1937.03.12.De Jacques Marchegay - CCAF.Note

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Paris, le 12 mars 1937

Sous le prétexte qu'il bénéficiait du privilège du pavillon, l'armement au cabotage avait été privé, presque entièrement, des avantages de la loi du 12 juillet 1934 - première loi Tasso - d'aide à l'armement libre. Un tel traitement n'était d'ailleurs pas justifié car le cabotage restait soumis à la concurrence du chemin de fer et l'on sait combien elle était sévère à cette époque. Quoi qu'il en soit, cette industrie dut se contenter de l'attribution du coefficient 1 mais seulement jusqu'à concurrence de 375 tonneaux de jauge brute par navire quelle que fût sa jauge brute totale.
Plus tard, le 26 juillet 1936, quand fut promulguée la deuxième loi Tasso d'aide à l'armement, dont le but était de compenser les charges nouvelles qui venaient d'être imposées, elle fut l'objet d'un traitement légèrement meilleur mais sans cependant atteindre, il s'en faut, le pied d'égalité avec le reste de l'armement. L'article 4 de ladite loi, étendant le coefficient 1 aux 1.500 premiers tonneaux de chaque navire accordait, en outre, le coefficient ½ pour les 500 tonneaux de 1.500 à 2.000. Autrement dit, bénéficiaient intégralement de la nouvelle loi, avec ce coefficient, les navires au cabotage jusqu'à concurrence de 1.750 tonneaux de jauge brute, au lieu de 375.
Ces deux lois, en vigueur jusqu'au 31 décembre 1936 furent prorogées, la première jusqu'au 31 décembre 1937 et la seconde jusqu'au 31 mars de la même année seulement.
II en résulte qu'à partir de cette date - 31 mars 1937 - si aucune mesure législative nouvelle n'intervient, le cabotage reviendra au traitement qu'il avait subi depuis le mois de juillet 1934 jusqu'au mois de juillet 1936.
Or, sa situation, depuis la promulgation de la première loi Tasso (1934) s'est profondément modifiée et, de mauvaise, elle est devenue lamentable.
Les charges nouvelles qu'il supporte et qui le mettent en état d'infériorité devant son concurrent habituel - le rail - ne sont pas seulement constituées par celles qui incombent à tout l'armement et que nous appellerons les "charges directes" mais encore, et peut-être davantage, par celles qui ont été appliquées à l'industrie de la manutention.
Qu'il s'agisse d'un trafic de port à port ou d'un forfait d'un point de l'intérieur à un autre point de l'intérieur, les frais de chargement et de déchargement dans le premier cas, auxquels s'ajoutent les frais de transit dans le deuxième, sont, en effet, les facteurs qui entrent intégralement dans le prix de fret ou dans le forfait que le cabotage présente aux clients, pour être comparée à celui du fer.
Une simple énumération des charges nouvelles des deux catégories montrera quelle importance peut atteindre l'augmentation des frais d'exploitation, dans le sens complet et exact du mot :
- hausses des salaires - et de leurs accessoires - des états-majors et des équipages,
- mise en application des contrats collectifs qui augmente singulièrement le nombre et le prix des heures supplémentaires à payer,
- augmentation des frais de nourriture et accroissement tant en fréquence qu'en quantité - des indemnités à verser aux officiers et marins lorsqu'ils ne sont pas nourris à bord,
- dans beaucoup de cas, augmentation de l'effectif des navires,
- création des congés payés, etc., etc.
Notons, en passant, que sur justification, ces dépenses devaient être remboursées par le jeu de la 2ème loi et que si celle-ci était abrogée, ses bienfaits ne seraient remplacés par rien, comme nous allons le voir par la suite.
Dans l'autre catégorie, il convient d'énumérer les charges suivantes :
- augmentation des salaires des dockers, c'est-à-dire du prix de la manutention,
- mise en application des contrats collectifs dans les ports, c'est-à-dire diminution des heures ouvrables et, par suite, augmentation des frais résultant de l'obligation de recourir à des heures supplémentaires,
- impossibilité souvent d'obtenir ces heures supplémentaires, à quelque prix que ce soit et, par conséquent, séjours plus longs dans les ports, d'où allongement de la rotation et diminution du rendement du bateau : la même recette demande, en effet, et toutes choses égales d'ailleurs, pour être encaissée, beaucoup plus de temps qu'autrefois, alors que la plupart des dépenses restent proportionnelles au temps écoulé. (Cette considération est primordiale car les séjours à la mer des navires caboteurs sont de très courte durée et atteignent rarement 48 heures. Or, quand il fallait 3 jours pour charger et décharger un navire, il en faut maintenant 6, soit une augmentation de durée de 3 jours sur 5, c'est-à-dire plus de 50%. Et pendant ces trois jours, les équipages sont payés, l'amortissement pour les polices d'assurance aussi, etc.),
- et les inconvénients qui précèdent vont augmenter d'importance immédiatement, par suite de la mise en application de la semaine de 40 heures sur les quais.
Enfin, il est une autre catégorie de dépenses qui ont été accrues et qu'il convient de citer :
- ce sont celles qui proviennent de l'entretien des navires en conséquence des augmentations générales du prix de la main d'œuvre, du prix des matières, sans oublier les combustibles et approvisionnements de toute nature.
En contre-partie, l'armement en général a bénéficié de l'alignement monétaire et, dans certains cas, ce seul phénomène a eu pour conséquence immédiate un accroissement de recettes de 30% : le cabotage n'a pas eu cette ressource et ses frets sont restés les mêmes, en francs alignés - qu'ils étaient en francs 1926.
Par une heureuse coïncidence, la reprise mondiale a eu pour conséquence immédiate de permettre un relèvement en Livres des frets qui, pendant un certain temps et dans certaines conditions, a doublé. S'il n'en est plus ainsi actuellement, la différence en Sterling des frets pratiqués par les tramps entre le mois de mars ou avril, par exemple, est maintenant encore de plus de 50% des premiers : le cabotage ne participant pas au trafic mondial mais bien exclusivement à l'économie nationale, non seulement n'a pas profité de ce relèvement des taux de fret mais encore, il a été obligé de ne pas augmenter ses tarifs puisque, quelles que soient les charges nouvelles et la situation économique du moment, le chemin de fer conserve les siens.
Si l'augmentation des recettes n'a pas été, pour les lignes régulières internationales, aussi forte que dans le tramping, elle a été tout de même intéressante et il convient de souligner qu'elle s'est ajoutée à une autre augmentation provenant de l'accroissement du volume du trafic depuis quelques mois : le cabotage encore se trouve - à peu près tout seul - privé de ce bienfait puisque, non seulement le tonnage qu'il transportait n'a pas augmenté en soi, mais qu'il doit en perdre pour les deux raisons suivantes :
1°- des chargeurs pressés d'avoir leurs marchandises et qui utilisaient les services du cabotage, alors que ceux-ci étaient à la fois réguliers et relativement prompts, se tourneront vers le fer parce que la durée de rotation ayant augmenté, la fréquence des départs aura diminué et les délais de livraison se seront accrus ;
2° - parce que, dans certains cas, la manutention est devenue tellement chère que le fret de mer qui restait à l'armement était vraiment trop misérable pour mériter d'immobiliser des navires pendant quelques jours de plus.
Ainsi, depuis 1934, et même depuis le commencement de l'année 1936, on peut dire que la situation a changé complètement de face : si, à tort ou à raison, on a pu prétendre que la navigation au cabotage était privilégiée par rapport aux autres puisqu'elle était protégée de la concurrence étrangère, il se trouve qu'elle a supporté, plus qu'aucune autre, et on peut dire, au maximum, les nouvelles charges sociales incombant à l'armement et à la manutention, alors qu'elle ne bénéficie d'aucune des contre-parties que les autres ont pu trouver.
Il est donc essentiel, sous peine de voir désarmer un grand nombre de navires, qu'à l'occasion de la prorogation éventuelle de la loi du 26 juillet 1936, le parlement examine cette situation tout à fait critique pour venir en aide au cabotage et lui permettre de traverser les difficultés de l'heure, difficultés qui ne peuvent d'ailleurs se terminer qu'avec une augmentation suffisante des tarifs de transports par voie ferrée.
A vrai dire d'ailleurs, la mesure bienveillante qui doit être prise en faveur du cabotage national doit s'étendre au cabotage international toutes les fois que le navire se trouve en concurrence avec les voies ferrées qui ont conservé les tarifs d'il y a quelques mois : tel est le cas du cabotage entre la France, et la Belgique.


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