1919.08.05.De J. Cohier - entrepreneur.A Worms & Cie.Note.ACSM
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J. Cohier, entrepreneur à Dourdan, Seine-et-Oise
5 août 1919
À la société Worms & Cie 45, boulevard Haussmann - Paris
Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, au Trait par Duclair - Seine-Inférieure
Messieurs les directeurs,
J’ai l’honneur de vous rappeler ma lettre du 8 juillet dernier restée sans réponse, par laquelle je vous signalais que mes sous-traitants m’avaient écrit une lettre recommandée, dont ma lettre contenait les copies, par lesquelles ils me réclamaient une augmentation de 60 % sur les travaux en cours, augmentation motivée par l’augmentation de tous les produits, des frais généraux, des transports, main d’œuvre, etc., et ils m’informaient que sans réponse satisfaisante, ils ne pourraient continuer les travaux, et retireraient leurs ouvriers à l’expiration de la huitaine de l’avis à moi donné. A mon tour je vous demandais de vouloir bien m'accorder cette même augmentation de 60 % et vous informais que je ne pourrais moi-même continuer les travaux si cette augmentation n’était pas accordée. Vous avez trouvé sans doute qu’il était sage de ne pas répondre à cette demande, c’est pourquoi je tiens à vous la réitérer en l’appuyant d’explications que vous ne pourrez contredire puisqu’elles sont l’expression de la vérité.
En août 1917, j’ai traité avec votre société pour la construction de 32 maisons ouvrières au Trait, d’après les plans établis dressés par moi, et par vous acceptés, et selon les conditions établies par vous en un cahier des charges que j’ai approuvé et auquel j e me suis soumis.
Pour établir les prix à forfait, j’avais pris pour base la valeur des matériaux à cette époque, c'est-à-dire que les fers coûtaient alors 48 F les 100 K, le ciment 60 F la tonne, le plâtre 35,50 le mètre cube, le sable pris à Juvisy, et le caillou pour béton pris au Trait 8 F le mètre cube.
En vertu de cette faculté de sous-traiter qui m'était accordée par le cahier des charges, j’ai sous-traité les fouilles et le béton à M. Bertrand, la charpente, la menuiserie et la serrurerie à la maison Canat, la couverture à la maison Vve Chapellier et Bance, la peinture avec la maison Pelfrene, le carrelage avec la maison Boullenger de Paris, les cheminées avec la maison Curta, les fournitures de ciment avec la Société des ciments français, les lièges avec la Société des lièges de Lasserens, les éviers et appareils avec la maison Dellafond et aussi les tuyaux de grès, enfin les citernes et les fossés avec MM. Ringot Frères alors à Dunkerque ; cela aussitôt la signature de notre marché, et ces sous-traitants furent acceptés par votre architecte, M. Majou.
Les travaux ont été commencés dans les conditions prévues et continués avec toute la célérité voulue tant qu’aucun obstacle n’a été apporté à leur exécution.
En décembre 1917, un décret du gouvernement a annulé tous les marchés relatifs aux fournitures des matériaux, par suite la Société des ciments Français avec qui j'avais traité pour une fourniture de 30 tonnes par mois en septembre 1917 et qui n’avait pu me fournir que 30 tonnes seulement au 31 décembre 1917, me dénonça son marché. Les fournitures de tous les matériaux ne se firent plus que par les comptoirs gouvernementaux et le ciment fut cédé par eux 120 F en janvier, 140 en février et atteignit jusqu’au prix de 185 F la tonne en 1918. Malgré cette augmentation, les quantités qui devaient être fournies furent considérablement réduites ce qui empêcha la production de l’usine.
Par voie de conséquence, M. Bertrand qui avait sous-traité le béton annula son marché, je dus traiter avec M. Lesueur de Rouen, à un chiffre plus élevé que celui primitivement prévu.
M. Lesueur ne put commencer qu’en février 1918.
Lors de la signature du marché avec votre société, on m’avait [laissé] espérer que les travaux étant destinés à la Marine marchande, dans un but et dans l’intérêt national, j’obtiendrais la mise en sursis de tout mon personnel mobilisé, là encore j’éprouvai une déception. Un de mes ouvriers, le premier, fut mis en sursis en février 1918, un second en mai, quant aux autres ils ne le furent qu’à la fin de 1918 et pas tous. Mon commis principal qui m’était indispensable et sur lequel je comptais le plus, ne put obtenir aucun sursis et ne revint qu’après la démobilisation en février 1919.
Les plans que vous m’avez remis portent le tracé d’un embranchement, raccordé à la ligne du chemin de fer, ce qui devait supprimer les frais de camionnage de la station de la Mailleraye au Trait. Ce raccordement ne fonctionne que depuis juin 1919, jusque-là j’ai dû supporter des frais de camionnage très élevés qui n’étaient pas prévus lors de l'établissement de mes prix de revient.
Je dus faire venir du sable par voie ferrée et je ne pus obtenir que le transport d’un wagon.
La loi du 31 mars 1918, sur le relèvement temporaire des tarifs de Chemin de Fer, éleva ce tarif une première fois de 25 %, une seconde de 12 %.
Les wagons se firent de plus en plus rares, et il devenait presque impossible d’en obtenir, les lièges commandés en août n'arrivèrent qu'en juin 1919, les bois restèrent plus de 8 mois sur le quai de départ et les derniers wagons ne partirent pour Rouen qu’en 1919. Je dus en effet vous signaler ces difficultés, vous intervinrent il est vrai, mais nos efforts communs furent presque sans objet, cela sans reproche, c’était la conséquence des difficultés générales nées de la guerre. Bien mieux nos instances et nos réclamations auprès de la direction de la Marine marchande, motivèrent à un moment donné l’idée à cette administration d’arrêter la construction des maisons en ciment armé pour les remplacer par des maisons en bois. Cette modification n’eut pas lieu, mais elle eut pour conséquence un arrêt dans les fournitures et dans les transports des matériaux.
Entre temps la Société me causa de graves préjudices contre lesquels j’ai protesté à l’époque, et que je tiens à rappeler ici.
En 1918, vous décidèrent la construction par vos soins de plusieurs bâtiments et le surveillant de M. Majou fut chargé de la conduite de ces travaux, contrairement aux stipulations du marché afin de se procurer des ouvriers, il embaucha un de mes hommes et le lendemain cet ouvrier travaillait sur vos chantiers contrairement aux stipulations du cahier des charges (art. 7) qui interdisait aux entrepreneurs d’embaucher les ouvriers d’un collègue avant un mois de débauchage , il offrit même un salaire supérieur, et je fus obligé de ce fait d’augmenter moi-même mes ouvriers de 0 F 30 par heure, ce qui fut l’objet d’une protestation de ma part, adressée à M. Majou à la date du 28 juillet 1918.
13 maisons étaient à peu près achevées, dont 12 sauf la peinture, furent à mon insu et avant leur réception, prises par vous et mises à la disposition de votre personnel, empêchant ainsi le peintre de terminer, sans un travail et une gêne supplémentaires ce qui m’a empêché également de toucher les acomptes correspondants.
La mesure fut portée à son comble par la loi du 23 avril 1919 sur la journée de 8 heures, les conséquences en apparurent aussitôt ; mes sous-traitants m’avisèrent qu’ils ne pouvaient plus continuer et me réclamèrent une augmentation de 60 % sur les travaux en cours, je ne pouvais que vous transmettre ces réclamations auxquelles vous n’avez pas répondu.
De mon côté j’examinai ces réclamations et ne trouvais rien à leur objecter, et pour ma part je concluais à pareille demande. En effet le ciment de 60 F est passé à 120 F puis à 140 dès février 1918, il a atteint 185 F soit 200 %. Le plâtre de 35 F 50 est arrivé à 65 F soit 90 % en plus, la main d’œuvre de 0 F 90 est passée à 1 F 20 puis à 1 F 50 ensuite 2 F et 2 F 50. Le fer qui valait au début 48 F a valu 145 F et enfin le bois qui valait en 1917 200 F le mètre cube vaut depuis 1918 450 F.
Aucun reproche ne peut m’être adressé, au point de vue de l’accélération des travaux, j'ai fait tout ce qui était humainement possible de faire pour obtenir des approvisionnements, des marchandises et des transports sans obtenir d’appréciables résultats la faute en est à l’époque actuelle, et ne peut m’être imputable.
Messieurs Achard et Majou, pensant que je travaillais à d’autres entreprises sont venus eux-mêmes à Dourdan de façon peu normale puisqu'ils n’ont pas crû devoir me prévenir ni passer par mon bureau. Ils se sont introduits dans mon atelier, ont questionné en mon absence mes ouvriers, et ont acquis la preuve et la conviction que je manquais de ciment depuis 6 semaines et de plâtre depuis 20 jours. Si ces Messieurs avaient jugé opportun de me faire part de leur visite je leur aurais fait voir toutes mes lettres de réclamation et de cette façon ils auraient pu se faire une idée des difficultés, et vu que le manque de fabrication ne pouvait m’être imputable, mais seulement au manque de marchandises.
Depuis j’ai constitué une société anonyme, sous la dénomination de Société de constructions coulées [sic], mais en prévision de mon contrat avec la société Worms et Cie je me suis réservé exclusivement l’exécution de ce contrat, et pour y faire face, l’atelier de la gare de Dourdan le matériel et le personnel qui y a toujours été employé. Une usine est en construction à un autre endroit pour la nouvelle société et une main d’œuvre spéciale y est employée.
Vous comprendrez qu’en présence de l’augmentation qui m’est réclamée, et que je réclame moi-même, justifiée par l’exposé qui précède, il m’est impossible de continuer les travaux, ne pouvant accorder cette augmentation si je n’obtiens pas la contrepartie de vous, et pour cela vous comprendrez également que j’ai besoin d’être fixé, et ce sous réserve des réclamations ultérieurement faites, notamment par ma lettre du 28 juillet 1919, d’une façon formelle dans le plus bref délai.
Aussi c’est là ma conclusion, si dans la huitaine je n’obtiens pas cet engagement de votre part, je prendrai telles dispositions de droit.
Veuillez croire à tous mes regrets, Messieurs les directeurs, et agréer, je vous prie, mes empressées salutations.
[Signé] Cohier