1926.11.25.Du Comité parlementaire français du commerce.Paris
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Comité parlementaire français du commerce
Séance du jeudi 25 novembre 1926
La question du charbon au point de vue international
Exposé de M. Le Trocquer, député, ancien ministre des Travaux publics
Présidence de M. A. Landry, député, ancien ministre, en l'absence de M. Charles Chaumet, sénateur, ancien ministre, président du Comité, excusé.
Présents : M. Charles Dumont, sénateur, ancien ministre ; Fernand-Faure, Joseph-Courtier, Montenot, Pol-Chevalier, Provost-Dumarchais et Servain, sénateurs.
MM. Leredu et Le Trocquer, députés, anciens ministres ; M. Gaston-Bazile, député, ancien sous-secrétaire d'État ; Angoulvant, député, gouverneur général des Colonies ; Bedouce, Abbé Bergey, Jean Carnot, Charlot, Desjardins, Epivent, Inizan, René Lafarge, Le Corbeiller, Le Friec, Regnier (Yonne), Salmon et Tremintin, députés.
MM. Paul Delombre, ancien ministre ; Jules Bertrand, Gaston-Deschamps, Georges Grosjean et Jacques Stern, anciens députés,
MM. Cahen, Dupeyrat, Gabriel Félix, Peschaud et Pottier, membres du Comité.
M. Émile Labarthe, secrétaire général du Comité.
MM. Borderel, président de la Fédération nationale du bâtiment ; Saffrey, représentant les établissements Schneider ; Alexis Muzet, ancien député, président du Syndicat général du commerce et de l'industrie ; Cdt S. R. Denis, secrétaire général de la Maison Worms & Cie (armateurs) ; Brylinski, du Syndicat professionnel-des producteurs et distributeurs d'énergie électrique ; Michaut, président du Syndicat général de l'industrie hôtelière de Paris ; Bailly, industriel, président de la Fédération des industries de la mode ; Lyautey, de l'Association de l'industrie et de l'agriculture françaises ; Pailhaud, représentant l'Union normande ; Dupont, président de la Compagnie des mines de Vicoigne, Noeux et Drocourt ; Parent, secrétaire général du Comité central des houillères de France ; Duhamel, du Comité central des houillères de France ; Nouvion, directeur de la Banque de l'Afrique occidentale ; Émile Henry, directeur de la Société anonyme des hauts-fourneaux et fonderies de Pont-à-Mousson ; Gérardin, directeur du Journal des charbonnages ; Louis Danty-Lafrance, professeur à l'École centrale, régisseur à la Société du gaz de Paris.
La séance est ouverte à 10 heures.
M. le président présente les excuses de M. Charles Chaumet, président du Comité, retenu par l'assemblée générale annuelle du Comité républicain du commerce et de l'industrie.L'ordre du jour appelle l'exposé de M. Le Trocquer, sur la question du charbon au point de vue international.
M. Le Trocquer remarque, en commençant, qu'il n'est pas de problème international plus complexe et, dans les circonstances économiques que nous traversons depuis 1920, pas de problème d'aspects plus changeants que celui du charbon. En 1920, on se demande en France comment se procurer les quantités indispensables de houille et les prix apparaissaient prohibitifs. Inversement, en 1924 et surtout en 1925, la grande préoccupation des Anglais est de trouver le moyen d'écouler leur production, bien qu'ils aient, dès le 1er semestre de 1924, fermé 300 à 400 de leurs puits de mines. Des stocks tout à fait anormaux existent dans la Ruhr, en Belgique et en Pologne. La question se pose de savoir s'il n'y a pas surproduction de charbon. Et voici la grève anglaise !
Lorsqu'on examine un problème de ce genre, il faut écarter les facteurs, qui, si importants qu'ils soient dans le moment, n'en sont pas moins des facteurs passagers. La grève anglaise est de ce nombre. Quelle était la situation avant la grève, en 1925 ? La production de la Grande-Bretagne avait diminué de 12% par rapport aux chiffres de 1913, tandis que la production mondiale était la même, à 1 ou 2% près. Les exportations anglaises ne représentaient plus que 5% de la consommation faite dans le monde, en dehors du Royaume-Uni, au lieu de 7%.
Au contraire, l'excèdent des exportations de l'Allemagne sur ses importations est en augmentation sensible : de 24 millions de tonnes en 1913, il est passé à 28 millions en 1925. La Belgique a retrouvé à peu près sa production de 1913. En Hollande un effort énorme a été fait, qui a permis à ce pays d'abaisser le chiffre de ses importations de 13 millions de tonnes (1913) à 7 millions (1924). De même, en Espagne, l'augmentation de la production a réduit les importations de 3 millions de tonnes environ à un million et demi. En Pologne, si les houillères ne sont pas encore revenues aux chiffres de 1913, elles sont en progression très marquée, et il n'y a pas en Europe de gisements aussi riches et aussi faciles à exploiter.
Quelques pays d'Europe restent essentiellement consommateurs, par exemple les pays scandinaves et l'Italie. L'Italie a, il est vrai, aménagé beaucoup de chutes d'eau. Néanmoins, son développement économique a entraîné une augmentation de ses importations de charbon.
Hors d'Europe, l'Amérique du Sud a réduit ses importations de près de moitié, grâce à la substitution à la houille d'autres formes de combustibles, principalement de l'huile. L'Afrique du Sud a fait son apparition sur le marché d'exportation : elle expédie du charbon aux ports de la mer Rouge et de la cote est de la Méditerranée. Quant aux États-Unis, ils en sont à ne mettre en valeur que les mines les plus prospères et ils peuvent, à l'heure actuelle, venir concurrencer les producteurs européens en Europe même.
Quelle est la situation particulière de la France ? De 1903 à 1913, tandis que la production de charbon passait de 34 millions de tonnes à 40 millions, la consommation s'élevait de 48 millions à 64 millions : le "coefficient de couverture" s'abaissait en conséquent de 71% à 63%. Il faut noter que, pendant la même période antérieure à la guerre, l'application de la journée de 8 heures dans les mines faisait descendre le rendement par ouvrier de 830 à 754.
Vint la guerre et le bouleversement des houillères du Nord et du Pas-de-Calais. La production française était tombée, en 1919, à 19 millions de tonnes, ce qui rendait notre pays effroyablement tributaire de l'étranger. Mais, en 1925, le Nord et le Pas-de-Calais ayant retrouvé leur production d'avant-guerre, la production générale était de 48.055.000 tonnes, - c'est-à-dire supérieure à celle de 1913, qui peut être évaluée, pour le territoire d'après-guerre, à 44 millions de tonnes. En 1920, nous avons importé 30 millions de tonnes et, en 1925, 24 millions. Il faut rendre hommage à l'effort admirable des exploitants et des ouvriers, qui a produit un tel résultat. (Très bien ! Très bien !)
En 1926, nous sommes arrivés déjà, pour les mines du Nord et du Pas-de-Calais, à un chiffre de production supérieur de 2 millions de tonnes à la production de 1913 et nous pouvons prévoir que cette augmentation atteindra 5 millions à bref délai. Nous pouvons tabler sur une production prochaine de 52 à 55 millions de tonnes. Notre consommation est, dès aujourd'hui, de 75 millions de tonnes (dont 65 millions pour notre territoire d'avant-guerre). Elle s'accroissait, avant la guerre, au rythme d'un million et demi de tonnes par an. Avec l'essor nouveau de notre industrie, il faut donc compter sur un déficit de 25 millions de tonnes au moins par an.
Reprenant les données générales du problème, M. Le Trocquer en vient aux graves préoccupations exprimées par les Anglais. La production du charbon dans le monde, qui peut être considérée comme égale à la consommation, a été, en 1924 et 1925, inférieure de 1 ou 2% aux chiffres de 1913 : de quelle façon faut-il interpréter cette constatation ? Comment fera-t-on pour écouler le charbon ?
La consommation, a-t-on dit, diminue parce que certains pays pratiquent une politique qui tend à remplacer la houille par d'autres sources d'énergie. La France et l'Italie, par exemple, développent leur outillage hydroélectrique. Seulement il est faux que tout établissement industriel qui trouve son énergie dans les chutes d'eau soit un établissement enlevé à la clientèle de la houille. Certaines industries, en effet, ne vivent que par le four électrique ; tel est le cas de l'électrochimie et de l'électrométallurgie. C'est un marché nouveau qui se crée et l'on constate, en Italie, que la consommation du charbon augmente à mesure qu'on aménage plus de chutes d'eau.
Voici que le problème prend encore un nouvel aspect : on se demande si, à brève échéance, on n'utilisera pas le charbon à la production d'autres sources d'énergie. C'est la question de la carbonisation à basse température. Dans le rapport qu'il présentait au mois de mai dernier, à la Conférence parlementaire internationale du commerce, Sir Beddoe Rees exprimait l'idée que les recherches faites dans ce sens étaient encore assez éloignées du point où l'on pourra passer à l'application industrielle. Les Allemands annoncent, dès maintenant, qu'ils en seront parvenus à ce point dans quelques mois. On sera peut-être stupéfait, dans une centaine d'années, de la manière dont nous utilisons le charbon. Y a-t-il spectacle plus barbare et plus primitif qu'un train, chauffé au charbon, allant chercher du charbon à de grandes distances pour le transporter au lieu où il sera consommé ? Bientôt l'on verra, peut-être réunir toutes les sources d'énergie, thermiques, hydrauliques, électriques ou autres, pour constituer comme de grands réservoirs d'où un pays tirera indifféremment la satisfaction de tous ses besoins. (Applaudissements).
Comment écouler la production charbonnière ? Le charbon est une marchandise comme une autre. Il se trouve des Anglais pour dire ouvertement à leurs compatriotes : « C'est seulement quand nous produirons à des prix permettant au monde d'acheter que nous pourrons espérer diminuer le chômage. » Pourtant le rapport présenté, à Londres, à la Conférence parlementaire internationale, tendait, derrière les mots, à demander une augmentation des prix dans les autres pays. M. Crespi et l'orateur lui-même ont fait observer que l'instabilité des changes rendait les contrats de longue durée impossibles. « Aidez-nous, disaient-ils, à stabiliser notre monnaie. C'est votre propre intérêt. »
Avant tout, il faut réduire les prix de revient : telle est la conclusion essentielle à laquelle la Conférence de Bruxelles est arrivée. Les voeux qui ont été adoptés demandent d'abord aux gouvernements de s'abstenir de frapper les exploitations charbonnières de charges sociales et fiscales. Ce sont des entreprises qui ont besoin de beaucoup de main-d'oeuvre ; ce voeu tend à assurer l'égalité entre les diverses sources d'énergie. Il faut ensuite écarter toute réglementation de nature à entraver la productivité du travail, et aussi faciliter aux entreprises l'amélioration de leur outillage et de leur exploitation.
Le rendement des ouvriers mineurs dans les divers pays donne lieu à des constatations intéressantes. On peut mettre à part certaines productions exceptionnelles : dans une mine française de Pologne, on a vu le rendement par ouvrier "fond et jour" atteindre 1 tonne 500 et même 1 tonne 862. En France le rendement moyen a subi des variations importantes. De 1903 à 1913, avec l'application des huit heures dans les mines, il est descendu de 830 kilogrammes à 675. La loi de 1919, dite des "huit heures", qui correspond à un travail effectif de 6 heures et demie ou 6 heures trois-quarts, l'a fait tomber à 475 kilos en 1920. Il s'est relevé depuis cette époque : 500 kilos en 1921, 487 en 1922, 547 en 1923, 566 en 1924. En 1925, il est de 578 kilos, soit 82% du rendement de 1913.
En Angleterre le rendement s'est abaissé aussi; il est, par rapport à l'avant-guerre, de 85 à 90%. En Belgique, il est resté à peu près le même. II n'y a qu'un pays où le rendement actuel soit nettement supérieur à celui de 1913 : l'Allemagne. En Saxe, à la vérité, il est de 560 kilos au lieu de 710, mais, dans la Ruhr, où il était de 1.161 kilos en 1913, on constate la progression suivante; 1.079 kilos en 1924, 1.179 en 1925, 1.305 en janvier 1926 et 1.400 en juillet 1926, soit 22% de plus qu'en 1913.
Comment ce résultat a-t-il été obtenu ? La durée du travail a été augmentée. 87 mines qui travaillaient dans de mauvaises conditions ont été fermées : d'où amélioration des conditions d'écoulement de la production du bassin. Le nombre des ouvriers improductifs a été réduit ; la proportion des ouvriers de surface, qui était de 29% en 1918 est revenue à 23%, chiffre de 1913. On a perfectionné l'outillage en multipliant le nombre des perforatrices, des marteaux-piqueurs, des moteurs de couloirs à secousses.
Voilà pourquoi la Conférence internationale a exprimé l'idée qu'il faudra à tout prix que les pays producteurs arrivent à diminuer leurs prix de revient.
Il y a aussi la question des accords économiques et internationaux. Nous en sommes, nous Français, réduits à nous demander comment nous nous chaufferons demain. La Pologne, elle, se voit amenée à envisager un chômage d'un jour par semaine : elle se demande ce qu'elle fera de sa production. Les ports polonais sont insuffisants. Par voie de fer, les prix de transport sont élevés. Mais, il y a en France des régions où l'on est obligé d'acheter du charbon américain, qui est très cher. Il est certain que des accords devraient être préparés entre les pays qui cherchent à écouler et les pays qui ne demandent qu'à consommer.
A l'intérieur même de notre pays, du reste, il y a aussi une question d'écoulement de la production. Ni l'Ouest, ni le Sud-Ouest n'ont de charbon, et ils sont tributaires de la Grande-Bretagne. Ne pourrait-on pas changer cela ? On a sans doute eu tort de supprimer les prix fermes et les prix spéciaux. Il faut abattre les barrières entre les centres producteurs et les centres consommateurs.
Quand on discute comme on l'a fait à Bruxelles, conclut l'orateur, on s'aperçoit que, dans l'ordre international, on doit tendre de plus en plus, non pas au régime de la concurrence, mais au régime de la coopération. (Vifs applaudissements.)
M. le président remercie M. Le Trocquer de son très intéressant exposé, et ouvre la discussion.
M. Borderel croit indispensable d'établir des prix fermes pour les circonstances spéciales. Hier, au Comité consultatif des chemins de Fer, on a décidé d'en appliquer aux charbons, sur le parcours Bordeaux-Biarritz. On va appliquer la même mesure aux pétroles de Gabian (Hérault), qu'il faut envoyer traiter en Alsace, à 915 kilomètres. On envisage une réduction de 30% environ sur les prix de transport.
Il serait certainement utile de prendre des dispositions analogues pour les charbons de la Pologne ou de la Sarre.
M. Le Trocquer. Surtout pour le transport des charbons des mines françaises du nord vers l'ouest, la Bretagne ou Bordeaux.
M. Borderel répète qu'à ses yeux les prix fermes sont une nécessité. Mais ce n'est pas tout. Le développement de notre outillage n'est pas suffisant ; dans la région parisienne, par exemple, les ports n'ont certainement pas assez d'installations et de machines. Enfin, il faut améliorer notre réseau de canaux en perfectionnant le service mécanique et en installant la traction électrique comme sur le canal de Saint-Quentin. (Très bien ! Très bien !)
M. Charles Dumont se déclare d'accord avec M Le Trocquer sur ce point ; étant donné que l'électrochimie, comme on le constate en particulier dans l'industrie de la cyanamide, augmente plutôt la consommation du charbon ; étant donné qu'on a d'intéressantes espérances de produire des huiles et des essences par carbonisation ou distillation de la houille et du lignite, il faut penser que nous pouvons tabler sur un déficit annuel de charbon égal à 25 millions de tonnes.
Pouvons-nous faire disparaître ce déficit ? Ouvrir de nouvelles exploitations exigerait l'investissement de capitaux très considérables : à titre de termes de comparaison, il suffit de voir ce que coûte la construction de maisons. Pour le moment, on ne peut songer à tirer l'appoint nécessaire de houillères nouvelles. Il faut donc que nous nous procurions à l'étranger ces 25 millions de tonnes.
L'Angleterre se plaint de la concurrence allemande. Nous n'y pouvons rien. Si l'Angleterre veut devenir un pays d'ouvriers rentiers, c'est un mal moral dont elle doit elle-même rechercher le remède. Qu'elle s'inspire de l'exemple de nos admirables ouvriers français ! (Très bien ! Très bien !). Et, sachons pour notre part, observer que les résultats obtenus par les Allemands sont dus à la discipline admirable qu'a su faire régner le Kohlensyndikat et à une politique qui a sacrifié délibérément la valeur du mark à la volonté d'outiller l'Allemagne pour la revanche par des investissements formidables.
M. Le Trocquer, dit l'orateur, est un peu trop optimiste sur ce que nous pouvons attendre de la Pologne. Il y a là peut-être une vue d'avenir, mais pour le moment il manque à ce pays des ports, du matériel roulant, et les prix de transport sont si élevés qu'à l'heure actuelle le charbon américain se vend chez nous un peu moins cher que le charbon polonais.
C'est donc surtout à l'Allemagne que nous devons nous adresser. Mais il y a de grandes précautions à prendre. Un cartel de l'acier vient de se former. L'on avait compté que nous obtiendrions toujours de la houille de l'Allemagne en échange de minerai de fer. Seulement on a oublié de l'écrire. La métallurgie allemande peut trouver du minerai ailleurs qu'en France, en Suède par exemple. Et l'on voit le Kohlensyndikat travailler à empêcher les cokeries françaises de naître, en rendant difficile notre approvisionnement en fines. Sur les fines on ne nous fait pas de concessions, tandis qu'on en fait sur le coke, et l'on pratique des prix très différentiels pour la France et pour le Luxembourg. Avant la guerre, l'Allemagne avait fait un effort formidable pour entraver l'industrie française du benzol. Elle applique aujourd'hui des procédés analogues. Le Kohlensyndikat ne consent de marchés que pour 12 ou 13 mois. et majorés de 5 à 6 marks par tonne.
Ainsi, puisque nous sommes obligés d'avoir recours au charbon allemand, il ne faut rien oublier dans les négociations. Tenons-nous en garde contre cet esprit pan-germaniste d'âpre concurrence qui pousse l'Allemagne à chercher à neutraliser l'effet des accords qu'elle a signés. (Applaudissements.)
M. Le Trocquer se déclare d'accord avec M. Charles Dumont. C'est bien du côté de l'Allemagne surtout que nous devons chercher le charbon qui nous manque. Quand on discute avec ce pays, il ne faut négliger de régler aucun détail et il est bon de faire sentir parfois qu'on a la force de son côté. (Très bien ! Très bien !)
M. Parent estime, comme M. Le Trocquer, que notre déficit est de 25 millions de tonnes environ : la consommation de la France est de 75 à 77 millions de tonnes et sa production de 51 à 52, sans compter le charbon de la Sarre. Actuellement 5 millions de tonnes nous sont fournis par les mines domaniales de la Sarre. C'est donc 20 millions de tonnes que nous avons à acheter en Allemagne ou en Angleterre.
Depuis la guerre, les mines françaises ont grévi une pente rapide. La progression ne peut sans doute pas continuer à la même allure, mais elle peut se poursuivre, d'une façon encore sensible dans les houillères du nord et de l'est. Le perfectionnement de l'outillage mécanique dans les mines françaises est tout à fait comparable è celui qui a été réalisé dans la Ruhr.
La grande difficulté, c'est que le Nord nous fournit à lui seul 32 millions de tonnes, la Moselle 7 millions et que nous n'avons pas du tout de charbon dans l'ouest. Il est pourtant essentiel que cette région, déshéritée à cet égard, ne soit pas sous la dépendance anglaise. Certes, il n'est pas possible de chasser le charbon anglais de ports tels que Brest ou Saint-Nazaire, mais il faudrait au moins que nous nous missions en mesure d'affranchir l'hinterland et d'approvisionner Angers, par exemple, avec notre propre production. Cela, c'est une question de tarifs de transport.
Quand les prix de revient de notre industrie se relèveront, la consommation de charbon diminuera. A ce sujet, il faut remarquer que, dans l'industrie minière, la faculté d'adaptation aux circonstances est très faible à cause du nombre des ouvriers qu'on peut difficilement augmenter ou réduire, et à cause de la législation du travail. C'est ce qui nous amène, à certains moments, à acheter des charbons étrangers à des prix formidables.
A propos de l'augmentation du rendement dans certains pays, il faut noter encore que la loi de sept heures anglaise est pratiquement la même que notre loi de huit heures. En portant leur limitation à sept heures et demie, les Anglais instituent dans leurs mines une journée de travail plus longue que dans les nôtres. Il ne faut pas se laisser abuser par les mots.
M. Le Trocquer signale que les Soviets viennent d'adopter une loi de neuf heures pour les mines.
On peut, reprend M. Parent espérer que, pendant quelques temps encore, la courbe du développement de notre production s'élèvera un peu plus vite que celle du développement de la consommation. Il n'est pas impossible que nous réduisions le déficit à un chiffre inférieur à 25 millions de tonnes.
M. Charles Dumont voudrait savoir si l'on a examiné la possibilité d'investir des capitaux dans des houillères nouvelles.
M. Parent répond qu'au lendemain de la guerre, l'oeuvre qui s'imposait était la reconstruction et la réorganisation des exploitations anciennes. C'est maintenant seulement qu'on peut songer à mettre en valeur, par exemple, les concessions du sud de la Lorraine. On s'en occupe avec le désir d'aboutir.
Les charbons du sud de la Lorraine, dit M. Charles Dumont, peuvent-ils servir à la fabrication du coke ?
Non, répond M. Parent, car ce sont des charbons flambants. Mais, au sujet de l'approvisionnement de nos cokeries, les préoccupations sont un peu moins vives depuis qu'on a compris le parti qui peut être tiré des mélanges de charbons. (Applaudiss.)
Mr. Paul Delombre signale, en commençant, qu'il vient d'être décidé que les services publics seraient approvisionnés de charbon par priorité. On peut craindre que des industries ne viennent à être privées, d'un moment à l'autre, de l'aliment indispensable.
On reconnaît généralement la nécessité de réduire les prix de revient. Or, il y a quelques jours, des augmentations de salaires ont été consenties, par les sociétés minières. Les industriels ont été avisés que les contrats, sur lesquels ils comptaient, tombent. On aperçoit immédiatement les répercussions possibles sur la production nationale. Avant de prendre des mesures aussi dangereuses, a-t-on su faire ressortir aux yeux des ouvriers la solidarité que, dans les circonstances actuelles, unit toutes les catégories et toutes les classes de producteurs ? Il fallait avoir confiance dans leur bon sens et dans leur courage auquel, tout à l'heure, M. Charles Dumont rendait justement hommage. Il aurait fallu leur faire comprendre les exigences de l'heure, tandis qu'on risque de se trouver bientôt devant de nouvelles demandes, accompagnées de menaces de grève.
On peut chercher dans les tarifications de chemins de fer un moyen de réduire les prix de revient. Certes, il importe que ce ne soit pas au préjudice du Trésor. Dans cette matière, en tous cas, il faut tenir le plus grand compte de toutes les répercussions sur la production nationale.'
Des orateurs viennent de parler des améliorations techniques dans les mines. On ne reconnaîtra jamais trop l'admirable effort par lequel la vie a été rendue à nos houillères abominablement noyées, détruites par la horde allemande lors de l'invasion criminelle de 1914. (Très bien ! Très bien !)
Tout notre charbon est situé à notre frontière. C'est un danger très grave, à cause des voisins qui ont été et sont restés nos ennemis. Nous ne saurions trop nous préoccuper de ce péril, mais, pour y parer, il faut surtout des capitaux. Pour que ces capitaux se trouvent, une politique fiscale et financière est nécessaire, toute différente de celle d'aujourd'hui, qui va jusqu'à menacer les fonds de roulement. Les pratiques actuelles rendent difficile d'avoir les audaces et de réunir les capitaux indispensables à la grandeur du pays. (Très bien ! Très bien !)
Oui, il faut qu'on songe davantage à ménager le capital, instrument fondamental de tout progrès. Si cette vérité était comprise et mise en pratique, tout deviendrait souple, et l'on pourrait, dans l'harmonie des intérêts, assurer la défense sociale à l'intérieur, et se prémunir contre le péril extérieur, qui grandit tous les jours. (Vifs applaudissements.)
M. Cahen précise que la priorité dont a parlé M. Delombre consiste à prélever 10%, - ce qui est très peu - pour reconstituer une masse de manoeuvre, sans aucun danger pour l'industrie. Le but de cette mesure est seulement de garantir la marche indispensable des services publics.
La séance est levée à 11 heures 50.