1945.00.De Raymond Meynial.Note (non datée)
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Le PDF est consultable à la fin du texte.NB : Note non datée, classée en 1945 en raison de la référence faite à la période d'après-guerre, indication la plus récente donnée dans le texte.
Témoignage de M. Raymond Meynial
En 1914, la Maison Worms & Cie avait comme principale activité l'importation et le commerce du charbon (anglais) et l'armement maritime. Pendant la grande guerre, en 1917, à la demande du gouvernement, Monsieur Hypolite Worms créa un chantier de constructions navales au Trait qui livra les premières unités de sous-marins vers la fin des hostilités.
En 1919, la Maison comptait donc trois départements : le négoce du charbon, l'armement et la construction navale. Le cabotage entre les principaux ports de France fut développé et le nombre des comptoirs en métropole dépassait la vingtaine. A l'étranger, la société avait implanté également des comptoirs, en Angleterre, en Espagne, en Égypte, en Belgique (Anvers), en Hollande (Rotterdam) et en Allemagne (Hambourg).
Vers 1928, devant l'importance que prenait le mouvement des fonds de la Maison, Monsieur Hypolite Worms pensa qu'il serait utile de créer des services financiers. II eut dans ce but des contacts intéressants avec Messieurs [Henri Ardant et Maurice Lorain] qui dirigeaient la Société générale et avec Messieurs Bloch-Lainé et André Meyer de la Maison Lazard Frères. C'est ainsi qu'il fut amené à prendre pour collaborateur Monsieur Jacques Barnaud, inspecteur des Finances qui avait été chef de Cabinet de Caillaux et directeur adjoint du Mouvement des fonds. Monsieur Barnaud entra comme directeur général en 1928 dans la Maison et s'occupa de mettre sur pied le département financier. La Société générale "céda" à Worms, Monsieur Ferdinand Vial, inspecteur, et peu après vinrent renforcer le nouveau service Messieurs Marin et Gabriel Le Roy Ladurie. Au sein de Worms & Cie une dotation de 10 millions de francs fut mise à la disposition du service financier qui allait devenir "les Services bancaires" de Messieurs Worms & Cie. Monsieur Raymond Meynial entra alors dans la Maison comme fondé de pouvoirs en octobre 1932.
Dans la période difficile de l'époque, les premières opérations de prise de participation ne se révélèrent pas très heureuses. Il fallut amortir les avances faites à l'Économat du centre pendant prés de 10 ans, celles faites à la Société immobilière du boulevard Haussmann (reprise au groupe Bauer-Marceal), attendre l'après guerre pour trouver une solution à celles faites aux Établissements Marret Bonnin, Lebel et Guieu. Bien que très lourde au début, la prise de contrôle de la société déficitaire, Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur en 1929, devait se révéler grâce à la ténacité de Worms, une affaire rentable et qui devint Nouvelle compagnie havraise péninsulaire de navigation (Nochap).
Mais en 1932-1933 on peut dire que la dotation des Services bancaires se trouvaient amplement "mangée". Il fallut donc reconstituer la trésorerie et c'est à quoi s'attelèrent Messieurs Le Roy Ladurie et Meynial en attirant, en particulier, de nouveaux dépôts. De toute façon, la Maison Worms tint bon car elle était le premier importateur de charbons étrangers en France, possédait la première place à Port-Saïd, était le principal fournisseur de la marine française et avait une flotte déjà importante qui lui permettait un armement rentable. L'ensemble était un soutien solide.
Sous l'impulsion de Monsieur Le Roy Ladurie, l'action des Services bancaires s'exerça surtout du côté des moyennes et petites entreprises, les grosses affaires étant déjà entre les mains des principales banques de la place. Les dépôts et les réescomptes à la Banque de France permirent ainsi d'augmenter progressivement le nombre des affaires bancaires et de s'intéresser en même temps à de nouvelles prises de participation comme celles dans la Société d'entreprise de grands travaux hydrauliques, EGTH, et dans l'Entreprise Albert Cochery en 1934. De même dans des affaires de moindre importance comme les Parfums d'Orsay.
La direction des Services bancaires dont la taille avant guerre était encore modeste se composait de Messieurs Le Roy Ladurie, Ragaine, Meynial, et depuis 1937, Brocard. Son implantation se trouvait dans les locaux au 2ème étage du 45 boulevard Haussmann.
En 1938, la politique belliqueuse de l'hitlérisme amena le gouvernement (le ministre des transports Anatole de Monzie) à demander à Monsieur Worms de créer une Société de transports pétroliers afin de doubler la capacité du ravitaillement français en pétrole.
Monsieur Meynial eut à ce sujet des entretiens de mise au point avec Monsieur de Monzie ; le gouvernement ne pouvait en période de vacances parlementaires faire voter des crédits et toute la charge de l'achat de pétroliers devait donc être assumée par la société qui allait être créée. Ainsi vit le jour, la Société française de transports pétroliers au capital de 30 millions (70% aux groupes privés - 20% à l'Office national des combustibles liquides). Le groupe privé était constitué par Worms & Cie Desmarais Frères, Louis Dreyfus & Cie, Saint-Gobain, la Compagnie auxiliaire de navigation et la Compagnie navale des pétroles.
Pour l'achat de bateaux, un emprunt obligataire de 200 millions fut mis sur pied, avec la garantie de l'État, mais pour opérer rapidement Monsieur Meynial demanda une avance sur cette émission obligataire à la Caisse des dépôts et consignations, le reste du financement était assuré à terme par les banquiers des vendeurs. Messieurs Worms et Meynial visitèrent les pays scandinaves pour y acheter d'urgence des pétroliers ce qui fut rapidement réalisé. Au moment où la guerre éclata tous les pétroliers furent affrétés d'office par l'État et ceci permit à la société de vivre.
Fin 1939, Monsieur Hypolite Worms est nommé par le gouvernement chef de la délégation française à l'Exécutif franco-anglais des transports maritimes et il se rend à Londres accompagné de ses principaux collaborateurs, Messieurs Robert Labbé et Raymond Meynial.
En raison de l'occupation de la France par l'ennemi et malgré l'armistice intervenu le 25 juin, Monsieur Hypolite Worms signe à Londres avec l'Angleterre les "accords Worms" qui, cèdent au gouvernement anglais tous les affrètements de navires que la France avait en cours. Ces accords permirent à l'Angleterre de bénéficier de l'apport de la flotte pétrolière française dont le concours lui fut si utile pour poursuivre le combat.
Au moment du repli du gouvernement à Bordeaux en juin 1940, le ministre Rio, ministre de la Marine marchande, avait donné à Monsieur Worms des pleins pouvoirs pour disposer de la marine marchande française. C'est ainsi que Monsieur Worms non seulement signa les "accords Worms" mais fit dérouter sur Liverpool une cargaison venant des États-Unis comportant 1.500 canons de 75 et 17.000 mitrailleuses. C'est Monsieur Meynial en tant qu'officier d'artillerie, qui donna aux officiers anglais les premières instructions concernant l'utilisation de ces canons 75.
En septembre 1940, Messieurs Worms, Labbé et Meynial revinrent en France malgré les événements, Monsieur Worms laissa sa famille en Angleterre (Madame Worms était anglaise d'origine) mais tint absolument à supporter la responsabilité, pendant l'occupation, de la direction de la Maison qui porte son nom. C'est par le Portugal et en passant par Vichy où il rendit compte à l'amiral Auphan des "accords Worms" signés à Londres que Monsieur Worms, accompagné de Messieurs Labbé et Meynial regagna Paris.
La Maison Worms, menacée par les lois raciales hitlériennes d'un contrôle allemand, demanda à la Banque de France la présence simultanée d'un commissaire français qui fut Monsieur Olivier de Sèze. Le premier commissaire allemand se nommait Monsieur von Ziegesar ; il fut remplacé en 1941 par Monsieur von Falkenhausen qui se conduisit d'une façon très correcte envers la Maison. Monsieur Meynial réussit à faire échapper aux Allemands les créances à terme des banquiers hollandais venues à échéance pendant l'occupation et représentant le financement des pétroliers de la SFTP. Il fit traîner pendant toute la guerre la mise au point du recouvrement de ces créances qui furent réglées seulement après la libération de la France et de la Hollande.
En 1940-1941, les Services bancaires se sont intéressés à la réorganisation et au contrôle d'importantes affaires comme les Établissements Japy Frères, la Manufacture centrale des machines agricoles C. Puzenat, la Société de courtage maritime et d'études, devenue la Socomet, les Peintures Astral-Celluco et au travers de la Société générale des matières grasses, les Établissements Fournier-Ferrier.