1917.05.19.De Worms et Cie Bayonne
Worms & Cie
Bayonne, le 19 mai 1917
MM. Worms & Cie - Paris
Messieurs,
Nous avons reçu la visite de M. Aronovici, qui nous a fourni des explications détaillées sur l'état de ses projets.
Par suite de certaines difficultés d'exploitation et de transport, il ne pense pas pouvoir commencer à exporter avant le mois de juillet. Il nous a déclaré que le député maire de Bayonne et le préfet essayaient de le circonvenir et de l'entraîner dans une opération ayant pour but de constituer le fameux stock d'approvisionnement dont il a été question au conseil général le mois dernier, pour le département. M. A. se rend compte du caractère utopique de ce projet et nous a manifesté son désir de se tenir le plus possible à l'écart des combinaisons officielles qui ne lui permettraient pas, dit-il, de tirer commercialement parti de son affaire. Il a ajouté qu'il avait l'intention de préparer une première cargaison de bois d'ici au mois de juillet, et il trouve les propositions que nous lui avons faites très intéressantes. Il serait disposé à commencer à faire chez nous l'approvisionnement du premier chargement et, pendant ce temps-là, il travaillerait à mettre sur pied l'affaire du fret charbon d'accord avec nous.
Nous lui avons fait observer que nous ne pourrions, bien entendu, lui consentir les conditions de faveur en question que tout autant que nous aurions le fret charbon, mais que si, pour une cause quelconque, intervention officielle ou autre, le fret charbon nous échappait, nous serions obligés de demander le prix fort pour nos magasinages et les manutentions sur la cargaison correspondante. Nous n'avons pas précisé davantage.
Il travaille, nous a-t-il dit, à obtenir du Board of Trade, et du ministère de la Guerre anglais, un bateau réquisitionné à prix réduit, et il doit se rendre à Paris et à Londres la semaine prochaine à cet effet, afin de s'entendre avec le directeur général du Great Eastern.
Nous lui avons suggéré qu'il nous serait agréable qu'il prît contact avec vous en passant par Paris. Il arrivera mercredi à Paris et se propose de vous rendre visite jeudi matin avant d'aller à Londres.
En résumé, pour le moment, la question du fret charbon est toujours dans le vague, mais nous avons l'impression que la position que nous avons prise, et que vous connaissez aussi bien que nous par la copie de notre lettre du 4 mai à M. Aronovici, constitue un argument très sérieux en notre faveur.
De toutes les façons il faudra que le Great Eastern envoie des bateaux à Bayonne pour enlever ses traverses, et toute la question est de savoir si cette compagnie et son agent ici seront assez influents, comme l'espère ce dernier, pour obtenir du tonnage de faveur, à titre de réciprocité, avec les cessions de matériel roulant faites par le Great Eastern aux autorités franco-anglaises, et les réquisitions dont sa flotte a été l'objet.
Aux dires de M. A., dont nous ne faisons que rapporter les paroles, la Compagnie du Midi, invitée par le ministère de la Guerre français à lui fournir les wagons nécessaires à ses transports en vue de son exportation, aurait sollicité fortement l'application, à son profit du fret d'entrée des bateaux. Vous avez vu plus haut, que M. A. prétend que des autorités locales ou départementales, pour le même motif, voudraient qu'il réservât son fret charbon au profit du ravitaillement collectif départemental.
Vous considérerez certainement comme nous que ce projet départemental, s'il n'est pas absolument irréalisable avec les méthodes de ravitaillement mises en pratique depuis la guerre, se heurte à des détails d'exécution. On ne peut faire d'importations de charbon sans être organisé et outillé ; le département ne l'est pas et ne pourrait constituer des stocks qu'en réquisitionnant les entrepreneurs de déchargement, les magasins des importateurs, etc.
Par conséquent, la mise à exécution des projets départementaux se ferait forcément au détriment des importateurs et viendrait de cette prétention des autorités régionales, qu'elles sont susceptibles de mieux faire que les spécialistes tels que nous et M. Plisson, pour citer les principaux. M. Aronovici paraît se rendre compte que ces combinaisons n'auraient pas la rapidité d'exécution, la souplesse d'une convention telle que celle dont nous avons indiqué les grandes lignes.
Nous entrevoyons donc encore pas mal de difficultés pour obtenir, sinon la totalité, du moins quelques-uns des bateaux qui devront venir ici pour le Great Eastern, mais comme, en définitive, si tout le monde joue cartes sur table, nous devons pouvoir accorder au Great Eastern, ou à son agent, des conditions de fret égales à celles qu'il peut retirer en traitant avec le Midi ou avec une organisation de ravitaillement civil, il doit forcément pencher pour une combinaison intégrale ou partielle avec nous, puisqu'il en retirerait pour l'expédition des bateaux et la manutention de ses traverses des avantages sérieux. Il ne devrait avoir intérêt à ne pas traiter avec nous que si, par ailleurs, on pouvait lui offrir des avantages secrets ou déguisés supérieurs a ceux que nous lui avons exposés par notre lettre du 4 mai.
Agréez, Messieurs, nos sincères salutations.
Le Roy