1948.01.00.Worms et Cie.Historique.1ère partie (1848-1877)
du livre intitulé Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie,
paru en octobre 1949
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Worms & Cie
1ère partie (1848-1877)
Des origines à la mort de Monsieur Hypolite Worms
[NB : En bas de la première page de ce document, il est indiqué à la main : « Le présent travail contient quelques lacunes et obscurités à mettre au point (janv. 1948). Voir les notes rédigées ultérieurement sur quelques questions particulières ».]
Index
1 - Les origines - Création de succursales à Newcastle, à Rouen et au Havre, et d'une agence à Bordeaux2 - Opérations hors de France - Messageries nationales - Création d'une succursale à Cardiff -Guerre de Crimée
3 - Navigation à hélice - Premiers achats de navires - Charbon du Yorkshire - Création d'une succursale à Grimsby
4 - Services maritimes
5 - Fournitures de charbon de soutes à la navigation long courrière - Création de succursales à Marseille et à Port Saïd
6 - Aperçu d'ensemble - Société Hypolite Worms & Cie - Dernières années de M. Hyp. Worms
1. Les origines - Création d'une succursale à Newcastle, à Rouen et au Havre - et d'une agence à Bordeaux.
Parmi les navires porteurs de charbons anglais qui arrivèrent à Dieppe le 8 et le 13 novembre 1848 se trouvaient deux bricks : le "Henry & Elisabeth" venant de Blyth, et l'"Echo" venant de Newcastle. Leurs cargaisons qui s'élevaient, respectivement, à 247.000 et 200.000 kilogrammes, furent expédiées vers la région rouennaise par la voie ferrée de Dieppe à Malaunay, mise en service peu de temps auparavant, le 1er août 1848. Ces opérations furent réalisées par les soins de Monsieur Hypolite Worms, négociant à Paris, rue Laffitte n°46. Elles fixent l'origine de la maison connue actuellement sous la raison sociale Worms & Cie dont le siège est à Paris, boulevard Haussmann, n°45.
Monsieur H. Worms était alors âgé de 47 ans. En pleine maturité, il possédait une longue expérience commerciale acquise d'abord à Rouen où, jeune encore, il avait fondé une maison de commerce, puis à Paris, dans le commerce de banque, qu'il avait exercé en premier lieu comme associé des frères Goudchaux et ensuite pour son compte personnel. Il avait été amené à ce moment à s'intéresser à différentes affaires et, entre autres, avait entrepris en grand, en 1845, la fabrication et le commerce du plâtre. Il ambitionna de trouver des débouchés en Angleterre et se préoccupa de s'assurer des prix de transport plus avantageux en procurant aux navires un fret de retour vers la France. Le charbon était tout indiqué, mais bien que la relation entre ce souci et l'arrivée à Dieppe du "Henry & Elisabeth" et de l’"Echo" paraisse évidente, cette arrivée était la conséquence d'une idée nouvelle, d'une portée bien plus grande.
Les efforts qu'il employait à créer un mouvement d'exportation de plâtre vers l'Angleterre n'en étaient guère qu'à leurs débuts et n'avaient pas encore abouti à des résultats suffisants pour servir de base à des transports suivis, mais il avait acquis entre temps, la conviction que le commerce des charbons anglais était susceptible de prendre par lui-même en France un développement considérable et avait décidé d'en faire l'objet d'une entreprise indépendante, établie sur une large base.
La France était alors en pleine révolution industrielle. Le nombre des machines à vapeur utilisées augmentait rapidement ; la construction des chemins de fer était entrée dans une nouvelle phase depuis la loi du 11 juin 1842, qui avait fait de Paris le centre de rayonnement des voies ferrées vers les frontières et avait établi un vaste programme méthodique de travaux ; cette construction contribuait elle-même puissamment au développement de la métallurgie qui parallèlement substituait de plus en plus l’usage du charbon de terre à celui du charbon de bois ; la navigation à vapeur n'était encore que peu développée, mais elle avait à son actif quelques initiatives dans la création de lignes régulières et le mouvement des navires à vapeur de tous pavillons augmentait dans nos ports ; l'éclairage au gaz, après des débuts difficiles, connaissait un véritable engouement. Les progrès réalisés dans tous ces domaines avaient entraîné un accroissement important de la consommation du charbon ; pour y faire face la France avait dû importer en 1847 plus de deux millions et demi de tonnes de charbons étrangers, la part du charbon anglais n'était représentée dans ce total que par cinq cent quatre vingt six mille tonnes environ, tandis que les charbons belges s'étaient attribué près de un million six cent quatre vingt dix mille tonnes. Les charbons anglais étaient cependant connus en France depuis très longtemps dans les régions côtières et très appréciés, mais leur importation était tombée à rien pendant le blocus continental et s'était trouvée ensuite fortement entravée par la législation douanière qui accordait aux charbons belges un régime de faveur. Elle avait repris une certaine importance après la réduction des tarifs applicables aux charbons importés par mer, puis, après la loi du 2 juillet 1836 à ceux qui étaient utilisés par les bâtiments à vapeur de la marine française, militaire ou marchande, mais même alors, grâce aux commodités de transport que leur donnait la voie d'eau intérieure les charbons belges continuaient à éliminer la houille anglaise presque complètement du département de la Seine et dominaient à Rouen, où cependant les charbons anglais étaient plus estimés. Au Havre la situation était renversée, mais les charbons belges réussissaient à y trouver des débouchés : on les achetait à Rouen et on les expédiait au Havre sur les navires à vapeur qui souvent descendaient à vide.
Monsieur Hypolite Worms vit dans la mise en service de la ligne de chemin de fer de Malaunay à Dieppe une circonstance de nature à modifier cette situation et à faciliter le succès de l'entreprise qu'il envisageait. Après une enquête minutieuse effectuée dans la région de Rouen, par son agent local chargé de la vente du plâtre, il acheta, par l'intermédiaire de la maison de banque M. Goudchaux & Co, de Londres, dont le directeur était frère de ses anciens associés, le charbon que le "Henry & Elisabeth" et l'"Echo" furent chargés de transporter à Dieppe.
II a nettement exposé son plan dans une lettre qu'il écrivit, peu après, le 23 décembre 1848 : « Mon intention, dit-il, est de donner un grand développement au commerce des charbons pour la France. mais, comme il faut un commencement à tout, je porte mon attention d'abord sur les vallées de la Seine inférieure où se fait une forte consommation de charbons et ces vallées je veux les desservir au moyen du chemin de fer de Dieppe à Rouen concurremment avec la rivière la Seine et même par l'un et l'autre moyen, suivant que les frets seront plus favorables, soit au point de Dieppe, soit directement au point de Rouen. »
Satisfait des résultats obtenus par sa première expérience, instruit des principales difficultés à vaincre, il résolut d'aller rapidement de l'avant. Il commença par installer, dès la fin du mois de décembre, un agent permanent à Newcastle, centre d'exportation de charbons anglais le plus important et le plus connu en France. Cette mesure inaugurait, peut-on dire, la mise en œuvre d'une méthode nouvelle. Jusque là les charbons anglais étaient le plus souvent vendus, semble-t-il, par des commissionnaires, des courtiers ou des représentants de mines, ou même par des armateurs ou des capitaines qui les achetaient pour leur compte, y trouvant l'avantage d'un fret de retour et les revendaient à l'arrivée directement ou par consignataires. M. Hyp. Worms voulait, suivant sa propre expression, « éviter les confusions qui existaient en France sur les courtiers, les propriétaires de mines ou les revendeurs », et agir directement auprès des mines pour les convaincre « qu'avec son aide, en limitant leurs prix aux dernières extrémités du possible, elles pourraient battre les charbons belges et s'assurer d'une consommation énorme ». Il comptait, en outre, que l'existence de sa succursale lui donnerait de grandes facilités pour l'étude des ressources de la production anglaise, pour le contrôle des opérations de chargement des navires, pour la surveillance du marché des frets, le choix à faire entre Dieppe et Rouen, suivant les cours, pour le déchargement des cargaisons.
Partant de l'idée qu'il ne lui servirait pas à grand chose de proposer aux mines l'achat de quelques milliers de tonnes qui ne seraient rien pour elles et ne les engageraient pas à consentir un fort rabais, il jugea indispensable de créer en France le plus tôt possible une organisation qui put lui permettre d'opérer avec ampleur.
Il porta d'abord son attention sur Rouen, « point culminant de la Seine inférieure », suivant son expression, où venaient se vendre concurremment et les charbons anglais et les charbons belges. Il y établit immédiatement un agent. Peu après, en avril 1849, il en envoya un autre au Havre, où, sans attendre, il avait déjà commencé ses importations. Il l'installa, 4, rue de la Gaffe et loua sur le quai, vers le milieu du bassin Vauban, un chantier pouvant convenir à la fois pour le plâtre et pour le charbon. Il avait également songé à Dieppe, que certaines personnes croyaient appelé à devenir un port de transit important, grâce au chemin de fer, mais se borna finalement à faire appel aux offices d'une maison déjà existante, pour la réception des navires et les affrètements.
Il enregistra dès le début des résultats encourageants. Par un renversement rapide des choses, l'exportation du plâtre ne fut bientôt plus qu'un accessoire destiné à faciliter son commerce de charbons et à procurer aux navires un fret sur l'Angleterre. Ce point de vue prit, d'ailleurs, une telle importance qu'il l'amena presque aussitôt à traiter des opérations sur d'autres produits, céréales, farines, pommes de terre, etc., très demandés en Angleterre, et que, quelques mois plus tard, au cours de l'année 1850, il songea à faire transiter par Newcastle les marchandises à destination de pays avec lesquels Le Havre n'avait que peu de relations et qui auraient pu trouver place sur les navires charbonniers partant du premier de ces ports. Il devait reprendre une idée analogue quelques années plus tard, dans le but de résoudre la question des frets sur l'Angleterre, qui restait toujours au premier plan de ses préoccupations.
Malgré la concurrence, il avait réussi à la fin de l'année 1849 à imposer son nom. La clientèle se rendait compte, en France, qu'il avait contribué à la baisse des prix. Il put alors se prévaloir auprès de ses fournisseurs anglais des résultats obtenus et établir ses opérations sur des bases plus solides en traitant avec eux d'importants marchés à livrer.
En France, il poursuivit la réalisation méthodique de ses projets. « Je n’ai pas encore abordé le littoral depuis Boulogne jusqu'à Bordeaux, où je compte bien me procurer des débouchée », écrit-il au mois de novembre 1849. Il y a aussi les contrats avec le gouvernement. Si jusqu'à ce jour je n'ai rien fait, c'est que je ne suis pas parfaitement organisé. J'espère à partir du 1er janvier prochain être en position de donner une forte impulsion à ces affaires. » Les réalisations ne tardèrent pas. Au mois de mars 1850, il entra en relation avec un négociant de Bordeaux et lui confia le soin de le représenter dans cette ville. Vers la même époque il commença à prendre part aux adjudications du ministère de la Marine et obtint la fourniture de deux millions de kilos pour bateaux à vapeur à faire à Cherbourg. L'importance que cette fourniture pouvait représenter pour l'époque ressort du fait que pour l'exécuter il fut obligé d'affréter dix huit navires.
Presque en même temps il enregistra, dans le domaine de l'industrie privée, un autre succès marquant en devenant fournisseur d'une société de navigation américaine, la New York and Havre steam Navigation Co, pour le charbon qui serait nécessaire au service direct qu'elle s'apprêtait à exploiter entre New York et le Havre. La navigation transatlantique à vapeur n'avait donné lieu en France jusque là qu'à des tentatives infructueuses. C'était de Liverpool que partaient encore les voyageurs d'Europe pour se rendre en Amérique. L'entrée dans le port du Havre, le 19 octobre 1850, du navire le "Franklin" qui inaugura le service de la New York & Havre Steam Navigation Co, provoqua un vif intérêt et remit à l'ordre du jour la question de l'établissement d'une ligne française. Elle donna lieu à des fêtes au cours desquelles de hautes personnalités officielles, dont le vice-président de l'Assemblée nationale, puis M. de Lesseps, représentant le ministre des Affaires étrangères prirent la parole, et qui firent l'objet, dans la presse, de longs comptes rendus où furent exprimés à la fois le regret que la France se fut laissée devancer et l'espoir qu'elle saurait bientôt rattraper le temps perdu.
Le "Franklin" quitta le Havre le 31 octobre, pour son retour aux États-Unis, après avoir pris 800 tonnes de charbon au dépôt que M. Hyp. Worms s'était engagé à constituer. Il fut doublé, quelques mois après, par un deuxième navire le "Humboldt". Deux faits permettent d'apprécier l'importance de cette fourniture à l'échelle de l'époque : celui que la navigation maritime à vapeur en France n'était encore qu'une navigation côtière ou de faibles parcours, et celui que les descriptions du "Franklin" données par la presse insistaient sur son aspect "plus que gigantesque", "effrayant", etc. En fait, il avait une longueur de 264 pieds anglais et jaugeait 2.195 tonneaux.
Ce succès fut confirmé à son tour, quelques jours après, au mois de novembre, par une autre adjudication importante du ministère de la Marine, par laquelle M. Hyp. Worms obtint une fourniture de 2.500 tonnes à effectuer à la Martinique.
2 - Opérations hors de France - Messageries nationales - Création d'une succursale à Cardiff - Guerre de Crimée
Cette dernière opération, traitée pour des livraisons hors de France, débordait déjà du cadre de ses projets primitifs. Elle ne resta pas isolée. Les adjudications que le gouvernement ouvrait de temps à autre pour les colonies lui fournirent bientôt d'autres occasions de renouveler ses expéditions vers les pays lointains. D'autre part, la reprise économique, qui mettait fin à la crise de 1847, commençait à faire sentir ses effets et provoquait de tous côtés, en France, la naissance d'affaires nouvelles, pour les colonies et pour les pays étrangers où des maisons françaises avaient établi des entreprises. M. Hyp. Worms entra en relations avec des personnalités en vue des milieux industriels ou financiers, procéda à plusieurs études, puis, au début de l'année 1851, traita quelques expéditions à destination de Buenos Aires et Rio de Janeiro, pour lesquelles il préféra, cependant, agir avec prudence et qu'il réalisa en participation avec d'autres maisons.
Ce furent les adjudications de l'Administration pour le ravitaillement des navires affectés aux services maritimes postaux à vapeur qui l'amenèrent le plus vite à traiter des opérations suivies importantes pour des régions situées en dehors de la France continentale. Après une tentative infructueuse, à la fin de l'année 1850, pour le service de Calais à Douvres, il porta son attention sur celui de la Méditerranée qui reliait Marseille à Constantinople. Créé par le gouvernement français, en 1837, au lendemain de l'apparition de la navigation à vapeur, ce service touchait à quelques ports italiens, à Malte, à Syra et à Smyrne et avait une ligne d'embranchement de Syra vers Athènes et Alexandrie. Son exploitation était devenue très onéreuse pour l'État et se conciliait mal avec les besoins du commerce. Le gouvernement décida de la confier à une entreprise privée et entama à cet effet des négociations avec les Messageries nationales qui depuis de longues années effectuaient un service analogue sur le territoire de la France continentale avec les malles-postes et voyaient leur activité réduite par la création des chemins de fer. Ces négociations aboutirent le 28 février 1851 à une convention qui fut ratifiée quelques mois plus tard, par la loi du 8 juillet 1851.
M. Hyp. Worms prévoyait que les modifications en cours de réalisation entraîneraient une grande augmentation des fournitures. Avant même la signature de la convention, il fit procéder à une enquête sur le commerce des charbons à Marseille ; puis, au mois d'avril, il prit part, sans succès cependant, à une adjudication ouverte par l'administration des Postes. Au mois de juillet suivant il renouvela sa tentative et réussit à obtenir une fourniture pour Marseille et une autre pour Constantinople. Dans les deux cas il avait assumé le risque d'envoyer à Marseille de petits chargements, avant de connaître les résultats de l'adjudication, pour être prêt, en cas de succès, à assurer sans retard l'exécution de ses engagements, envisageant même de créer une succursale dans ce port.
La date de la prise en charge du service par les Messageries nationales approchait ; leur première adjudication eut lieu au mois d'août, à Marseille, pour une quantité de 49.800 tonnes à livrer dans différents ports entre le 1er octobre 1851 et le 31 décembre 1853. M. Hyp. Worms y prit part pour la totalité. La fourniture lui fut attribuée pour tous les ports, sauf Marseille qui fut donné à une maison de la place. Il devenait adjudicataire pour 23.600 tonnes de charbon de Cardiff et 13.800 tonnes de charbon de Newcastle, réparties entre Civitavecchia, le Pirée, Athènes, Smyrne, Constantinople, Alexandrie et Naples.
Ce résultat, important en lui-même, le décida à prendre une nouvelle initiative qui devait à son tour contribuer à augmenter ses moyens d'action et sa notoriété. Jusque là il s'était occupé surtout des charbons de Newcastle et de Sunderland. Bien qu'il eût également porté son attention sur les charbons de Cardiff dès le début de l'année 1849, puis formé le projet, à la fin de la même année, de les adjoindre à son commerce, il n'en avait encore que très peu exporté d'Angleterre. Ses accords avec la New York & Havre Steam Navigation Cy en avaient prévu l'emploi et comportaient l'engagement de fournir les 1.000 ou 1.200 premières tonnes en charbon "Duffryn" ou en charbon "Merthyr". Dès ce moment il était convaincu que les charbons de Cardiff étaient appelés à jouer un grand rôle et envisageait de s'établir à Cardiff, ou dans un autre port de la Manche de Bristol. L'adjudication des Messageries nationales, qui les faisait entrer pour près des deux tiers dans le total qui lui était attribué, ne pouvait que hâter sa décision. Il ouvrit une succursale à Cardiff, presque aussitôt, en septembre 1851 et loua à cet effet une petite maison au centre des affaires.
Par cette mesure, M. Hyp. Worms devenait un des premiers négociants en charbon, et probablement même le premier qui fussent installés à la fois à Newcastle et à Cardiff. Placé ainsi aux deux principaux centres d'exportation de charbon d'Angleterre, il se sentait désormais capable « d'aborder les plus grandes affaires dans tous les points du globe où l'on consommait du charbon » et de « livrer partout aussi bien que toute maison anglaise ».
Sa confiance lui venait, sans doute, des succès qu'il avait déjà remportés et de l'importance des achats qu'il était en mesure de faire et qui lui permettait de conclure avec les mines des marchés plus avantageux.
Elle reposait également sur l'organisation qu'il avait donnée à sa maison et, plus spécialement, sur deux traits qui contribuaient à en composer la physionomie et sur lesquels il insistait fréquemment dans sa correspondance : d'une part sa qualité de simple négociant, ni propriétaire de mines, ni inféodé à aucune, et, d'autre part, l'existence de ses succursales anglaises.
Il voyait dans sa qualité de simple négociant une garantie pour ses clients en ce qui concernait le choix des charbons appropriés à leurs besoins. La liberté dont il jouissait à cet égard avait en outre, pour conséquence d'assurer éventuellement plus de régularité à ses livraisons ; en cas de grève ou d'encombrement dans une mine, elle lui laissait la ressource de mettre ses navires en charge dans une autre, pour éviter des retards, et lui permettait d'obtenir ces concessions de la part des capitaines plus surs d'avoir par lui une expédition rapide.
De son côté, la création de sa succursale de Newcastle, qui avait constitué, dès le début, la principale originalité de son entreprise, avait largement contribué à ses succès. Il en faisait un des points d'appui importants de sa politique commerciale ; celui dont il se servait précisément pour vaincre les hésitations de clients qui doutaient qu’à prix égal, et parfois moindres, il put livrer aussi bien que les maisons anglaises.
La création de sa maison de Cardiff qui eut lieu au moment où l'exportation des charbons du Pays de Galles commençait à prendre son immense essor, fortifia encore sa position. Elle lui procura, en outre, une arme pour lutter contre les exigences des mines de la région de Newcastle qui, en présence de l'augmentation générale de la consommation, tiraient profit de leur expérience plus ancienne et de leur réputation plus étendue.
L'importance qu'il attachait à ses maisons anglaises était telle qu'au mois de mars 1851 il décida de modifier à leur profit son organisation en France. Il fusionna alors sa succursale au Havre avec celle de son principal concurrent la maison "Hantier & Fils, Martin & Cie", avec laquelle il partageait la plus grande part de la consommation du Havre, déjà importante, et il céda ses affaires au gérant de sa succursale de cette ville, M. F. Mallet qu'il commandita et qui devint l'associé de M. Hantier, sous la raison sociale "Hantier Mallet et Cie". Il était convenu que la nouvelle maison se consacrerait uniquement au commerce des charbons anglais, que Monsieur H. Worms s'interdirait toute opération de ce genre sur la place, mais que par contre les affrètements dans les ports du nord de l'Angleterre (Newcastle, Blyth et Sunderland) seraient faits par sa succursale de Newcastle, qui chargerait et expédierait les navires ; les mêmes avantages lui étaient formellement réservés pour tout autre port de la Manche de Bristol, pour le cas où il s'y établirait. Il était également stipulé que les deux maisons s'entendraient à l'avenir pour les achats aux mines de manière à obtenir d'elles de meilleures conditions. Par ce sacrifice, pourrait-on dire, de son amour propre de plus grand importateur de charbon anglais en France, il comptait procurer à sa maison de Newcastle et éventuellement à celle de Cardiff, le jour où il la créerait, un supplément d'affaires qui en favoriserait le développement. Il entreprit d'ailleurs bientôt avec un de ses concurrents de Rouen, Monsieur Grandchamp, des négociations qui, après avoir créé entre eux des liens d'intérêt mutuel, aboutirent en 1853, à une association du même genre que celle qu'il avait conclue avec M. Hantier, et en vertu desquelles il ferma également sa maison de Rouen.
Désormais, il se désintéresse de plus en plus des affaires de plâtre ; à la fin de l'année 1851 le commerce des charbons anglais est devenu sa préoccupation dominante et il l'oriente résolument dans toutes les directions. Ses expéditions pour les pays lointains : Amérique du Sud, Guyane, Antilles françaises, deviennent plus fréquentes et il les étend à de nouvelles régions : Cap de Bonne espérance, Mer des Indes, Extrême Orient (Singapour, Macao, Shanghai, Manille) pour compte de la marine française. Au cours de l'année 1853, donnant suite aux études qu'il faisait depuis plusieurs mois, il effectua, en participation avec d'autres maisons, des envois importants à destination de la région de San Francisco où régnait la fièvre de l'or depuis la découverte, en 1848, des mines de Californie. Devant l’augmentation rapide des besoins, il tenta d'établir un courant régulier d'affaires, avec cette région, mais la concurrence que les charbons américains, voire même australiens, ne tardèrent pas à y faire aux charbons anglais, l'amenèrent assez vite à renoncer à ce projet.
Ces envois aux pays lointains étaient malgré tout irréguliers ; le marché fiançais et le marché méditerranéen restaient de beaucoup les plus importants pour lui.
Les conditions particulièrement favorables que rencontrait en Méditerranée le développement de la navigation à vapeur contribuaient à accroître la consommation du charbon à Marseille. Les renseignements qu'il recevait lui présentaient cette ville comme une place où il y vit une admirable position à prendre. Il revint à son ancienne idée d'y établir une succursale, mais le collaborateur sur lequel il comptait lui fit défaut au dernier moment et il ajourna l'exécution de son projet. Il réussit néanmoins à entrer en relations avec plusieurs armements. Il accepta même de participer à la création d'une nouvelle société de navigation, mais l'essai ne répondit pas à ses espérances et il finit par s'en désintéresser, préférant s'en tenir à son rôle de négociant en charbon.
La concurrence cependant y devenait entreprenante. On vit se constituer vers la lin de l'année 1853, une société au capital de trois millions de francs ayant pour objet le commerce des charbons français et étrangers. L'importance, pour l'époque, du capital investi, témoigne de celle que prenait le commerce des charbons sur la place. Elle émut les maisons locales qui envisagèrent même la constitution d'une société concurrente. Des propositions furent faites à Monsieur H. Worms à ce sujet ; il eut lui-même un moment l'idée de créer une association pour le commerce en grand des charbons indigènes et des charbons anglais, mais les événements d'Orient donnèrent un autre cours à ses préoccupations.
L'état de guerre avec la Russie fut annoncé officiellement le 27 mars 1854. La nécessite de transporter et de ravitailler de puissantes forces militaires à plusieurs milliers de kilomètres allait soumettre à une épreuve de grand style la supériorité de la vapeur sur la voile et lui donner en quelque sorte une consécration définitive. De grands besoins de combustibles surgirent brusquement. Une boutade du Commandant du corps expéditionnaire français, le maréchal de Saint Arnaud, rapportée par M. C. Rousset, dans son Histoire de la guerre de Crimée, révèle quelle en fut l'urgence : retardé dans son embarquement pour l'Orient par les difficultés d'organisation, le maréchal écrivait, vers la fin du mois d'avril : « II n'y a de charbon nulle part et Ducos ordonne de chauffer avec le patriotisme des marins ».
M. H. Worms était déjà connu du ministère de la Marine pour les livraisons qu'il lui avait faites ; sa qualité de fournisseur des Messageries nationales lui assurait en outre des facilités exceptionnelles en Méditerranée. Le gouvernement avait fait appel à lui, dès la fin du mois de février, pour des livraisons importantes à Constantinople et à Alger et d'autres plus restreintes à Bône, Oran et Stira ; il lui en confia bientôt un grand nombre d’autres, qui englobèrent également les besoins pour la campagne de la Baltique.
Ses livraisons s'élevèrent en 1854 à plus de 100.000 tonnes. A cet important tonnage s'ajoutaient les quantités qu'il avait à fournir aux Services maritimes des Messageries nationales. Celles-ci avaient décidé de rendre ces services indépendants et constitué à cet effet, le 19 janvier 1852, une société spéciale : "la Compagnie des services maritimes des Messageries nationales" qui, le 28 février 1853, prit le nom de "Compagnie des services maritimes des Messageries impériales", et plus tard, le 1er août 1871, celui de "Messageries maritimes". Cette nouvelle société lui conservait sa confiance, renouvela chaque année ses accords avec lui, et augmenta même l'importance au fur et à mesure du développement de ses services et les étendit à de nouveaux ports d'escale (Beyrouth, Alexandrette). A la fin de l'année 1855, elle lui remit également le soin de pourvoir à ses approvisionnements à Marseille même.
Les marchés du gouvernement français augmentaient sa notoriété dans les régions méditerranéennes, où il cherchait à étendre son activité en Espagne et en Italie. C'est en Italie qu'il obtint les meilleurs résultats : en 1856 les Chemins de fer lombards-vénitiens lui confièrent une première fourniture, à effectuer à Venise.
3. Navigation à hélice - Premiers achats de navires - Charbon du Yorkshire - Création d'une succursale à Grimsby
D'une manière générale l'intense activité économique qui régnait alors provoquait partout en France la création de nouvelles affaires. Les réductions introduites dans le tarif des douanes pour la houille furent le départ d'une lutte ardente sur le marché de Rouen entre les charbons anglais et ceux de Belgique et du nord de la France. En même temps, les progrès réalisés par la construction des voies ferrées dans l'ouest et dans la sud-ouest posaient la question du ravitaillement des chemins de fer par les ports de Bordeaux et de Nantes.
La navigation à hélice commençait à entrer dans le domaine des réalisations pratiques. Tenu au courant par sa maison de Newcastle des premiers résultats obtenus, M. H. Worms y vit le moyen de faciliter le développement de ses opérations. L'arrivée à Rouen, le 26 novembre 1852, d'un navire anglais, le s/s "Henwick" mû par ce mode de propulsion et porteur d'un chargement de houille en provenance de Liverpool, puis l'annonce de projets anglais pour l'importation en grand du charbon en France et enfin l'établissement d'un service entre Cardiff et Bordeaux donnèrent à la question un caractère pressant. Il préféra cependant ne rien précipiter et chercha d'abord à louer un navire à hélice en Angleterre pour quelques mois, mais les exigences auxquelles il se heurta ne lui permirent pas de donner suite à ce projet. Il décida alors d'étudier en commun, avec ses amis, MM. Hantier Mallet & Cie et M. Grandchamp, ce qui se faisait en Angleterre. M Mallet procéda à une enquête dans plusieurs chantiers de constructions navales, puis dans les différents ports de chargement de charbon.
Ils en tirèrent la conclusion que l'entreprise comportait des risques mais qu'il était urgent d'agir et prirent le parti de faire construire deux navires : un pour le Havre, au compte de MM. Hantier et Mallet et un autre pour Rouen, au compte de la maison Grandchamp Fils. Ils donnèrent la préférence à la construction anglaise moins coûteuse et plus expérimentée. Étant donné la législation douanière en vigueur ce choix leur assurait l'avantage de pouvoir affréter, à l'occasion, les navires pour des transports de port anglais à port anglais, dans le cas ou ils n'en auraient pas l'emploi pour des voyages en France et, s'ils venaient à décider de les revendre, celui de pouvoir le faire en Angleterre, où ils auraient vraisemblablement plus de facilités qu'en France.
Ils fixèrent leur choix sur les chantiers Samuelson & Co, de Hull, à qui ils passèrent la commande au mois d'août 1854. Pour réaliser l'opération, ils procédèrent immédiatement à une augmentation du capital de la maison Hantier et Mallet et de la participation de M. H. Worms. La raison sociale de la maison Hantier et Mallet fut alors changée et devint : Hantier Fils Mallet & Cie. Les premières commandes furent d'ailleurs suivies d'autres, peu après.
Pour Bordeaux, M. Hypolite Worms différa sa décision. Depuis quelque temps il avait engagé, avec les Chemins de fer du Midi, des négociations de nature à influer sur ses projets. L'approche de la mise en service des tronçons de Lamothe à Dax et de Dax à Bayonne qui achevaient la liaison directe entre Paris et Bayonne, et celle du tronçon Bordeaux Langon, faisaient prévoir la nécessité d'importants approvisionnements en combustible. Au cours des conversations qu'il eut avec la direction du Chemin de fer, l'utilisation de navires à hélice fut envisagée à la fois pour le transport du charbon et pour l'exportation des marchandises en provenance du réseau ferré. Deux premiers marchés d'importance modeste préparèrent la voie à d'autres discussions qui aboutirent le 24 février 1856 à un accord d'une plus grande portée, et par lequel M. H. Worms prenait l'engagement de fournir par an, aux Chemins de fer du Midi, à leur choix, 10 ou 20.000 tonnes de charbon de Cardiff pendant 3 ou 6 ans, à l'option des Chemins de fer, étant entendu que dans le cas où le transport serait effectué par des navires à hélices, les chemins de fer du Midi auraient la faculté de les utiliser, au retour, pour des transports de marchandises de Bordeaux à Cardiff.
Parallèlement à ces pourparlers, il avait entrepris des recherches pour un affrètement au temps, à titre d'essai, mais ses démarches n'aboutirent pas. La guerre avec la Russie et l'activité générale avaient créé de tels besoins que ces navires étaient presque introuvables, leur rareté était aggravée par la grande faveur dont ils commençaient à bénéficier. Il se décida alors à en commander, en juin 1855, un semblable à ceux déjà en construction. Cette commande fut suivie d'une deuxième en octobre, puis, en novembre suivant, de l'achat par lui, de celui de la maison Grandchamp Fils.
De nouvelles perspectives s'ouvraient devant Monsieur Hypolite Worms. Il voyait s'augmenter simultanément le volume possible d'affaires et la puissance des moyens d'action dont il allait pouvoir disposer. Par contre, l'accroissement général de la consommation de charbon entraînait une aggravation des exigences des mines, il se préoccupa alors de se procurer une autre source de ravitaillement et demanda à MM. Samuelson & Co de le renseigner sur les conditions dans lesquelles il serait possible d'entreprendre l'exportation des charbons de la région de Hull. MM. Samuelson & Co lui firent valoir les avantages que le port de Grimsby, alors peu encombré, présentait sur la Tyne pour le chargement des navires et se firent auprès de lui les interprètes de propositions tendant à la mise sur pied d'une combinaison basée sur des opérations importantes
Malgré sa situation avantageuse, ce port était resté dans l'oubli jusqu'en 1845 mais avait été transformé, vers cette époque, et doté d'une organisation appropriée aux exigences du commerce maritime. La démarche de M. H. Worms se produisit au moment où les principaux intéressés envisageaient la création d'une société destinée à lui donner de la vie ; elle trouva un accueil des plus favorables. Le Manchester Sheffield & Lincoln Railway Co facilita l'envoi à Rouen et à Bordeaux de petits chargements d'essai. M. H. Worms se rendit alors en Angleterre et se mit en rapports avec un groupe de personnalités, dont le directeur du Manchester Sheffield & Lincoln Railway Co ; à la suite des entretiens qui eurent lieu, une offre lui fut remise pour une participation dans la constitution d'une Société franco-anglaise de navigation.
Satisfait des résultats donnés par les échantillons de charbon qu'il s'était fait expédier, il résolut d'entreprendre l'importation du charbon du Yorkshire sur une grande échelle. II gagna à ses idées ses amis, MM. Hantier, Mallet et Grandchamp et constitua avec eux un groupe français pour la création de la société en projet. Leurs pourparlers avec les promoteurs anglais aboutirent à un accord le 28 novembre 1855.
Fidèle à la politique qu'il avait déjà suivie à plusieurs reprises, il décida alors d'établir immédiatement sa Maison à Grimsby. II ouvrit une succursale dans cette ville le 1er janvier 1856, sous la direction de M. Henry Josse, qui était adjoint depuis l'année 1853 au directeur de sa maison de Newcastle et qui devait devenir plus tard son associé.
Corrélativement, il adopta une autre mesure dont les résultats ne répondirent pas à ses espoirs et qui n'eut qu'une durée éphémère. Suivant, semble-t-il, le courant d'opinion créé par la modification du tarif douanier de la houille et qui suscita vers la même époque plusieurs autres initiatives du même genre, il constitua, le 10 janvier 1856, également avec ses amis, MM. Hantier Mallet & Cie et avec la maison A. Grandchamp Fils, une autre société dans le but d'entreprendre l'importation du charbon anglais, plus particulièrement celle du charbon du South Yorkshire, sur le marché de Paris. M. H. Worms était président du Conseil de surveillance. La société ne vécut qu'une année et fut dissoute le 31 décembre 1856.
Le 13 mars 1856, la Société franco-anglaise était elle-même définitivement constituée et enregistrée sous la raison sociale "The Anglo-French Steam Ship Company Ltd", au capital de 100.000 Livres. Son siège était à Grimsby, elle avait pour objet statutaire la construction, l'achat et l'affrètement des navires à vapeur ou autres, le commerce et la navigation entre les ports français et les ports anglais, mais, dans les conventions préliminaires, il avait été précisé qu'un de ses buts serait le développement de l'exportation vers la France des charbons du South Yorkshire et que M. H. Worms et ses amis feraient tous leurs efforts pour introduire ces charbons sur le marché français et y développer leur consommation. Il avait été convenu, en outre, entre autres choses :
1°) que M. H. Worms, M. Grandchamp et MM. Hantier Mallet & Oie souscriraient, réunis, le tiers du capital ;
2°) que neuf navires à hélices seraient affectés immédiatement par la Société au transport des charbons et toutes autres sortes de marchandises, pour toutes destinations, mais qu'un tiers de ces steamers serait réservé au trafic maritime du port de Great Grimsby.
En exécution des accords intervenus, la Société fit l'acquisition des trois navires en construction dans les chantiers Samuelson & Co pour le compte de M. H. Worms et de ses amis. Elle les affréta immédiatement pour douze mois : le premier, appelé "Eugénie", à M. Worms, le deuxième, appelé "Victoria", à M. Grandchamp et le troisième, appelé "Napoléon", à MM. Hantier Mallet & Cie.
Le s/s "Eugénie" quitta Grimsby pour son premier voyage le 12 avril, avec 505 tonnes environ de charbon à destination de Dieppe.
Le s/s "Victoria" suivit quelques jours après à destination de Rouen. Le s/s "Napoléon", retardé par des avaries, ne quitta Grimsby que le 5 juillet pour Le Havre. Ces deux navires emportaient également un chargement de charbon.
Les arrangements conclus avec l'Anglo-French Steam Ship Cy, ayant eu surtout en vue l'exportation du charbon du Yorkshire, M. H. Worms restait placé dans la même situation que par le passé pour les charbons d'autres provenances. En ce qui concernait Bordeaux, leur tonnage allait se trouver considérablement accru du fait des engagements qu'il avait pris envers le Chemin de fer du Midi et également du fait d'un autre contrat intervenu avec le Chemin de fer de Paris à Orléans et de l'extension qu'il envisageait de donner à ses opérations vers les régions de Toulouse et d'Angoulême. De différents côtés on voyait, en outre, naître des projets de création de lignes de navigation à vapeur faisant escale à Bordeaux. Pour faire face à ces besoins nouveaux, il loua en mars 1856, pour 12 mois, le navire à hélice s/s "Vulture" pour des transports exclusifs entre Cardiff et Bordeaux. Ce navire quitta Cardiff pour un premier voyage le 11 avril 1856, avec 608 tonnes de charbon.
Deux navires dont il avait conservé la propriété entière, le s/s "Séphora" et le s/s "Emma" furent lancés et entrèrent en service. Le s/s "Séphora" quitta Grimsby le 30 août 1856 pour son premier voyage, avec 672 tonnes de charbon, cargaison et soutes comprises, à destination de Bordeaux où il arriva le 6 septembre. Il est, sinon le premier navire à vapeur utilisé par M. Worms, du moins l'aîné de sa flotte. Il fut suivi, un mois plus tard, par le s/s "Emma", qui entreprit son premier voyage le 1er octobre.
Enfin, vers la même époque, le s/s "Lucien" était mis provisoirement à la disposition de M. H. Worms par l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd et se rendait également à Bordeaux où il arriva sur rade le 22 octobre 1856.
M H. Worms et ses amis se trouvaient ainsi, en peu de temps, avoir à leur disposition une flotte de six navires à vapeur dont il fallait assurer l'utilisation. Des problèmes nouveaux allaient se poser pour eux.
4. Services maritimes
En intégrant les transports maritimes à son commerce de charbons, M. Hyp. Worms avait pour but de donner à ses expéditions d'Angleterre une régularité et une fréquence qui lui permettraient d'éviter l'encombrement dans les ports de débarquement, de diminuer les frais de stockage et de manutentions et d'obtenir des mines de meilleures conditions en échange des avantages qu'elles retireraient d'un enlèvement rapide. Il n'entendait cependant pas se cantonner dans le rôle du négociant-amateur qui du temps de la marine à voile ne mettait qu'exceptionnellement ses navires au service d'autrui et les chargeait ordinairement avec ses propres marchandises. Le transport de marchandises diverses, à la fois comme complément de fret au départ d'Angleterre et comme cargaisons entières au retour, lui paraissait indispensable pour assurer le succès de son entreprise.
Dans la mesure où son plan concordait avec les buts de l’Anglo-French Steam Ship Co Ltd, il comptait sur l'appui des promoteurs de la société. Il hésitait, cependant, à sortir de son rôle de négociant en charbon et songea, tout d'abord, à faire appel à l'expérience des Messageries impériales pour l'étude et la réalisation de combinaisons de transport. Il revint, à cette occasion, à son ancienne idée d'organiser un service de transit par les ports charbonniers de l'Angleterre, songeant cette fois à Grimsby. Il ne lui paraissait pas impossible de détourner par ce port une partie des matières premières en provenance de Liverpool et des produits manufacturés des régions de Manchester, Sheffield, etc. à destination du continent et de la Méditerranée et, en sens inverse, une partie des transports du midi, du centre et du nord de la France à destination de la Hollande, de Hambourg et de la Baltique.
Les Messageries impériales étaient alors absorbées par des négociations qu'elles poursuivaient avec le gouvernement français en vue de la création de services postaux transatlantiques. Elles ne purent pas s'intéresser immédiatement à ses propositions. Pressé d'organiser son service, il s'entendit alors avec une maison de Dieppe à laquelle il affréta son navire "Séphora" et, éventuellement, le "Emma" pour des voyages de Bordeaux vers Dieppe et Grimsby.
Le contrat d'affrètement fut signé à la fin du mois d'août 1856. Comme son exécution se heurtait à l'interdiction pour les navires anglais de faire du cabotage en France, M. Hyp. Worms décida de faire franciser les deux navires.
Les formalités nécessaires furent accomplies à Bordeaux.
En même temps ; ses amis MM. Hantier Mallet & Cie et M. Grandchamp entreprirent, en accord avec lui, la création de services entre Grimsby, d'une part, Dieppe, Le Havre et Rouen, d'autre part, avec les vapeurs "Eugénie", "Napoléon" et "Victoria".
Encouragé par les premiers résultats obtenus, M. Hypolite Worms fixa avec M Grandchamp les bases d'une entente pour l'organisation d'un service régulier entre Grimsby, Rouen et Dieppe.
Dès le début, les difficultés furent nombreuses. Il sentit alors la nécessité d'avoir à Bordeaux un personnel très qualifié et ouvrit dans cette ville, le 1er janvier 1857, une succursale à son propre nom.
II étudia longuement le moyen d'assurer le succès des accords qu'il avait passés avec l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd. Il soumit à la société plusieurs propositions, mais l'entente ne put être réalisée et il mit fin, en mars 1858, à sa participation. MM. Hantier Mallet et Cie suivirent son exemple. A titre de rachat de leurs actions, les deux maisons obtinrent la propriété des steamers "Lucien" et "Victoria". Cette rupture ne modifia pas ses intentions concernant l'exportation des charbons du Yorkshire, mais elle eut d'importantes conséquences sur l'activité de sa maison.
Entre-temps, l'affrètement du vapeur "Séphora" avait donné lieu à quelques difficultés. M Hypolite Worms se vit obligé de le résilier. Il continua pendant quelque temps à le faire naviguer sur le même parcours, puis affréta, pour une courte durée, le "Séphora", à une maison du Havre pour des voyages à Hambourg, et ensuite le même navire et le "Emma" à une maison de Dunkerque pour des voyages dans la Baltique et de Bordeaux à Dunkerque. Le "Emma" se rendit à Copenhague et à Cronstadt en décembre 1857 mais fit naufrage au début de janvier 1858. Le renouvellement de la charte-partie pour "Séphora" ne fut pas envisagé. MM. Hantier, Mallet & Cie et lui-même étant devenus propriétaires du "Lucien" et du "Victoria" en raison de la cession faite par l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd, M. Worms proposa à ses amis d'entreprendre avec les trois navires des transports directs de Bordeaux sur Le Havre et Cronstadt.
Le premier voyage semble avoir été accompli par le s/s "Lucien", qui arriva à Cronstadt vers la fin du mois de mai 1858 ; les résultats obtenus furent satisfaisants. M. H. Worms et MM. Hantier Mallet et Cie renouvelèrent l'expérience pendant la saison 1859. Ils la prolongèrent pendant quelque temps encore, mais d'une façon assez irrégulière. Ils avaient trouvé entre-temps une nouvelle utilisation qui ne devait pas tarder à se révéler plus avantageuse.
Ligne de Bordeaux-Le Havre- Hambourg
Encouragé par les renseignements que lui procurait sa maison de Bordeaux, Monsieur Hypolite Worms s'était décidé, en effet, à entreprendre également des transports directs entre ce port, Le Havre, et Hambourg et à faire un essai pour son compte personnel avec le "Séphora". Le premier départ, retardé par la crainte des glaces, eut lieu le 16 février 1859[1]. Le navire arriva à Hambourg le 22 février. Le "Lucien" suivit dès le début de mars, MM. Hantier Mallet & Cie s'étant décidés à leur tour à envoyer également ce navire à Bordeaux charger pour cette destination. Tout semblant bien marcher, M. H. Worms décida de continuer la ligne ; MM. Hantier Mallet & Cie acceptèrent d'adjoindre un autre navire, le s/s "Gabrielle", pour départs réguliers. II fut convenu que chacune des deux maisons conserverait la direction de son steamer.
Les difficultés ne manquèrent pas et furent accrues un moment par la concurrence, qui ne tarda pas à s'établir ; vers la fin de l'année 1860 les résultats commencèrent cependant à devenir satisfaisants et s'améliorèrent encore par la suite.
En 1864, M. H. Worms et M. Mallet rendirent leur collaboration plus étroite par un échange de parts dans la propriété respective de leurs navires ; M. H. Worms cédant à M. Mallet 1/3 de la propriété de son "Séphora" en échange de 1/6 de la propriété de chacun des "Lucien" et "Gabrielle".
La mise en vigueur des traités de commerce conclus entre la France et l'Allemagne venant autoriser de nouveaux espoirs, M. Hypolite Worms accepta de participer à l'achat d'une autre unité qui fut francisée en mars 1866 et reçut le nom d'"Isabelle". En 1867 leur flotte s'accrut encore du "Neptune" qui reçut le nom de la petite-fille de Monsieur Hypolite Worms "Marguerite". En janvier 1868, celle de la ligne comptait six navires portant chacun 400 à 600 tonneaux.
Interrompu par la guerre franco-allemande, le service reprit au mois de mars avec le s/s "Blanche". En mai suivant, un nouveau steamer, le "Président", également acheté en commun par M. Hypolite Worms et M. Mallet, lui fut également affecté.
En 1873, le s/s "Marguerite" disparut sans laisser d'indices sur la cause de sa perte.
Au mois de janvier 1873, un arrêté préfectoral avait autorisé M. Hypolite Worms à installer au quai des Chartrons à Bordeaux un embarcadère devenu nécessaire pour le fonctionnement du service.
Ligne d'Anvers
En 1869, il fut vivement sollicité par le directeur de sa maison de Bordeaux de créer une ligne Bordeaux-Anvers. Craignant l'insuffisance des frets de retour, il se borna d'abord à affréter des navires anglais pour les voyages d'aller, sans se préoccuper des retours, puis, au mois de décembre de la même année, il fit l'acquisition d'un nouveau navire, le s/s "Marie", qui chargea pour Anvers vers le mois d'avril 1870. Après la guerre franco-allemande ce navire reprit ses voyages au mois de mai 1871 et fut renforcé par des steamers étrangers affrétés ; mais les taux d'affrètement étant devenus trop élevés pour permettre la lutte contre la concurrence, M. H. Worms acheta le s/s "Commandant Franchetti". En fait, pour ses débuts, ce navire fit d'autres navigations : il fut envoyé à Sunderland, puis à Brême et, de là, à Newcastle et à Archangel, puis à Cronstadt, en 1878, et entreprit plusieurs voyages en Méditerranée et dans le Proche Orient.
Ligne Bordeaux-Rouen
Vers le mois d'avril 1868, M. Hypolite Worms donna son accord à MM. Mallet & Cie pour la création d'une ligne Bordeaux-Rouen.
5. Fournitures de charbons de soutes à la navigation au long-cours - Création de succursales à Marseille et à Port-Saïd
Suivant l'évolution générale de l'industrie des transports maritimes, M. Hyp. Worms rendit l'exploitation de ses navires autonome et indépendante. Mal placé à Paris pour solutionner lui-même les nombreux problèmes qu'elle soulevait, il laissa l'administration courante à sa maison de Bordeaux et à ses amis MM. Hantier Mallet et Cie au Havre. Il s'en rapporta de plus en plus à ces derniers pour la direction technique et se borna à partager avec eux la direction générale.
Il conserva ainsi plus de liberté pour se consacrer à son commerce de charbon pour lequel il prévoyait encore la possibilité de larges développements. L'immense courant d'activité qui ne cessait de s'étendre de tous côtés ouvrait à son esprit d'entreprise un champ d'action de plus en plus vaste.
Sa situation à Newcastle l'avait amené, avant même la création de sa maison de Grimsby et ses accords avec l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd, à envisager des exportations de charbon vers l'Allemagne du Nord et les Pays de la Baltique, qui étaient en relations fréquentes avec les centres charbonniers de l'Angleterre. Déjà, d'ailleurs, en 1854, lors de la guerre contre la Russie, il avait été appelé par le gouvernement français à faire des livraisons à Kiel pour la flotte, en prévision de la campagne de la Baltique. Peu d'années après, en 1857, il s'entendit avec une maison de Hambourg qui accepta d'agir pour lui et réussit à traiter quelques affaires. Il envisagea alors d'établir une succursale dans cette ville, mais renonça à cette idée à la suite d'une enquête qu'il fit sur place. Quelques années plus tard, en 1863, son attention fut attirée également sur Stockholm : là encore, les possibilités qu'il entrevit ne lui parurent pas suffisantes. Il se borna à vendre sous verges et traita, sur cette base, quelques affaires pour ce port et d'autres ports voisins, dont Cronstadt.
Dans la partie occidentale du bassin méditerranéen, fort de la situation qu'il s'était acquise à Marseille et encouragé par des promesses qui venaient de lui être faites pour compte de la Compagnie russe de navigation et de commerce[2], il mit à exécution, au début de l'année 1858, son ancien projet d'y ouvrir une succursale, à la fois pour le commerce des charbons anglais et pour les transports maritimes. Il installa ses bureaux 29, rue Paradis. Dès le début cette nouvelle succursale fournit une grande partie des compagnies de bateaux à vapeur et les relations de M. H. Worms en Angleterre lui amenèrent des demandes pour des navires étrangers ; mais par suite d'une élévation considérable des frets, les charbons anglais devinrent très chers et perdirent bientôt du terrain au profit des charbons indigènes. Bien qu'il jugeât déjà que les charbons anglais seraient prochainement et totalement exclus de Marseille, il n'en conserva pas moins une succursale et chercha à faire lui-même un large appel aux charbons indigènes.
En Espagne, le développement que commençait à prendre l'industrie gazière et la constructions des chemins de fer lui fournit l'occasion de traiter quelques affaires avec le gaz de Madrid (1858), avec le chemin de fer de Madrid à Saragosse et à Alicante, avec le chemin de fer de Cordoue à Séville, etc.
En Italie, à la suite de ses anciennes opérations, il s'était trouvé un moment dans l'obligation de prendre à son compte l'exploitation d'une usine à gaz portatif à Turin ; après avoir cherché à donner un peu de vie à l'affaire il y renonça et ferma cet établissement (1865). Entre temps, dans l'espoir que le développement de l'industrie et des chemins de fer déterminerait à Gênes un commerce considérable de charbons, il avait décidé, en 1858, d'y avoir un agent mandaté à l'effet de traiter pour son compte, dans les ports italiens de la Méditerranée et de l'Adriatique. Il obtint ainsi quelques ordres de la Marine royale sarde, du Chemin de fer Victor Emmanuel, etc. mais l'activité de ce port ne tarda pas à décliner par suite des troubles politiques. M. H. Worms décida alors, en 1868, de céder sa Maison.
Il n'en continua pas moins à réaliser par ailleurs d'importantes opérations dans le reste de la péninsule.
En Autriche, il ne traita que très peu d'affaires, dans le sud du pays, mais en 1868, il eut la satisfaction de devenir le fournisseur du Lloyd autrichien dont les commandes prirent une certaine importance.
En Algérie, il ne semble pas que les besoins fussent encore bien grands en dehors de ceux de la navigation qui allaient d'ailleurs en augmentant. Il fit cependant quelques marchés, en participation avec une maison amie, puis, en 1867, il en conclut un avec le chemin de fer de Paris à Lyon pour compte du réseau algérien.
Ce fut surtout l'ampleur prise par la fourniture de charbon de soutes à la navigation à vapeur au long cours qui marque les progrès de ses opérations.
Comme en témoigne le questionnaire même de l'enquête ouverte en France en 1862, sur la situation de la Marine marchande, l'avenir de la navigation à vapeur semblait encore incertain. Le prix élevé du charbon, l'énorme consommation qu'exigeaient les machines de l'époque et les difficultés de ravitaillement en cours de route constituaient le principal obstacle à son développement. L'emploi de l'hélice et les perfectionnements apportés aux machines marines levèrent la difficulté. En améliorant le rendement et en diminuant la consommation de charbon, ils remédièrent à sa cherté et permirent de réduire à bord l'espace réservé au combustible, au profit des marchandises payant un fret. La marine à vapeur s'empara alors de plus en plus du mouvement maritime.
Sous l'influence de cette évolution, les routes maritimes se modifièrent, des escales nouvelles et des dépôts de charbons de soute appelés à prendre un grand développement furent créés ; les mers commencèrent à être sillonnées par des navires apportant à ces dépôts le charbon de provenance anglaise. Cette fois encore M. Hyp. Worms marcha en tête du progrès ; il prit une position qui assura à sa Maison une part importante dans le nouveau trafic.
Tout d'abord, après avoir renoncé définitivement aux opérations qu'il avait entreprises en Californie, il continua à traiter quelques marchés pour l'Amérique du Sud, puis pour le Cap et l'Extrême-Orient, ceux-ci pour compte du ministère de la Marine française, mais ces opérations, assez irrégulières, ne furent que le prélude à d'autres plus importantes dont l'occasion n'allait pas tarder à se présenter.
Les tentatives de navigation à vapeur transocéaniques se multipliaient ; en France, la question des services transatlantiques depuis longtemps sur le tapis, était à la veille d'aboutir à une solution pratique, en même temps que l'Extrême-Orient attirait de plus en plus l'attention.
Tout d'abord, lorsque le gouvernement français eut décidé, en 1857, l'établissement d'un triple réseau postal sur l'océan Atlantique, la Compagnie des messageries impériales obtint la concession du réseau sud, s'étendant de Bordeaux et de Marseille, puis de Bordeaux seulement au Sénégal, au Brésil et à la Plata. Au mois de janvier 1860, elle confia à M. Hyp. Worms des ordres pour les fournitures à faire à ce nouveau service et pour la constitution de stocks à Bordeaux, Lisbonne et Rio-de-Janeiro.
En 1861, après que la France eut pris possession de la Cochinchine, cette même Compagnie passait avec le gouvernement français une autre convention (22 avril) qui établissait un service de Marseille pour l'Extrême-Orient, en correspondance avec un paquebot partant de Suez, et dont le chemin de fer d'Alexandrie à Suez transporterait les passagers et les marchandises de la Méditerranée à la mer Rouge, à l'imitation du service de la Malle des Indes, assuré déjà depuis l'année 1840, par la Compagnie anglaise péninsulaire et orientale. Les Messageries impériales firent de nouveau appel à M. H. Worms et le chargèrent d'assurer leurs approvisionnements à Aden, à Pointe-de-Galle qui était alors le port de Ceylan et fut remplacé, en 1862, par Colombo, et à Calcutta. Elles étendirent leurs ordres à Singapour et à Hong-Kong, dès que l'extension du service le rendit nécessaire.
M. Hyp. Worms devenait ainsi fournisseur des services postaux français appelés à desservir deux des plus importantes routes maritimes du monde, à une époque où la grande navigation transocéanique commençait seulement à prendre véritablement son essor.
Les expéditions de charbon qu'il allait ainsi avoir à faire d'une manière suivie à Aden et aux ports au-delà de la mer Rouge par la route du Cap, près de huit ans avant l'ouverture du canal de Suez, l'amenaient naturellement à attacher une importance particulière à la question du transit à travers l'Égypte, à laquelle il avait, d'ailleurs, déjà d'autres raisons de s'intéresser.
Le service de transbordement par terre, d'Alexandrie à Suez, organisé par la Compagnie péninsulaire et orientale en 1840, à la suite des essais du lieutenant Waghorn, bien que considérablement amélioré entre les années 1845 et 1860, par la construction d'une voie ferrée reliant Alexandrie à Suez était très onéreux et ne convenait qu'aux voyageurs et aux marchandises de grande valeur. L'idée d'une voie d'eau accessible aux navires de mer était entrée dans la période de réalisations Les actes de concession confiant à M. Ferdinand de Lesseps le soin de constituer une société sous le nom de "Compagnie universelle du canal maritime de Suez "pour" le percement de l'isthme et l'exploitation d'un passage propre pour la grande navigation" avaient été accordés les 30 novembre 1884 et 5 Janvier 1856. La société avait été constituée le 15 décembre 1858 et le premier coup de pioche donné le 25 avril 1859 à l'emplacement du futur Port-Saïd.
La prospérité économique de l'Égypte et l'activité provoquées dans le pays par les travaux du Canal avaient procuré à M. Hypolite Worms l'occasion de faire aux industries locales, aux chemins de fer et au gouvernement des fournitures qui s'ajoutaient à celles qu'il effectuait aux Messageries impériales à Alexandrie. En 1865, lorsque la suppression de l'emploi de la main d'œuvre indigène réquisitionnée pour la construction du Canal rendit nécessaire l'utilisation d'un outillage mécanique puissant, il eut la satisfaction de devenir fournisseur de Messieurs Borel, Lavalley & Cie qui étaient chargés d'une partie des travaux et en devinrent bientôt les principaux entrepreneurs. Leurs commandes prirent rapidement une grande extension. Malgré les difficultés qu'il éprouvait pour trouver les navires nécessaires aux transports, il ne recula pas devant la responsabilité qu'entraînait la nécessité d'approvisionner les chantiers dans les délais imposés par la marche des travaux. Peu après, il devint également le fournisseur de la Compagnie du canal elle-même. Il avait alors le sentiment que l'Égypte présentait des perspectives de très grandes affaires, au point qu'il songea un moment à établir une succursale à Alexandrie, associant même à cette idée celle de la création d'une ligne de navigation que lui avaient soumise ses amis Messieurs Hantier Mallet & Cie.
Les circonstances l'amenèrent cependant à donner à ses intentions une autre orientation.
Entre-temps, en 1865, s'était en effet produit un événement qui marque une étape heureuse dans l'histoire de la construction du Canal. Sans avoir eu des conséquences immédiates importantes sur les opérations de M. Hyp. Worms, elle présentait un grand intérêt pour le commerce de l'Europe avec les pays au-delà de l'Isthme de Suez, et en particulier pour celui des charbons de soute nécessaires aux navires qui assuraient déjà un service entre Suez et ces pays.
Le 15 août 1865, la fête de l'empereur fut célébrée à Ismaïlia par l'ouverture de l'écluse mettant en communication le canal maritime, qui conduisait déjà les eaux de la Méditerranée jusqu'au lac Timsah, avec le canal d'eau douce, et par le passage d'une cargaison de 300 tonnes de houille, en chalands, traversant l'Isthme par le canal maritime jusqu'à Ismallia et par le canal d'eau douce jusqu'à Suez. Le départ avait eu lieu le 13, le convoi entra dans la mer Rouge dans la journée du 26. Le transit, par voie d'eau, d'une mer à l'autre, sans solution de continuité au cours de la traversée de l'Isthme, devenait ainsi un fait accompli.
Ce n'était pas par un effet du hasard que la houille constituait le premier chargement appelé à inaugurer la nouvelle voie. Les steamers des Messageries impériales et de la Compagnie péninsulaire et orientale naviguant dans l'océan Indien, à qui les trois cents tonnes étaient destinées, en consommaient déjà de grandes quantités qui leur parvenaient par le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Si onéreuse que fût cette route, elle était plus économique et plus rapide que la voie maritime du Cap. Le bulletin "L'isthme de Suez" signalait, en 1856, qu'un navire charbonnier parti de Liverpool le 16 octobre 1855 pour le compte de la Compagnie péninsulaire et orientale, avec un chargement de 600 tonneaux de houille n'était arrivé à Suez que le 11 juin 1856 !
La Compagnie du canal organisa elle-même une navigation provisoire assurant le transport direct des marchandises et des voyageurs entre Port-Saïd et Suez et vice-versa, dans le but, à la fois, d'assurer la régularité de ses propres approvisionnements, d'attirer les navires à Port-Saïd et de préparer le commerce à l'usage du Canal maritime.
Moins coûteuse que le chemin de fer, cette navigation de transit avait, en outre, l'avantage de moins exposer le charbon à la poussière du désert et de diminuer les risques de concassage en cours de route. M. Hyp. Worms en tira profit pour adresser à la Compagnie péninsulaire et orientale des propositions qu'il eut la satisfaction de voir accepter au mois de novembre 1867. Il devint alors à la fois fournisseur de cette Compagnie et de la Compagnie des messageries impériales à Suez. Les charbons débarqués à Port-Saïd étaient transbordés sur les chalands de la Compagnie du canal et rendus par les soins de celle-ci devant les dépôts des réceptionnaires.
Dans son rapport à l'assemblée générale des actionnaires de la Compagnie du canal, le 2 août 1869, M. de Lesseps signala que ce service de transit avait transporté, d'une mer à l'autre, 12.000 tonnes de charbon en 1867 et plus de 26.000 en 1868 et que les prix du combustible à Suez avaient immédiatement diminué de 25%.
D'une manière générale, le commerce n'avait pas tardé à utiliser les commodités qui lui étaient offertes. Port-Saïd devint alors une station pour les paquebots des principales compagnies qui naviguaient dans la Méditerranée. Lorsque l'avancement des travaux permit de prévoir l'ouverture prochaine du canal maritime. M. Hyp. Worms décida d'avoir un dépôt de charbon à Port-Saïd et un autre à Suez et de fonder immédiatement une succursale d'abord à Port-Saïd et, à brève échéance, à Suez. Prévoyant que le passage des vapeurs produirait un mouvement de fonds considérable et que le transit par le canal provoquerait des affaires de banque très importantes, il décida que sa succursale s'occuperait également de banque, de transit, de commission et de consignation, tout en conservant le charbon comme base principale de son activité.
Son premier souci fut de constituer en temps utile un approvisionnement en vue de pourvoir aux besoins éventuels des navires qui prendraient part aux fêtes de l'inauguration. Il appela l'attention de la Compagnie du canal sur l'utilité de cette mesure et s'assura auprès d'elle l'emplacement nécessaire pour l'établissement d'un dépôt à Port-Saïd.
Il envoya sur place, au mois de juin, un de ses collaborateurs de la première heure, celui sur lequel il avait le plus compté au début de ses opérations, et lui confia la mission d'organiser sa nouvelle succursale. Il évaluait de 6 à 8 mille tonnes la quantité de charbon qu'il serait utile de rassembler à Port-Saïd pour la date de l'inauguration et ne se laissa pas arrêter par les risques d'une pareille entreprise qui allait entraîner l'immobilisation de capitaux importants pour couvrir les frais de premier établissement, l'achat du charbon aux mines, le coût du transport pour un port éloigné, l'assurance, les frais de chargement, de déchargement, de stockage, etc.
L'opinion publique était cependant encore très divisée à cette époque au sujet de l'avenir du Canal. La réussite commerciale et financière de l'entreprise, et même son efficacité restaient en discussion. Bien des gens jugeaient que le régime des vents et les dangers de la navigation en mer Rouge constitueraient un obstacle qui empêcherait la marine à voile d'utiliser le Canal et que le nombre des navires à vapeur en service qui pourraient l'emprunter était si important qu'il faudrait en construire d'autres, spécialement adaptés, et que cela ne pourrait être que l'œuvre du temps. On mettait même en doute la possibilité de maintenir le Canal en état de navigabilité ; en tout cas, les frais d'entretien et d'exploitation dépasseraient les recettes, les droits de passage seraient prohibitifs, etc.
Les adeptes et les promoteurs du Canal ne faisaient pas dépendre uniquement de la marine à voiles l'avenir du Canal. Celui-ci s'imposerait, la navigation à voiles l'emploierait ou ne l'emploierait pas, dans ce dernier cas on aurait recours à la vapeur ; point ne serait nécessaire, d'ailleurs, de créer une flotte spéciale, la profondeur donnée au Canal étant suffisante pour permettre l'emploi de la majeure partie des navires existant. Quant aux renseignements sur lesquels on se basait pour douter de la possibilité de maintenir le Canal en état de navigabilité, ils les mettaient au compte de la pure fantaisie, de la médisance, ou de l'esprit de spéculation. Pour eux, l'économie de combustible qui résulterait du raccourcissement énorme des distances, les facilités de ravitaillement en cours de route que procurerait le rapprochement des escales, la possibilité de réduire désormais à bord, au profit des marchandises payant un fret, l'espace réservé au stock nécessaire au voyage, feraient perdre à la navigation à voiles le gros avantage qu'elle tirait du bon marché.
Pour tout dire, l'évolution qui s'accomplissait depuis longtemps dans les transports maritimes et qui s'était accentuée au cours des dernières années, donnait à prévoir que la vapeur se substituerait complètement à la voile dans un avenir prochain, non seulement le Canal en tirerait avantage mais il la hâterait et l'amplifierait.
Confiant dans l'avenir M. Hyp. Worms agit rapidement. Au début du mois d'août il commença ses affrètements, par navires échelonnés de manière à éviter un trop grand encombrement à l'arrivée et presque en même temps entreprit sa publicité dans la presse britannique et par lettre aux gouvernements et aux armateurs qui étaient susceptibles de s'intéresser à la nouvelle route.
Des préparatifs étaient déjà faits de divers côtés, en France, en Angleterre, en Italie, en Autriche et même en Amérique en vue de l'utilisation du Canal ; mises en chantier de navires à vapeur spécialement aménagés, création de services de navigation, annonces de départs et de mises en charge de navires. Le Bulletin de l'Isthme de Suez – journal de "L'Union des deux mers - créé en 1856 pour servir de liaison entre la Compagnie du canal et ses actionnaires, qui s'appliquait à tenir ses lecteurs au courant de ces préparatifs et des mouvements de l'opinion, crut devoir attirer l'attention du public le 15 septembre 1869, sur un communiqué, paru le 31 août précédent dans le "Shipping and Mercantile Gazette" par lequel M. Hyp. Worms informait les commerçants, les armateurs et les capitaines de la création de sa maison. Dans le même ordre d'idées, quelques jours avant l'inauguration du Canal, le 1er novembre 1869, voulant faire connaître le développement qu'avaient pris à Port-Saïd les établissements dus à l'initiative privée et les services qu'ils pouvaient rendre à la navigation, il publiait sur quatre d'entre eux des notices, dont une relative à la Maison Hypolite Worms.
Malgré les prédictions pessimistes et les nouvelles alarmantes répandues jusqu'à la dernière heure en Égypte et qui tendaient à faire croire que le Canal ne serait pas navigable à la date fixée, l'inauguration eut lieu le 17 novembre 1869, avec un succès retentissant, au milieu des acclamations du monde entier.
Les effets ne se firent cependant pas sentir du jour au lendemain. Du 17 au 20 novembre, journées pendant lesquelles les navires bénéficièrent de la gratuité du transit, au total 130 navires, y compris ceux qui prirent part à l'inauguration, le franchirent, mais il n'y eut qu'un seul passage jusqu'à la fin du mois ! 9 pour tout le mois de décembre ! Dès le lendemain du triomphe, le Canal allait-il subir les sort du canal des Pharaons ? Les prédictions pessimistes allaient-elles se réaliser ?
M. Hyp. Worms n'avait écoulé qu'une faible partie du stock de charbon qu'il avait constitué. Encouragé cependant par les mesures prises en Angleterre, où les armateurs faisaient construire à gros frais un grand nombre de navires pour la navigation par la nouvelle voie, confiant également dans la considération qu'il s'était acquise dans les milieux maritimes, il ne cessa d'exhorter à la patience le directeur de sa succursale qui s'inquiétait de la situation et de la faiblesse des moyens matériels dont nouveau venu à Port-Saïd il disposait pour lutter contre la concurrence.
Le nombre des passages s'éleva à 16 pour le mois de janvier, puis à 29 pour le mois de février, il continua ensuite à augmenter régulièrement. Il atteignit 486 pour l'année 1870, puis 761 pour l'année 1871 et 1.082 pour l'année 1872. A ce moment le succès du Canal était devenu indiscutable. La Compagnie qui depuis l'inauguration avait connu des heures sombres, malgré l'augmentation de ses recettes, put alors envisager l'avenir avec sérénité. Les résultats encourageants obtenus par les premiers navires avaient fait naître une grande concurrence, une véritable flotte à vapeur avait été créée pour le commerce de l'Inde et de l'Extrême-Orient ; le transit était composé presque entièrement de navires à vapeur, les navires à voile ne prenaient qu'une part insignifiante, leur nombre ne devait pas tarder à tomber à presque rien.
Dès le début, malgré la concurrence qui se manifestait M. H. Worms avait enregistré quelques résultats marquants, d'abord sous la forme de consignations et de fournitures pour des navires isolés, puis sous celle de promesses formelles concernant des flottes en voie de constitution. Au début du mois de décembre 1869, il avait pu déjà annoncer à sa succursale que l'armement Donald Mac Gregor de Leith lui consignerait sa flotte de huit navires à vapeur. M. Afred Holt qui s'occupait de créer une importante ligne à travers le canal pour la chine lui consignait de même ses navires "Cleator", '"Diomed", "Priam", etc. (ce dernier porteur d'une cargaison de grande valeur, fit l'objet de recommandations particulières) et lui promit, dès février 1873 de lui adresser sa flotte.
Au mois d'avril 1870, sa maison avait déjà fait des livraisons à 50 navires, y compris ceux qui avaient assisté à l'inauguration.
Ses efforts furent, cependant, ralentis par la guerre franco-allemande, mais au retour de la paix, plus résolu que jamais à faire de sa succursale une grande maison, il la dota, sans perdre de temps, d'un matériel important et de coûteuses installations. En août 1872, il se flattait déjà de n'avoir pas de charbon sur le sable, et d'être en situation de livrer vite et bien. L'importance de ses ventes lui permettait de n'avoir jamais de vieux charbon en stock. II s'appliquait à ne livrer que des charbons de première qualité.
En même temps, il reprit une idée qu'il n'avait pu mettre à exécution avant la guerre. Dans le but d'intensifier sa propagande et de coordonner les efforts de ses succursales et de ses agents de Londres, MM. Geo & A. Herring & C°, il fit appel à un de ses collaborateurs, M. Henri Goudchaux, neveu de son ancien associé, M. Michel Goudchaux, attaché depuis l'année 1855 à sa Maison de Cardiff et en qui il avait une grande confiance. Il le chargea de s'installer à Londres, de visiter les armateurs anglais pour l'Inde et la Chine et de reprendre également en Belgique et en Hollande une enquête qu'il avait déjà commencée avant la guerre sur les mesures prises dans ces deux pays pour l'organisation de services maritimes à travers le Canal et d'entrer éventuellement en contact avec les sociétés de navigation en cours de création.
M. Henri Goudchaux devint alors son principal porte-parole pour la négociation avec une maison de Londres, la Maison James Burness & Sons, d'un accord qui fut l'origine d'une longue et intime collaboration entre les deux maisons.
M. H. Worms avait pu se rendre compte que les propriétaires de dépôts dans plusieurs ports jalonnant une même route avaient, de ce fait, un gros avantage que les navires arrivant à Suez et à Port-Saïd choisissait fréquemment leurs consignataires ou leurs fournisseurs d'après les renseignements recueillis dans leurs autres ports d'escale et qu'il y avait donc une grande utilité à posséder dans ces ports des correspondants ou des agents susceptibles de faire connaître sa Maison. MM. James Burness & Sons lui parurent bien placés pour jouer ce rôle. "Contracteurs" pour les fournitures de charbon, ils avaient des dépôts à Gibraltar, Malte, Aden, Pointe-de-Galles et Singapour et pouvaient offrir aux armateurs, à l'exception de Port-Saïd où ils n'étaient pas installés, une suite continue de dépôts entre l'Angleterre et les Indes. M. H. Worms était depuis longtemps en relations avec eux. Les deux maisons virent la possibilité d'associer leurs intérêts ; dans le courant des années 1871 et 1872 elles se mirent d'accord sur une convention aux termes de laquelle MM. James Burness & Sons devenaient les agents exclusifs de M. H. Worms pour la vente des charbons aux navires à Port-Saïd et à Suez, celui-ci devenant, de son côté, leur seul représentant dans ces deux ports. MM. James Burness & Sons ajoutaient dès lors Port-Saïd et Suez sur la liste générale de leurs stations de charbonnages et M. H. Worms obtenait la possibilité de donner lui-même des prix pour toute la traversée des Indes.
A la suite de ces différentes mesures, le développement de sa succursale de Port-Saïd, favorisé par le succès du Canal, continua à s'affirmer. A la fin de l'année 1872 elle avait livré à elle seule près des trois quarts des charbons pris par les navires transitant.
M. H. Worms avait réussi à attirer à lui la clientèle d'un grand nombre des navires battant pavillon anglais qui constituèrent, dès le début, la partie de beaucoup la plus importante du trafic du Canal (plus des trois quarts de 1870 à 1875).
6 - Aperçu sur l'œuvre personnelle de M. H. Worms - Société Hypolite Worms & Cie - Dernières années et mort de M. H. Worms
La création de la Maison de Port-Saïd constitue le couronnement de l'œuvre de Mr. H. Worms.
Jugée "hardie" et "remarquable" par ses contemporains, cette oeuvre porte la marque du troisième quart du 19ème siècle, auquel elle appartient pour sa plus grande partie.
Les transformations économiques provoquées par les découvertes scientifiques et les progrès techniques accélèrent à ce moment leur allure. Le monde généralise l'emploi de la machine à vapeur et se constitue un nouvel et puissant outillage. Une véritable révolution s'opère dans le commerce et l'industrie, en particulier dans les transports. La consommation du charbon augmente dans des proportions inconnues jusqu'à cette époque. Les progrès de la métallurgie et ceux de la distillation pour la fabrication du coke et du gaz d'éclairage contribuent encore à cette augmentation.
Favorisée par la richesse de ses gisements et leur position géographique, l'Angleterre fait de l'exportation de la houille une des bases de sa politique libre échangiste : le total de ses envois à l'étranger passe de 3.468.545 tonnes, en 1851, à 15.299.077 tonnes en 1876. Elle établit son monopole charbonnier et l'étend à la plus grande partie du monde. Son commerce d'exportation de charbon se concentre alors entre les mains d'importantes entreprises spécialisées, organisées pour le commerce avec les pays les plus lointains, et assez fortes pour immobiliser des sommes importantes pendant un temps d'autant plus long que le lieu de consommation était plus éloigné. M. H. Worms se place parmi elles au premier raag, aussi bien dans l'ordre historique, par la date de ses initiatives, que dans l'ordre d'importance par le volume des opérations qu'il effectue.
Formé aux affaires dans le deuxième quart du siècle, il avait vu s'ébaucher le bouleversement économique et les esprits prendre goût aux vastes projets que permettait la puissance des nouveaux moyens d'action En 1845, lorsqu'il commence à s'intéresser aux affaires de plâtre, jugeant que les chemins de fer naissants pourraient servir à en étendre largement les débouchés, il avait déjà vu grand et conclu d'importants marchés, d'abord en 1846, avec le chemin de fer de Paris à Orléans, mis en exploitation en 1843, pour des transports entre la gare d'Ivry et celle d'Orléans, puis avec le Chemin de fer d'Orléans à Bordeaux pour des transports sur le tronçon d'Orléans à Tours, lorsque celui-ci fut ouvert au trafic. En 1847, peu de temps après la mise en exploitation de celui de Rouen au Havre, il négocia pour des transports vers ces deux villes et c'est alors qu'il se préoccupa d'exporter vers l'Angleterre et même vers l'Amérique.
La publicité qu'il fit dans l'Almanach Bottin de l'année 1851, sous la rubrique "'Fabricants de plâtres" mentionnait, à la suite de l'indication du siège de son usine aux "Buttes St. Chaumont" : "Machine à vapeur, dép. sur toutes les lignes de chemins de fer, dans toutes les stations" et montre que les moyens qu'il mettait en oeuvre étaient alors suffisamment nouveaux pour retenir l'attention et qu'il cherchait à utiliser le second au maximum.
Il entreprit l'importation des charbons anglais en France avec la même intuition que les transformations économiques en cours permettaient des vues audacieuses et appelaient des méthodes nouvelles. L'organisation qu'il mit sur pied constituait dans sa conception même une nouveauté et, par la force qu'elle lui donnait, fit naître parmi ses concurrents et les consommateurs de la Seine Inférieure la croyance qu'il était propriétaire d'une mine en Angleterre. Elle lui permit, en tout cas, de sortir rapidement du rôle de simple importateur en France pour devenir véritablement exportateur en Angleterre et d'étendre ses opérations d'abord à la France d'outre-mer, puis aux pays où le charbon anglais avait accès. De la Baltique et de la mer du Nord aux Antilles et à la Plata, d'une part, à Colombo et même à Singapore, Macao et Kong Kong, d'autre part, par la Méditerranée et par le Cap, jusque dans les points les plus lointains où s'exerçait le monopole charbonnier de l'Angleterre, il manifesta son activité. Il n'abandonna sa tentative de traiter des affaires dans la région californienne que lorsque l'expérience lui eut révélé que la suprématie du charbon anglais y étais mis en échec.
Il exporta à lui seul, en 1857, 400.000 tonnes sur les 6.757.718 qui furent exportées d'Angleterre et, en 1871, 900.000 tonnes sur 12.747.989, soit un pourcentage de près de 6% en 1857 et de 7% en 1871. Pendant cette période il fit donc non seulement plus que doubler le volume de ses exportations mais augmenta sensiblement sa part dans le chiffre total des exportations anglaises. Il était arrivé, suivant sa propre expression, à enlever aux maisons anglaises "des affaires leur revenant naturellement".
Non seulement ses maisons en Angleterre comptaient parmi les plus considérables dans le commerce des charbons, mais en situation très importante d'affréteur, le mettait en relations journalières avec un grand nombre d'armateurs anglais.
En France, il a largement contribué à remédier au déficit de la production houillère qu'aggravait le développement économique du pays. Une grande partie de l'importation par Dieppe, Le Havre et Bordeaux se faisait par son intermédiaire.
Dans le bassin Méditerranée, y compris Constantinople, il avait réussi à grouper dans sa clientèle d'importantes industries et principalement des entreprises de gaz, de chemins de fer, de navigation à vapeur, le principal entrepreneur chargé du creusement du canal de Suez, et la Compagnie du canal elle-même etc.
Par ses fournitures aux Messageries maritimes en différents points du monde, par celles qu'il faisait à la marine de guerre française, puis par la création de son dépôt de Port-Saïd, il avait acquis une place de premier rang dans le commerce des charbons de soute qui était lui-même la branche la plus active de l'exportation britannique. II obtint la clientèle d'un grand nombre d'armements de tous les pays, y compris quelques-uns des plus importants armements anglais, et celle de plusieurs marines de guerre. Sa maison devint une des plus connues du monde entier pour ce genre d'affaires.
A Port-Saïd, grand port de charbonnage sur une des routes maritimes des plus importantes du monde, il était à la fois le principal fournisseur de charbon et le premier par le nombre des navires qui lui étaient consignés. En liant dès la première heure la prospérité de sa maison à celle de l'œuvre de M. Ferdinand de Lesseps, il eut une de ses initiatives les plus fécondes et il réussit à acquérir la première place sur un terrain où la concurrence internationale pouvait s'exercer librement et où des facteurs importants semblaient devoir favoriser des maisons d'une autre nationalité.
Dans le domaine purement maritime, lorsqu'il commença à s'intéresser à la navigation à hélice, la marine marchande française donnait déjà des signes de déclin relatif et ne suivait pas les progrès économiques du pays. Au début de l'année 1854, au cours de laquelle lui-même et ses amis MM. Hantier Mallet & Cie et M. Grandchamp firent, en participation, leurs premières commandes de navires, la flotte marchande française à vapeur ne comptait que 174 unités, alors que la flotte marchande britannique en avait déjà 1.185 dès l'aimée 1850. Il n'y avait encore que quelques navires à hélice en service ou en construction dans le monde ; il fut donc parmi les premiers hommes d'affaires, en France, qui prirent l'initiative d'utiliser ce mode de transport à des fins commerciales.
Lorsque fut ouverte en France l'enquête de 1862 sur la situation de la marine marchande, la ligne Bordeaux-Le Havre -Hambourg fonctionnait déjà régulièrement et commençait à donner de bons espoirs. Il est donc curieux de noter qu'à la question : n'a-t-on pas établi des services à vapeur entre Le Havre et Bordeaux, Le Havre et Hambourg, Le Havre et la Hollande ?", un armateur du Havre appelé à déposer à l'enquête répondit : "ll y a quelques entreprises de ce genre, celle qui a été établie entre Le Havre et Bordeaux paraît se soutenir, quoique péniblement. Quant aux services avec l'étranger et particulièrement avec la Hollande, des marines rivales nous ont supplantés en se servant de vieux navires mixtes achetés à bas prix en Angleterre et qui suffisaient pour ce genre de service. Ce serait folie que d'entreprendre des navigations de cabotage, concurremment avec l'étranger si nous ne pouvons y employer que des navires neufs et chers... C'est avec des navires à vapeur déjà vieux et à bon marché que pourra seulement se développer le cabotage à vapeur".
Un autre témoin appelé à l'enquête disait dans son rapport, déposé au nom de la Chambre de commerce de Boulogne : "il ne se forme pas d'association de capitaux assez considérable pour que l'on puisse espérer que des navires français disputent de longtemps aux Anglais le transport des marchandises entre la France et l'Angleterre".
Ces déclarations émanant de personnalités particulièrement qualifiées sont comme l'écho lointain des difficultés que M. H. Worms et ses amis eurent à vaincre pour trouver une utilisation de leurs navires. On comprend leurs tâtonnements.
Le succès de la ligne Bordeaux-Le Havre-Hambourg, dû uniquement à leur énergie, vint cependant récompenser leur persévérance. En 1874, écrivant au ministre français des affaires étrangères, d'accord avec M. H. Worms, pour protester contre l'application faite à leurs navires à Hambourg de certaines dispositions du tarif des chancelleries, M. Mallet déclarait avec une légitime fierté "qu'il n'existait pas en France de compagnie ayant un service plus régulier". Ce service comportait alors, chaque semaine, au moins un départ dans chaque sens.
M. H. Worms partage avec la Maison F. Mallet et Cie le mérite de cette réalisation dont il fut l'initiateur.
II était armateur à un double titre : à la fois comme associé de la Maison F. Mallet & Cie et comme propriétaire de la part, la plus importante, des navires placés sous la direction de cette Maison, puis comme propriétaire exclusif d'autres navires enregistrés à Bordeaux et gérés par sa succursale de cette ville.
La Maison F. Mallet & Cie exploitait les lignes Bordeaux-Le Havre-Hambourg, et Bordeaux et Rouen. La succursale de Bordeaux de la Maison Worms, celle de Bordeaux, Anvers, en accord avec l'armement Adolf Deppe d'Anvers, et d'autres services secondaires ou occasionnels, en particulier avec le nord de l'Espagne, destinés à procurer des éléments de trafic aux autres lignes, ou à porter appui à son commerce de charbon. Elle servait d'agent local aux lignes de la Maison F. Mallet & Cie.
Le rôle personnel de M. H. Worms était autre que celui d'un associé appelé à participer uniquement aux risques et aux profits. II était tenu quotidiennement au courant de la marche des navires et consulté sur les décisions à prendre. Il était en outre intéressé dans la Maison A. Grandchamp Fils & Cie, de Rouen.
Sur ces entreprises principales, qui sont encore des éléments essentiels de l'activité actuelle de la Maison Worms & Cie, il greffa d'autres opérations secondaires que les circonstances l'amenèrent à abandonner plus ou moins rapidement. On peut rappeler sa tentative de création d'une succursale à Gênes, sa participation à la constitution de l'Anglo-French Steam Ship C°, Ltd, etc., cette dernière resta à la base d'une des activités maritimes de ses amis Grandchamp de Rouen, dont sa Maison devait plus tard reprendre la suite.
Pendant la guerre de Crimée, puis pendant la guerre franco-allemande, ses services charbons et ses services maritimes furent appelés à prêter une aide importante aux pouvoirs publics.
Deux autres expériences peuvent être également mentionnées, la plus importante concerne les traverses de chemin de fer, les poteaux de mines et les poteaux télégraphiques. Leur production avait pris en France un grand développement par suite des progrès accomplie par l'industrie minière, la construction des voies ferrées et celle des lignes télégraphiques. M. H. Worms y vit un élément de fret intéressant pour ses navires. II décida d'en assumer la fabrication en grand dans les départements de la Gironde et des Landes. Il établit le centre de cette entreprise à Barsac, vers la fin de l'année 1860. Il obtint de fortes commandes en France, en Algérie, en Angleterre, en Égypte et aux Indes. Sa Maison de Bordeaux fit des expéditions pour ce dernier pays par voiliers en exécution d'un contrat qu'il avait passé avec une Maison de Bombay. Après l'ouverture du canal de Suez, ce service fut effectué par vapeurs et, au début de l'année 1870, M. H. Worms songea à le continuer en affrétant à un armateur anglais un navire pour charger au départ d'Angleterre du charbon pour Bordeaux et remplacer le charbon débarqué dans ce port, par des marchandises pour Bombay directement.
Pour assurer l'exécution d'un autre marché important conclu avec la Compagnie du chemin de fer des Charentes, il acheta en 1869, le s/s "Koh I Nor" auquel il donna le nom de "Suzanne" et qu'il affecta au transport des traverses sur Rochefort et La Rochelle. Ce service ne dura que peu de temps par suite, semble-t-il, de difficultés soulevées par le chemin de fer des Charentes. M. Worms revendit le "Suzanne" en 1873. De même en 1873, pour des fournitures aux chemins de fer égyptiens, il affecta le s/s "Commandant-Franchetti" au transport jusqu'à Alexandrie des quantités promises. Il décida de renoncer à ces opérations à la fin de l'année 1876, les résultats ne répondant plus à ses espérances.
En 1873, il autorisa sa Maison de Port-Saïd à tenter un service de navigation à vapeur, sous pavillon français, en mer Rouge et mit le navire "Séphora" à sa disposition. L'entreprise n'eut qu'une durée éphémère. Devant l'irrégularité des résultats et les difficultés rencontrées, en particulier pour la constitution des équipages en conformité des règlements français, il arrêta l'expérience au mois de décembre 1874 et fit rentrer le navire en France.
Société Hypolite Worms & Cie
Les événements de 1870-1871 compliquèrent sa tâche, déjà lourde pour son âge, il avait pris de 70 ans. Il fut chargé d'importantes fournitures de charbons à faire à la Marine française à Cherbourg, à Brest, à Toulon et à Suez. Quelques-uns de ses navires et de ceux de la flotte de M. Mallet furent pris en affrètement par le gouvernement. Redoutant un désarroi complet de ses affaires s'il venait à être privé de communication avec ses agents d'Angleterre et ses autres succursales, il se décida, après avoir demandé l'avis du ministre de la Marine, à quitter Paris et à établir son centre d'affaires au Havre, lorsque les menaces d'investissement se précisèrent. Quand cette ville fut à son tour menacée, il le transféra à Bordeaux. A son départ de Paris, il avait laissé ses bureaux dans cette ville sous la direction de son gendre, M. Franchetti et de son fils, M. Lucien Worms. En décembre 1870, il eut la douleur de perdre son gendre, Commandant aux GM, qui décéda à la suite de graves blessures reçues le 2 décembre 1870 ; M. Lucien Worms fut décoré pour faits de guerre. À l'époque de la Commune, il dut à nouveau quitter Paris et transférer ses bureaux à Saint-Germain-en-Laye. Il rentra à Paris au mois de mars 1871.
Peu de temps après la reprise normale des affaires, alors que sa maison de Port-Saïd prenait son essor, désireux que son oeuvre lui survive, il décida de s'adjoindre comme associé M. Henri Josse, ancien directeur de sa Maison de Grimsby, qu'il avait appelé depuis quelques temps auprès de lui à Paris. Par acte en date du 15 mars 1874, il constitua avec lui une société en nom collectif, sous la raison et signatures sociales : Hypolite Worms & Cie, dont ils étaient les seuls associés. M. H. Josse était un Français exilé en 1851 à la suite du coup d'Etat. Réfugié en Angleterre et ne prévoyant pas alors la possibilité d'un retour en France, il s'était fait naturaliser Anglais. Il devait même devenir vers la fin de sa vie membre du Parlement britannique, mais renonça à cette fonction très peu de temps après, dans la crainte que cette qualité pût affecter défavorablement les relations de la Maison Worms avec les administrations publiques en France et surtout avec le ministère de la Marine.
L'objet de la société était défini : "Armement et commerce des charbons pour continuer les opérations de la maison de commerce fondée par M. Worms à Paris, avec des comptoirs à Bordeaux et Marseille en France, Newcastle, Great-Grimsby et Cardiff en Angleterre et Port-Saïd en Égypte". La durée en était fixée à 12 années à compter du 1er janvier 1874. Le siège social était rue Scribe n°7, où M. H, Worms avait transféré ses bureaux en octobre 1864.
La Maison Worms recevait ainsi la structure juridique qu'elle a conservée depuis, malgré quelques modifications.
Le capital social avait été fixé à F 4.500.000 dont 4.000.000 fournis par M. Worms étaient représentés notamment par la propriété entière du steamer "Emma" et celle des deux tiers des steamers "Lucien", "Isabelle", "Gabrielle", "Président", "Blanche" et "Marguerite", et le surplus (500.000 F) était fourni en espèce par M. Josse.
Dernières années de M. H. Worms
Aucun changement ne fut apporté dans les opérations de sa Maison, M. H. Worms continua à s'en occuper comme par le passé, il ne prit cependant plus d'initiative susceptible de l'engager dans de nouvelles entreprises à longue échéance.
Cependant pour obliger un ami, il le chargea d'étudier la possibilité de traiter des affaires à Alger ; au bout de peu de temps, il jugea inutile de prolonger l'expérience. Pour une raison du même genre, il chercha à développer à Hambourg les ventes de ses maisons anglaises, par l'intermédiaire d'un jeune Français qui désirait s'installer dans cette ville.
Il s'attacha, par contre, à résoudre plusieurs difficultés qui pouvaient avoir de sérieuses conséquences sur la marche courante de ses affaires et sur la prospérité de sa Maison.
Une des plus graves fut soulevée par la concurrence qui se manifesta de divers côtés contre la ligne Bordeaux-Le Havre-Hambourg. Celle qui fut la plus longue émanait d'un armement de cette dernière ville. Elle fut particulièrement sévère. Il n'en vit pas lui-même la fin, mais jusqu'à sa mort, d'accord avec Messieurs Mallet et Cie, il resta fermement résolu à lutter énergiquement.
A la fin de l'année 1874, à la suite de la perte du s.s "Gabrielle", puis en 1876, il donna son accord à M. Mallet pour la construction de deux nouveaux steamers. Le premier reçut le nom de "Frédéric-Franck" et arriva au Havre le 27 août 1875. Le deuxième fut lancé en juin 1877, M. H. Worms proposa à M. Mallet de lui donner le nom de "Louise-Jenny", prénoms de Madame Josse et de Madame H. Goudchaux, il arriva au Havre le 26 juillet 1877.
Dans les deux cas il avait pris à son compte les deux tiers des frais d'acquisition. L'organisation de sa Maison de Port-Saïd resta une de ses préoccupations essentielles. Le trafic du Canal, malgré un léger ralentissement en 1876, ne cessait de s'accroître, le nombre des traversées monta de 1.082 en 1872 à 1.494 en 1875, et à 1.663 en 1877.
Il tint à honneur de conserver le rang qu'il s'était acquis et sa réputation auprès des armateurs. Dans ce but il chercha à s'assurer des approvisionnements en charbon dit "Nixon's Navigation" qui était très en faveur auprès des armateurs anglais. Il entama avec la mine des pourparlers qui n'aboutirent, de son vivant, qu'à un succès partiel, mais furent menés à bonne fin par ses successeurs.
Sa réputation était si bien établie qu'il obtint la clientèle de l'amirauté britannique à Suez. Il consolida ses relations avec l'armement Holt. Il eut en outre d'importantes négociations avec la Compagnie péninsulaire et orientale pour la totalité de ses opérations : charbon et agence, à Port-Saïd.
L'ouverture du Canal avait eu pour cette Compagnie des conséquences financières désastreuses.
Les dépenses considérables qu'elle avait faites pour constituer l'équipement de I"Overland Route" ; appontements, magasins, chalands, remorqueurs, luxueux navires pour la navigation sur le Nil, confortables hôtels le long de la route, établissements agricoles et d'élevage pour le ravitaillement en denrées fraîches, atelier à Suez pour la réparation des navires affectés au service entre ce port et les Indes, etc., tout cela avait perdu, d'un seul coup, presque toute son utilité[3].
En même temps, la Compagnie se trouvait menacée par une concurrence qui disposait de navires neufs adaptés à la navigation à la fois dans les mers d'Europe et dans les mers des Indes et d'Extrême-Orient.
Elle se trouvait ainsi placée devant la nécessité de procéder à une réorganisation profonde de ses services. L'Office anglais des Postes venait, d'ailleurs, de lui donner enfin l'autorisation de faire passer la Malle des Indes par le Canal, autorisation qu'il lui avait refusée jusque-là par crainte d'accident et de retards dans le Canal.
M. H. Worms entra alors en pourparlers avec elle. M. Josse eut avec son directeur, M. Sutherland, un long entretien au cours duquel celui-ci lui fit part des projets de la Compagnie et se montra disposé à confier à la Maison Worms la fourniture du charbon à ses navires et son agence à Port-Saïd, finalement, quelque importante et quelque flatteuse que pût être cette mission, M. H. Worms jugea que les intérêts que lui avaient confiés ses clients de la première heure, ne lui permettaient pas de l'accepter, tout au moins en ce qui concernait l'agence proprement dite.
Il organisa ses rapports avec la Compagnie du canal sur les bases de la cordialité et de la confiance mutuelle, et se faisant toutefois auprès d'elle l'interprête des armateurs, lorsque ceux-ci avaient des doléances à formuler.
En 1874, il s'associa au mouvement de protestations soulevé dans les milieux maritimes par l'initiative prise subitement par le gouvernement égyptien de soumettre à un droit de douane ad valorem les charbons importés à Port-Saïd, y compris ceux destinés aux navires transitant par le Canal. Cette mesure lui parut de nature à détourner au profit de Malte et d'Aden le commerce des charbons de soutes.
M. H. Worms s'éteignit le 8 juillet 1877, dans sa 75ème année.
Janvier 1948
Sauvetage effectué par le s/s "Emma"
Le 1er décembre 1889, au début de l'après-midi, le vapeur "Emma", commandé par le capitaine Basroger, opéra, par temps brumeux et pluie fine, le sauvetage de 396 passagers, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d'enfants, et 25 hommes d'équipage provenant du vapeur hollandais "Leerdam", qui se rendait d'Amsterdam à Buenos Aires, et de 26 passagers et 25 hommes d'équipage provenant du vapeur anglais "Gaw-Quan-Sia" allant de Chine à Hambourg. Les deux navires s'étaient abordés dans la nuit. Passagers et équipages s'étaient réfugiés dans une dizaine de grands canots et de chaloupes.Malgré la faiblesse de son tonnage (509 tonneaux) "Emma" réussit à recueillir tous les naufragés, grâce au dévouement du capitaine et de l'équipage. Ne pouvant tenter d'accoster sans danger, en raison de la brume, le capitaine décida de faire route pour Hambourg. Le navire arriva à Cuxhaven le surlendemain, après une traversée difficile, de plus de 50 heures. Les naufragés y furent débarqués.
L'eau douce et les quelques provisions du bord avaient été vite épuisées. On avait été obligé de faire appel aux ressources de la cargaison.
La Maison Worms reçut de la Nederlandsch-Amerikaansche Stoomvaart Maatschappij, armateur du "Leerdam", ainsi que des officiers et de l'équipage de ce navire, de flatteuses marques de gratitude. Questionnée sur le montant des dépenses que lui avait occasionnées le sauvetage, elle demanda à garder entièrement pour elle la satisfaction d'avoir sauvé un aussi grand nombre d'existences et, s'il pouvait y en avoir un, le mérite d'un acte bien simple d'humanité.
Elle sollicita, cependant, pour le capitaine Basroger, la reconnaissance honorifique de sa belle conduite et fut heureuse de lui voir attribuer la Croix de chevalier du lion néerlandais et celle de Chevalier de la légion d'Honneur.
Le sauvetage des passagers du "Leerdam" fit l'objet, dans la grand* presse, d'articles élogieux à l'adresse du capitaine Basroger et de l'équipage du "Emma".
Chambre de commerce du Havre
Séance du 21 avril 1899
Extrait de l'allocution prononcée par le président de la Chambre de commerce du Havre, aux obsèques de M. Mallet.
« Deux ou trois ans plus tard, ses rares qualités lui ouvrirent les portes d'une maison dont il fut longtemps l'associé. C'est là que le chef d'une grande entreprise qui a eu l'audacieuse initiative d'installer une importante maison française au Pays de Galles, des succursales au canal de Suez et des agences dans les escales les plus éloignées, M. Worms, vint le chercher et se l'attacha. M. Frédéric Mallet devint alors le chef de la maison qui porta son nom et, mis ainsi en mesure de réaliser ses conceptions, libre d'appliquer les méthodes précises qui étaient caractéristiques de son esprit supérieur, il créa cette belle ligne de steamers entre Bordeaux, Le Havre et Hambourg, qui a assuré à la navigation française une place prépondérante dans le trafic entre la France et le grand port allemand, et sut, par l'intelligente impulsion qu'il lui donna, y trouver la fortune... Dès 1882, en pleine prospérité, il prit la détermination de se retirer. »
[1] L'avis suivant fut publié dans la presse : « Ligne directe de bateaux à vapeur entre Bordeaux et Hambourg sans aucune escale. Au commencement du mois de février le bateau à vapeur "Séphora", capitaine Trottel, du port de 600 tonneaux, partira directement de Bordeaux pour Hambourg. Fret 35 F et 1% par tonneau - départs tous les 20 jours. S'adresser pour fret et passages : à Bordeaux à M. H. Worms, armateur, représenté par M. G. Schacher, 21 Pavé des Chartrons et à M. Jude, courtier maritime ; A Hambourg à MM. Cellier à Paran, Courtiers.
[2] Cette société, fondée avec l'aide du gouvernement russe et subventionnée par lui, s'était obligée à entretenir huit lignes en mer Noire et en mer d'Azov et sur les fleuves qui s'y jettent et trois autres entre Odessa et Trieste, Odessa et Marseille, et Odessa et Alexandrie.
[3] V.A. Hundred year history of Peninsular & Oriental steam navigation and C° - (1837-1937) par Boy Cable.