1944.09.25.De Worms et Cie.Note sur les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime
Copie
Le PDF est consultable à la fin du texte.I - Le [22] juin 1940, jour de l'armistice franco-allemand, les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime (Worms & Cie), au Trait (Seine inférieure) avaient notamment sur cale les deux sous-marins "La-Favorite" et "L'Africaine", la première de ces unités étant à quelques mois de son lancement et de son achèvement.
Au cours des journées précédant cette date, la direction des Chantiers a vainement essayé de provoquer les ordres des autorités compétentes en ce qui concerne la destruction de ces unités. Aucun explosif n'avait en effet été mis à la disposition des Chantiers, et il ne paraît pas en avoir existé d'adéquat dans la région rouennaise. Aucun fonctionnaire qualifié ne put d'ailleurs être touché malgré les démarches réitérées de la direction.
II - En vertu des dispositions de la Convention de La Haie, ces unités, bâtiments de guerre et propriété de la Marine nationale, furent déclarées prises de guerre et devinrent propriété du Reich.
Comme il a été expliqué dans une note précédente, l'ordre de reprendre le travail quant à elles n'est intervenu qu'à la suite d'instructions formelles de la Marine nationale, répondant à une lettre de réserves de la Maison Worms précisant qu'elle ne poursuivrait la construction de ces unités qu'en vertu d'ordres précis du gouvernement français.
Finalement l'ordre de continuer leur construction a été confirmé par une lettre du mois d'octobre 1941, relevée dans la note susvisée, lettre émanant de la Marine nationale et transmise, après intervention du commissaire du gouvernement, M. l'ingénieur général Balland, par M. Bourges, président du Comité d'organisation de la construction navale, ce dernier organisme ayant été le seul à intervenir vis-à-vis des Chantiers comme intermédiaire de l'amirauté allemande, de la Commission d'armistice de Wiesbaden et de la Marine nationale.
III - Le travail s'est poursuivi à l'extrême ralenti sur "La-Favorite", livrée avec presque deux ans de retard sur la date normalement prévisible ; toutes les personnalités compétentes peuvent en faire foi.
Les sommes dépensées en 27 mois ont atteint seulement 15.425.636,81 dont 3.458.388,05 au titre de fournitures de matières, c'est-à-dire de dépenses extérieures à l'activité propre des Chantiers.
A de nombreuses reprises - qui seront précisées - l'amirauté allemande a élevé de vives protestations à l'égard des Chantiers pour leur mauvais vouloir; le secrétaire général des Chantiers et le secrétaire de la direction ont été incarcérés deux mois à Rouen au moment du lancement, à titre de moyens de pression.
IV - Lors de la reprise de la construction du sous-marin "La-Favorite", trois attitudes pouvaient être envisagées de la part de la Maison Worms.
Refuser de travailler. Mais les Chantiers auraient été réquisitionnés et auraient connu, sous une direction allemande, et cependant avec des moyens de production purement français, une activité réelle. Le sous-marin "La-Favorite" aurait été lancé au moins un an plus tôt ; le sous-marin "L'Africaine" aujourd'hui détruit aurait été lancé en 1942 ; d'autres unités analogues auraient certainement été construites.
Saboter les navires une fois achevés. Les Chantiers savaient que le résultat serait catastrophique : exécution de responsables, déportation massive d'ouvriers, enlèvement du matériel, car l'on ne saurait raisonner comme pour une usine travaillant en série.
Continuer le travail. Tout compte tenu, cette solution apparaissait comme la meilleure ; elle maintenait intact - sauf le risque de bombardement - un actif industriel français. En assurant par des Français seuls le contrôle et la responsabilité de la production, elle permettait de saboter effectivement celle-ci. Les résultats sont là pour le prouver.
D'ailleurs la valeur militaire de ce sous-marin apparaissait comme très réduite ; la suppression des tubes lance-torpilles orientables diminuait notablement sa capacité offensive ; unique exemplaire de son type dans la Marine allemande, sans pièces de rechange, d'un modèle inconnu des états-majors et des équipages, "La-Favorite" apparaissait plus comme un engin de laboratoire et d'études que comme un véritable navire de guerre.
V - Le même effort de travail à l'extrême ralenti a été exercé en ce qui concerne la sous-marin "L'Africaine".
Primitivement prévu comme devant intervenir à la fin de 1943, son lancement n'est jamais intervenu, le navire ayant été détruit sur cale lors des événements d'août 1944, et ce malgré des menaces réitérées qui seront précisées.
VI - Les mesures ainsi adoptées ont eu pour effet :
- de faire rapatrier d'Allemagne la quasi-totalité des prisonniers des Chantiers,
- d'éviter dans toute la mesure du possible les départs d'ouvriers en Allemagne,
- d'éviter l'enlèvement du matériel des Chantiers, c'est-à-dire d'instruments de travail indispensables pour la nation au lendemain de la guerre.
VII - Aucun résultat financier n'a encore été dégagé sur cette unité, la liquidation de nos comptes apparaissant comme particulièrement complexe.
Néanmoins pour la période partant du jour de l'armistice, un déficit de 496.491,29 a été considéré comme certain et dûment provisionné.
VIII - Tous les arguments exposés ci-dessus jouent également dans le cas du pétrolier "Charente", les résultats financiers ayant été encore plus désastreux.
IX - L'on ne saurait enfin passer sous silence que la Maison Worms était dotée depuis le 23 octobre 1940, et ce jusqu'en août 1944, d'un commissaire gérant allemand qui surveillait étroitement la marche des Chantiers en raison de ses relations particulières avec l'amirauté allemande.
25 septembre 1944