1853.11.19.Aux Messageries impériales.Extrait

Origine : Copie de lettres à la presse n°49 - du 28 octobre 1853 au 4 décembre 1853

Paris, le 19 novembre 1853
Messieurs les administrateurs de la Compagnie
des Messageries nationales
Paris

Messieurs,
Je n'avais pas attendu la réception de votre lettre du 15 courant, pour réfléchir mûrement aux propositions à vous faire pour le renouvellement d'un marché charbons pour l'année 1854 et je viens vous exprimer le résultat de mes réflexions à ce sujet.
Considérant les éventualités probables de guerre et les conséquences certaines de la question des céréales, les circonstances sont telles que, dans l'intérêt de votre service et dans l'intérêt de ma conservation commerciale, je décline formellement à l'avance toute proposition à forfait.
[...]
Je viens donc vous proposer, Messieurs, de renoncer au mode du forfait qui a réglé nos relations jusqu'à ce jour et de me laisser agir pour votre compte, vous assurant à l'avance le prix des charbons en Angleterre et me bornant à exécuter vos ordres pour l'affrètement et l'expédition des navires.
[...]
La guerre, si elle se propage et nécessite l'intervention de la France et de l'Angleterre, peut amener telles complications que je ne puis ni ne veux prévoir ici.
La question des Céréales peut aussi, au point de vue des transports maritimes déterminer des éventualités devant lesquelles je recule.
[...]
Si je me trompe - et Dieu le veuille - sur les conséquences possibles de la guerre et de la question des céréales, nous devons nous attendre à une explosion considérable, et dans le mouvement général des affaires, et dans le mouvement spécial du combustible nécessaire aux créations nouvelles et incessantes des bâtiments à vapeur.
Le prix des charbons augmenterait alors en Angleterre hors proportions. Mais ce n'est là qu'un résultat prévu et appréciable à l'avance. Ce que je redoute le plus, ce sont les difficultés, pour ne pas dire les impossibilités, résultant d'une demande générale hors de proportion avec les moyens d'exécution en Angleterre, à Cardiff surtout.
Déjà cette année 1853, l'affluence des navires a été telle dans ce port que les capitaines ont dû attendre 15 jours ou 3 semaines leur tour de chargement - quelquefois plus - et que beaucoup de capitaines, instruits de ces lenteurs forcées, sont partis sur lest pour la Mer noire ou autres destinations, préférant manquer leur fret charbon pour aller, sans perte de temps, récolter des frets fabuleux en retour de grains.
Les ouvriers mineurs, de leur côté, instruits de la hausse des charbons, enhardis par l'émigration de leurs camarades sur l'Australie, ont exigé augmentation sur augmentation dans leur salaire, et ont suspendu leurs travaux, et plusieurs mines de Cardiff se sont vues successivement forcées, par ces grèves d'ouvriers, de suspendre leurs livraisons, et diverses compagnies de bateaux à vapeur ont vu leur service interrompu.
Pénétré de la réalité de ces dangers que votre agent, M. Coullet, peut maintenant vous énumérer aussi bien que moi, j'ai cherché à les atténuer autant que possible, et ma position exceptionnelle, je puis le dire, en Angleterre, notamment à Cardiff, me met à même de vous offrir un concours réellement avantageux et réellement dévoué. Permettez-moi cette expression. Vous auriez vu ce que toute maison anglaise eût fait, depuis 6 mois, dans la position où je me trouve placé envers vous.
Cette position exceptionnelle consiste en ceci que la quantité de charbons, dont j'ai l'emploi assuré, est telle que j'ai dû et pu faire des contrats partiels avec toutes les mines de Cardiff, d'où il résulte que, lorsque le tour d'embarquement est trop long à telle mine, je mets mon navire en charge à telle autre, et que, pendant que MM. Powell, Insole ou autres font attendre un capitaine 3 semaines, je le puis charger en 5 à 10 jours. Et vous comprenez, alors, que les capitaines en considération de ce court délai assuré à leur chargement, me font à l'affrètement, certaines facilités que n'obtiennent pas mes concurrents.
J'ajoute, et vos renseignements peuvent vous le confirmer, que ma Maison est tellement placée que les maisons de Londres, qui ont besoin de navires, s'adressent à moi, leur concurrent, pour leur procurer des navires. Aussi, puis-je dire que pas un bâtiment ne se présente que les courtiers ne l'offrent tout d'abord à mon agent.
Enfin, Messieurs, et à des hommes aussi éclairés et expérimentés que vous, je ne crains pas de le dire, au moment où je recevais votre lettre du 15 courant, je recevais des ouvertures pour les fournitures des charbons du Lloyd autrichien, soit 80.000 tonnes environ - Méditerranée, Adriatique et Mer noire. Peut-être des esprits timorés verraient dans ce fait un danger pour l'intérêt dont je sollicite la confiance de votre part, mais je vous dis hardiment que, si cette nouvelle affaire m'est dévolue, comme tout me porte à le croire, vous devez y voir une garantie de plus pour la bonne exécution de votre service en ce qui me concerne. Je serais, ou à peu près, le régulateur des frets de la Méditerranée, et, dégagé du souci d'une concurrence redoutable, confiée maladroitement jusqu'à ce jour à diverses mains à la fois, je pourrais affréter beaucoup plus facilement et ne plus subir la loi des capitaines surexcités par le nombre des offres faites sans discernement.
[...]

 

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