1944.12.04.De Eugène Guernier - société Le Molybdène.Note

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Note sur la livraison de 25 tonnes de MOS2 à la société Otto Wolf de Cologne
rédigée par M. Guernier, président directeur général de la société Le Molybdène

Au mois de novembre 1940, M. Guernier, président de la société Le Molybdène, reçut la visite de M. Acker, ingénieur allemand des mines, représentant la Maison Otto Wolf de Cologne spécialisée dans le commerce des minerais.
M. Acker se disait d'autre part :
1/ mandaté régulièrement par le gouvernement allemand,
2/ connaître M. Blondel, directeur du Comité d'organisation des mines et minerais, qu'il rencontrait souvent à travers le monde dans les Congrès internationaux de géologie.
M. Acker manifesta le désir d'acheter du minerai de molybdénite.
Dès cette première visite, nous avons signalé à M. Acker que d'une part notre production était engagée et que, d'autre part, notre exploitation était sous réquisition du gouvernement marocain. Dans ces conditions, il nous était impossible d'envisager une livraison.
M. Acker fit plusieurs visites au siège. Notre secrétaire général répondit toujours dans le même sens.
En février (1er février 1941), à la requête de M. Acker, notre secrétaire général écrivait dans le même sens et saisissait M. Blondel, directeur du Comité d'organisation.
Le 15 mars, une autre firme allemande, la Maison Possehl, de Lubeck, demandait une offre. Même réponse de notre part, de même qu'à toutes les maisons, très nombreuses, nous faisant la même demande, notamment la firme Julius Muller à Ulm et la Erz und Metallhandel AG qui, à maintes reprises, ont cherché à conclure avec nous. Signalons surtout les visites réitérées d'un délégué de l'électrochimie de Nuremberg, probablement une des plus grandes firmes allemandes s'occupant de ferro-alliages et dont les exigences ont également pu être éludées sous la raison que notre production était réquisitionnée. À ce propos il faut remarquer que les pourparlers Acker qui ont traîné en longueur, pendant un an et demi, nous ont servi de prétextes pour éluder les demandes d'autres maisons allemandes, parmi lesquelles celle de l'Électrochimie de Nuremberg fut particulièrement pressante.
Toutes ces visites étaient signalées au Comité.
Ne recevant aucune réponse ni aucune directive du Comité d'organisation, pas plus à nos lettres qu'à nos nombreux coups de téléphone, M. Guernier écrivait le 24 mars en dégageant sa responsabilité.
Le 14 mai 1941, M. Acker se faisant menaçant et parlant de sanctions devant nos tergiversations, M. Guernier rendit visite à M. Blondel.
Celui-ci considéra que nous avions tergiversé pendant un temps raisonnable et que le moment était venu de faire une offre à M. Acker avec qui il avait, nous confirma-t-il, des relations sur le terrain scientifique. En faisant cette offre pour une quantité limitée, M. Blondel pensait gagner du temps et éviter le pire.
M. Blondel donna donc l'ordre à M. Guernier de faire une offre sans engagement. M. Friedel, inspecteur général des Mines, directeur de l'Ecole des mines et représentant le BRPM, au sein du conseil du Molybdène, par hasard, était présent. On se mit d'accord pour faire une offre marchande normale mais avec des réserves.
M. Guernier écrivit la lettre d'offre du 15 mai 1941.
Dans cette lettre, M. Guernier débutait en faisant la double réserve suivante :
a) la production de minerai de molybdène de notre société est toujours soumise à la réquisition du gouvernement du Maroc ;
b) nous avons un engagement moral vis-à-vis de nos acheteurs habituels.
Bien plus, il ajoutait textuellement les réserves qui suivent.
« Réserves expresses : il est formellement convenu que la présente offre ne saurait comporter aucun engagement de notre part tant que le Comité d'organisation des minerais et métaux ne nous aura pas signifié l'autorisation formelle de livrer la quantité proposée et donné son accord complet sur le prix indiqué. »
De son côté, M. Blondel, par sa lettre de juin 1941 (non datée) accuse réception de l'offre de M. Guernier.
Il dit bien :
« Je vous signale qu'en fournissant des conditions aussi précises, vous avez outrepassé mes instructions. En particulier je ne puis accepter les offres de prix que vous avez faites. »
Mais de ce texte, il ressort :
1) que M. Blondel a bien donné des instructions, qu'il est d'accord sur le principe de l'offre faite sur son ordre, et c'est là toute la question ;
2) que du moment que M. Blondel n'est pas d'accord sur le prix, notre offre est nulle ; ceci ressort du texte même de nos réserves.
On est donc en droit de s'étonner que le gouvernement français et le gouvernement marocain n'aient pas profité des réserves faites par M. Guernier pour se dégager et, qu'au contraire, ils aient procédé à la livraison sans même nous consulter.
Il importe de remarquer qu'à ce moment les essais concluants que nous avions fait faire sur la concentration du minerai de cuivre extrait de notre exploitation, nous permettait de donner à notre directeur sur place des instructions pour stopper la production de molybdénite et nous consacrer à la production du cuivre.
Par cette manœuvre, nous atteignons le triple objectif suivant :
1/ pouvoir répondre aux autorités allemandes que nous avions arrêté l'exploitation du molybdène (à noter que, pendant ce temps, nous avions produit 70 tonnes de molybdénite dont nous avions toujours caché l'existence aux autorités allemandes),
2/ échapper à l'incurie du gouvernement français qui s'obstinait à ne pas répondre à notre demande d'augmentation du prix sur le minerai de molybdène en vendant un minerai de cuivre,
3/ contribuer à sauver, même à perte, la viticulture nord-africaine.
C'est ainsi que le 24 mai 1941, nous demandions à notre Comité d'organisation de nous autoriser à vendre 500 tonnes de chalcopyrite flottée à 25% de cuivre à la société Sulfates et Produits chimiques.
L'abandon de la production de molybdène nous a valu d'être convoqués à la Commission d'armistice franco-allemande en même temps que le délégué français de cette commission, M. Ratti et un délégué du ministère de la Production industrielle. On nous reprochait de ne pas avoir consulté les autorités allemandes pour ce changement de production. Afin d'éviter des complications graves pour la société Le Molybdène et d'accord en ceci avec le délégué français à cette conférence, la société faisant valoir des demandes pressantes qui nous avaient été faites par les colonies nord-africaines en vue de la fourniture de minerais de cuivre, ceci afin de satisfaire leurs besoins en sulfate pour sauver les vignobles. Les délégués allemands voulaient nous forcer absolument à reprendre la production des minerais de molybdène alors que la société prétendait que le manque de main-d'œuvre et de minerais reconnus ne lui permettait pas de revenir à l'exploitation des minerais de molybdène. Les délégués allemands, parmi lesquels figurait un représentant de la maison Krupp, suggéraient de nous faire construire rapidement une deuxième usine de traitement de minerais et, pour palier le manque de main-d'œuvre, de mettre à notre disposition des prisonniers russes.
Nous sommes restés fermes sur nos positions.
Mais, entre la première visite de M. Acker (novembre 1940) et la livraison (février 1942) il s'est écoulé 15 mois pendant lesquels la société Le Molybdène n'a cessé de résister.
Le 18 juin 1941, M. Blondel demandait copie de toute la correspondance échangée avec M. Karl Acker.
Le 25 juin satisfaction était donnée à M. Blondel.
Le 29 juillet 1941, M. Guernier saisissait M. Blondel d'une nouvelle démarche de M. Acker qui demandait à faire une démarche personnelle auprès du Comité d'organisation avec notre secrétaire général, M. Hoffmann.
M. Guernier répondait textuellement à M. Acker :
« Je suis dans la dépendance totale de mon Comité d'organisation. Je ne puis pas autoriser mon secrétaire général à faire une démarche collective avec vous auprès de mon Comité d'organisation sans avoir, au préalable, obtenu son autorisation. Je téléphonerai donc à mon Comité d'organisation et ne manquerai pas de vous faire connaître le résultat de ma démarche. »
Le 24 novembre 1941, par conséquent un an après les premières démarches de M. Acker, M. Guernier saisissait à nouveau le Comité d'organisation en lui faisant savoir que M. Acker faisait connaître que le gouvernement français et le gouvernement allemand, à la suite d'entrevues de leurs représentants à Wiesbaden, s'étaient mis d'accord pour que la société Le Molybdène livre 20 tonnes de molybdénite à la société de M. Acker.
En conséquence, M. Guernier demandait à M. BlondelL des instructions formelles.
M. Blondel répondait par une lettre non datée qu'il ne lui était pas possible de donner des instructions tant que l'administration française n'aurait pas été saisie d'une demande des autorités compétentes.
Or, à partir de cette date, la société Le Molybdène n'a plus été au courant de quoi que ce soit, pas même des circonstances de la livraison et, à chaque fois que nous demandions des nouvelles au Comité d'organisation, il nous était répondu que la chose ne nous regardait plus et que tout se passait directement avec le gouvernement marocain.
Or, entre-temps, le 17 octobre 1941, M. Blondel nous transmettait "pour information" copie d'une lettre de lui-même au directeur de la Production industrielle de Rabat lui faisant savoir que le gouvernement français, d'accord avec la Commission d'armistice franco-italienne, avait décidé de fournir à l'Italie 5 tonnes de minerai de molybdénite et que le fournisseur désigné était la société Le Molybdène. Ces 5 tonnes ne furent jamais livrées.
Cette pièce révèle à elle seule tout le processus de l'affaire : tout s'est passé à la Commission d'armistice sur le vu de l'offre écrite par ordre du Comité d'organisation. La livraison s'est faite ensuite d'accord entre les trois gouvernements : 25 tonnes d'accord entre les gouvernements français marocain et allemand.
Dans ces conditions, on peut être en droit de s'étonner que le gouvernement marocain ou le Comité d'Alger, puisse aujourd'hui reprocher à la société Le Molybdène d'avoir fait des livraisons à l'ennemi, alors que cette société n'a fait que tergiverser pendant plus d'un an pour ne pas effectuer de livraisons effectuées par son ordre aux ennemis, et qui aurait accepté, en paiement, des fournitures en nature en provenance d'Allemagne. Cette négociation a été faite complètement en dehors de nous. Nous ne l'avons connue qu'une fois exécutée et très succinctement. Ceci démontre bien une fois de plus que toute la négociation a été conduite par le gouvernement français.
Plus tard M. Acker demanda la livraison de 25 tonnes. La société tergiversa jusqu'au jour du débarquement allié.
En définitive, l'attitude de la société Le Molybdène et de son président a été une résistance constante aux Allemands sous les différentes formes suivantes :
1/ tergiversations de novembre 1940 à mai 1941, époque à laquelle le Comité d'organisation donne ordre d'offrir avec réserves 25 tonnes de MOS2, ceci afin d'éviter le pire,
2/ occultation de la production réelle de MOS2 ce qui a permis de sauver plus de 70 tonnes de MOS2,
3/ décision dès novembre 1940 de cesser la production de MOS2 et de concentrer tous les efforts vers la production du cuivre ce qui n'avait jamais été fait. Cette décision entraînait,
a) une longue préparation des chantiers d'abattage de minerai de cuivre,
b) certaines modifications de l'usine de flottation.
En août 1941, la production de MOS2 était complètement arrêtée ; le cuivre seul était produit et entièrement destiné aux vignobles de l'Afrique du Nord.


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