1948.02.00.De Roger Mennevée.Les Documents de l'AIII.Article

Publication externe
Les Documents de l'Agence indépendante d'informations internationales - Février 1948
La Banque Worms - Histoire générale
(voir notre fascicule de janvier)

----

M. Hypolite Worms (1er du nom)

M. Hypolite Worms, fondateur de la maison Worms et Cie actuelle, était - au moins à s'en tenir aux actes d'état civil de la ville de Metz - le quatrième enfant de M. Lyon Hayem Worms et de Géla Lévy, son épouse.
Avant lui, étaient venus :
- Olry, né le 31 juillet 1793 à Metz,
- Gotton, née le 20 fructidor an III (6 septembre 1795) à Metz,
- Abraham (alias Adolphe) né à Metz le 7 juillet 1799, qui, comme nous l'avons dit dans l'introduction - devait devenir une des personnalités les plus marquantes de la colonie israélite de la ville.
Puis, ensuite, Hypolite, né le 16 Brumaire an X (8 novembre 1801), dont voici la copie de l'acte de naissance :
« Du dix-septième jour du mois de Brumaire, l'an X de la République française.
Acte de naissance de Hypolite Worms, né le jour d'hier à midy, fils de Lyon Worms, marchand, rue de l'Arsenal, et de Géla Lévy, son épouse en légitime mariage ; le sexe de l'enfant a été reconnu être du sexe masculin. Premier témoin : Jacob Cahen, âgé de trente-quatre ans, boucher, même rue, second témoin David Cahen, âgé de quarante-neuf ans, cabaretier, rue susdite. Par la réquisition à nous faite par ledit Lyon Worms, père de l'enfant, et ont signé. Constaté suivant la loi par moi Jean Auburtin, adjoint à la mairie de Metz faisant les fonctions d'officier public de l'état civil, suivent les signatures. »
Notons, en passant, que la rue de l'Arsenal à Metz s'appelait antérieurement "rue aux Juifs". C'est sous ce titre qu'elle est, d'ailleurs, désignée dans l'acte de naissance de Olry Worms en date du 31 juillet 1793.
M. Lyon Worms, père de Hypolite Worms, était "marchand d'étoffes".
C'est ce qui fait comprendre qu'il ait envoyé, plus tard, son fils Hypolite à Rouen pour établir des relations directes avec les maisons d'achat et de commission en tissus, et plus particulièrement de rouennerie.
Dès 1829, on trouve, en effet, à Rouen, la maison Worms Heuzé et Cie, commissionnaire en rouennerie, 4, rue de la Croix de Fer, puis 23, rue de la Chaîne.
Mais les relations de M. Hypolite Worms avec les milieux israélites de l'est de la France n'en subsistaient pas moins, et c'est ainsi qu'il épousa le 16 août 1837, à Nancy, Mademoiselle Séphora Goudchaux, fille d'un banquier décédé de cette ville, ainsi qu'il ressort de l'acte suivant :
« L'an mil huit cent trente sept, le seize août à onze heures du matin, par devant nous, Pierre Nicolas Viriot, adjoint au maire, de la ville de Nancy, délégué pour remplir les fonctions d'officier de l'état civil, en l'Hôtel de ville, sont publiquement comparus, d'une part M. Hypolite Worms, trente-cinq ans, comme il conste de son acte de naissance inscrit le huit novembre mil huit cent un, sur les registres de la ville de Metz, département de la Moselle, délivré par extrait en bonne forme, fils majeur du sieur Léon Worms, rentier, demeurant à Metz, présent et consentant et de défunte dame Géla Lévy, son épouse, décédée à Landau, royaume de Bavière, le quatorze janvier mil huit cent vingt neuf, comme il conste de l'acte en bonne forme qui nous a été remis.
D'autre part, demoiselle Séphora Goudchaux, domiciliée avec sa mère en cette ville de Nancy, dix-neuf ans, comme il conste de son acte de naissance inscrit le seize février mil huit cent dix huit sur les registres de la ville de Saverne, département du Bas-Rhin, délivré par extrait en bonne forme par le maire, fille mineure de défunt M. Isaac Goudchaux, vivant banquier, décédé à Nancy, le vingt-cinq septembre mil huit cent trente-six, comme il conste de l'acte que nous avons vérifié exprès à l'instant même et de dame Marie Cerf, sa veuve, rentière, demeurant, en cette ville, ici présente et consentante.
Lesquels nous ont requis de procéder au mariage projeté entre eux et dont les publications ont eu lieu les dimanches vingt-trois et trente du mois de juillet dernier, ainsi qu'il conste des actes inscrits sur les registres de cette ville, et de celle de Rouen Ies dimanches trente du même mois de juillet et six août courant, ce qui est constaté par le certificat délivré le neuf par le maire de ladite ville, aucune opposition au mariage ne nous ayant été signifiée, faisant droit à la réquisition des parties, après leur avoir donné lecture des pièces ci-dessus mentionnées, et du chapitre VI du code civil intitulé "Du Mariage", nous avons demandé aux requérants s'ils veulent se prendre pour mari et femme, et chacun d'eux ayant répondu séparément et affirmativement, déclarons au nom de la loi que M. Hypolite Worms et demoiselle Séphora Goudchaux s'ont unis par le mariage. Lecture faite, les époux, le père de l'époux, la mère de l'épouse et Ies témoins ont signé avec nous. »
(Suivent les signatures.)
Le mariage avait été précédé d'un contrat entre les deux futurs époux, reçu le 15 août 1837 par Me Thiriot, notaire à Nancy.
On constatera qu'au cours de ces divers actes et de ceux qui suivront - l'orthographe du prénom Hypolite varie presque dans chacun de ces actes. Nous nous sommes bornés à les reproduire textuellement, rappelant que l'intéressé avait précisé qu'il s'appelait Hypolite.
On remarquera, d'autre part, que également dans ce dernier acte, M. Lyon [Léon) Worms est qualifié "rentier".
C'est que, en effet, son fils Abraham (Adolphe), après de sérieuses études à Metz et avoir ensuite été se forger aux "opérations de banque" chez son oncle M. Worms de Romilly, banquier à Paris, était revenu remplacer son père dans la société Schwabe et Worms, de Metz, puis, après la mort de son associé, était resté seul chargé des affaires et était, ensuite, devenu l'un des principaux banquiers de cette ville.
M. Hypolite Worms quitta Rouen peu de temps après son mariage et on le trouve à Paris, dès 1838, domicilié 11, rue Vendôme, "au Marais" où la rue Vendôme commençait au n°43 de la rue Charlot et finissait 106, rue du Temple.
Signalons que c'est à Rouen que M. Hypolite Worms avait noué avec certains milieux anglais les relations d'affaires qui devaient se développer par la suite et se poursuivre même après sa mort, jusqu'à l'époque actuelle, dans des conditions telles que, au moment de la guerre de 1939, d'aucuns purent prétendre que la banque Worms était une des banques d'affaires de l'Intelligence Service anglais. Ce qu'il y a de certain c'est que, comme nous l'avons déjà signalé, le mariage, en 1935, de Mademoiselle Marguerite Worms, fille de H. Hypolite Worms (deuxième du nom) avec le fils de l'ancien ambassadeur britannique à Tokio, avait confirmé que, à l'époque, la Maison Worms et Cie n'était pas sans relations étroites avec certaines hautes personnalités dirigeantes des fameux "intérêts permanents anglais", révélés officiellement, quoique dans une négociation secrète, dès 1909, par l'homme d'État anglais M. Edward Grey.
En 1840, M. Hypolite Worms vint habiter 46, rue Laffitte à Paris, où il devait rester jusqu'en 1865.
Son activité commerciale va prendre un caractère sensiblement différent.
II devient marchand de plâtres qu'il tire et transforme dans son usine des Buttes Chaumont dites alors "Buttes Saint Chaumont".
Mais tout de suite, il entend donner à ses affaires un développement particulier basé sur ce qu'il a lui-même, qualifié, de "monopole" des conditions de transport.
A cette époque, en effet, les tarifs de transport des plâtres par les compagnies de chemins de fer étaient quasi-prohibitifs ; ils oscillaient entre 15 F et 12 F par tonne kilométrique.
M. Worms conçut avec certaines de ces sociétés de chemins de fer des contrats lui assurant un traitement préférentiel, dont le plus typique est peut-être celui du 27 juillet 1846 intervenu avec la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans, par lequel M. Worms s'obligeait à faire transporter un minimum de 15.000 tonnes de plâtre - en moellons ou en sacs - par an, de la gare d'Ivry à la gare d'Orléans, mais en exigeant un prix réduit de 7 F nets par tonne kilométrique et étant entendu qu'il pourrait résilier le contrat - conclu pour 5 ans, du 1er juillet 1846 au 30 juin 1849 - si les circonstances amenaient la compagnie a baissé les tarifs ordinaires au-dessous de 12 F 50 pour les plâtres en poudre et de 10 F 50 pour les plâtres en pierre.
A la fin de la même année, M. Worms concluait un contrat identique avec la Compagnie du chemin de fer d'Orléans à Bordeaux, pour un minimum de 10.000 tonnes à transporter d'Orléans à Tours, au prix de 5 centimes ¼ la tonne kilométrique.
Mais ces contrats consentis au profit d'un expéditeur privilégié ne furent pas, on le comprend, sans soulever les réclamations des autres industriels en plâtres. La Compagnie de Paris à Orléans se trouva menacée de procès dont elle ne voulut pas affronter les suites, et elle généralisa, pour tous les expéditeurs, les tarifs consentis à M. Worms.
« D'où, écrivait, un peu plus tard, celui-ci, pour moi un premier préjudice puisque j'avais préparé mes opérations et conclu mes marchés en vue d'une position exceptionnelle qui se trouva inopinément détruite. »
Ce fut bien pis lorsque en mars 1849, les sociétés de chemins de fer de cette région (Orléans-Bordeaux-Nantes) voulant favoriser l'amélioration des rendements agricoles, s'entendirent pour transporter les plâtres et les engrais sur leurs voies respectives, en service commun et à prix réduit.
D'où nouvelle plainte de M. Worms qui n'hésita pas à protester contre le fait qu'au lieu d'avoir en mains presque "un monopole" il se trouvait en face de concurrents qui transportaient à prix égaux !
Ces incidents ne pouvaient pas ne pas entraîner quelques procès.
Mais le plus suggestif, de l'affaire, c'est la conclusion que donnait M. Worms à un "Mémoire" adressé au président et aux juges du Tribunal de commerce de Paris à cette occasion, conclusion ainsi conçue :
« Ce qui est en cause, c'est de savoir si les compagnies de chemins de fer, malheureusement investies d'un gigantesque monopole réussiront à échapper au droit commun, si, se drapant orgueilleusement dans leur privilège, elles pourront exercer impunément sur nous une oppression injuste et perpétuelle ! »
« Échapper au droit commun par le bénéfice d'un monopole », mais n'était-ce pas là exactement ce à quoi prétendait M. Worms grâce à ses tarifs préférentiels ?
La fable de la paille et de la poutre est bien restée de tous les temps.
Nous nous sommes un peu appesantis sur cet incident car l'état d'esprit manifesté alors par le fondateur de la maison Worms et Cie parait s'être perpétué comme une véritable tradition et nous retrouverons ultérieurement la maison Worms et Cie en usant, voire même en abusant.
M. Hypolite Worms étendait peu après son activité au transport et au commerce des charbons de terre émanant d'Angleterre.
Dès 1849, il figure officiellement dans les annuaires commerciaux, dans la rubrique des "Charbons de terre" avec l'indication "Charbons anglais" - Maison à Rouen, Le Havre, et à Newcastle-sur-Tyne (Angleterre).
Cette activité prend rapidement une certaine extension comme le manifeste le développement du nombre de ses agences tant en France qu'à l'étranger : on trouve successivement Nantes, Bordeaux, Marseille, et, pour l'étranger, Cardiff, Grimsby, Port-Saïd, etc. Dans la plupart de ces stations étrangères, la maison Worms est l'agent de diverses compagnies de navigation françaises et particulièrement des Messageries françaises.
C'est, par exemple, comme affréteur à ce dernier titre que M. Worms actionnait, en 1867, un Sieur Garaud, armateur à Nantes, qui lui avait frété, par une charte-partie signée à Londres le 7 juillet 1866, le navire "Le "Prosper", pour le transport à Aden d'un chargement de charbon à prendre au port anglais de Cardiff.
Parti de ce port le 8 septembre 1866, "Le-Prosper" fut assailli par une tempête et échoua sur la pointe de Breaksen, dans des conditions telles que les experts désignés pour visiter le navire finirent par décider de jeter à la mer la cargaison de charbon. Le navire put alors être ramené à Cardiff où il resta plusieurs mois en réparations.
A la suite de cet accident, M. Worms intenta une action judiciaire contre M. Garaud, devant le tribunal de commerce de Nantes, en vue de réclamer certaines indemnités, action qui fut rejetée par jugement de ce tribunal, en date du 30 décembre 1868.
La cour de Rennes, ayant par arrêt du 4 janvier 1870 débouté M. Worms de son appel, celui-ci se pourvut en cassation, et comme la charte-partie qui était à la base de la transaction, s'était référée en certains points aux usages du Lloyd anglais, M. Worms essaya particulièrement de mettre en opposition, à son profit, les dispositions légales françaises avec celles de la coutume anglaise.
Mais, par arrêt du 22 avril 1872, la cour de cassation rejeta le pourvoi de M. Worms.
Les attendus de cet arrêt, et les commentaires dont les publications juridiques accompagnèrent celui-ci (Le Droit du 24 avril 1872 - Dalloz : Jurisprudence générale 1873 -1ère partie p. 182) montrèrent que, cette fois encore, M. Worms n'avait pas été sans chercher à obtenir de la haute juridiction, "un traitement préférentiel" en opposition avec la jurisprudence constante de cette juridiction.
Entre-temps, M. Worms avait abandonné le commerce de plâtre, et, en 1855, il avait installé son domicile et ses bureaux dans l'important immeuble du 5 de la rue Scribe.
Entre-temps, également, deux enfants lui étaient nés : un fils : Lucien, né le 3 mars 1839 et une fille Emma-Louise née le 6 mars 1842, qui épousait le 16 mars 1864 à Paris (9°) M. Léon Joseph Franchetti, celui-là même qui, au cours de la guerre de 1870 devait commander le fameux escadron des Éclaireurs de la Seine dont on sait la brillante conduite à la bataille de Champigny en décembre 1870, où M. Franchetti fut tué glorieusement.
Madame veuve Franchetti devait se remarier quelques années plus tard - comme on le verra ultérieurement - avec M. Louis Emmanuel Arthur Delavigne.
Nous parlerons dans un autre chapitre de M. Lucien Worms.
M. Hypolite Worms avait, de son côté, participé, au lendemain de la déclaration de guerre, à la souscription ouverte pour l'équipement des Éclaireurs de la Seine, pour une somme de 500 F.
Bien entendu, les événements n'avaient arrêté en rien, tout au contraire, le développement des affaires de la maison Worms et dès le lendemain de la paix, on le trouve dans les annuaires commerciaux sous les désignations suivantes : "Armateur - 7, rue Scribe à Paris, maison à Bordeaux, négociant en charbons anglais, brais, briquettes, cokes et fontes, rue Scribe 7 - maisons à Cardiff, Swansea, Newcastle-on-Tyne, Grimsby, Hull (Angleterre), Bordeaux, Marseille, La Rochelle, Angoulême (France), Port-Saïd et Suez (Égypte). Il figure également au Bottin sur la liste des banquiers.
II n'est pas peu curieux de noter qu'à cette époque, M. Worms ne dédaignait pas de s'occuper - peut-être un peu trop discrètement de politique, et de le trouver s'associant à des personnalités axés sensiblement sur la gauche républicaine, pour lancer le journal "Le XIXe Siècle".
On le voit, en effet, parmi les trente fondateurs de la société en commandite par actions nominatives, dite "Société en commandite du journal Le XIXe Siècle - Edmond About", créée par acte du 14 février 1874, et dont il nous paraît intéressant de reproduire quelques extraits de l'acte constitutif.
Suivant acte sous signatures privées, fait double à Paris, le 14 février 1874, il a été formé une société en commandite par actions entre :
1°- M. Edmond About, homme de lettres, demeurant à Paris, rue de Douai n°6,
2°- M. Adolphe Crémieux, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, rue de la Pompe n°81, 3°- M. Vincent du Bochet, s.p. demeurant à Paris, Faub. Poissonnière n°175,
4°- M. Alfred Koechlin-Schwartz, s.p. demeurant à Paris, Hôtel du Louvre,
5°- M. Louis Adolphe Breulier, avocat, demeurant à Paris, rue Guénégaud n°27,
6°- M. Edouard Bauer, homme de lettres, demeurant à Bougival (S.&.O.)
7°- M. Jean Duz, s.p. demeurant à Paris, avenue Montaigne n°11,
8°- M. Eugène Pelouze, chimiste, demeurant à Paris, rue Saint-Lazare n°55,
9°- M. Francisque Sarcey, homme de lettres, demeurant à Paris, rue de Douai n°59,
10°- M. Hypolite Worms, sans profession (sic) demeurant à Paris, rue Scribe n°7,
11°- M. J. Beclard, médecin, demeurant à Saint-Maurice (Seine)
12°- M. Germain Hervé, propriétaire, demeurant à Paris, rue de Londres n°4,
13°- M. E. Gailly, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Versailles, boulevard de la Reine n°65,
14°- M. le baron de Janze, membre de l'Assemblée nationale demeurant à Paris, rue de l'Arcade n°32,
15°- M. Adolphe Coste, s.p. demeurant à Paris, Cité Gaillard n°4,
16°- M. Victor Guichard, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, Faubourg Poissonnière n°125,
17°- M. Emile Girardin, homme de lettres, demeurant à Paris, rue Lapérouse n°27,
18°- M. Henri Cernuschi, propriétaire, demeurant à Paris, boulevard Malesherbes n°10,
19°- M. le comte d'Osmoy, membre de l'Assemblée nationale demeurant à Versailles, rue de la Bibliothèque n°7,
20°- M. Charles Simon, homme de lettres, demeurant à Paris, place de la Madeleine n°10,
21°- M. Paul Lafargue, homme de lettres, demeurant à Paris, rue Rossini n°1,
22°- M. Eugène Halphen, propriétaire, demeurant à Paris-Passy, boulevard de l'Empereur, au coin de la rue de la Pompe,
23°- M. Jules Barthélémy-Saint-Hilaire, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, rue d'Astorg n°29 bis,
24°- M. Jules Warnier, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, boulevard Malesherbes n°78,
25°- M. Pierre Emmanuel Tirard, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, boul. Magenta n°74,
26°- M. Elie Lazard, négociant, demeurant à Paris, rue de l'Arcade n°24,
27°- M. Isaac Edouard Kann, banquier, demeurant à Paris, rue de Grammont n°14,
28°- M. Jacques Palotte, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, rue Saint-Georges n°4,
29°- M. Jules Paton, homme de lettres, demeurant à Paris, rue du Mont-Thabor n°33,
30°- M. Calmon, membre de l'Assemblée nationale, demeurant à Paris, rue Abatucci n°39.
Cette société a pour objet l'exploitation du journal Le XIXe Siècle, et pour dénomination :
Société en commandite du journal Le XIXe Siècle". M. Edmond About est seul gérant responsable.
Le siège social est fixé à Paris, rue Drouot, n° 2 ; il pourra être transféré rue de Douai n°6.
La raison et la signature sociales seront : Edmond About et Cie.
La société est contractée pour une durée de 10 ans à partir du 1er janvier 1874.
Le fonds social est fixé à la somme de 150.000 F ; il est représenté par 150 actions de 1.000 F.
Le gérant est investi de tous les pouvoirs.
Suivant acte reçu par le dit (notaire) le 14 février 1874 M. Edmond About a déclaré que les 150 actions de ladite société avaient été intégralement souscrites et entièrement versées dans la caisse sociale.
Aux termes de deux délibérations en date à Paris, la première du 15 février 1874 et la seconde du 22 février de la même année l'assemblée générale des actionnaires a, par la première délibération, approuvé les statuts de la société dont s'agit, pris connaissance de la déclaration de souscription et de versements, faite par M. Edmond About, et nommé M. Koechlin-Schwartz pour faire un rapport sur la cause de certains avantages stipulés par l'acte de société au profit de M. About en sa double qualité de gérant et de rédacteur en chef du journal Le XXe Siècle.
Et par la deuxième, approuvé les conclusions du rapport de M. Koechlin-Schwartz, proclamé la constitution définitive de la société et nommé comme membres du conseil de surveillance :
M. Émile de Girardin
M. Pierre Tirard
M. Koechlin-Schwartz
M. du Bochet
M. Eugène Pelouze."
Les actes constitutifs furent déposés aux greffes de la justice de paix du 9° arrondissement de Paris et du tribunal de commerce de la Seine le 17 mars 1874(1).
Crémieux, Barthélémy-Saint-Hilaire, Tirard, etc. quels noms suggestifs pour la politique républicaine dont ils étaient les représentants et qui s'affirma encore en 1876 lorsque, dans les deux Chambres, ils s'opposèrent aux tentatives de gouvernement d'ordre moral et de dictature envisagées par le Maréchal de Mac-Mahon !
Nous voici arrivés maintenant à la création de la société qui, sous des transformations diverses, s'est continuée jusqu'à notre époque et constitue encore la maison Worms et Cie.
On trouve, en effet, dans les Affiches parisiennes du 20 mars 1874, l'insertion suivante :
« Par acte sous signatures privées, en date à Paris, du 16 mars 1874, il a été formé une société en nom collectif pour la continuation des opérations de la maison Hypolite Worms armement et commerce de charbons, entre M. Hypolite Worms, négociant, demeurant à Paris, rue Scribe n°7, et M. Henry Josse, demeurant à Paris, également rue Scribe n°7 ; la durée est de 12 années qui ont commencé le 1er janvier 1874 et finiront le 1er janvier 1886. Le siège social est à Paris, rue Scribe n°7. La raison et la signature sociales sont :
Hypte Worms et Cie.
Les deux associés ont la signature sociale. »
Cette insertion, quoique succincte, répondait aux prescriptions légales.
Fort heureusement, d'autres documents nous font connaître des détails plus précis sur cette constitution.
Dans un acte ultérieur, on trouve, en effet, que, aux termes d'un acte fait à Paris le 16 mars 1874, enregistré à Paris le 17 mars 1874, folio 47 verso, case 9, M. Hypolite Worms et M. Hervé Henry André Josse, ont formé entre eux une société en nom collectif ayant pour objet l'armement et le commerce des charbons, pour continuer les opérations de la maison de commerce fondée par M. Worms à Paris, avec comptoirs à Bordeaux et à Marseille (France), Cardiff, Newcastle et Great Grimsby (Angleterre) et Port-Saïd (Égypte).
Cette société a été établie sous la raison sociale :
Hypte Worms et Cie
et son siège a été fixé à Paris rue Scribe n°7. Le capital social a été fixé à 4.500.000 F et fourni par M. Worms pour 4 millions comprenant notamment la propriété entière du steamer "Emma", et celle des 2/3 des steamers "Lucien", "Isabelle", "Gabrielle", "Président", "Blanche", et "Marguerite" et par M. Josse pour 500.000 F.
D'après les répertoires du Bureau Véritas, les steamers "Gabrielle" et "Lucien" avaient été construits en Angleterre en 1856 et avaient comme armateurs le premier la maison Ibautier [Hantier?] et Cie et le second la firme Hantier Mallet et Cie du Havre. Cette dernière était également armateur des steamers "Marguerite", construit en 1862, "Isabelle" en 1866 et "Blanche" en 1869, tous en Angleterre. Par contre le steamer "Président", ayant comme armateur la maison F. Mallet et Cie du Havre, avait été construit dans cette ville en 1870.
A la suite de la perte des steamers "Marguerite" et "Gabrielle" survenue peu après et des remboursements d'assurances qui en découlèrent, on constata que la valeur des apports de M. Worms avait été supérieure de 300.000 F au chiffre de sa participation dans la société. Cette plus-value fut affectée à la constitution d'un fonds de réserve de même somme, restant la propriété personnelle de M. Worms, sans que le montant officiel du capital en fût modifié.
M. Hervé Henri André Josse, associé de M. Hypolite Worms était né à Valognes (Manche) en 1822. Il était fils de M. Nicolas Hervé Josse et de dame Henriette Coupey, son épouse. Il avait épousé une jeune fille d'une bonne famille anglaise Mademoiselle Louise Errington, dont nous retrouverons ultérieurement un neveu épousant la petite-fille de M. Hypolite Worms.
La flotte de la maison Hypte Worms et Cie devait s'augmenter dans les années qui suivirent de plusieurs navires, dont certains vinrent remplacer les deux steamers "Marguerite" et "Gabrielle" dont nous avons signalé la perte.
C'est ainsi que la société fit l'acquisition de trois navires construits en Angleterre, l'un en 1856 et les deux autres en 1869 et les débaptisa pour leur donner respectivement les noms de "Séphora", "Marie", et "Commandant-Franchetti", auxquels vint s'ajouter le "Marguerite-Franchetti" (du nom de la fille que Mademoiselle Emma-Louise Worms avait eu de son premier mari, et qui mourut d'ailleurs au début de 1875, âgée de 7 ans) construit en 1874.
Monsieur Hypolite Worms mourut à Paris, 5, rue Scribe, le 8 juillet 1877, comme le constate l'extrait de son acte de décès ainsi conçu :
« Décès - Paris (9°) 8 juillet 1877
Worms Hypolite, armateur, 74 ans, né à Metz (Moselle),
décédé en son domicile, 5, rue Scribe, fils de Léon et de Gela Lévy, époux décédés.
Époux de Séphora Goudchaux.
Témoins : Elie Baudet, 37 ans, négociant, 89, rue de Provence, non parent ;
Henri Goudchaux, 30 ans, négociant, 19 boulevard Malesherbes, cousin. »
La revue "Les Archives israélites de France" annonçait, dans son n° du 15 juillet 1877, la disparition de M. Hypolite Worms, en ces termes quelque peu succincts :
« M. Hippolyte Worms, chef de la maison d'armement très connue, est décédé à Paris, à l'âge de 75 ans » mais, dans son n° du 1er octobre suivant, elle enregistrait, dans les dons aux institutions religieuses et charitables de la communauté juive de Paris, pendant le mois de septembre, celui des "héritiers de feu Hte Worms : 61.000 F."
A son décès M. Hypolite Worms laissait comme héritiers :
1°- sa veuve, née Séphora Goudchaux, avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, aux termes de leur contrat de mariage, passé - comme nous l'avons dit plus haut - devant Me Thiriot, notaire à Nancy, le 15 août 1837, qui était, en outre, donataire d'une somme déterminée en vertu du même contrat, et sa légataire d'une certaine quotité de la succession aux termes d'un testament olographe de M. Worms en date du 22 avril 1875,
2°- son fils, Lucien,
3°- sa fille, Emma Louise, veuve en premières noces de M. Léon Joseph Franchetti et remariée avec M. Louis Emmanuel Arthur Delavigne.
Les droits appartenant à M. Worms dans le capital de la société et la plus-value des steamers compris dans son apport - plus-value dont nous avons parlé précédemment - furent attribués à Mme veuve Worms pour moitié, à M. Lucien Worms pour un quart et à Mme Delavigne pour le dernier quart.
Et, conformément aux statuts de la société, le décès de M. Worms n'apporta aucune modification à la forme de celle-ci qui continua entre M. Josse et les héritiers et représentants de M. Worms, comme avec celui-ci, dans les termes de l'article 1868 du code civil.

R. Mennevée


(1) Journal général d'annonces du 18 mars 1874.

 

Retour aux archives de 1948