1987.00.Du commandant Yves Sellier.Témoignage.Note non datée

Historique non daté, classé au 16 janvier 1987, date la plus récente mentionnée dans le texte.
La copie-image de ce document, établi sur traitement de texte, n'a pas été conservée.

Renseignements concernant les navires de la Compagnie Worms
sur lesquels je me suis trouvé embarqué du 7 janvier 1949 au 26 novembre 1968

S/S "Sebaa"
Sister-ship du s/s "Château-Palmer"
Construit à Sunderland (Grande-Bretagne)

Embarquements :
Lieutenant : 7 janvier 1949-2 juin 1949
Lieutenant : 24 juin 1949-20 décembre 1949

Ce navire portait les couleurs de la Compagnie marseillaise de navigation Gianoni (CMNG).
Il était affecté à la ligne Marseille-Oranie que la Compagnie Worms était en train d'annexer à son fond de commerce par l'intermédiaire de cette compagnie marseillaise.
La ligne d'Oranie était exploitée avec deux navires : s/s "Sebaa" et s/s "Château-Larose", dont la gérance technique était entièrement assumée par l'armement Worms. (Le "Château-Larose" avait conservé son nom mais avait peint sa cheminée en jaune à bandes bleues de CMNG.)
Les rotations comprenaient les ports de Marseille, Nice, Port-de-Bouc en France, et Oran, Nemours, Arzew et Mostaganem en Algérie.
Le "Sebaa" était propulsé par une machine à vapeur, les deux chaudières fonctionnaient au mazout ; le port en lourd était d'environ 2.500 tonnes ; l'équipage était composé de 24 hommes dont 8 officiers.
Les rotations complètes Marseille-Marseille avaient une durée de 15 à 20 jours.
Les marchandises transportées étaient constituées de divers et lots importants de tuiles au départ de Marseille. Celles-ci nécessitaient un arrimage en entreponts particulièrement soigné avec interposition de petites lattes en bois entre chaque plan. Cet arrimage était effectué avec le concours d'ouvriers de la tuilerie de Saumaty près de Marseille. Le fond du chargement était en outre constitué de ciment en sacs chargé à Nice.
En Algérie, le fond du chargement comprenait presque toujours un lot d'argile smectique (terre blanche), chargé à Nemours pour Marseille. Cette terre blanche devenait très collante et glissante dès qu'elle était mouillée par la pluie. Elle salissait beaucoup les cales qui devaient être sérieusement lavées et nettoyées au prix d'un labeur pénible pour l'équipage.
Les cuves à vin n'étaient pas encore très répandues à cette époque et le transport du vin s'effectuait encore par demi-muids de 625 litres, gros fûts que l'on chargeait à Oran et Mostaganem.

M/S "Barsac"

Lieutenant : du 3 juin 1949 au 23 juin 1949

Voici, d'après le livre de Monsieur Quemin, des Chantiers du Trait, quelques renseignements sur ce navire :
- Port en lourd : 1.150 tonnes
- Longueur hors tout : 71.50 m
- Largeur : 10.40 m
- Tirant d'eau : 4.37 m
- Vitesse : 11.5 noeuds avec 2 moteurs Diesel de 650 chevaux
Pose de la quille aux Chantiers et Ateliers de Seine-Maritime au Trait le 8 décembre 1941 comme "Dustenbrouck" pour le compte des Allemands.
Lancé comme "Calvados" le 24 mars 1947 et mis en service pour le compte de la Compagnie Worms en 1947.

En 1949, le navire était affecté avec son sister-ship "Cérons" sur la ligne Marseille-Tunisie.
Pendant le voyage que j'ai effectué à bord en juin 1949, après une immobilisation de quelques jours à Bône par suite d'une grève des dockers, nous avons chargé un gros lot de blé à Sfax et des porcs vivants, en entreponts, à destination de Nice.
Ce transport d'animaux vivants (chevaux et porcs) était courant sur ce navire à cette époque, entre Tunis et Nice.
Toujours d'après l'ouvrage de Monsieur Quemin, ce navire fut vendu en 1959 sous le nom de "Mugla" en Italie, puis revendu toujours en Italie sous le nom de "Varo" et enfin passa sous pavillon grec sous le nom de "Panagiotis" toujours en service en 1974 et rayé des registres en 1978.

S/S "Pomerol"

Lieutenant : du 12 mars 1950 au 4 juillet 1950
Second-Capitaine : du 5 juillet 1950 au 7 août 1950

Port en lourd : 1.585 tonnes
Sister-ship du S/S "Le-Trait"
Navire à vapeur avec chaudière cylindrique chauffant au charbon.
A cette époque, ce navire était affecté à la ligne Rouen-Le Havre-Dunkerque-Hambourg, et les pays scandinaves (Suède, Norvège et Danemark).
Puis à la ligne Rouen-Caen-ports du canal de Bristol et côte est d'Irlande.
Transport de divers, pièces de machines et charpentes métalliques.

Du 7 août 1950 au 6 août 1951, période d'interruption de ma navigation pour aller aux cours de capitaine.

M/S "Fronsac"

Second-Capitaine : du 6 août 1951 au 21 juillet 1952 ; 11 octobre 1952-13 mai 1953 ; 22 mai 1953-29 août 1953
Capitaine : 14 décembre 1953-6 avril 1954 ; 16 janvier 1956-12 novembre 1956 ; 19 janvier 1957-18 novembre 1958 ; 22 janvier 1958-18 juillet 1958

Navire construit aux chantiers navals Joseph Boels & Fils, à Temse (Belgique)
Lancé le 9 mars 1948
Mis en service le 14 août 1948
Francisé le 19 août 1948
Longueur hors tout : 63,52 m
Largeur : 9,30 m
Moteur Sulzer TS29 de 750 cv de puissance. Vitesse : 10 noeuds.

Dans les années 1951-1952-1953 et début 1954, ce navire était affecté à la ligne Bordeaux-Le Havre-Hambourg-Brème-Anvers.
Il effectuait des chargements complets à Bordeaux : importants lots de vins en barriques, de caisses de vins, spiritueux de toutes sortes, sacs de noix et caisses de cerneaux à la saison, boyaux salés en fûts, peaux de mouton sèches provenant de Mazamet, et divers de toutes natures.
Il y avait toujours un lot important (50 ou 60 tonnes) de caisses de vins, alcools et spiritueux et de cognac en fûts à destination du Havre pour transbordement sur les paquebots de la Compagnie générale transatlantique à destination de New York.
Au retour, en plus du divers, constitué de produits manufacturés, le plus souvent en caisses chargées à Hambourg et à Brème, il fallait assurer le retour des barriques vides, ce qui posait parfois des problèmes très ardus par manque de place.
A Anvers, nous prenions presque à chaque voyage, un fond de chargement (300 à 500 tonnes) d'anodes de cuivre pour Bordeaux. Ces anodes étaient ensuite transbordées sur wagons de la SNCF à destination d'Angoulême pour des usines de matériel électrique.
Peu à peu cette ligne Bordeaux-Hambourg subit une forte concurrence des transports terrestres.
On essaya de trouver des variantes aux itinéraires habituels.
Ciment de Bordeaux-Lormont sur Brest.
Minerai de Requejada (Côte Nord d'Espagne, région de Santander) sur Anvers, Terneuzen ou Gand.
"Fronsac", puis, à la suite, "Cantenac" et "Mérignac" abandonnèrent progressivement la ligne régulière pour assurer le transport des tôles navales de Brème et Anvers sur Dunkerque, Saint-Nazaire, Nantes, entrecoupé par des voyages de charbon Grande-Bretagne-petits ports de France, de blé Le Tréport-Brème, de minerai Espagne-Belgique, traverses de chemin de fer Honfleur-Brème, etc.
Le 24 juillet 1956, le "Fronsac", sortant de Requejada, s'échoue sur la barre à l'embouchure de la rivière à 5h45. Il se déséchoue sans dommage à la marée haute suivante vers 16h45, aidé gratuitement par le petit remorqueur de la Société asturienne des mines, notre chargeur...
Le 15 septembre 1956, alors qu'il décharge à la Rochelle une cargaison de charbon en provenance de Barry-Dock, le "Fronsac", en raison des événements du Moyen-Orient (première affaire du canal de Suez), est affrété par la Défense nationale.
Le 16 septembre, route sur Marseille où il arrive le 23 septembre pour se mettre aux ordres de la Défense nationale.
En octobre et début novembre, il exécute deux voyages sur Famagouste (île de Chypre), puis fait retour sur Marseille le 11 novembre 1956.
Effectue ensuite des voyages sur l'Afrique du Nord, Algérie-Tunisie-Maroc, au départ de Marseille et Bordeaux.
Le navire termine son affrètement à la Défense nationale le 20 mai 1957 à Casablanca et participe alors en compagnie des "Cantenac", "Mérignac" et "Haut-Brion", à "l'éclatement du charbon de Brest". Cette opération consistait à répartir dans les ports français, Dieppe, Honfleur, Saint-Malo, Les-Sables-d'Olonne, Bayonne, principalement, le charbon américain que de gros navires déchargeaient sur une vaste zone de stockage dans le port de Brest.
Ensuite, le "Fronsac" participa de temps à autre au trafic du matériel de guerre chargé à Cherbourg pour l'Algérie.
C'est ainsi qu'en juin 1958, alors qu'il avait embarqué à Cherbourg un chargement complet de matériel militaire pour l'Algérie, il se trouva en panne de machine (arbre manivelle cassé) à 40 miles au large de Vigo (côte Ouest d'Espagne). Il se fit remorquer heureusement par un temps superbe par un navire irlandais qui le conduisit au mouillage en rade de Vigo où il resta 20 jours en attente du passage du s/s "Château-Lafite", capitaine Louis Antoine, qui le prit en remorque jusqu'à Cherbourg où il re-débarqua sa cargaison, et ensuite jusqu'au Havre où il resta longtemps en réparation. L'arbre manivelle cassé fut réparé par un procédé d'avant-garde à cette époque, la "Fusalurgie", et un autre arbre manivelle neuf fut fourni par la société Sulzer.
D'après un court article de "Paris-Normandie" du 29 novembre 1960, le "Fronsac" a été vendu aux Anglais et a pris le nom de "Westport".

M/S "Cantenac"

Second-Capitaine : 2 novembre 1953 au 13 décembre 1953 ; 9 avril 1954-25 mai 1954
Capitaine : 25 mai 1954-12 juillet 1954 ; 8 août 1955-22 octobre 1955

M/S "Mérignac"

Second-Capitaine : 13 juillet 1954 au 4 septembre 1954
Capitaine : 20 mai 1955-3 août 1955

Ces deux navires "sister-ship" ont été construits aux chantiers Augustin Normand au Havre.


"Cantenac"

"Mérignac"

Lancé le :

17 juillet 1953

17 juin 1954

Mis en service :

6 février 1954

14 août 1954

Francisé :

24 mars 1954

13 août 1954

Ces deux navires, d'un port en lourd de 850 tonnes, avaient des dimensions semblables à celles du "Fronsac" et du "Haut-Brion". Mais ils différaient de ces navires par leur appareil propulsif absolument inédit à cette époque comme moteur principal dans la Marine marchande. Il s'agissait en effet, pour chacun des navires, de deux générateurs à pistons libres, mis au point par la société Sigma, alimentant deux turbines à gaz construites par Alsthom, accouplées à un seul arbre porte-hélice par l'intermédiaire d'un réducteur. Sa puissance motrice développée était de 1.200 chevaux à 220 tours/minute.
Ces appareils, très bruyants, ont nécessité une mise au point longue et, on peut le dire, vraiment jamais réussie. On pensait obtenir avec ce genre de machine une économie appréciable. Le combustible employé était un fuel très lourd et bon marché, mais les autres inconvénients étaient d'une telle importance que ce mode de propulsion n'eut jamais le succès que l'on attendait.
Le plus grand de ces inconvénients aux yeux des navigants, hormis l'inconfort général du navire dû au bruit, était l'insécurité de fonctionnement des générateurs qui stoppaient assez souvent sans raison apparente et repartaient, après avoir été relancés, sans que les mécaniciens aient pu expliquer le pourquoi de cet arrêt intempestif.
Ces deux navires furent affectés comme le "Fronsac" et le "Haut-Brion" à la ligne Bordeaux-Hambourg, puis à l'"éclatement du charbon de Brest" et au transport de petits lots de pondéreux divers entre l'Afrique du Nord et les ports du nord de l'Europe.
Ils naviguaient donc toujours près des côtes et fréquentaient régulièrement les chenaux de la pointe de Bretagne, raz de Sein, Chenal du Four, Fromveur, ainsi que les chenaux autour des îles Anglo-Normandes, sans parler des rivières : Elbe, Weser, Meuse, Escault et Gironde, où il ne faisait pas bon être brusquement privé de l'appareil de propulsion.
Nous avons donc connu des moments d'angoisse vraiment pénibles avec ces bateaux dont la machine était si peu fiable...
Le "Cantenac" s'est échoué au début du mois de février 1958 sur les rochers à l'entrée de Casablanca. Il restera plusieurs jours dans cette fâcheuse position, mais put être renfloué et réparé. Il fut vendu à la société Gaz-Océan qui, après avoir remplacé ses générateurs et turbines, par un moteur diesel classique, le transforma en butanier.
Le "Mérignac" fut vendu aux Portugais et fut affecté au trafic Lisbonne-Madère-Les Açores ; je crois qu'il conserva son appareil de propulsion d'origine.
Le "Fronsac" (décembre 1954), le "Haut-Brion" (sans doute janvier ou février 1955), le "Mérignac" (avril 1955) et le "Cantenac" (mai 1955), furent rallongés de 9m60 aux Chantiers nantais de réparation navale à Nantes-Chantenay. Leur longueur hors tout fut ainsi portée à 73m12.
Pour une jauge brute de 1.000 tonneaux environ et un port en lourd de 1.240 tonnes aux marques d'été et 1.180 tonnes aux marques d'hiver.
Je joins ici les photos des différentes phases de l'allongement du "Fronsac" que j'avais récupérées au moment du désarmement du navire après son remorquage de Vigo au Havre et que je suis heureux de restituer aujourd'hui afin d'illustrer son histoire. Ce navire m'est cher entre tous puisque c'est à son bord que j'ai appris véritablement mon métier de second capitaine et que j'ai embarqué pour la première fois comme commandant le 14 décembre 1953.

M/S "Cérons"

Second capitaine du 16 novembre 1954 au 6 décembre 1954

Construit aux Chantiers du Trait
Mis sur cale pour les Allemands le 10 décembre 1941 sous le nom de "Schulensee"
Lancé le 20 août 1947 sous le nom de "Manche"
Mis en service en 1948 pour le compte de la Compagnie Worms sous le nom de "Cérons"
Ce navire est le sister-ship du "Barsac".

Je suis resté très peu de temps sur ce navire et n'en garde que peu de souvenirs.
Le "Cérons" a été vendu en 1961 à la Compagnie européenne de navigation et pris le nom de "Baraka".
Il a été désarmé à Marseille en 1971 où je me souviens l'avoir vu amarré, se détériorant lentement à la jetée extérieure du port.
(Voir la photo du "Baraka" dans le livre de Monsieur Quemin.)

S/S "Château-Petrus"

Commandant du 6 décembre 1954 au 21 janvier 1955
Second capitaine du 22 janvier 1955 au 17 mai 1955

Navire à vapeur. Deux chaudières chauffant au mazout et alimentant une machine à vapeur très moderne dont les organes étaient entièrement dissimulés sous carter, le graissage s'effectuant mécaniquement sans intervention humaine directe ; en un mot il s'agissait d'un moteur à vapeur plutôt que d'une machine à vapeur classique où l'homme de quart devait intervenir au voisinage très proche des organes en mouvement : arbre manivelle, bielles, tiges de tiroirs et d'excentrique, etc.

Ce navire, d'un port en lourd de 2.500 tonnes environ, était affecté, comme son sister-ship "Château-Lafite", à la ligne Anvers-nord France-Algérie.
Ces deux navires ont été construits aux chantiers de la Méditerranée au Havre.
Le "Château-Petrus" a été vendu à la Compagnie tunisienne de navigation Cotunav sous le nom de "Carthage" et un commandant détaché en mission de notre compagnie le commanda sous ce nom et sous ce pavillon tunisien pendant une période assez longue après sa vente.
En 1969, en escale à Port-Soudan, à bord du "Ville-de-Nantes", j'ai vu l'ex-"Château-Lafite" amarré sur coffres au milieu d'un bassin, dans un état extrême d'abandon.
Je n'ai pas eu d'autres détails sur le sort de ces deux sister-ships "Château-Petrus" et "Château-Lafite".

S/S "Château-Palmer"

Commandant du 22 août 1958 au 19 septembre 1958

Sister-ship du S/S "Sebaa" et construit comme lui à Sunderland, Angleterre
Affecté lui-aussi à la ligne Anvers-Le Havre-Algérie. Pas de renseignements sur ce qu'il est devenu.

M/S "Léoville" (dernier du nom)

Commandant du 9 octobre 1958 au 13 août 1959

Construit aux chantiers Rolandwerf à Brème.
Sister-ship, construit au même chantier des m/s "Pomerol" et "Médoc".
Mis sur cale le 13 mai 1958
Lancé le 10 septembre 1958
Mis en service le 8 février 1959
Port d'attache : Marseille
Longueur hors tout : 86m70
Largeur : 11m60
Jauge brute : 1.204,32 tonneaux
Port en lourd : été = 1.551,8 tonnes ; hiver = 1.446,6 tonnes
2 moteurs principaux MWM - Puissance 1.200 CV chacun, accouplés sur une seule ligne d'arbre par un réducteur Renk avec accouplement hydraulique
Vitesse du navire : 15 noeuds
La cale n°1 était entièrement équipée pour transporter des marchandises sous température contrôlée, de -20° à +15°, (volume de la cale n°1 : 310 m3).
A l'arrière de l'entrepont n°2, il y avait aussi deux chambres froides de 56 m3 chacune.
Sous le château milieu, il y avait en cale II, 18 cuves à vin pour un total de 1.690 hectolitres.

Ce navire dont j'ai été chargé de surveiller la terminaison au chantier, en compagnie d'un chef mécanicien et d'un mécanicien d'armement a été affecté à la ligne MarseiIle-Oranie.
Départ de Marseille le jeudi soir, opérations commerciales le samedi à Oran. Départ le lundi soir de Mostaganem et arrivée à Marseille le mercredi matin.
Cette rotation était réglée à la saison des agrumes descendant de la vallée du Cheliff sur le port de Mostaganem. Le lundi soir nous étions en concurrence avec un navire de la Compagnie Le Borgne. Il arrivait toujours à partir une ½ heure avant nous car son agent devait être sans doute plus débrouillard pour fournir les papiers de départ avant le nôtre. Mais, régulièrement, nous le rattrapions et le doublions le lendemain vers midi à hauteur des Baléares. Les primeuristes marseillais étaient très attentifs aux performances des différents navires et le choix de la clientèle se portait évidemment sur les plus rapides...
Quand la campagne des agrumes était terminée dans la plaine du Cheliff, l'escale de Mostaganem était parfois supprimée pour une petite échappée sur Alger, pour charger des pommes de terre et des légumes en provenance de la plaine de la Mitidja.
A Marseille, on chargeait des marchandises diverses, matériaux de constructions, voitures, camions, matériel de travaux publics, etc.
Parfois, le navire faisait une escale rapide le mercredi après-midi ou le jeudi matin à Port-Saint-Louis-du-Rhône, mais revenait toujours le jeudi après-midi à Marseille pour compléter son chargement et assurer le départ pour Oran dans la soirée.
Le "Pomerol" et le "Médoc" effectuaient leur rotation hebdomadaire, l'un sur l'Algérois, l'autre sur le Constantinois (Philippeville et Bône).
Naviguant dans le nord au moment de la liquidation de ces lignes après l'indépendance de l'Algérie, je ne sais ce que sont devenus ces navires ; l'un deux a été vendu à une compagnie française de pêche à la langouste dans l'océan Indien austral dans les parages des îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam où il a fait quelques campagnes.

S/S "Jumièges"

Commandant du 10 novembre 1959 au 14 mars 1960

Navire vraquier à vapeur, de 2.500 tonnes de port en lourd, lancé aux chantiers de Normandie à Rouen en 1948.
Ce navire, chauffant au mazout, était d'un type plutôt dépassé pour l'époque, avec une bonne vieille machine à vapeur à triple expansion, les cales arrière n°3 et 4 étaient traversées longitudinalement par le tunnel qui abritait l'arbre porte-hélice, la machine se trouvait au milieu du navire.
Cette disposition ne facilitait certainement pas la manutention de la marchandise, surtout au moment du déchargement.

Quand le "Jumièges" participa, comme la plupart des vraquiers de la compagnie, au transport du matériel militaire chargé à Cherbourg pour l'Algérie, on avait pris l'habitude de lui réserver de gros lots de rouleaux de fil de fer barbelé et de piquets métalliques en bottes que l'on chargeait justement dans les cales 3 et 4 jusqu'à hauteur du tunnel.
On réalisait ainsi un plan bien régulier pour charger au-dessus des véhicules : camions, blindés légers, etc.
Le "Jumièges", comme les autres vraquiers, n'avaient pas de ligne régulière et transportait toutes sortes de pondéreux, charbon, minerai, phosphates, au gré des affréteurs.
Le s/s "Jumièges" fut vendu en novembre 1963 à un armateur libérien et pris le nom de "Marylise".
En avril 1966, il fut désarmé à Gènes, puis revendu par la suite à un autre armateur libérien qui l'appela "Georgios".


M/S "Château-Latour"

Commandant du 15 mars 1960 au 3 octobre 1960
Commandant du 2 janvier 1961 au 12 avril 1961

Construit aux chantiers Norderwerft à Hambourg
Pose de la quille : 26 juillet 1954
Lancement : 9 novembre 1954
Mise en service : 14 mars 1955
Longueur hors tout : 88m84
Largeur : 12m60
Jauge brut : 1.486,69 tonneaux
Port en lourd : été = 2.520 tonnes ; hiver = 2.380 tonnes
Moteur diesel - marque MAK de 1.500 CV

Ce beau navire, après avoir navigué sur la ligne Marseille-Tunisie, fut affecté à la ligne Anvers-Le Havre-Algérie.
Il possédait à l'arrière de la cale II et à l'avant de cale III trente cuves à vin d'une capacité totale de 4.717,41 hectolitres. Le revêtement de ces cuves en produit "Semco" lui permettait également de charger de l'huile.
Je reviendrai sur le trafic particulier de cette ligne Anvers-Algérie sur laquelle je naviguais continuellement, hormis évidemment les périodes de congés, du 15 mars 1960 au 8 mai 1967.
Le "Château-Latour" fut vendu à la Compagnie malgache de navigation, filiale de la Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire en avril 1961 et pris le nom de "Île-Sainte-Marie".
Je le revis, non sans émotion, dans les ports malgaches quand après la liquidation de la flotte Worms en fin 1968, je fus muté à la NCHP.
L'"Ile-Sainte-Marie" a été cédé à la Fokas Shipping Company du Pirée le 20 septembre 1975 dans le port de Majunga.

M/S " Château-Margaux

Commandant du 19 avril 1961 au 31 juillet 1961

Ex-"Fanny-Scarlett"
Construit aux Chantiers Norderwerft à Hambourg, lancé en octobre 1958 pour l'armement danois Sorgen-Jensen, pris en charge par Worms le 26 avril 1960.
Longueur hors tout : 102m01
Largeur : 14m54.
2 moteurs MAK de 1.650 CV chacun, accouplés sur une seule ligne d'arbre.
Port en lourd : hiver = 3.590 tonnes ; été = 3.780 tonnes
Plus tard ce navire navigua en shelters fermés et son port en lourd fut alors de 5.000 tonnes environ.
Il possédait 28 cuves à vin pour une contenance totale de 5479,30 hectolitres, revêtement en Semco pour vin et huile.
Également affecté à la ligne Anvers-Le Havre-Algérie.
Il fut lui aussi vendu en 1969 à Madagascar et pris le nom de "Diego-Suarez" où je le retrouvais embarquant comme commandant en station du 1er mars 1973 au 16 septembre 1973.

M/S "Château-Lafite"

Commandant du 9 août 1961 au 27 octobre 1961

Ex-"Linda-Scarlett" du même armement danois Sorgen-Jensen, pris en charge par Worms le 16 mars 1961.
Sister-ship du "Château-Margaux" et affecté au même trafic.
Il fut cédé à la Compagnie mauricienne de navigation, filiale mauricienne de la NCHP, sous le nom de "Ville-de-Port-Louis".

M/S "Château-Yquem"

Commandant du 11 janvier 1962 au 8 mai 1967

Ex-"Jutta-Schröder", de l'armement allemand Schröder
Construit aux Chantiers Norderwerft à Hambourg
Pose de la quille : 20 septembre 1952
Lancement : 27 novembre 1952
Mise en service : 23 février 1953
Acheté par Worms et pris en charge le 23 avril 1958
Ce navire est presque le sister-ship du "Château-Latour"
Longueur hors tout : 87m94
Largeur : 12m62
Port en lourd : été = 2.520 tonnes ; hiver = 2.380 tonnes
1 moteur principal MAK de 1.500 chevaux

Ce navire fut affecté à la ligne Anvers-Le Havre-Algérie, avec des escales intermédiaires, mais non moins importantes dans les ports de Dieppe, Fécamp et Cherbourg.
A Anvers, le navire chargeait presque exclusivement des lots importants de bière en cartons "Kronenbourg" amenés de Strasbourg par les gros chalands de la flotte rhénane.
Nous chargions 1.500 à 1.600 tonnes de cartons de bière dans les cales en laissant une hauteur suffisante sous les entreponts pour glisser à Cherbourg des jeeps arrimées sur un bon plancher installé pour protéger les cartons.
Au passage à Dieppe, nous chargions assez souvent de l'huile alimentaire dans les cuves pour Alger ou Oran.
Au Havre, nous chargions des huiles de graissage en fûts métalliques et des divers de toutes sortes.
Enfin à Cherbourg nous remplissions les espaces restés disponibles et la pontée de matériel militaire.
Le trafic était intense et il y avait sur les quais à Cherbourg, toujours plus de matériel que nous ne pouvions en charger.
Au retour d'Algérie, la collecte était plus maigre et nous prenions à Arzew des cargaisons variant de 1.100 à 1.500 tonnes de sel en vrac à destination de Fécamp ou (trois ou quatre fois par an) pour Saint-Malo.
Nous remplissions les cuves de vin en provenance d'Alger et d'Oran à destination de Cherbourg et du Havre et nous chargions dans tous les ports algériens du matériel militaire avarié (en grande partie véhicules accidentés), qui débarque à Cherbourg.
Nous faisons donc escale dans ce port à l'allée et au retour, ainsi d'ailleurs qu'au Havre également.
Ce trafic demandait un effort constant et pénible de la part de l'équipage.
Il fallait en effet nettoyer les cuves après leur chargement d'huile. La plupart du temps ce travail se faisait de nuit pour ne pas retarder la manutention. Le navire était équipé pour cela de gros chauffe-eau électriques et l'on utilisait un détergent approprié conseillé par l'applicateur du vernis revêtant les cuves.
Après le déchargement du vin il fallait aussi nettoyer les cuves dans des temps également très limités, toujours par souci de ne pas retarder les manutentions.
Avant l'arrivée à Arzew, toutes les parois des cales réservées au chargement du sel devaient être passées au lait de chaux et cela à chaque voyage pour éviter tout contact du sel avec les parties rouillées. Quand le temps le permettait, ce travail était exécuté à la mer. Il fallait là aussi faire vite car les traversées de port à port étaient courtes sur la côte algérienne et la chaux devait avoir séché avant l'embarquement du sel. Et les cales étaient minutieusement inspectées par un inspecteur préposé de la Saline.
Tout ce programme, pour ainsi dire immuable, fut d'un coup perturbé au printemps 1962 par la fin de la guerre d'Algérie.
Le trafic de bière cessa après le rapatriement progressif de l'armée. Le matériel de guerre aussi cessa d'être acheminé de Cherbourg mais on continua un moment à rapatrier le matériel avarié.
Peu à peu les tonnages de vin diminuèrent eux aussi. Mais les chargements de sel subsistaient presque jusqu'à la fin.
Mais il fallut quand même les remplacer quelquefois par des chargements de minerai en provenance de Ténès ou de Melilla (Maroc espagnol).
Le remplissage des cuves à vin devint de plus en plus problématique dans les ports algériens et il fallut y remédier par des voyages sur Valence (Espagne), il y eut même un voyage de vin Lisbonne-Dunkerque en mai 1965.
A la descente il y eut quelques belles sorties de sucre en sacs de Fécamp ou de Dieppe sur Oran et Alger. Puis des graines oléagineuses (colza), de Honfleur sur Oran ou Alger.
Enfin il y eut aussi des lots de bois africains en transit du Havre sur Valence et deux ou trois chargements de grumes de peupliers de Rochefort sur Alger pour alimenter une usine de déroulage de grumes en vue de la fabrication des cageots à primeurs.
Les huiles de graissage en fûts en sortie du Havre furent présentes jusqu'à la fin de l'exploitation de cette ligne. Mais cette diversification obligée et certainement peu rentable au point de vue exploitation du navire (multiplication des ports d'escales, allongement des distances à parcourir, etc.) annonça la fin de l'exploitation de cette ligne et obligea la compagnie à désarmer le "Château-Yquem" le 8 mai 1967.
Le navire resta quelques temps au Havre, au quai Colbert, puis fut vendu lui-aussi à la Compagnie malgache de navigation où il prit le nom de "Ville-de-Morondava" en octobre 1967.
Dans le journal "Paris-Normandie" du 10 octobre 1973, on pouvait lire un article dans lequel on apprenait que le "Ville-de-Morondava" ex-"Château-Latour" venait d'être cédé à des armateurs établis en Indonésie qui l'avait renommé "Gwender-Stem".

M/S "Normanville"

Commandant du 22 mai 1967 au 17 juillet 1967

Construit aux chantiers Ottensener Eisenwerk, à Hambourg
Lancé en juillet 1957
Acheté par Worms CMC et pris en charge le 29 juin 1959
Longueur hors tout : 97m50
Largeur : 13m52
Port en lourd : été = 3.765 tonnes

Ce navire vraquier faisait le transport des minerais, charbons, grains et pondéreux divers. Mais contribua aussi très largement au transport de matériel militaire en sortie de Cherbourg durant la guerre d'Algérie.
Pour ma part, pendant mon court embarquement, je fis un voyage Anvers-Bilbao avec du charbon, un voyage La Pallice-Tanger avec du grain, un voyage Casablanca-Bayonne avec du phosphate, un voyage Galway (côte ouest d'Irlande)-Calais avec du minerai de zinc, et un voyage Klaïpeda (Lituanie, URSS)-Saint-Malo avec du charbon. Cette énumération pour montrer la diversité des trafics et des ports fréquentés.
Le "Normanville" a été vendu au début de l'année 1968 à un armateur espagnol et navigua sous le nouveau nom de "Casseres" sous pavillon panaméen.

M/S "Jumièges"

Commandant du 7 août 1967 au 5 mars 1968
Commandant du 14 mai 1968 au 6 août 1968

Construit aux chantiers De Biesbosch à Dordrecht (Hollande)
Lancé le 17 janvier 1966
Pris en charge le 9 juin 1966
Longueur hors tout : 106m63
Largeur : 15m50
Port en lourd : été = 5.530 tonnes
1 moteur MAN de 3.260 chevaux vitesse en charge 13,5 noeuds
Ce beau navire était un vraquier pur.

Destiné à fréquenter les ports outillés pour des manutentions modernes et rapides, il ne possédait aucun mat de charge. Il était équipé de très vastes panneaux métalliques manoeuvrables mécaniquement et desservant ses quatre cales en ne laissant aucun recoin inaccessible aux engins de manutention. Ce navire était autorisé à charger du grain sans sacs ni bardis.
Le navire était équipé d'une commande à distance du moteur principal depuis la passerelle de navigation. C'était un commencement d'automatisation mais qui ne supprimait pas encore la présence de l'officier mécanicien dans la salle des machines... comme cela est courant maintenant.
Les voyages étaient aussi variés que ceux du m/s "Normanville" décrits précédemment. Mais dès l'ouverture de la campagne des céréales à Rouen, le trafic Klaïpeda-Rouen avec du charbon et de la remontée Rouen-ports de la Baltique (polonais ou russes) avec du grain, devenait très régulier, presque continu.
Les séjours à Rouen où il fallait laver et surtout sécher les cales après le déchargement du charbon et avant le chargement de grains étaient très longs, surtout en hiver (8 à 9 jours).
Et aussi les attentes sur rade dans les ports polonais.
L'exploitation de ce genre de navire devint donc de plus en plus délicate et celui-ci dut être vendu. C'est avec une grande tristesse que nous le quittâmes à Rotterdam le 6 août 1968.
Sous le nom de "Cardona" il navigua sous pavillon panaméen pour le compte d'un armateur espagnol. Puis en mai 1971 il passa sous pavillon finlandais sous le nom de "Cardonia". Enfin en juin 1974 il revint sous pavillon français portant le nom de "Ile-d'Arz" à la société de Gestion et d'Affrètement de navires.

M/S "Yainville"

Commandant du 1er octobre 1968 au 26 novembre 1968

Construit aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime au Trait
Date de lancement : 13 février 1961
Prise en charge : 7 avril 1961
Longueur hors tout : 96m70
Largeur : 13m53
Port en lourd : été = 3.800 tonnes.
2 moteurs principaux Duvant de 1.200 chevaux chacun, un seul arbre d'hélice. Vitesse commerciale en charge 12,5 noeuds.

Ce navire vraquier faisait les mêmes trafics décrits en détail pour le "Normanville".
J'ai conduit le "Yainville" à la vente à Rotterdam le 25 novembre 1968. II fut acheté par le même armateur espagnol qui acquit le "Jumièges" et prit le nom de "Caldes" sous pavillon panaméen.
En 1969 il fut rebaptisé "Michalis-K" sous pavillon grec.
En 1979 il devint italien sous le nom de "Terranova".
Enfin, dans un article du journal "Le Marin" du 16 janvier 1987, j'apprenais qu'il venait de faire escale dans le port de Rouen sous le nom de "Lady-Fatima".

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