1947.06.28.A Maître Maurice Paz.Our Vichy Gamble.Note et traduction partielle

Copie

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

Mon cher Maître,
Comme suite à notre conversation d'hier, je vous remets en communication le livre du Professeur Langer. J'y joins la traduction des quatre parties du livre dans lesquelles l'auteur nous attaque.
Je vous serais très obligé de me donner votre opinion assez rapidement, car Raymond Meynial part samedi prochain 5 juillet pour New York.
Dès que vous serez prêt, téléphonez-moi et je ferai rechercher le livre chez vous, car c'est le seul exemplaire que je possède.
Recevez, Mon cher Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs et très dévoués.

Maître Maurice Paz
8, rue César-Franck
Paris 15e

"Our Vichy Gamble" par William L. Langer -
Alfred A. Knopf, New York, 1947

P. 168. Toute une série d'importants groupes bancaires doivent être rangés dans cette catégorie : la Banque nationale pour le commerce et l'industrie (qui était le groupe de Laval par excellence), la Banque de l'Indochine (dont Baudouin était le chef), la Banque de Paris et des Pays-Bas, et d'autres. Mais s'identifiait tout particulièrement avec le régime de Darlan la Banque Worms & Cie avec comme chef Hippolyte Worms et Gabriel Le Roy Ladurie et Jacques Barnaud comme figures dominantes. Il est des plus intéressants pour réaliser jusqu'à quel point les membres du groupe de la Banque Worms s'étaient introduits dans le gouvernement à l'automne de 1941, de parcourir la liste du Conseil des ministres et des secrétaires d'État. Parmi les ministres, Joseph Barthélémy (justice), Pierre Caziot (agriculture) Lucien Romier (État) et Henri Voysset (État) peuvent être considérés comme des hommes de Pétain, c'est-à-dire des hommes qui n'étaient pas nécessairement des collaborateurs, mais qui étaient favorables aux idées autoritaires du Maréchal. Par contre Pierre Pucheu (intérieur) et Yves Bouthillier (économie nationale) étaient des membres de la clique Worms. Le général Bergeret (secrétaire d'État à l'Aviation) selon les uns était de l'obédience Pétain, selon les autres appartenait au groupe Worms. Exception faite de Bergeret, les secrétaires d'État étaient à un homme près les associés de cette clique.
Ils étaient Jacques Barnaud (délégué général pour les Relations économiques franco-allemandes), Jérôme Carcopino (éducation), Serge Huard (famille et santé), amiral Platon (colonies), René Belin (travail), François Lehideux (production industrielle), Jean Berthelot (communications) et Paul Charbin (ravitaillement). Jacques Benoist-Méchin (chargé des Relations franco-allemandes) était un journaliste associé de longue date avec Otto Abetz et, de l'avis unanime, un homme de paille pour les Allemands. Devraient être en outre compris dans le groupe Worms un grand nombre d'officiels d'un rang quelque peu moindre (particulièrement des secrétaires généraux) comme Lamirand, Borotra, Ravalland, Bichelonne, Lafond, Million, Deroy, Filippi, Schwarts et Billiet[1].
II apparaît immédiatement de cette liste que pratiquement chaque ministère ou secrétariat d'État en communication avec les affaires économiques était entre les mains de l'un ou de l'autre de la clique Worms. Beaucoup de ceux-ci, comme Pucheu, Bouthillier, Barnaud et Lehideux étaient des hommes capables, aussi capables que remplis d'intérêt personnel et dépourvus de tout scrupule. Pucheu, sur qui pas mal fut révélé lors de son jugement pour trahison, était un excellent organisateur et un homme qui, en ce qui concerne l'ambition, ne le cédait qu'à Darlan lui-même. II avait été en communication étroite avec la Cagoule et autres mouvements fascistes similaires d'avant-guerre. Comme agent du Cartel sidérurgique, il s'était efforcé de promouvoir une coopération entre les industries lourdes française et allemande. En d'autres termes, lui, comme plusieurs parmi les autres, avait un passé collaborationniste et n'était pas seulement enclin, mais décidé à se joindre à l'ennemi. Darlan pouvait compter sur ces hommes qui, non seulement s'occupaient de l'envoi en Allemagne des marchandises et des produits manufacturés, mais aussi servaient d'Intermédiaires en vue du transfert sous propriété ou contrôle allemand d'usines françaises. Inutile de dire qu'ils tirèrent un beau bénéfice par ce procédé et renforcèrent leurs propres affaires en même temps. Cette collaboration économique, qui fut quelque chose de très réel dès son départ, ne fut pas affectée par les vicissitudes de la collaboration politique. Elle existait déjà solidement avant la guerre et servait sérieusement les desseins à la fois des intérêts allemands et français[2].
Toutes les banques collaborationnistes avaient des intérêts considérables en Afrique du Nord et dans les autres colonies françaises, et y avaient des succursales. La Banque Worms, par exemple, possédait d'importantes mines, des lignes de navigation et des établissements commerciaux en Afrique du Nord. Cette société et d'autres comme elles drainèrent rapidement en Afrique du Nord toutes les ressources qui pouvaient être mises à la disposition des Allemands. Il a été estimé que dans la seule année 1941, quelque 5 millions de tonnes de marchandises furent débarquées dans les ports français méditerranéens, principalement en provenance de l'Afrique du Nord. Dans ce total étaient inclus des produits de valeur stratégique comme du cobalt, du molybdène, du manganèse, du minerai de fer à haute teneur, pour ne pas parler des produits alimentaires. Probablement, 60 à 80% de ces importations furent dirigés vers l'Allemagne[3]. Heureusement pour eux, les grands intérêts bancaires et industriels, toujours désireux d'être du bon côté, furent autorisés par les Allemands à transférer leurs importants profits à leurs succursales nord-africaines. II résulte des calculs qu'avant l'invasion de l'Afrique du Nord, l'ensemble des banques françaises avaient, dans cette matière, transféré des sommes de l'ordre de 25 milliards de francs[4].

Page 191
Que Darlan se détourna progressivement de la politique de collaboration ou non, l'époque n'était certainement pas encore arrivée où il put jeter le gant aux oppresseurs de la France. Au mieux, il pouvait battre en retraite prudemment et avec hésitation, décrochant quand cela était possible et mollissant quand cela était nécessaire. II est absolument impossible de parler de ces questions avec une assurance quelconque, étant donné que les informations sur ce qui s'est passé à l'intérieur de Vichy sont réduites et que tout ce que l'historien peut faire est d'ajuster ensemble quelques éléments évidents qui sont souvent contradictoires. Ce qui apparaît comme étant survenu à l'automne 1941 est à peu près ce qui suit : Darlan, ayant pris sous sa protection le groupe Worms, était en train de découvrir que ses amis tendaient vers un but qu'ils étaient déterminés d'atteindre même contre lui. Un certain nombre de rapports indiquent le fait que l'ambitieux et vigoureux Pucheu lorgnait du côté du poste de Darlan et qu'il était soutenu par le reste de la clique Worms. Comme ministre de l'Intérieur,
Pucheu était principalement responsable de la répression brutale de toute opposition, qui fit plus que n'importe quoi pour discréditer le régime de collaboration. On dit qu'il était opposé à des concessions territoriales en faveur de l'Allemagne. Mais lui et ses amis étaient évidemment préparés à admettre n'importe quoi pour gagner la faveur de l'oppresseur. En d'autres mots, il menaçait d'être plus "darlanniste" que Darlan lui-même.

Page 229
En premier lieu, il y avait indiscutablement plusieurs différents groupes, travaillant sans connaissance réciproque les uns des autres. C'est ainsi que l'on parle d'un mouvement amorcé en novembre 1940 par un capitaine Beaufre, de l'état-major de l'amiral Abrial. Ce groupe semble avoir été surtout de tendance militaire. Sous la direction habile du lieutenant colonel Jousse, il s'efforçait de préparer la rentrée de l'Afrique du Nord dans la guerre à côté des Alliés. Un de ses membres les plus actifs et les plus intéressants était Jacques Lemaigre-Dubreuil, qui bien avant la guerre avait été en vedette dans les mouvements fascistes français et peut être considéré comme l'exemple typique du banquier et du gros homme d'affaires qui n'était pas seulement prêt mais désireux de jouer le jeu nazi. Après la chute de la France, il agit comme représentant de la Commission économique franco-allemande à Wiesbaden et était considéré comme ayant servi d'agent d'achat des Allemands en Afrique du Nord et en Afrique occidentale. Il devint un associé de la Banque Worms et était très lié avec des hommes comme Pucheu, Le Roy Ladurie et Barnaud. Ces excellentes relations rendaient possible et, en fait, lui facilitaient les voyages dans chaque sens, sans éveiller la suspicion, c'est pourquoi il servait fréquemment d'intermédiaire entre des personnages importants[5].

Page 385
En réalité, parmi les seuls vrais collaborateurs de France étaient les intérêts industriels comme le groupe de la Banque Worms. Non seulement ils acceptaient la collaboration, mais ils la désiraient et travaillaient en sa faveur. En fait, ils firent de très nombreuses affaires et en obtinrent d'importants résultats. Laval et Darlan firent largement appel à ces personnes qui développèrent une large collaboration économique.
Comme Laval le dit à Hitler en novembre 1942, la France avait dépensé pour l'Allemagne 125 milliards de francs pour l'industrie 40 milliards de francs pour l'agriculture et 425 milliards de francs sur le plan financier. Bien plus, la France avait envoyé 320.000 travailleurs en Allemagne, mis 200.000 hommes à la disposition de l'organisation Todt pour des travaux militaires allemands en France, et engagés en plus 350.000 hommes dans le domaine de la production d'armements pour l'Allemagne[6].


[1] Dépêche du 7 janvier 1942 de Biddle. Des informations extrêmement détaillées sur le groupe Worms peuvent être trouvées dans Worms & Cie (coordinateur de la section Informations, recherches et analyses rapport du 3 mars 1942) et Activités de la Banque Worms & Cie (Office des services stratégiques, section des Recherches et Analyses rapport du 15 novembre 1943) - Voir aussi Louis R. Franck : "Les Forces de Collaboration" (Foreign Affairs, octobre 1942) et Raymond Brugère : "Veni, Vidi, Vichy" (Paris 1944) PP. 133ff.

[2] Voyez particulièrement l'interrogatoire par le State Department du Dr Paul Schmidt.

[3] La contribution économique de l'Afrique du Nord française à l'Axe - (Département de la Guerre économique, section du blocus et du ravitaillement - rapport 12 septembre 1942).

[4] Activités de la Banque Worms & Cie - cité ci-dessus.

[5] Dossier OSS - Rapport intitulé "Portrait d'un collaborationniste à double sens" - 23 juillet 1943.

[6] Documents allemands capturés - procès-verbal d'une entrevue Hitler Laval à Munich - 10 novembre 1942.


Retour aux archives de 1947