1855.12.23.Aux Messageries impériales.Paris.Brouillon.Original
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Paris, le 23 décembre 1855
Note pour la Compagnie des Messageries impériales
J'ai eu déjà l'honneur de vous entretenir sommairement d'une Compagnie anglo-française qui se forme à Grimsby (Angleterre) pour la création et l'exploitation de nombreux bateaux à vapeur, à hélice.
Je pense qu'il ne sera pas sans intérêt pour votre Compagnie d'être éclairée sur la position du port choisi comme centre des opérations de la nouvelle Société, et sur les ressources, les idées et le but de cette Société.
Grimsby sur la rivière Humber, dans le Lincolnshire, était un port bien situé, mais aucun canal et plus tard aucun chemin de fer ne venant compléter ses avantages naturels, il devait rester et resta longtemps dans l'oubli.
Des intérêts nouveaux lui sont venus en aide pour profiter, eux-mêmes, des avantages naturels que ce port leur offrait. Les directeurs des chemins de fer de Manchester, Sheffield & Lincolnshire, comprirent l'importance de pousser leurs rails jusqu'à la mer. Les propriétaires de mines puissantes de houille entrevirent de nouveaux et immenses débouchés. Les choses se font vite et hardiment en Angleterre. Une Compagnie fut formée, et, en quelques années, un capital de un million Sterling fit, d'un port sans ressources, le port le plus sûr, le plus commode et le plus économiquement approprié à toutes les exigences du commerce maritime. Il faut avoir parcouru les quais, les docks, s'être rendu compte des installations, des machines, des apparaux destinés à simplifier le travail d'embarquement et débarquement, pour comprendre la grandeur de l'entreprise et les avantages qu'elle offre au commerce.
Cependant l'instrument créé, il fallait l'utiliser, il fallait donner la vie à ce port, et c'est dans ce but que s'est formée la nouvelle Compagnie dont je viens vous entretenir.
Son capital primitif est de £ 100.000 sterling (2.500.000 F) avec faculté de l'augmenter indéfiniment au fur et à mesure des nouveaux besoins, si le succès répond aux espérances.
Ce premier capital est souscrit : il est destiné à la construction de neuf premiers navires à hélices de 700 tonneaux de port en lourd. Leur premier emploi probable sera de transporter à la cote française les excellents charbons de ces districts houillers. Ce seul commerce peut et doit employer un nombre considérable de bateaux à vapeur.
Mais là ne s'arrêtent pas les visées de la Compagnie. Elle aspire à d'autres transports que ceux de la houille, et la position géographique de Grimsby lui assure, non pas dans l'avenir, mais dès qu'elle aura créé sa marine, un trafic immense et dont il est facile de se rendre compte.
Les matières premières de Liverpool et les produits manufacturés de Manchester, Sheffield, et autres centres importants, ont à subir un parcours considérable et, par conséquent, fort coûteux, sur les chemins de fer, pour venir s'embarquer sur la côte et se répandre de là sur le continent, par la Belgique ou Dunkerque, vers l'Allemagne et la Suisse. Nos chemins de fer du Nord et de l'Est ont fait tous leurs efforts pour dériver ainsi vers eux le courant de ce transit immense, et loin de nuire à ce trafic français, la nouvelle Compagnie anglo-française tend à le développer dans une grande proportion, en diminuant les frais de transport sans augmenter le temps de voyage.
De Liverpool et Manchester à Grimsby, le parcours par les chemins de fer existants est 3 fois moins long que jusqu'à Folkstone ou points environnants de la côte anglaise ; le transport par terre sera donc trois fois moins coûteux, et, à Folkstone comme à Grimsby, il faut embarquer la marchandise.
A Grimsby, cette opération se fera sans aucune perte de temps, au moyen des installations hors ligne ci-haut indiquées, et les frais seront de 50 à 60% moins coûteux. Là, une ligne régulière de bateaux à hélice transportera rapidement les marchandises vers la Belgique ou Dunkerque.
Les envois de Liverpool et Manchester, via Grimsby, parviendront donc à destination aussi rapidement et avec une économie notable comparativement à toute autre voie. La Compagnie anglo-française espère là, avec raison, un trafic constant et de nature à utiliser les capitaux dépensés, en donnant la vie au port de Grimsby.
Il faut maintenant considérer les choses au point de vue de votre Compagnie.
S'il est possible de détourner la marchandise, matière première ou manufacturée, de Liverpool ou Manchester vers Grimsby à destination du Nord, il est aussi facile de la détourner, par la même voie, à destination de la Méditerranée.
Des départs nombreux et réguliers de navires à hélice de Grimsby, offrant au commerce anglais des prix réduits et déterminés du point de départ à toute destination, de l'Espagne, de l'Italie, du Levant, de la Mer noire, de l'Égypte et de l'Afrique septentrionale, assureraient à votre Compagnie, vers son centre de Marseille, un afflux incessant de marchandises, qu'elle irait répandre sur tous les points de la Méditerranée. Inutile pour vous et pour moi, d'entrer dans de plus longs détails sur ce point.
Les produits anglais ne seraient pas les seuls éléments de ce nouveau mode de transport vers la Méditerranée. Les hélices de Grimsby touchant à Dunkerque et Dieppe ou le Havre, rapporteraient à leur point de départ ou exporteraient directement sur Marseille [page 3] tous les produits que l'Allemagne, les départements du Nord, de la Seine Inférieure et Paris, dirigent incessamment vers la Méditerranée, ou du moins ceux de ces produits qui recherchent forcément un mode de transport plus économique que celui du chemin de fer. Enfin, Grimsby, situé en face de Rotterdam, y verserait ses charbons et vous rapporterait en échange des quantités considérables de sucres raffinés, dont la Hollande alimente presque exclusivement la consommation du Levant.
Reste maintenant à considérer la question dans le sens inverse, soit l'emploi des hélices arrivés à Marseille.
Non seulement votre service actuel ferait converger de tous les points de la Méditerranée vers Marseille, les produits naturels de ces contrées, mais à Marseille même, vous trouveriez incessamment les huiles, les savons, les 3/6 de toutes autres marchandises importantes qui recherchent les transports économiques en même temps que rapides, assurant ainsi aux hélices un retour avantageux vers la Grande-Bretagne et vers nos ports de France. Il suffit d'indiquer sommairement ce trafic pour comprendre quelle peut en être l'importance.
En somme, et sans entrer dans de plus longs détails, il doit résulter, et de la position naturelle de Grimsby, et des efforts d'intérêts puissants coalisés dans un but unique, il doit résulter des combinaisons de transport dont il me semble impossible que votre Compagnie ne puisse pas tirer de grands avantages. J'ai voulu vous indiquer sommairement les idées qu'a fait naître en moi la formation de la nouvelle Société anglo-française de Grimsby.
Là se borne mon rôle. Si vous accueillez l'idée, vous saurez mieux que moi en tirer les conséquences et les développer.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que là comme partout ailleurs mon dévouement vous est acquis.
Je pense qu'il ne sera pas sans intérêt pour votre Compagnie d'être éclairée sur la position du port choisi comme centre des opérations de la nouvelle Société, et sur les ressources, les idées et le but de cette Société.
Grimsby sur la rivière Humber, dans le Lincolnshire, était un port bien situé, mais aucun canal et plus tard aucun chemin de fer ne venant compléter ses avantages naturels, il devait rester et resta longtemps dans l'oubli.
Des intérêts nouveaux lui sont venus en aide pour profiter, eux-mêmes, des avantages naturels que ce port leur offrait. Les directeurs des chemins de fer de Manchester, Sheffield & Lincolnshire, comprirent l'importance de pousser leurs rails jusqu'à la mer. Les propriétaires de mines puissantes de houille entrevirent de nouveaux et immenses débouchés. Les choses se font vite et hardiment en Angleterre. Une Compagnie fut formée, et, en quelques années, un capital de un million Sterling fit, d'un port sans ressources, le port le plus sûr, le plus commode et le plus économiquement approprié à toutes les exigences du commerce maritime. Il faut avoir parcouru les quais, les docks, s'être rendu compte des installations, des machines, des apparaux destinés à simplifier le travail d'embarquement et débarquement, pour comprendre la grandeur de l'entreprise et les avantages qu'elle offre au commerce.
Cependant l'instrument créé, il fallait l'utiliser, il fallait donner la vie à ce port, et c'est dans ce but que s'est formée la nouvelle Compagnie dont je viens vous entretenir.
Son capital primitif est de £ 100.000 sterling (2.500.000 F) avec faculté de l'augmenter indéfiniment au fur et à mesure des nouveaux besoins, si le succès répond aux espérances.
Ce premier capital est souscrit : il est destiné à la construction de neuf premiers navires à hélices de 700 tonneaux de port en lourd. Leur premier emploi probable sera de transporter à la cote française les excellents charbons de ces districts houillers. Ce seul commerce peut et doit employer un nombre considérable de bateaux à vapeur.
Mais là ne s'arrêtent pas les visées de la Compagnie. Elle aspire à d'autres transports que ceux de la houille, et la position géographique de Grimsby lui assure, non pas dans l'avenir, mais dès qu'elle aura créé sa marine, un trafic immense et dont il est facile de se rendre compte.
Les matières premières de Liverpool et les produits manufacturés de Manchester, Sheffield, et autres centres importants, ont à subir un parcours considérable et, par conséquent, fort coûteux, sur les chemins de fer, pour venir s'embarquer sur la côte et se répandre de là sur le continent, par la Belgique ou Dunkerque, vers l'Allemagne et la Suisse. Nos chemins de fer du Nord et de l'Est ont fait tous leurs efforts pour dériver ainsi vers eux le courant de ce transit immense, et loin de nuire à ce trafic français, la nouvelle Compagnie anglo-française tend à le développer dans une grande proportion, en diminuant les frais de transport sans augmenter le temps de voyage.
De Liverpool et Manchester à Grimsby, le parcours par les chemins de fer existants est 3 fois moins long que jusqu'à Folkstone ou points environnants de la côte anglaise ; le transport par terre sera donc trois fois moins coûteux, et, à Folkstone comme à Grimsby, il faut embarquer la marchandise.
A Grimsby, cette opération se fera sans aucune perte de temps, au moyen des installations hors ligne ci-haut indiquées, et les frais seront de 50 à 60% moins coûteux. Là, une ligne régulière de bateaux à hélice transportera rapidement les marchandises vers la Belgique ou Dunkerque.
Les envois de Liverpool et Manchester, via Grimsby, parviendront donc à destination aussi rapidement et avec une économie notable comparativement à toute autre voie. La Compagnie anglo-française espère là, avec raison, un trafic constant et de nature à utiliser les capitaux dépensés, en donnant la vie au port de Grimsby.
Il faut maintenant considérer les choses au point de vue de votre Compagnie.
S'il est possible de détourner la marchandise, matière première ou manufacturée, de Liverpool ou Manchester vers Grimsby à destination du Nord, il est aussi facile de la détourner, par la même voie, à destination de la Méditerranée.
Des départs nombreux et réguliers de navires à hélice de Grimsby, offrant au commerce anglais des prix réduits et déterminés du point de départ à toute destination, de l'Espagne, de l'Italie, du Levant, de la Mer noire, de l'Égypte et de l'Afrique septentrionale, assureraient à votre Compagnie, vers son centre de Marseille, un afflux incessant de marchandises, qu'elle irait répandre sur tous les points de la Méditerranée. Inutile pour vous et pour moi, d'entrer dans de plus longs détails sur ce point.
Les produits anglais ne seraient pas les seuls éléments de ce nouveau mode de transport vers la Méditerranée. Les hélices de Grimsby touchant à Dunkerque et Dieppe ou le Havre, rapporteraient à leur point de départ ou exporteraient directement sur Marseille [page 3] tous les produits que l'Allemagne, les départements du Nord, de la Seine Inférieure et Paris, dirigent incessamment vers la Méditerranée, ou du moins ceux de ces produits qui recherchent forcément un mode de transport plus économique que celui du chemin de fer. Enfin, Grimsby, situé en face de Rotterdam, y verserait ses charbons et vous rapporterait en échange des quantités considérables de sucres raffinés, dont la Hollande alimente presque exclusivement la consommation du Levant.
Reste maintenant à considérer la question dans le sens inverse, soit l'emploi des hélices arrivés à Marseille.
Non seulement votre service actuel ferait converger de tous les points de la Méditerranée vers Marseille, les produits naturels de ces contrées, mais à Marseille même, vous trouveriez incessamment les huiles, les savons, les 3/6 de toutes autres marchandises importantes qui recherchent les transports économiques en même temps que rapides, assurant ainsi aux hélices un retour avantageux vers la Grande-Bretagne et vers nos ports de France. Il suffit d'indiquer sommairement ce trafic pour comprendre quelle peut en être l'importance.
En somme, et sans entrer dans de plus longs détails, il doit résulter, et de la position naturelle de Grimsby, et des efforts d'intérêts puissants coalisés dans un but unique, il doit résulter des combinaisons de transport dont il me semble impossible que votre Compagnie ne puisse pas tirer de grands avantages. J'ai voulu vous indiquer sommairement les idées qu'a fait naître en moi la formation de la nouvelle Société anglo-française de Grimsby.
Là se borne mon rôle. Si vous accueillez l'idée, vous saurez mieux que moi en tirer les conséquences et les développer.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que là comme partout ailleurs mon dévouement vous est acquis.