailleurs, toujours soucieuse du bien être de son personnel, elle a crée pour lui tout à côté de ces bâtiments un terrain de sport avec un Club House sur lequel il peut se délasser à ses heures de repos.
Contiguë à ce terrain elle a construit un vaste magasin destiné plus spécialement à l'entreposage des "gunnies".
Dans l'enceinte portuaire en zone franche la Maison Worms possède quatre grands entrepôts dans lesquels elle peut loger environ 18.000 tonnes de marchandises en transit, un dépôt de charbon et des ateliers pour la réparation des navires et l'entretien de son important matériel flottant.
Des succursales ont été créées au Caire et à Alexandrie, et, sur l'ensemble du territoire égyptien la Maison Worms emploie maintenant régulièrement près de 500 personnes appartenant à 15 nationalités différentes sans compter les centaines de travailleurs journaliers utilisés pour les manutentions charbon et marchandises.
Ce développement de la Maison Worms en Égypte marque peut-être plus que partout ailleurs les étapes des progrès scientifiques, économiques, commerciaux, politiques et sociaux et il serait intéressant au travers des archives et des photographies de pouvoir le suivre depuis la lettre écrite à la main que signa Ferdinand de Lesseps lui-même jusqu'au dernier télégramme de New York qui s'imprime automatiquement sur une formule spéciale.
Comme vestige de ce passé, on peut encore voir à Port-Saïd, près des bureaux de la Maison Worms, perchée sur un vieil immeuble une tourelle en bois de 30 mètres de hauteur qui était la vigie sur laquelle des guetteurs se succédaient pour pouvoir signaler à l'avance l'arrivée d'un navire afin que ceux qui devaient s'en occuper se préparent et que les bateliers vêtus de longues robes multicolores, uniforme de la Maison, s'apprêtent à mettre leur embarcation à l'eau et à faire force rames au son d'une mélopée orientale.
En ce temps-là les livres comptables étaient tenus uniquement en Français et en francs ; à l'heure actuelle ils doivent l'être en arabe et les monnaies de tous pays s'entremêlent avec des références aux divers règlements du Contrôle des changes.
Après avoir réparé des voilures au début de ce siècle, la principale activité de la Maison Worms devint la fourniture de charbon de soute ; elle en fournissait environ un demi-million de tonnes par an. Un peu plus tard elle représenta l'Asiatic Petroleum Company et était chargée de la distribution du pétrole et de la paraffine pour le compte de cette Compagnie dans toute l'Égypte.
Cependant, l'Asiatic Petroleum Company, pour répondre aux besoins sans cesse croissants de la navigation en ce combustible, dut installer ses propres réservoirs et installations et s'occuper directement de ses intérêts tout en laissant à la Maison Worms le soin de veiller sur la partie maritime de son organisation.
L'importance des livraisons de charbon ayant, par la force des choses, diminuée, la Maison Worms, qui en reste toutefois le principal fournisseur dans la zone du Canal, développa son service marchandises, transit, manutention en même temps qu'elle continua à poursuivre son premier but qui était de donner la plus complète satisfaction aux armateurs qui ont bien voulu lui confier leurs intérêts.
Placée sur la grande voie d'eau elle a été étroitement mêlée à toutes les guerres, même au conflit russo-japonais de 1907 car elle représentait divers importants armements de ce dernier pays. Le Mikado, pour lui marquer sa reconnaissance des services rendus lui offrit deux belles coupes d'argent ciselé.
Pendant la première grande guerre elle se dévoua dans toute la mesure de ses moyens à la cause de la marine marchande alliée et, au cours de la seconde, alors coupée en 1941 de toute relation avec son siège social de Paris, elle n'hésita pas un seul instant, soutenu par tout son personnel, à faire de même avec peut-être encore plus d'ardeur car elle savait qu'elle travaillait pour la libération de la France.
Récompensée de ses efforts, la Maison Worms, après la signature de la paix, a repris ses activités qui ont été augmentées de l'apport que lui a fourni la représentation dans la zone du Canal de la grande compagnie de navigation française des Messageries maritimes et, en mai 1948, elle battait le record des navires à sa consignation dans un mois avec un total 167, soit en moyenne plus de 5 navires par jour.