1948.04.27.Worms et Cie.Historique.2ème partie (1877-189..)
Note de synthèse préparatoire à la rédaction
du livre intitulé Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie,
paru en octobre 1949
du livre intitulé Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie,
paru en octobre 1949
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Worms & Cie
2ème partie (1877-189 )
Index
I - Organisation et gérance de la société
II - Charbons
- Nouveaux dépôts (études diverses et créations)
- Océan Atlantique (Dakar & Iles du Cap Vert, Amérique du Sud)
- Océan Indien (Saïgon, La Réunion, Zanzibar et îles voisines)
- Alger
- Anciens dépôts
- Port-Saïd (éclairage électrique, Marcus Samuel & Co)
- Marseille
- Agence de dépôts étrangers - Contrats pour fournitures de charbon de soutes
- Divers
- Industrie
- Exportations d'Angleterre (statistiques)
III - Services maritimes
- Achat de la Maison F. Mallet & Cie
- Flotte
- Exploitation
- Sauvetage effectué par le s.s. "Emma"
Organisation et gérance de la société
Suivant le désir de M. Hyp. Worms, la société qu'il avait fondée ne fut pas dissoute à sa mort. Elle continua ses opérations sous la direction de M. H. Worms, assisté de M. Elie Baudet et de M. Henri Goudchaux, déjà fondés de pouvoir.
Entré à la Maison Worms à la fin de l'année 1863, M. H. Goudchaux avait été attaché d'abord à la succursale de Grimsby. Peu de temps après, au mois de mai 1865, il avait été envoyé à Cardiff, à la suite d'un changement dans la direction de cette succursale. Il devint aussitôt un des agents les plus actifs de M. Hyp. Worms et fut investi de plusieurs missions particulièrement délicates, en Italie, en Belgique, en Hollande, en Égypte, etc. Les plus importantes se rapportaient au développement de la Maison de Port-Saïd. Pour lutter contre la concurrence acharnée qui lui était faite en Angleterre, M. Hyp. Worms avait proposé, dès le mois de février 1870, à ses agents de Londres, MM. Geo & A. Herring & Co., avec lesquels il était déjà depuis longtemps en relation, de faire venir M. H. Goudchaux de Cardiff et de l'installer dans leurs bureaux pour s'y consacrer, sous leur direction, aux affaires de Port-Saïd. La proposition n'eut pas d'autre suite à l'époque, mais elle fut reprise dès la fin de la guerre franco-allemande.
La concurrence continuait â être très vive. M. Hyp. Worms avait vu, en particulier, un de ces concurrents, la maison Lambert Son & Scott lui enlever la clientèle d'un armement important qui s'était adressé à lui, dès le début de ses opérations à Port-Saïd (Donald Mac Gregor de Leith). D'une manière générale, il se sentait menacé de plusieurs côtés. Non seulement ce même concurrent avait lui-même de nombreuses relations parmi les armateurs, grâce aux fournitures qu'il effectuait en Méditerranée, mais d'autres maisons avaient également des appuis en Angleterre et dans différents ports.
D'autre part, les premiers pourparlers qui avaient eu lieu par lentremise de MM. Geo & A. Herring & Co. avec MM. James Burness & Sons n'avaient abouti, jusqu'alors, à rien de durable et de général. M. Hyp. Worms pouvait toujours craindre de voir ces Messieurs devenir un jour eux-mêmes ses concurrents ou favoriser d'autres maisons.
Il jugea indispensable d'agir avec énergie, prêt même à s'établir à Malte, par représailles, si la chose devenait nécessaire pour consolider sa position à Port-Saïd.
C'est dans ces circonstances qu'il revint à son idée du mois de février 1870 et d'envoyer M. H. Goudchaux en mission à Londres.
Celui-ci rejoignit son poste en mars 1871, en profitant de son voyage pour procéder à une enquête en Belgique et dans les Pays-Bas.
Au cours de sa mission, il fut appelé à participer avec MM. Geo & A. Herring aux pourparlers qui devaient aboutir à l'accord qui fut conclu en juillet/août 1871 avec MM. James Burness & Sons.
Dès le début de son séjour à Londres il appela l'attention de M. Hyp. Worms sur les avantages que la maison Lambert Sons & Scott tirait auprès des armateurs du fait qu'elle était anglaise.
« Comprenez bien, écrivit-il alors à M. Hyp. Worms, le 31 mars 1871, que si je vous fais ces observations, il n'y a chez moi aucune arrière-pensée d'intérêt personnel... je ne désire rien tant que de vous rendre des services. Ce que j'en fais est uniquement dans l'intérêt de la Maison de Port-Saïd, qui a devant elle une concurrence acharnée et qui, je crois, serait mieux servie en Angleterre par un Anglais que par moi. Je sens qu'il y a là une difficulté que, avec toute l'activité que je désire et crois pouvoir mettre à votre service, je ne pourrai surmonter, et je préfère vous le dire de suite plutôt que d'attendre que vos intérêts en aient souffert. »
Société Worms Josse & Cie
Un nouveau pacte social intervint, le 14 février 1881, avant le terme prévu dans l'acte originaire du 16 mars 1874. Madame Vve Hyp. Worms fit alors cession d'une partie de ses droits dans le capital à Messieurs Elie Baudet et Henri Goudchaux. La société qui était en nom collectif pour tous ses membres devint en nom collectif pour Messieurs Lucien Worms, fils de M. Hyp. Worms, H. Josse, E. Baudet et H. Goudchaux, et en commandite seulement pour Madame Vve Hyp. Worms et Madame Belavigne, fille remariée de M. Hyp. Worms.
La raison et la signature sociales devinrent : "Worms, Josse & Cie".
La gérance fut donnée en commun à Messieurs Lucien Worms, Josse, Baudet et Goudchaux, et la signature sociale à MM. Josse, Baudet et Goudchaux, avec pouvoir d'en faire usage séparément. La voix de M. Josse était prépondérante en cas de partage égal.
Le capital social fut alors ramené à F 4.000.000, par retrait effectué par Madame Vve. Hyp. Worms de F 500.000 faisant partie de sa part.
Le but de la société fut défini : « armement des navires et bâtiments de navigation et de transport de toutes espèces, commerce de charbons, opérations de banque et de change, national et international, ainsi que tous autres genres de commerce et d'industries que les associés jugeraient convenable d'y joindre ».
La durée de la société fut prorogée jusqu'au 1er janvier 1896.
Le siège, qui avait été transféré en 1877, peu de temps après la mort de M. Hyp. Worms, 45, boulevard Haussmann, resta fixé à cette adresse.
M. Élie Baudet décéda le 2 novembre 1891 et M. H. Josse le 23 juillet 1893. M. H. Goudchaux resta seul investi de la signature sociale et chargé de la direction.
Société Worms & Cie
Un nouvel acte intervenu le 18 décembre 1895 prorogea à nouveau la société jusqu'au 1er janvier 1911 et en modifia la raison sociale, qui devint "Worms & Cie".
M. Paul Rouyer, directeur de la succursale de Port-Saïd, et M. Alphonse Mayer, fondé de pouvoir depuis le 1er janvier 1892, devinrent alors associés au nom collectif avec Madame Vve Hyp. Worms et M. Henri Goudchaux.
La gérance fut donnée en commun aux quatre associés en nom collectif et la signature sociale à Messieurs Henri Goudchaux. P. Rouyer et A. Mayer, avec pouvoir d'en faire usage séparément, mais la voix de M. Henri Goudchaux devint prépondérante en cas de partage égal.
Charbons
Les progrès réalisés par l'organisation industrielle et commerciale dans le quart de siècle précédent allaient entraîner clans les années à venir une augmentation démesurée de la production : de nouveaux pays entrèrent alors en scène comme puissances industrielles ; les Etats cherchèrent de plus en plus à exporter et se lancèrent à la conquête de nouveaux débouchés. La lutte économique devint ardente.
L'activité maritime, reflet de l'activité générale, atteint des chiffres impressionnants. Tandis que la décadence de la marine à voile s'accentue, on assiste au prodigieux développement de la marine à vapeur. Les grandes compagnies de navigation, qui pour la plupart sont déjà constituées, augmentent leurs flottes et multiplient leurs lignes. De tous côtés se créent pour elles de nouvelles stations de charbonnage dont l'Angleterre est le grand pourvoyeur. Une concurrence très vive ne tarde pas alors à naître, non seulement entre les dépôts d'une même station, mais également entre les différentes stations d'une même route.
La houille devient la principale marchandise de mer. Les exportations de charbon britannique passent de 17.900.000 T environ, en 1880, à plus de 28.730.000 en 1890 et 44.000.000 en 1900, pour continuer ensuite leur rapide progression.
Création de nouveaux dépôts par la Maison Worms
Océan Atlantique
De pareilles transformations dans le champ d'action de la Maison Worms entraînèrent de nouveaux développements dans ses opérations, mais aussi de grandes complications du fait de l'intensité prise par la concurrence.
La création de dépôts dans les nouvelles stations de charbonnage qui semblaient appelées à devenir des points importants de ravitaillement ou dans des pays où se manifestaient des tendances à un accroissement de la consommation de la houille fut une des préoccupations les plus constantes des gérants de la Maison Worms.
- Dakar - Îles du Cap Vert. Dakar, port français de création récente, semblait appelé à un bel avenir par sa situation privilégiée sur la grande route maritime d'Europe vers l'Amérique du Sud. Grâce aux travaux qui y avaient été effectués, il était devenu un point stratégique et une station commerciale importante.
Depuis 1866, la Compagnie des Messageries maritimes l'avait pris pour port à escale de ses navires, en remplacement de Saint-Vincent, de l'archipel du Cap Vert. La Maison Worms avait été chargée du soin d'approvisionner le dépôt que cette Compagnie y entretenait et était devenue en outre fournisseur du Chemin de fer destiné à relier le nouveau port à Saint-Louis du Sénégal.
En 1883, peu de temps après le commencement des travaux de construction de ce chemin de fer, ses gérants conçurent déjà l'idée d'ouvrir une succursale mais restèrent préoccupés par le souci de savoir s'ils pourraient espérer détourner à son profit une partie des opérations de charbonnage qui se faisaient à Saint-Vincent.
Au début de l'année 1885, quelques mois avant l'inauguration du chemin de fer, saisis de l'offre de cession d'un dépôt déjà existant à Porto-Praya dans l'île Saint-Jacques (San Thiago), voisine de Saint-Vincent, qu'on leur indiquait comme présentant des avantages sur cette dernière, ils décidèrent de lier les deux questions sans envisager de s'installer à la fois dans les deux ports, ils envoyèrent à Dakar un de leurs collaborateurs de Port-Saïd pour procéder à une enquête et le chargèrent de visiter également le dépôt de Porto-Praya, pour le cas où ils renonceraient à Dakar.
Les renseignements qu'ils recueillirent ainsi les détournèrent de l'idée d'acheter le dépôt de Porto-Praya et ils optèrent pour Dakar.
Ils poussèrent plus loin leur étude pour ce port, firent même choix d'un terrain pour la concession duquel ils questionnèrent le gouverneur du Sénégal, mais, vers le début du mois de juin, ils arrivèrent à la conclusion qu'ils ne pouvaient pas compter sur une aide importante des lignes anglaises et que les affaires qu'ils pouvaient espérer réaliser par ailleurs ne justifiaient pas les dépenses élevées qu'entraînerait la création d'un dépôt. Ils renoncèrent alors, à regret, à leur projet et décidèrent de continuer à s'adresser à l'agent local des Messageries maritimes pour la consignation des navires qu'ils auraient l'occasion d'envoyer dans ce port.
Par contre, la question d'un établissement dans les Iles du Cap Vert, où Saint-Vincent prenait de plus en plus d'importance comme station de charbonnage, devait retenir à nouveau par la suite leur attention à plusieurs reprises.
En 1888, M. E. Baudet fit le voyage de Saint-Vincent, accompagné de M. P. Rouyer, alors directeur de la succursale de Port-Saïd pour y étudier sur place un projet d'acquisition du dépôt d'une maison amie. L'écart entre le prix proposé par la Maison Worms et celui que lui demanda le vendeur fut trop grand pour laisser entrevoir la possibilité d'un accord. L'affaire fut abandonnée, elle semblait d'ailleurs avoir perdu de l'intérêt par suite de la concurrence que de nouvelles stations faisaient à Saint-Vincent.
En 1891 et en 1892, la Maison Worms fut encore amenée à reprendre la question. Elle entra en conversation avec un de ses amis, administrateur d'une Compagnie de navigation portugaise dont elle était fournisseur, qui venait d'obtenir la concession d'un dépôt à Saint-Vincent. Un accord semblait possible, mais les relations que la Maison Worms entretenait par ailleurs avec la Compagnie de navigation portugaise prirent fin au cours des pourparlers et ceux-ci furent alors interrompus.
Vers la même époque, elle eut à reporter à nouveau son attention sur Porto-Praya. Elle hésitait beaucoup à y acheter un dépôt pour elle-même et jugeait que cela l'obligerait probablement à en ouvrir également un à Montevideo, mais, pour répondre à un désir de MM. J. Burness, elle demanda, pour leur compte, une option, avec un délai de quatre mois pour permettre à ses amis de faire procéder à une étude sur place.
- Amérique du Sud. M. Hyp. Worms avait fait des expéditions vers l'Amérique du Sud presque dès le début de ses opérations puis y était devenu fournisseur des Messageries maritimes après la création de leur ligne postale.
En 1885, la société Worms, Josse & Cie conclut avec une maison de Paris, la maison Portalis Frères, Carbonnier & Cie, qui traitait de grosses affaires de charbon à la Plata et possédait un important dépôt à Montevideo, un accord aux termes duquel elle prenait charge des expéditions de charbon que cette maison faisait d'Angleterre et s'engageait à rechercher pour son compte, par l'intermédiaire de MM. J. Burness & Sons, des fournitures aux armateurs anglais.
MM. Portalis Frères, Carbonnier & Cie cédèrent peu de temps après leurs affaires. La Maison Worms eut alors la pensée de créer elle-même un dépôt à Montevideo, mais, comme pour Dakar, les encouragements qu'elle reçut tant en France qu'en Angleterre ne lui parurent pas suffisants pour justifier une entreprise aussi lourde et elle s'abstint provisoirement de toute initiative à ce sujet.
En 1891, comme il a été dit ci-dessus, elle reprit l'idée pour la joindre à celle du dépôt de Porto-Praya mais alors que cette étude n'avait pas encore reçu de conclusion définitive, sous la vive recommandation du directeur de sa succursale de Cardiff, elle décida, au mois de mai 1892, de mettre à profit une occasion qui se présentait, d'utiliser les services d'un négociant installé à Buenos Aires, déjà très familiarisé avec le commerce des charbons et décida d'ouvrir, dans cette ville, une succursale qu'elle mit sous sa direction.
Elle commença ses opérations immédiatement. Jusqu'alors, les ventes qu'elle avait faites en dehors des fournitures destinées aux Messageries maritimes étaient destinées à la consommation intérieure. Elle recommanda à son directeur de donner une attention particulière au charbonnage des navires.
Elle envisageait d'expédier à la Plata les mêmes charbons qu'à Port-Saïd, afin de rester fidèle au système qui lui avait réussi.
Ne voulant cependant pas courir de gros risques pour la constitution d'un stock, elle entendait se limiter, au moins pour le début, à 6 ou 7.000 tonnes.
Océan Indien
- Saigon. Saigon fut le premier port de l'océan Indien pour lequel la Maison Worms entreprit l'étude d'un projet de création d'un dépôt de charbon. En 1883, à l'occasion d'un marché accepté par le ministère de la Marine, elle chercha à se procurer des renseignements dans la colonie. Sur la foi de ceux qu'elle reçut, elle décida de s'abstenir provisoirement et de ne reprendre l'idée que le jour où il lui serait possible de faire quelques opérations avec l'État et les Messageries maritimes.
Par la suite, elle entra en relations avec les Messageries fluviales de Cochinchine qui avaient un dépôt et s'entendit avec elles pour comprendre Saigon dans la liste des ports pour lesquels elle acceptait de faire des fournitures de charbon aux navires.
- Réunion. Au début de l'année 1885, M. Lavalley, dont la Maison Worms avait été fournisseur lorsqu'il était entrepreneur du canal de Suez, la chargea de lui expédier quelques chargements à la Réunion pour la Compagnie du chemin de fer. Elle fut ainsi amenée à se demander s'il n'y avait pas d'intérêt à prendre position dans la Colonie ; après enquête, elle préféra ajourner la question jusqu'au jour où il serait possible de trouver un mouvement d'affaires suffisant pour rémunérer le capital qu'il serait indispensable d'employer.
Elle reprit l'idée en 1890, à la suite d'une demande que lui adressa une maison de Saint-Denis. Les Messageries maritimes avaient alors leur propre dépôt qu'elles approvisionnaient au moyen de briquettes fabriquées au Havre et transportées par les navires de la Compagnie havraise péninsulaire. Elle leur offrit de se substituer à elles.
- Zanzibar. En 1885, les Messageries maritimes eurent à prévoir la création d'une escale à Zanzibar et se préoccupèrent de savoir si elles auraient intérêt à y avoir elles-mêmes un dépôt de charbon ou à acheter le charbon à une maison locale. La Maison Worms eut alors l'idée de s'y installer et obtint des Messageries maritimes la promesse que celles-ci s'adresseraient à elle si elle donnait suite à son idée.
Les fournitures à leur faire ne devaient être que de peu d'importance, mais leur promesse n'en constituait pas moins un puissant encouragement. Dans l'espoir d'obtenir d'autres débouchés, la Maison Worms décida d'ouvrir alors un petit dépôt et fit appel, pour sa gestion, à l'agent local des Messageries maritimes. Elle affréta immédiatement un premier navire, qui prit la mer le 26 octobre avec un chargement de 2.016 tonnes de charbon Nixon's Navigation.
Une maison anglaise traitait déjà des affaires sur la place. La Maison Worms ne crut pas de bonne politique de lui faire concurrence pour les affaires anglaises. Elle limita ses opérations aux affaires françaises et à celles à traiter avec le Sultan et les autres nations étrangères.
Elle réussit à faire quelques livraisons au Sultan, à la Marine allemande, mais celles-ci lui échappèrent en 1887, puis aux marines de guerre italienne et portugaise et à une Compagnie de navigation portugaise, cliente également de la Maison de Port-Saïd, mais ces livraisons restèrent peu importantes et le dépôt de la Maison Worms ne vivait guère que par les Messageries maritimes et la Marine de guerre française.
En 1890, l'armement Cicero Brown du Havre, la Maison Delmas Frères de la Rochelle, la Compagnie nantaise et la Compagnie havraise de navigation à vapeur acceptèrent de s'engager à s'adresser à elle dans le cas où leurs navires auraient à charbonner dans ce port.
Pour donner plus de vie à son établissement, l'agent de la Maison Worms avait entrepris, en outre, l'exportation de tous les produits du pays à destination de la France et autres pays d'Europe, avec l'aide de la Maison Worms. Il prit graduellement, pour ce commerce, la première place qui appartenait auparavant à une maison anglaise et à une maison allemande. Il était en relations commerciales constantes avec S.A. le Sultan de Zanzibar et s'attachait à faire grandir auprès de lui son influence aux dépens de ses concurrents étrangers.
La Maison Worms, Josse & Cie devint à Paris le correspondant commercial du Sultan. Les ambassadeurs envoyés par lui à Paris, à la fin de l'année 1889, furent accrédités auprès d'elle et par elle, à son siège, pendant leur séjour.
L'influence qu'elle avait acquise dans le pays vivement convoité par l'Angleterre et l'Allemagne ne pouvait qu'aider à y entretenir le renom et le prestige de la France. La signature du traité anglo-allemand de 1890 fut pour la Maison Worms une désagréable surprise.
Bien qu'elle eût donné à son organisation toute la perfection possible et qu'elle l'eût complétée par l'envoi à grands frais de 4 chalands construits en Écosse, elle ne vit pas ses livraisons prendre le développement désirable. La Marine française cessa de prendre quoi que ce soit. Les Messageries maritimes elles-mêmes réduisirent leurs demandes à des quantités insignifiantes, parce que manquant de fret à la sortie, elles prenaient le plus possible de charbon à Marseille. Par égard pour les efforts accomplis par la Maison Worms, elles prirent cependant quelques dispositions pour donner à leurs demandes plus de régularité.
- Madagascar & îles voisines
Le dépôt de Zanzibar ayant semblé, les premiers temps, devoir donner des résultats satisfaisants, la Maison Worms fut également tentée, en 1886, de faire quelque chose à Madagascar.
Elle songea à Tamatave et à Diego-Suarez, mais les renseignements qu'elle recueillit l'amenèrent à abandonner son idée.
L'année suivante, les Messageries maritimes la consultèrent au sujet de la création d'un dépôt à Mahé. Les besoins étaient primitivement estimés à 1.000 tonnes (par mois), mais, par la suite, les prévisions furent réduites à 400 tonnes. II semblait difficile qu'un dépôt pût vivre avec un aussi modeste débouché, les perspectives de traiter d'autres affaires par ailleurs semblaient, en outre, bien restreintes, la Maison Worms n'en resta pas moins à la disposition des Messageries maritimes mais celles-ci prirent finalement le parti de faire le dépôt elles-mêmes, le matériel devant être utilisé pour leurs autres services.
Alger
Avant de se consacrer au commerce des charbons, M. Hyp. Worms s'était déjà intéressé à l'Algérie comme banquier. Il avait eu en vue, notamment, la mise en valeur de vastes terrains, puis la concession d'une mine de plomb dans la province de Constantine. Bien qu'il ait procédé à ce sujet à des études assez approfondies et à des démarches auprès des autorités administratives, il ne semble pas que ses projets aient été mis à exécution.
Au mois de juillet 1851, il songea à étendre vers ce pays ses ventes de charbon et se prépara à prendre part aux adjudications qu'y faisait la Marine française. Il s'entendit alors avec un négociant de Rouen, M. Fernand de Loÿs. Le 18 juin 1852, il remit au Ministre de la marine une proposition pour 600.000 K à livrer, par navires dénommés, à Alger avant le 31 juillet. Il avait déjà arrêté trois navires français pour aller charger en Angleterre, de façon à pouvoir arriver à Alger avant la date prévue.
Il précisait que cette proposition était faite au nom et pour le compte de M. F. de Loÿs, mais engageait sa responsabilité personnelle pour le cas où le ministre le désirerait. Il était entendu entre lui et M. F. de Loÿs que l'opération serait faite en participation (de compte à demi) entre eux.
Il eut l'occasion, par la suite, de faire d'autres fournitures à la Marine française. Au début du mois de mars 1854, peu de temps avant l'annonce officielle de l'état de guerre avec la Russie, le ministre de la Marine lui donna, pour différents ports de la Méditerranée, un ordre comprenant 600 tonnes pour Alger. Ce chiffre augmenta rapidement : avant la fin du même mois, M. Hyp. Worms avait assuré des affrètements pour 2.800 T pour l'Algérie.
Pour la réalisation de ces opérations, ii prit comme correspondant, à Alger, la Maison Richard Duvallet & Cie.
La même année, lorsque les Messageries impériales eurent obtenu la concession des lignes reliant Marseille à l'Algérie et à la Tunisie, elles lui confièrent le soin d'approvisionner leurs dépôts d'Alger, d'Oran, de Bône et de Tunis. Les besoins mensuels de ces dépôts étaient, en 1856, d'après les prévisions de la Compagnie, de l'ordre de grandeur moyen d'environ 290 T pour Alger, 220 T pour Oran et 140 T pour Bône.
Les importations de la Maison Worms, par ailleurs, en Algérie restèrent pendant quelques années peu fréquentes et d'importance modeste. A partir de 1888 elles augmenteront dans de notables proportions grâce à des fournitures assez suivies, faites au chemin de fer de l'Est algérien et au chemin de fer Bône, Guelma et prolongement.
La Maison Worms avait alors pour correspondant à Alger M. P. Cherfils. Elle l'entretint (15 février 1889) d'un projet d'établissement d'un dépôt de charbon qu'elle étudiait depuis quelques temps et qu'elle aurait déjà réalisé si les difficultés que présentait alors le marché des charbons à Cardiff ne l'en avaient momentanément détournée. Elle lui demanda son concours en faveur de la personne qu'elle serait amenée à envoyer sur place le jour où elle donnerait suite à son idée. (Vers cette même époque, elle entra en relation, par son intermédiaire, avec la Maison Schiaffino, pour la réception des charbons qu'elle avait à expédier à Alger et à Bougie pour compte du chemin de fer de l'est algérien).
En mai 1890, elle lui remit une lettre pour lui servir d'introduction auprès des navires anglais, clients de ses dépôts, qui seraient amenés à faire escale à Alger et à y faire appel aux maisons de la place, pour des fournitures des charbons et d'autres services.
Alger lui paraissait un port de relâche favorable pour les navires faisant le commerce de l'Orient et de la mer Noire et appelé a prendre un grand développement comme station charbonnière. Les navires de certains armements étrangers importants, en, particulier ceux de la Maison A. Holt, y touchaient régulièrement et avaient tendance à y charbonner, au détriment de Port-Saïd. La Maison Worms était d'ailleurs informée, depuis la fin de l'année 1888, que l'Armement A. Holt envisageait de diminuer l'importance de ses achats à Port-Saïd au profit du port d'Alger. Elle jugea que par ses relations avec les armateurs anglais elle pourrait arriver à détourner une partie du mouvement qui se faisait aux escales de Malte et de Gibraltar, et, au mois d'octobre 1891, elle envoya sur place un membre du personnel de sa Maison de Port-Saïd qui, depuis la fin de l'année 1888, était prévenu de la nouvelle mission qu'il pourrait avoir à remplir et lui confia le soin d'organiser le dépôt de manière à pouvoir commencer le charbonnage des navires dès le début de l'année 1892.
Son intention était d'exploiter ce dépôt suivant les principes et la méthode qui avaient établi sa réputation à Port-Saïd, et de faire également la consignation des navires. Son initiative fut accueillie favorablement par les armateurs et reçut immédiatement de nombreux encouragements.
Par suite du manque d'emplacement, elle se heurta d'abord à de grandes difficultés et même à un refus de la part des autorités du port. Elle était menacée, pour le moins, d'un grand retard et se trouva même dans une grande gène pour remettre en temps utiles des offres précises aux armateurs qu'elle avait avisés de la création de sa nouvelle succursale. Au prix de grands efforts (appui de M. G. Thomson) elle réussit à obtenir une solution satisfaisante. Vers le milieu du mois de décembre 1891, elle put se risquer à faire un commencement et donna l'ordre à sa Maison de Cardiff de faire une expédition le plus tôt possible. Le premier navire affrété à cette fin fut le "Stakesby" ; il arriva à Alger le 11 janvier 1892, il était parti de Cardiff le 2 janvier.
Ses services s'installèrent boulevard de la République au n°19.
N'ayant pas disposé du temps nécessaire pour se procurer le matériel indispensable, elle s'était entendue provisoirement avec la Maison Schiaffino pour l'exécution des manutentions.
Son installation, à Alger provoqua une réelle émotion, parmi les maisons déjà installées sur la place, Dès le début, elle avait d'ailleurs enregistré un important succès : la Marine française ayant lancé, au mois de décembre 1891, un avis d'adjudication pour Alger, Oran, Bône et Philippeville, elle décida de soumissionner et obtint l'affaire pour trois ans. Le résultat de cette adjudication donna lieu, au mois de février, à des critiques dans un journal local.
Après avoir rappelé qu'antérieurement l'amirauté française faisait directement ses approvisionnements en s'adressant aux charbonnages français, le journal signalait que c'était une maison anglaise (sans la nommer) qui avait été déclarée adjudicataire. Il soulignait que celle-ci semblait tenir beaucoup à la fourniture, car les prix offerts par elle étaient de F 2,40 au-dessous du prix de revient du charbon à Alger, qu'en sa qualité d'adjudicataire des fournitures de la Marine elle aurait dans les mouvements du port un droit de circulation privilégié, jouirait de faveurs spéciales pour l'établissement de ses approvisionnements et que dans ces conditions elle serait dans d'excellentes dispositions pour faire pièce aux autres entreprises, qui étaient des entreprises françaises qui avaient mis 50 ans à faire d'Alger une tête de ligne charbonnière et que leur trafic allait passer entre des mains anglaises.
« ... Tant que le parlement, ajoutait l'article publié, ne s'était pas déclaré nettement protectionniste, tant qu'il avait laissé à chacun de nos voisins toute liberté pour venir sur notre marché faire concurrence aux produits français, le gouvernement avait eu la sagesse pour protéger nos établissements houillers de s'approvisionner aux mines françaises. Mais à partir du moment où ledit parlement a reconnu la nécessité de changer de régime, où il a décidé que partout devant la consommation française, l'étranger devait céder le pas aux Français, à partir de ce moment le service algérien des approvisionnements de la Marine a cru devoir s'émanciper de la règle officiellement admise et offrir sa clientèle à la bonne fortune des enchères publiques, sans respecter les restrictions précédemment admises... Il paraît que l'amirauté n'a pas bien compris que fermer la frontière aux étrangers cela voulait dire les tenir hors de la frontière. Elle a tout simplement fermé le loup dans la bergerie... »
Ces critiques furent reproduites dans un article d'un journal de la métropole : "La Bataille", du 24 février 1892, sous le titre sensationnel :
"L'amirauté d'Alger - Les fournitures de charbon pour la flotte française confiées aux Anglais".
La mise au point suivante parut dans le journal "Le National" du 24 février 1892 (rédacteur en chef : M. Gaston Thomson).
« L'Akhbar d'Alger a publié il y a quelques jours, et la "Bataille" dans son numéro de ce jour reproduit un article disant "qu'une société anglaise a été déclarée adjudicataire des fournitures de charbon à faire aux bâtiments de la Marine à Alger".
La bonne foi de nos confrères a été surprise : il s'agit bien en effet d'une fourniture de charbons anglais mais l'adjudicataire est une maison française, fondée et établie à Paris et dans les principaux ports de France depuis près de 45 ans et possédant entre autres une flotte importante de navires naviguant naturellement sous pavillon français : elle est d'ailleurs, comme maison française, le fournisseur de la Marine de l'État depuis un nombre considérable d'années.
Plusieurs autres mises au point parurent également dans la presse algérienne. Dans un article du 26 février, le "Petit Alger", après avoir rappelé les titres de la maison adjudicataire et fait ressortir que le taux demandé par elle était très sensiblement inférieur à celui de la concurrence, ajoutait, entre autres choses :
« Mais l'accusation mal fondée mise à part, nous ne saurions rester insensible en qualité de patriote (...) aux menées sourdes et quelque peu mesquines engagées contre l'introduction à Alger de charbons à bas prix.
Cette innovation peut et doit décider de la prospérité d'Alger et même de toute l'Algérie.
En effet, le charbon à des prix abordables attirera de plus en plus les navires dans notre port.
Ceux qui d'Angleterre vont aux Indes font du charbon à Gibraltar, Malte et Port-Saïd, soit trois escales.
Or, les soutes des Peninsular et Oriental Cy, par exemple, comme tant d'autres, sont d'une capacité leur permettant de tenir de Londres à Alger et d'Alger à Port-Saïd.
Si donc des maisons importantes pouvaient lutter de prix avec Gibraltar et Malte, elles concentreraient le trafic de ces deux ports, au grand profit commun des compagnies de navigation et de notre ville.
Inutile de faire entrevoir le développement colossal qu'y trouverait Alger... »
La cause était ainsi définitivement jugée.
Satisfaite des premiers résultats obtenus, la Maison Worms sa préoccupa immédiatement d'organiser sa succursale d'une manière complète et avec du matériel à elle. Elle commanda, dès l'année 1892, une flottille de chalands à une maison de Marseille et un remorqueur à un chantier écossais.
Il semble que les difficultés qu'elle avait rencontrées pour son installation aient contribué à attirer l'attention des autorités administratives sur la situation du port et le peu de facilités qui y étaient offertes au commerce. Les autorités du port entreprirent une enquête qui alla jusqu'à Port-Saïd et fournit à la succursale de la Maison Worms de cette ville l'occasion de formuler son opinion sur les conditions à remplir par les ports désireux de faciliter les opérations de charbonnage.
Le directeur de la succursale d'Alger, qui avait fait un long séjour à Port-Saïd, estimait au mois de mars 1892 que les dépôts de charbons occupaient dans ce dernier port 60.000 m2 tandis que l'emplacement dont on disposait à Alger n'était que de 4.300 m2 et que chaque maison, importante ou non, n'avait à sa disposition que 1.078 m2.
Anciens dépôts
- Port-Saïd
Les progrès de la succursale de Port-Saïd continuèrent à être rapides, favorisés par le développement de la navigation à vapeur dans le Canal. Le nombre des passagers atteignit en 1891 le chiffre record de 4.206, pour diminuer l'année suivante, mais reprendre ensuite sa progression.
La Maison Worms charbonna à elle seule 1.109 navires en 1881 et 1.324 en 1890. Pour l'année record, 1891, son chiffre s'éleva à 1.543 navires auxquels elle fournit un total de 497.831 tonnes(1).
Elle réussit à la fois à augmenter l'importance absolue de ses opérations et à en maintenir l'importance relative. La concurrence était cependant devenue de plus en plus vive et prit parfois, notamment en 1891, l'allure d'une véritable guerre des prix.
Le nombre des dépôts existant dans le port s'éleva à 7 en 1900, puis à 9 en 1909.
Sa part dans les importations de charbon à Port-Saïd fut :
en 1882 de 200.510 tonnes pour un total de 469.493 tonnes,
en 1890 de 431.780 tonnes pour un total de 1.032.291 tonnes,
en 1900 de 456.519 tonnes pour un total de 1.195.701 tonnes.
Elle eut la satisfaction non seulement d'enrichir sa clientèle de nouvelles et importantes compagnies qui se mettaient à faire la navigation par vapeurs pour l'Inde et l'Extrême-Orient, mais aussi celle de voir revenir à elle des armements que la concurrence avait réussi à détourner d'elle ou qui l'avaient quittée pour des raisons de convenance personnelle.
La Compagnie des messageries maritimes, qui partout ailleurs avait ces propres dépôts, en avait également établi un à Port-Saïd, mais elle le ferma et lui confia le soin de fournir à ces navires tous les charbons dont ils auraient besoin.
Soucieuse de conserver la réputation qu'elle s'était acquise dans les milieux maritimes, elle avait repris ses démarches auprès de la mine Nixon's Navigation, dont le charbon continuait à être très en faveur auprès des armateurs et que certains demandaient par préférence à tout autre, malgré son prix plus élevé. Aux termes d'un arrangement qu'elle conclut avec cette mine en. 1879, elle avait obtenu en compensation des quantités qu'elle s'était engagée à lui prendre, le monopole exclusif de son charbon à Port-Saïd. Cet arrangement prit par la suite une grande importance, fut étendu à d'autres dépôts de la Maison, arriva à porter sur des quantités annuelles totales de plus de 200.000 tonnes.
Pour éviter l'encombrement, et des frais et des retards dans ses livraisons, elle agrandit ses installations à Port-Saïd et à Suez et augmenta son matériel dans de notables proportions. En 1892, elle avait déjà en service une flotte de 62 chalands en fer, d'un déplacement absolument régulier et vérifié.
Navigation de nuit. En 1887, lorsque fut autorisée la navigation de nuit dans le Canal, elle décida d'organiser un service spécial pour permettre à sa clientèle de mettre plus aisément à profit les mesures prises par la Compagnie du canal.
La progression constante du trafic avait amené un véritable encombrement et de grandes pertes de temps pour les croisements. La durée moyenne du transit avait augmenté dans des proportions sensibles : de 38 heures 46 en 1880, elle s'était élevée à 43 heures, en 1885. La Compagnie du canal se rendit compte que la navigation de nuit pourrait être pratiquée à l'aide de protecteurs de lumière électrique placés à l'avant des navires, éclairant la nappe d'eau du Canal sur une longueur de 1.200 mètres au minimum, de feux à terre repérant les grands alignements du Canal et de bouées lumineuses indiquant les courbes.
Limitée d'abord, par prudence, aux navires postaux, l'autorisation de transiter la nuit fut étendue, le 1er mars 1887, à tous les navires munis d'un projecteur électrique en bon état et d'une portée suffisante.
Lorsqu'il fut bien clair que la Compagnie du canal n'entendait pas fournir elle-même les protecteurs, la Maison Worms pensa que les armateurs qui ne voudraient pas engager les frais élevés qu'entraînerait l'équipement de tous leurs navires seraient enchantés d'utiliser ceux qui pourraient être mis à leur disposition moyennant un prix de location modéré. Elle décida de tenter l'expérience et d'avoir à chaque extrémité du Canal un certain nombre d'appareils et le personnel qualifié pour en assurer le fonctionnement.
Elle se mit alors en rapport avec la maison L. Scotter, Lemonnier & Cie de Paris, qui construisait un modèle répondant aux exigences de la Compagnie du canal et qui avait pour le moment une espèce de monopole de fait.
Cette maison était justement en train d'étudier la constitution d'une petite société, dans un but identique à celui qu'envisageait la Maison Worms. Elle se montra disposée à renoncer à son propre projet. II fut alors convenu que, pendant une période de deux ans, la Maison Worms utiliserait exclusivement les appareils de la maison L. Sautter, Lemonnier & Cie et qu'elle prendrait livraison d'au moins 3 appareils ; celle-ci s'interdisait d'en fournir à aucun acheteur désireux d'en acquérir aux fins envisagées par les deux parties.
Le premier appareil fourni fut accepté par la Compagnie du canal et pour son début mis à la disposition du s.s. "Prometheus", de M. Holt, au mois de juin 1887. Ce navire effectua le transit en 16 heures 1/2.
Malgré les difficultés rencontrées, surtout pour le recrutement d'un personnel qualifié et son logement à Suez, les résultats obtenus furent satisfaisants.
Le nombre des navires qui profitèrent de l'autorisation de transiter la nuit augmenta d'ailleurs très rapidement. Les appareils de la Maison Worms acquirent une bonne réputation : en 1888, elle fournit 690 éclairages de nuit sur un total de 1.610, soit plus de 42% et en 1891, 1.295 sur un total de 3.740, comprenant 463 navires qui fournirent leur propre éclairage.
En 1888, la durée moyenne du transit ne fut plus que de 31 heures, L'organisation de la navigation de nuit avait apporté un remède efficace à l'encombrement du Canal.
M. Marcus Samuel & Co. Grâce à la réputation que s'était acquise la Maison Worms, il lui fut donné, en 1891, de devenir l'agent au Canal d'une entreprise qui allait être appelée à prendre un immense développement.
La maison Marcus Samuel & Co. de Londres, qui avait décidé d'entreprendre le transport direct du pétrole russe, de Batoum à destination de l'Orient, par navires citernes, demanda à la Compagnie du canal, le 20 avril 1891, d'autoriser le passage des navires qu'elle désirait construire.
Jusqu'alors les transports de pétrole par la voie du Canal ne s'étaient faits qu'au moyen de navires ordinaires chargés de caisses en fer blanc contenant le pétrole.
La Compagnie du canal examina la question et après avoir constaté qu'aucun canal, aucune rivière, aucun port n'excluait les navires chargés de pétrole en vrac et qu'ils y étaient seulement soumis à des règlements édictés dans l'intérêt général, elle estima pouvoir concilier tous les intérêts et respecter les droits de chacun en admettant ces navires à passer le Canal et en publiant un règlement, annexa du règlement de navigation, qui leur imposait des obligations particulières.
Ce règlement stipulait que tout navire de pétrole en vrac devrait se faire convoyer pendant toute la durée de son transit par un remorqueur citerne aménagé en vue de l'allégement rapide et immédiat en cas d'échouage. Il était prévu que la Compagnie aurait elle-même un remorqueur-citerne qu'elle mettrait à la disposition des navires chargés de pétrole en vrac lorsque les capitaines lui en feraient la demande.
La décision de la Compagnie du canal souleva de vives protestations de la part des armateurs transporteurs de pétrole en caisses et donna lieu à de grandes discussions dans la presse britannique. La question fut portée devant le Foreign Office ; celui-ci fit connaître son opinion dans la lettre suivante à la Chambre de commerce de Hull, dont M. F. de Lesseps donna connaissance à l'assemblée générale des actionnaires du 21 mai 1892 :
« Monsieur, je suis chargé par sa Seigneurie de vous déclarer, pour la gouverne des armateurs, que le gouvernement de sa Majesté est d'avis que la Compagnie du canal de Suez a le pouvoir, d'après les termes de sa concession, de faire tels règlements qui peuvent lui paraître nécessaires pour le trafic passant par le Canal et qu'elle n'a pas le pouvoir de refuser l'admission d'une classe quelconque de navires de commerce qui observent ces règlements. La Grande-Bretagne n'est pas une partie contractante à la charte de la Compagnie et aussi longtemps que la Compagnie observera la disposition de la charte, que les pavillons de toutes les nations doivent être traités sur pied d'égalité, aucune intervention de la part du gouvernement de Sa Majesté ne serait justifiée. C'est pourquoi l'adhésion du gouvernement de Sa Majesté aux règlements en question n'est pas nécessaire à la Compagnie pour qu'elle soit à même de les mettre en vigueur. Les administrateurs anglais de la Compagnie ont reçu toutefois du gouvernement de Sa Majesté l'aide des conseils les plus experts mis à leur disposition pendant que les règlements étaient étudiés par la Compagnie. Je suis... » Signé : James W. Lowther.
Interpellé à la Chambre des communes, le gouvernement britannique maintint les termes de sa réponse.
Les amateurs, assureurs, etc., qui s'estimaient lésés ne désarmèrent pas. Ils portèrent la question devant les tribunaux et assignèrent la Compagnie du canal, avec le gouvernement égyptien, devant le tribunal d'Alexandrie pour faire déclarer le nouveau règlement illégal, nul et non opposable aux transporteurs de pétrole en caisses.
Par jugement du 17 janvier 1893, le tribunal les déclara mal fondés dans leur demande. La cour d'Alexandrie, saisie à son tour, confirma, par arrêt du 17 mai 1894, le jugement du tribunal.
Ainsi se trouva définitivement réglé un procès qui était, en somme, "un procès de concurrence dirigé par les transporteurs de pétrole en caisses contre les transporteurs de pétrole en vrac à l'aide de bateaux citernes" ( v. L'Isthme et le Canal de Suez, par Charles Roux - annexes).
C'est donc dans une atmosphère d'agitation et de polémique que la Maison Worms fut appelée à donner son appui à l'initiative de MM. Marcus Samuel & Cie. Pour répondre au désir de ces Messieurs, la Compagnie du canal consentait à faire construire un navire citerne spécial pour accompagner leurs navires pendant le passage par le Canal, mais elle demandait à être couverte des dépenses qu'allaient entraîner cette construction par une garantie de 16.000 livres sterling qui cesserait d'être obligatoire pour MM. Marcus Samuel & Cie dès que leurs navires pétroliers auraient effectué 160 passages. Ces Messieurs demandèrent à la Maison Worms, par l'intermédiaire de MM. Galbraith Pembroke Co. et de MM. James Burness & Sons Ltd (15 septembre 1891) de lui servir de caution pour la garantie en question.
Bien que le transport du pétrole en vrac pût ne pas paraître favorable aux intérêts de sa succursale de Port-Saïd, étant donné qu'il faudrait moins de vapeurs que pour le transport de la même quantité en caisses, et bien que la garantie lui parût susceptible de durer un assez grand nombre d'années (10 à 12 ans) en raison du petit nombre de passages prévus pour les débuts, la Maison Worms décida d'entrer en pourparlers avec Messieurs Marcus Samuel & Co. Une entente s'établit entre les deux maisons, à la suite d'une entrevue avec M. Samuel, qui eut lieu à Paris le 21 septembre 1891.
Les accords à intervenir entre les trois parties en cause ne furent définitivement conclus qu'au début de l'année 1892. La lettre d'engagement de la Maison Worms vis-à-vis de la Compagnie du canal porte la date du 15 février 1892.
Au cours des négociations celle-ci avait consenti à limiter à 100 passages la durée de la garantie. Entre-temps MM. Marcus Samuel & Co. avaient déjà sensiblement augmenté, par une nouvelle commande de 6 navires à livrer en 1893, la flotte qu'ils comptaient utiliser. Ils espéraient faire de 15 à 20 traversées dès cette même année et qu'avant 1895, leur commerce aurait pris le développement qu'ils prévoyaient. Ils soulignaient, à l'appui de leur optimisme le fait que les acheteurs n'osaient déjà pas risquer des expéditions par voiliers de peur qu'elles n'aient pas le temps d'arriver avant que les navires citernes aient débarqué du pétrole en vrac.
Une puissante organisation était en voie d'organisation le gouvernement des Indes anglaises avait autorisé la création à Calcutta, Madras, Hong-Kong, de réservoirs destinée à l'emmagasinage du pétrole, analogues a ceux qui existaient à Londres, Rouen, Dunkerque, Calais, etc., pour les pétroles d'Amérique. Les gouvernements siamois et japonais avaient pris des décisions du même genre. Des démarches avaient été entreprises auprès des autorités de la Cochinchine pour obtenir la permission d'acquérir un terrain et d'y établir un réservoir.
En compensation des engagements que la Maison Worms avait pris à leur profit vis-à-vis de la Compagnie du canal, MM. Marcus Samuel & Co. lui donnaient, entre autres choses, toutes leurs affaires dans le canal de Suez et les fournitures de charbon dont ils auraient besoin à Constantinople, Aden et Colombo. Arrangements financiers. En 1888 prirent fin les relations de la Maison Worms avec MM. Ed. Lazard & Cie de Londres, qui n'avaient cessé d'exister depuis que ceux-ci avaient pris, en 1855, la suite des affaires de la Maison Marc Goudchaux & Cie. Ces relations consistaient en tirages assez réguliers des succursales de la Maison Worms de Port-Saïd et de Suez, pour les demandes de papier sur Londres qui leur étaient adressées. La succursale de Cardiff était également accréditée auprès de MM. Ed. Lazard & Cie pour un montant déterminé.
MM. Samuel Montagu & Co. à qui M. Ed. Lazard avait cédé ses affaires continuèrent à être les correspondants de la Maison Worms pour ces opérations jusqu'en 1890. A partir de cette date, elles furent confiées au Comptoir national d'escompte de Paris pour être effectuées par l'intermédiaire de son agence de Londres. Marseille
L'ouverture du canal de Suez avait rendu à la Méditerranée l'importance qu'elle avait perdue au XVe siècle comme route des Indes.
- Marseille en bénéficiait largement. Lorsque fut promulguée la loi du 29 janvier 1881, instituant le régime des primes à la navigation maritime et à la construction des navires sur laquelle on fondait de grands espoirs pour le développement de la marine marchande française, la Maison Worms décida de réorganiser sa succursale de Marseille et d'y reprendre les affaires de charbon qu'elle y avait délaissées depuis plusieurs années. Elle se mit d'accord avec MM. James Burness & Sons pour tenter d'y développer les fournitures à la navigation et entreprit une active propagande auprès des armements français et étrangers. Elle calqua la nouvelle organisation de sa succursale sur celle de Port-Saïd et conclut un accord avec la mine Nixon's Navigation pour faire du charbon de cette mine l'objet exclusif de ses livraisons.
La clientèle de la Compagnie P & O y devint un élément important de ses affaires.
Pour aider le développement de sa succursale, elle autorisa celle-ci à s'occuper de consignation de marchandises et de navires, mais tenant à exclure toute idée de spéculation elle limita son rôle pour les marchandises à la simple réception pour vente sur consignation, sans "del credere".
Agence des dépôts étrangers - Contrats pour fournitures de charbon de soutes
En même temps qu'elle augmentait le nombre de ses dépôts, la Maison Worms devint l'agent d'un grand nombre de dépôts étrangers.
Par amour propre professionnel, elle tenait à pouvoir renseigner rapidement sa clientèle sur les conditions dans lesquelles les opérations de charbonnage s'effectuaient dans les ports les plus lointains et à lui procurer même des facilités pour s'y ravitailler, elle fut ainsi amenée à choisir des correspondants dans les stations de charbonnage les plus diverses. Le point de départ de cette politique peut être vu dans l'accord qu'elle conclut en 1872 avec MM. James Burness & Sons de Londres à propos de Port-Saïd. Elle la développa ensuite, à mesure que la navigation à vapeur augmenta son rayon d'action et multiplia ses parcours. Elle devint ainsi l'agent d'un grand nombre de dépôts, était tenue régulièrement au courant des modifications qui y étaient apportées dans les prix et les autres conditions des opérations de charbonnage, et était qualifiée pour traiter pour leur compte avec les armateurs qui s'adressaient à elle.
La liaison était établie, la plupart du temps, par l'intermédiaire d'autres maisons importantes d'exportation de charbons anglais ou de "coaling agents" qui, par réciprocité traitaient à l'occasion pour le compte des dépôts de la Maison Worms.
Cette organisation ne lui était d'ailleurs pas particulière. Elle répondait trop aux besoins de la navigation pour ne pas correspondre à un usage général. Elle se compléta bientôt par la mise en pratique de contrats de durée déterminée conclus entre les propriétaires de dépôts et les armateurs. Par ces contrats, les propriétaires de dépôts donnaient aux amateurs, pour s'assurer leur fidélité, la garantie que le charbon ne leur serait pas facturé au-dessus du prix fixé au contrat et qu'ils jouiraient de plein droit du bénéfice de toute baisse qui viendrait à se produire sur ce prix.
Ces contrats, très utiles pour les lignes régulières connaissant à l'avance leurs besoins et les ports où leurs navires auraient à charbonner, avaient également un grand intérêt pour les "tramps" car ils n'entraînaient pas pour l'armateur l'obligation de prendre une quantité quelconque dans les ports désignés, mais simplement celle de s'adresser au fournisseur indiqué dans le cas où une unité de leur flotte aurait à s'approvisionner dans ces ports.
Au moment du renouvellement des contrats, chaque fournisseur remettait à sa clientèle une proposition comprenant ses propres dépôts et ceux des maisons pour le compte desquelles il agissait comme correspondant.
La liste de la Maison Worms comprenait déjà pour l'année 1886, en plus des ports où elle avait des succursales : Gibraltar, Malte, Le Pirée, Constantinople, Aden, Pointe-de-Galles, Colombo, Singapore, Madère, Ténériffe, Saint-Vincent (cap Vert), Cap-de-Bonne-Espérance, Rio de Janeiro, Montevideo. En 1888 s'y ajoutèrent le Pirée, Constantinople, Pernambuco, Bahia, Santos. Elle s'allongea encore par la suite, sans avoir d'ailleurs un caractère limitatif.
Divers
La Maison Worms fut également appelée à envisager l'extension de ces opérations à quelques centres méditerranéens importants, notamment au Pirée, à Beyrouth et à Constantinople, sans songer cependant à y ouvrir elle-même un établissement quelconque.
Pour répondre à la demande d'une maison du Pirée, elle accepta d'envoyer dans ce port une cargaison d'essai. Les résultats de l'opération ne lui permirent pas de renouveler lexpérience.
Pour Beyrouth, elle se heurta à la difficulté de combiner avec des expéditions de charbon à gaz des expéditions assez importantes pour permettre l'affrètement de navires.
En ce qui concerne Constantinople, où elle avait eu précédemment un agent, elle avait dû renoncer à y traiter des affaires importantes pour différentes raisons, en particulier l'incertitude des paiements. Elle préféra s'en tenir à de petites affaires qu'elle envoya de loin en loin à une maison qu'elle connaissait.
Industrie
Sans parler des fournitures que ses succursales obtenaient localement, la Maison Worms fut appelée à conclure directement des marchés importants avec des grandes entreprises. On peut citer :
- la Compagnie napolitaine d'éclairage et de chauffage par le gaz,
- la Société du gaz de Port-Saïd,
- la Compagnie française du Centre et du Midi pour l'éclairage au gaz
- la Compagnie générale du gaz pour la France et l'étranger,
- la Compagnie française des mines du Laurium, pour Ergasteria,
- le Nickel,
- la Compagnie du Boleo pour Santa Rosalia,
- la Société des forges et fonderies de Montataire pour compte de la maison A. Grandchamp et Fils,
- la Société anonyme des aciéries, hauts fourneaux et forges de Trignac, en compte à demi avec la maison Watts, Ward & Co., mais sous la responsabilité de la Maison Worms pour la totalité, vis-à-vis de l'acheteur.
- la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, à laquelle elle eut à faire des livraisons nombreuses à Colon (Aspinwall)
- la Compagnie du chemin de fer de Bône, Guelma et prolongements,
- la Compagnie du chemin de fer de l'est algérien,
- la Compagnie du chemin de fer de Dakar à saint-Louis.
Exportations d'Angleterre
Les progrès de l'activité de la Maison Worms se marquèrent par l'augmentation notable de ses exportations d'Angleterre.
Elles atteignirent : 1.292.633 tonnes en 1888 ; 1.574.251 tonnes en 1890.
Ce dernier chiffre ne fut peut-être pas dépassé par aucune autre maison. Il se répartissait comme suit :
1° - pour le quartier de Cardiff, Newport et Swansea : 925.287 tonnes, dont 97.742 en charbons de soute fournis aux navires dans ces trois ports,
2° - pour le quartier de Grimsby, Hull et Goole : 392.330 tonnes,
3° - pour le quartier de Newcastle et Thunderland : 202.134 tonnes,
4° - pour le quartier de la Clyde : 54.500 tonnes.
Les charbons qu'elle fournissait à la navigation, dans tous ses dépôts : Nixon's navigation, Océan, Ferndale, National, Cambrian et Albion étaient classés les premières marques de Cardiff.
L'emploi de Cardiff par les armateurs était devenu presque universel. Au début de 1889, la demande dans ce quartier devint sans précédent. Les difficultés pour y charger les navires étaient telles que M. H. Goudchaux ne se rappelait pas en avoir jamais vu de pareilles pendant toute sa carrière qui comptait déjà 26 ans.
Services maritimes
Un fait capital dans l'histoire des Services maritimes de la Maison Worms, pendant les premières années qui suivirent la mort de M. Hyp. Worms, fut l'achat par elle de la Maison F. Mallet & Cie, dont elle était commanditaire et de la part d'un tiers de celle-ci dans les navires dont elle était elle-même co-propriétaire pour les deux autres tiers. Elle prit en charge directe l'exploitation des services de cette maison.
L'opération fut réalisée à la fin de lannée 1881. La société Worms, Josse & Cie prit à son nom, à partir du 1er janvier 1882, la maison du Havre de la société F. Mallet & Cie dont elle fit une de ses succursales.
Flotte
A la suite de cette opération, l'ensemble de la flotte de la Maison Worms se trouva composé, au point de vue de son exploitation, de deux groupes de navires placés sous deux directions techniques indépendantes l'une de l'autre :
1° - Le groupe du Havre, qui comprenait les navires à vapeur exploités précédemment par la Maison F. Mallet & Cie, savoir : "Louise-Jenny", "Frédéric-Franck", "Marguerite-Franchetti", "Blanche", "Président", "Isabelle", "Lucien" et "Emma".
2° - Le groupe de Bordeaux, savoir : "Séphora", "Commandant-Franchetti", "Frigorifique" et "Marie", qui constituaient auparavant la flotte propre de Maison Worms, étaient exploités par elle-même et placés sous la direction de sa succursale de Bordeaux. Après son séjour en Mer Rouge, le "Séphora", aîné de la flotte de la Maison Worms, fut longtemps affrété à la maison F. Mallet & Cie. II fut rendu à la succursale de Bordeaux en 1881.
Cette flotte s'enrichit, peu après, du s.s. "Hypolite-Worms", commandé pour la maison Mallet en 1881 en remplacement du "Séphora" et qui prit son service en 1882, puis du s.s "Ville-de-Nantes" acheté à une société française en 1884, et plus tard, en 1890, des s.s. "Suzanne-et-Marie" et "Séphora-Worms" qui entrèrent en service en 1891, à peu de temps d'intervalle.
Ces quatre unités furent affectées au groupe du Havre.
Par contre, le s.s. "Frigorifique", de Bordeaux, et le s.s. "Louise-Jenny" du Havre, se perdirent : le premier, en 1884, à la suite d'un abordage près des côtes de Bretagne, le second en 1890, à la suite d'un échouage par brume épaisse sur les rochers de Penmarch.
Le "Frigorifique" avait été acheté par la Maison Worms en 1880. Il avait été construit pour le transport, entre La Plata et la France, de viandes fraîches, conservées par le froid. L'essai n'avait pas réussi et le navire, amarré en Seine, au quai de l'Horloge, avait été mis en vente à l'audience des criées au tribunal de la Seine. La Maison Worms le fit transformer. Son nom n'ayant plus de raison d'être pour la navigation à laquelle elle le destinait, elle entreprit des démarches en vue d'obtenir l'autorisation de le changer, mais les abandonna devant les difficultés administratives auxquelles elle se heurta.
Le "Lucien" fut vendu en 1891.
En 1889, le "Marie" et le "Commandant-Franchetti" furent transférés de la succursale de Bordeaux à celle du Havre.
Exploitation
La Maison Worms continua à limiter, en principe, l'utilisation de ses navires au cabotage réservé et au cabotage international et n'apporta pas de modifications aux conceptions qui avaient présidé à l'organisation de ses services propres et de ceux de la maison F. Mallet & Cie.
- Le Havre
La Maison F. Mallet & Cie et la Maison Worms avaient été trop étroitement liées pour que l'achat de la première par la seconde entraînât de profondes modifications dans l'organisation des services qu'elles exploitaient.
En fait, rien ne fut changé que le nom. La Maison du Havre, devenue succursale de la Maison Worms, et la succursale de Bordeaux conservèrent leurs rôles antérieurs. La succursale du Havre fut placée sous l'autorité de deux fondés de pouvoirs de M. Mallet et resta chargée de la direction de ses services maritimes, en particulier de celle des lignes Bordeaux-Le Havre-Hambourg et Bordeaux-Rouen.
La première de ces lignes conserva son rôle prédominant et absorba la plus grande partie des soins et des préoccupations de la Maison Worms. C'est contre elle que furent faites les tentatives les plus graves pour disputer à la Maison Worms les transports qu'elle effectuait.
La première en date de ces tentatives et la plus longue fut celle de l'armement hambourgeois Perlbach. Commencée du vivant de M. Hyp. Worms, elle ne prit fin qu'en 1879. Les maisons Mallet, Deppe et Worms, toutes les trois associées et intéressées dans la lutte s'étaient entendues pour créer par représailles un service entre Anvers et Hambourg ; elles y mirent fin quand l'entente avec la maison Perlbach fut réalisée.
En 1882, le trafic Hambourg-Le Havre fut de nouveau menacé. Cette fois par une Compagnie française. Le conflit prit, vers la fin de la même année, un caractère assez vif et menaça même de s'étendre. Il prit fin en 1884, après une durée de 18 mois. La bonne entente fut rétablie entre les deux armements et en exécution de l'accord qui intervint à cette occasion, la Maison Worms procéda à l'acquisition du s.s. "Ville-de-Nantes".
Cette concurrence était à peine terminée que de nouvelles menaces surgirent de la part d'un autre armement hambourgeois. Comme les précédents, elles avaient pour appui et même pour animateur à Hambourg l'ancien agent que la Maison Worms y avait pris pour la vente des charbons anglais et avec lequel elle avait dû cesser ses relations. Les menaces furent cette fois écartées rapidement.
Quelques années plus tard, en 1890, des difficultés de même nature naquirent encore, du fait d'un armement français : la Compagnie navale de l'Ouest. Pour protéger sa ligne, la Maison Worms entreprit, par mesure de représailles, de créer à nouveau un service Le Havre-Anvers et vice-versa, par le s.s. "Marie" et se disposa à prendre d'autres mesures plus étendues. Le danger dura cependant peu de temps et fit place à un accord.
D'une manière générale, la Maison Worms s'efforça d'entretenir des relations amicales avec les autres sociétés de navigation françaises. Non seulement elle avait la satisfaction d'en compter un grand nombre, et des plus importantes, parmi les clients de ses services charbons, mais, dans le but d'augmenter le trafic de ses lignes, elle fut amenée à conclure avec plusieurs des accords pour le transport, par transbordement, de marchandises en provenance ou à destination de ports non desservis par elle. Ses lignes devenaient ainsi le prolongement des leurs et vice-versa.
Les plus importants de ces accords intervinrent avec la maison Chevillotte, la Compagnie générale transatlantique, les Chargeurs réunis, MM. Louis Flornoy & Fils de Nantes, etc.
- Bordeaux.
La succursale de Bordeaux, à laquelle avaient été attachés les premiers navires achetés, en propre, par M. Hyp. Worms et qui avait été l'inspiratrice de quelques-unes de ses initiatives les plus importantes continua, après l'achat de la Maison Mallet à gérer elle-même les navires dont elle était dotée. Elle les utilisa fréquemment pour son ravitaillement en charbon, mais s'en servit principalement pour assurer le service des lignes de navigation suivantes, qui eurent des fortunes diverses :
Ligne Bordeaux-Bremerhaven. Avec le s.s. "Frigorifique" acheté à son intention, elle inaugura en 1880 une ligne Bordeaux-Bremerhaven, qui devint, en 1882, pour remédier à l'insuffisance des frets de retour, une ligne Bordeaux-Bremerhaven-Newcastle, sans réussir à donner de bons résultats. La Maison Worms conserva cependant par la suite un service régulier Bordeaux-Anvers-Bremerhaven.
Ligne Pasages-Rouen, Ligne Santander-Pasages et Bordeaux. On peut voir l'origine de ces lignes dans l'habitude qu'avaient les navires charbonniers qu'employait la Maison Worms d'effectuer leur retour en Angleterre en transportant des minerais de Bilbao.
La Maison Worms organisa d'abord un service du nord de lEspagne pour Bordeaux et par transbordement pour les points desservis par ses lignes au départ de Bordeaux. Elle prit, en premier lieu, un agent à Santander et Pasages pour rechercher du fret à commission, puis le remplaça, au début de l'année 1884, par une succursale établie à Pasages et placée sous la direction de celle de Bordeaux.
Entre-temps avait été créé un service Pasages-Rouen, auquel le s.s. "Frigorifique" fut affecté jusqu'à sa perte. Pour ne pas perdre la place qu'elle avait acquise sur la ligne, elle envisagea alors d'assurer le service par navire affrété.
La ligne était consignée à Rouen à la Compagnie de navigation du Havre à Paris et Lyon.
La Maison de Pasages ne donna que de médiocres résultats. Le service était réduit en 1886 au s.s. "Séphora". Les associée gérants de la Maison Worms mettaient en doute l'utilité de cette maison et se demandaient s'il n'y aurait pas lieu d'y renoncer et de se contenter d'un consignataire choisi parmi les maisons de la place.
Ligne de Bordeaux à Alicante. Cette ligne ne donna lieu qu'à de simples essais. Elle ne fonctionna pas longtemps. Il semble que son service ait pris fin en 1883.
Ligne Bordeaux-Anvers. Créée en 1869, cette ligne avait fait l'objet, avec la maison Deppe, d'un accord qui fut renouvelé en 1879 pour cinq ans, puis en mars 1883 sans stipulation de durée, il fut alors convenu que chaque partie pourrait y mettre fin en prévenant l'autre le 1er juillet pour le 1er janvier suivant.
Hyp. Worms avait craint à sa fondation l'insuffisance des frets de retour. En fait, les départs restaient irréguliers. Les réclamations du commerce bordelais contre les retards qui en résultaient amenèrent la Maison Worms à souder ce service sur celui de Hambourg, ce qui permit, après entente avec la maison Deppe, de faire quatre départs réguliers par mois.
D'une manière générale, les lignes exploitées par la Maison de Bordeaux ne donnèrent pas les résultats souhaités. Leur organisation recevait de fréquents remaniements, la Maison de Bordeaux était souvent obligée, par suite de l'insuffisance du fret, d'envoyer les navires charger du charbon en Angleterre.
Leurs résultats inspirèrent des inquiétudes aux gérants de la Maison Worms. Ils envisagèrent même, en 1883, de limiter les opérations de la Maison de Bordeaux au commerce du charbon et de vendre les s.s. "Marie", "Commandant Franchetti" et "Séphora", qui constituaient toute la flotte à sa disposition, le s.s. "Frigorifique" ayant fait naufrage en 1884. C'est alors que le s.s "Marie" et le s.s. "Commandant-Franchetti" furent affectés à la Maison du Havre.
En 1883 décéda M. Schacher qui pendant 27 ans avait dirigé la Maison de Bordeaux.
- Autres succursales - Agences
La Rochelle. En 1883, la Maison Worms décida de fermer la succursale qu'elle avait ouverte à la Rochelle, qu'elle utilisait à la fois pour le commerce des charbons et pour ses services maritimes. Elle céda à MM. Delmas Frères sa clientèle et leur promis la consignation des vapeurs qu'elle aurait l'occasion d'envoyer dans ce port.
Bayonne. Par contre, elle autorisa sa Maison de Bordeaux, en 1887, à ouvrir une agence à Bayonne.
Rouen et Dieppe. La maison A. Grandchamp Fils & Cie continua à être pour elle, dans ces deux ports, ce que MM. F. Mallet & Cie avaient été au Havre. Elle avait à Paris une maison avec dépôt de charbon qui s'occupait des ventes à l'industrie et aux gros détaillants. A la suite de la mort de son chef, M. A. Grandchamp, ses opérations furent continuées par la maison Leblanc Charlemaine & Cie, dans laquelle la Maison Worms resta intéressée.
Sauvetage effectué par le s.s. "Emma"
Le 16 décembre 1889, au début de l'après-midi, le vapeur "Emma", commandé par le capitaine Basroger, opéra, par temps brumeux et pluie fine, le sauvetage de 396 passagers, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d'enfants et de 25 hommes d'équipage provenant du vapeur hollandais "Leerdam", qui se rendait d'Amsterdam à Buenos Aires, et de 26 passagers et 25 hommes d'équipage provenant du vapeur anglais "Gaw-Quan-Sia" allant de Chine à Hambourg. Les deux navires s'étaient abordés dans la nuit. Passagers et équipages s'étaient réfugiés dans une dizaine de grands canots et de chaloupes.
Malgré la faiblesse de son tonnage (509 tonneaux), l'"Emma" réussit à recueillir tous les naufragés grâce à l'énergie du capitaine et au dévouement de tout l'équipage.
Ne pouvant tenter d'accoster sans danger, en raison de la brume, le capitaine décida de faire route pour Hambourg. Le navire arriva à Cuxhaven le surlendemain, après une traversée difficile, de plus de 50 heures. Les naufragés y furent débarqués.
L'eau douce et les quelques provisions du bord avaient été vite épuisées. On avait été obligé de faire appel aux ressources de la cargaison.
La Maison Worms reçut de la Nederlandsch Amerikaansche Stoomvaart Maatschappij, armateur du "Leerdam", ainsi que des officiers et de l'équipage de ce navire, de flatteuses marques de gratitude. Questionnée sur le montant des dépenses que lui avait occasionnées le sauvetage, elle demanda à garder entièrement pour elle la satisfaction d'avoir sauvé un aussi grand nombre d'existences et, s'il pouvait y en avoir un, le mérite d'un acte bien simple d'humanité.
Elle sollicita, cependant, pour le capitaine Basroger, la reconnaissance honorifique de sa belle conduite et fut heureuse de lui voir attribuer le Croix de chevalier du lion néerlandais et celle de Chevalier de la légion d'honneur.
Le sauvetage des passagers du "Leerdam" fit l'objet, dans la grande presse, d'articles élogieux à l'adresse du capitaine Basroger et de l'équipage du "Emma".
II - Charbons
- Nouveaux dépôts (études diverses et créations)
- Océan Atlantique (Dakar & Iles du Cap Vert, Amérique du Sud)
- Océan Indien (Saïgon, La Réunion, Zanzibar et îles voisines)
- Alger
- Anciens dépôts
- Port-Saïd (éclairage électrique, Marcus Samuel & Co)
- Marseille
- Agence de dépôts étrangers - Contrats pour fournitures de charbon de soutes
- Divers
- Industrie
- Exportations d'Angleterre (statistiques)
III - Services maritimes
- Achat de la Maison F. Mallet & Cie
- Flotte
- Exploitation
- Sauvetage effectué par le s.s. "Emma"
Organisation et gérance de la société
Suivant le désir de M. Hyp. Worms, la société qu'il avait fondée ne fut pas dissoute à sa mort. Elle continua ses opérations sous la direction de M. H. Worms, assisté de M. Elie Baudet et de M. Henri Goudchaux, déjà fondés de pouvoir.
Entré à la Maison Worms à la fin de l'année 1863, M. H. Goudchaux avait été attaché d'abord à la succursale de Grimsby. Peu de temps après, au mois de mai 1865, il avait été envoyé à Cardiff, à la suite d'un changement dans la direction de cette succursale. Il devint aussitôt un des agents les plus actifs de M. Hyp. Worms et fut investi de plusieurs missions particulièrement délicates, en Italie, en Belgique, en Hollande, en Égypte, etc. Les plus importantes se rapportaient au développement de la Maison de Port-Saïd. Pour lutter contre la concurrence acharnée qui lui était faite en Angleterre, M. Hyp. Worms avait proposé, dès le mois de février 1870, à ses agents de Londres, MM. Geo & A. Herring & Co., avec lesquels il était déjà depuis longtemps en relation, de faire venir M. H. Goudchaux de Cardiff et de l'installer dans leurs bureaux pour s'y consacrer, sous leur direction, aux affaires de Port-Saïd. La proposition n'eut pas d'autre suite à l'époque, mais elle fut reprise dès la fin de la guerre franco-allemande.
La concurrence continuait â être très vive. M. Hyp. Worms avait vu, en particulier, un de ces concurrents, la maison Lambert Son & Scott lui enlever la clientèle d'un armement important qui s'était adressé à lui, dès le début de ses opérations à Port-Saïd (Donald Mac Gregor de Leith). D'une manière générale, il se sentait menacé de plusieurs côtés. Non seulement ce même concurrent avait lui-même de nombreuses relations parmi les armateurs, grâce aux fournitures qu'il effectuait en Méditerranée, mais d'autres maisons avaient également des appuis en Angleterre et dans différents ports.
D'autre part, les premiers pourparlers qui avaient eu lieu par lentremise de MM. Geo & A. Herring & Co. avec MM. James Burness & Sons n'avaient abouti, jusqu'alors, à rien de durable et de général. M. Hyp. Worms pouvait toujours craindre de voir ces Messieurs devenir un jour eux-mêmes ses concurrents ou favoriser d'autres maisons.
Il jugea indispensable d'agir avec énergie, prêt même à s'établir à Malte, par représailles, si la chose devenait nécessaire pour consolider sa position à Port-Saïd.
C'est dans ces circonstances qu'il revint à son idée du mois de février 1870 et d'envoyer M. H. Goudchaux en mission à Londres.
Celui-ci rejoignit son poste en mars 1871, en profitant de son voyage pour procéder à une enquête en Belgique et dans les Pays-Bas.
Au cours de sa mission, il fut appelé à participer avec MM. Geo & A. Herring aux pourparlers qui devaient aboutir à l'accord qui fut conclu en juillet/août 1871 avec MM. James Burness & Sons.
Dès le début de son séjour à Londres il appela l'attention de M. Hyp. Worms sur les avantages que la maison Lambert Sons & Scott tirait auprès des armateurs du fait qu'elle était anglaise.
« Comprenez bien, écrivit-il alors à M. Hyp. Worms, le 31 mars 1871, que si je vous fais ces observations, il n'y a chez moi aucune arrière-pensée d'intérêt personnel... je ne désire rien tant que de vous rendre des services. Ce que j'en fais est uniquement dans l'intérêt de la Maison de Port-Saïd, qui a devant elle une concurrence acharnée et qui, je crois, serait mieux servie en Angleterre par un Anglais que par moi. Je sens qu'il y a là une difficulté que, avec toute l'activité que je désire et crois pouvoir mettre à votre service, je ne pourrai surmonter, et je préfère vous le dire de suite plutôt que d'attendre que vos intérêts en aient souffert. »
Société Worms Josse & Cie
Un nouveau pacte social intervint, le 14 février 1881, avant le terme prévu dans l'acte originaire du 16 mars 1874. Madame Vve Hyp. Worms fit alors cession d'une partie de ses droits dans le capital à Messieurs Elie Baudet et Henri Goudchaux. La société qui était en nom collectif pour tous ses membres devint en nom collectif pour Messieurs Lucien Worms, fils de M. Hyp. Worms, H. Josse, E. Baudet et H. Goudchaux, et en commandite seulement pour Madame Vve Hyp. Worms et Madame Belavigne, fille remariée de M. Hyp. Worms.
La raison et la signature sociales devinrent : "Worms, Josse & Cie".
La gérance fut donnée en commun à Messieurs Lucien Worms, Josse, Baudet et Goudchaux, et la signature sociale à MM. Josse, Baudet et Goudchaux, avec pouvoir d'en faire usage séparément. La voix de M. Josse était prépondérante en cas de partage égal.
Le capital social fut alors ramené à F 4.000.000, par retrait effectué par Madame Vve. Hyp. Worms de F 500.000 faisant partie de sa part.
Le but de la société fut défini : « armement des navires et bâtiments de navigation et de transport de toutes espèces, commerce de charbons, opérations de banque et de change, national et international, ainsi que tous autres genres de commerce et d'industries que les associés jugeraient convenable d'y joindre ».
La durée de la société fut prorogée jusqu'au 1er janvier 1896.
Le siège, qui avait été transféré en 1877, peu de temps après la mort de M. Hyp. Worms, 45, boulevard Haussmann, resta fixé à cette adresse.
M. Élie Baudet décéda le 2 novembre 1891 et M. H. Josse le 23 juillet 1893. M. H. Goudchaux resta seul investi de la signature sociale et chargé de la direction.
Société Worms & Cie
Un nouvel acte intervenu le 18 décembre 1895 prorogea à nouveau la société jusqu'au 1er janvier 1911 et en modifia la raison sociale, qui devint "Worms & Cie".
M. Paul Rouyer, directeur de la succursale de Port-Saïd, et M. Alphonse Mayer, fondé de pouvoir depuis le 1er janvier 1892, devinrent alors associés au nom collectif avec Madame Vve Hyp. Worms et M. Henri Goudchaux.
La gérance fut donnée en commun aux quatre associés en nom collectif et la signature sociale à Messieurs Henri Goudchaux. P. Rouyer et A. Mayer, avec pouvoir d'en faire usage séparément, mais la voix de M. Henri Goudchaux devint prépondérante en cas de partage égal.
Charbons
Les progrès réalisés par l'organisation industrielle et commerciale dans le quart de siècle précédent allaient entraîner clans les années à venir une augmentation démesurée de la production : de nouveaux pays entrèrent alors en scène comme puissances industrielles ; les Etats cherchèrent de plus en plus à exporter et se lancèrent à la conquête de nouveaux débouchés. La lutte économique devint ardente.
L'activité maritime, reflet de l'activité générale, atteint des chiffres impressionnants. Tandis que la décadence de la marine à voile s'accentue, on assiste au prodigieux développement de la marine à vapeur. Les grandes compagnies de navigation, qui pour la plupart sont déjà constituées, augmentent leurs flottes et multiplient leurs lignes. De tous côtés se créent pour elles de nouvelles stations de charbonnage dont l'Angleterre est le grand pourvoyeur. Une concurrence très vive ne tarde pas alors à naître, non seulement entre les dépôts d'une même station, mais également entre les différentes stations d'une même route.
La houille devient la principale marchandise de mer. Les exportations de charbon britannique passent de 17.900.000 T environ, en 1880, à plus de 28.730.000 en 1890 et 44.000.000 en 1900, pour continuer ensuite leur rapide progression.
Création de nouveaux dépôts par la Maison Worms
Océan Atlantique
De pareilles transformations dans le champ d'action de la Maison Worms entraînèrent de nouveaux développements dans ses opérations, mais aussi de grandes complications du fait de l'intensité prise par la concurrence.
La création de dépôts dans les nouvelles stations de charbonnage qui semblaient appelées à devenir des points importants de ravitaillement ou dans des pays où se manifestaient des tendances à un accroissement de la consommation de la houille fut une des préoccupations les plus constantes des gérants de la Maison Worms.
- Dakar - Îles du Cap Vert. Dakar, port français de création récente, semblait appelé à un bel avenir par sa situation privilégiée sur la grande route maritime d'Europe vers l'Amérique du Sud. Grâce aux travaux qui y avaient été effectués, il était devenu un point stratégique et une station commerciale importante.
Depuis 1866, la Compagnie des Messageries maritimes l'avait pris pour port à escale de ses navires, en remplacement de Saint-Vincent, de l'archipel du Cap Vert. La Maison Worms avait été chargée du soin d'approvisionner le dépôt que cette Compagnie y entretenait et était devenue en outre fournisseur du Chemin de fer destiné à relier le nouveau port à Saint-Louis du Sénégal.
En 1883, peu de temps après le commencement des travaux de construction de ce chemin de fer, ses gérants conçurent déjà l'idée d'ouvrir une succursale mais restèrent préoccupés par le souci de savoir s'ils pourraient espérer détourner à son profit une partie des opérations de charbonnage qui se faisaient à Saint-Vincent.
Au début de l'année 1885, quelques mois avant l'inauguration du chemin de fer, saisis de l'offre de cession d'un dépôt déjà existant à Porto-Praya dans l'île Saint-Jacques (San Thiago), voisine de Saint-Vincent, qu'on leur indiquait comme présentant des avantages sur cette dernière, ils décidèrent de lier les deux questions sans envisager de s'installer à la fois dans les deux ports, ils envoyèrent à Dakar un de leurs collaborateurs de Port-Saïd pour procéder à une enquête et le chargèrent de visiter également le dépôt de Porto-Praya, pour le cas où ils renonceraient à Dakar.
Les renseignements qu'ils recueillirent ainsi les détournèrent de l'idée d'acheter le dépôt de Porto-Praya et ils optèrent pour Dakar.
Ils poussèrent plus loin leur étude pour ce port, firent même choix d'un terrain pour la concession duquel ils questionnèrent le gouverneur du Sénégal, mais, vers le début du mois de juin, ils arrivèrent à la conclusion qu'ils ne pouvaient pas compter sur une aide importante des lignes anglaises et que les affaires qu'ils pouvaient espérer réaliser par ailleurs ne justifiaient pas les dépenses élevées qu'entraînerait la création d'un dépôt. Ils renoncèrent alors, à regret, à leur projet et décidèrent de continuer à s'adresser à l'agent local des Messageries maritimes pour la consignation des navires qu'ils auraient l'occasion d'envoyer dans ce port.
Par contre, la question d'un établissement dans les Iles du Cap Vert, où Saint-Vincent prenait de plus en plus d'importance comme station de charbonnage, devait retenir à nouveau par la suite leur attention à plusieurs reprises.
En 1888, M. E. Baudet fit le voyage de Saint-Vincent, accompagné de M. P. Rouyer, alors directeur de la succursale de Port-Saïd pour y étudier sur place un projet d'acquisition du dépôt d'une maison amie. L'écart entre le prix proposé par la Maison Worms et celui que lui demanda le vendeur fut trop grand pour laisser entrevoir la possibilité d'un accord. L'affaire fut abandonnée, elle semblait d'ailleurs avoir perdu de l'intérêt par suite de la concurrence que de nouvelles stations faisaient à Saint-Vincent.
En 1891 et en 1892, la Maison Worms fut encore amenée à reprendre la question. Elle entra en conversation avec un de ses amis, administrateur d'une Compagnie de navigation portugaise dont elle était fournisseur, qui venait d'obtenir la concession d'un dépôt à Saint-Vincent. Un accord semblait possible, mais les relations que la Maison Worms entretenait par ailleurs avec la Compagnie de navigation portugaise prirent fin au cours des pourparlers et ceux-ci furent alors interrompus.
Vers la même époque, elle eut à reporter à nouveau son attention sur Porto-Praya. Elle hésitait beaucoup à y acheter un dépôt pour elle-même et jugeait que cela l'obligerait probablement à en ouvrir également un à Montevideo, mais, pour répondre à un désir de MM. J. Burness, elle demanda, pour leur compte, une option, avec un délai de quatre mois pour permettre à ses amis de faire procéder à une étude sur place.
- Amérique du Sud. M. Hyp. Worms avait fait des expéditions vers l'Amérique du Sud presque dès le début de ses opérations puis y était devenu fournisseur des Messageries maritimes après la création de leur ligne postale.
En 1885, la société Worms, Josse & Cie conclut avec une maison de Paris, la maison Portalis Frères, Carbonnier & Cie, qui traitait de grosses affaires de charbon à la Plata et possédait un important dépôt à Montevideo, un accord aux termes duquel elle prenait charge des expéditions de charbon que cette maison faisait d'Angleterre et s'engageait à rechercher pour son compte, par l'intermédiaire de MM. J. Burness & Sons, des fournitures aux armateurs anglais.
MM. Portalis Frères, Carbonnier & Cie cédèrent peu de temps après leurs affaires. La Maison Worms eut alors la pensée de créer elle-même un dépôt à Montevideo, mais, comme pour Dakar, les encouragements qu'elle reçut tant en France qu'en Angleterre ne lui parurent pas suffisants pour justifier une entreprise aussi lourde et elle s'abstint provisoirement de toute initiative à ce sujet.
En 1891, comme il a été dit ci-dessus, elle reprit l'idée pour la joindre à celle du dépôt de Porto-Praya mais alors que cette étude n'avait pas encore reçu de conclusion définitive, sous la vive recommandation du directeur de sa succursale de Cardiff, elle décida, au mois de mai 1892, de mettre à profit une occasion qui se présentait, d'utiliser les services d'un négociant installé à Buenos Aires, déjà très familiarisé avec le commerce des charbons et décida d'ouvrir, dans cette ville, une succursale qu'elle mit sous sa direction.
Elle commença ses opérations immédiatement. Jusqu'alors, les ventes qu'elle avait faites en dehors des fournitures destinées aux Messageries maritimes étaient destinées à la consommation intérieure. Elle recommanda à son directeur de donner une attention particulière au charbonnage des navires.
Elle envisageait d'expédier à la Plata les mêmes charbons qu'à Port-Saïd, afin de rester fidèle au système qui lui avait réussi.
Ne voulant cependant pas courir de gros risques pour la constitution d'un stock, elle entendait se limiter, au moins pour le début, à 6 ou 7.000 tonnes.
Océan Indien
- Saigon. Saigon fut le premier port de l'océan Indien pour lequel la Maison Worms entreprit l'étude d'un projet de création d'un dépôt de charbon. En 1883, à l'occasion d'un marché accepté par le ministère de la Marine, elle chercha à se procurer des renseignements dans la colonie. Sur la foi de ceux qu'elle reçut, elle décida de s'abstenir provisoirement et de ne reprendre l'idée que le jour où il lui serait possible de faire quelques opérations avec l'État et les Messageries maritimes.
Par la suite, elle entra en relations avec les Messageries fluviales de Cochinchine qui avaient un dépôt et s'entendit avec elles pour comprendre Saigon dans la liste des ports pour lesquels elle acceptait de faire des fournitures de charbon aux navires.
- Réunion. Au début de l'année 1885, M. Lavalley, dont la Maison Worms avait été fournisseur lorsqu'il était entrepreneur du canal de Suez, la chargea de lui expédier quelques chargements à la Réunion pour la Compagnie du chemin de fer. Elle fut ainsi amenée à se demander s'il n'y avait pas d'intérêt à prendre position dans la Colonie ; après enquête, elle préféra ajourner la question jusqu'au jour où il serait possible de trouver un mouvement d'affaires suffisant pour rémunérer le capital qu'il serait indispensable d'employer.
Elle reprit l'idée en 1890, à la suite d'une demande que lui adressa une maison de Saint-Denis. Les Messageries maritimes avaient alors leur propre dépôt qu'elles approvisionnaient au moyen de briquettes fabriquées au Havre et transportées par les navires de la Compagnie havraise péninsulaire. Elle leur offrit de se substituer à elles.
- Zanzibar. En 1885, les Messageries maritimes eurent à prévoir la création d'une escale à Zanzibar et se préoccupèrent de savoir si elles auraient intérêt à y avoir elles-mêmes un dépôt de charbon ou à acheter le charbon à une maison locale. La Maison Worms eut alors l'idée de s'y installer et obtint des Messageries maritimes la promesse que celles-ci s'adresseraient à elle si elle donnait suite à son idée.
Les fournitures à leur faire ne devaient être que de peu d'importance, mais leur promesse n'en constituait pas moins un puissant encouragement. Dans l'espoir d'obtenir d'autres débouchés, la Maison Worms décida d'ouvrir alors un petit dépôt et fit appel, pour sa gestion, à l'agent local des Messageries maritimes. Elle affréta immédiatement un premier navire, qui prit la mer le 26 octobre avec un chargement de 2.016 tonnes de charbon Nixon's Navigation.
Une maison anglaise traitait déjà des affaires sur la place. La Maison Worms ne crut pas de bonne politique de lui faire concurrence pour les affaires anglaises. Elle limita ses opérations aux affaires françaises et à celles à traiter avec le Sultan et les autres nations étrangères.
Elle réussit à faire quelques livraisons au Sultan, à la Marine allemande, mais celles-ci lui échappèrent en 1887, puis aux marines de guerre italienne et portugaise et à une Compagnie de navigation portugaise, cliente également de la Maison de Port-Saïd, mais ces livraisons restèrent peu importantes et le dépôt de la Maison Worms ne vivait guère que par les Messageries maritimes et la Marine de guerre française.
En 1890, l'armement Cicero Brown du Havre, la Maison Delmas Frères de la Rochelle, la Compagnie nantaise et la Compagnie havraise de navigation à vapeur acceptèrent de s'engager à s'adresser à elle dans le cas où leurs navires auraient à charbonner dans ce port.
Pour donner plus de vie à son établissement, l'agent de la Maison Worms avait entrepris, en outre, l'exportation de tous les produits du pays à destination de la France et autres pays d'Europe, avec l'aide de la Maison Worms. Il prit graduellement, pour ce commerce, la première place qui appartenait auparavant à une maison anglaise et à une maison allemande. Il était en relations commerciales constantes avec S.A. le Sultan de Zanzibar et s'attachait à faire grandir auprès de lui son influence aux dépens de ses concurrents étrangers.
La Maison Worms, Josse & Cie devint à Paris le correspondant commercial du Sultan. Les ambassadeurs envoyés par lui à Paris, à la fin de l'année 1889, furent accrédités auprès d'elle et par elle, à son siège, pendant leur séjour.
L'influence qu'elle avait acquise dans le pays vivement convoité par l'Angleterre et l'Allemagne ne pouvait qu'aider à y entretenir le renom et le prestige de la France. La signature du traité anglo-allemand de 1890 fut pour la Maison Worms une désagréable surprise.
Bien qu'elle eût donné à son organisation toute la perfection possible et qu'elle l'eût complétée par l'envoi à grands frais de 4 chalands construits en Écosse, elle ne vit pas ses livraisons prendre le développement désirable. La Marine française cessa de prendre quoi que ce soit. Les Messageries maritimes elles-mêmes réduisirent leurs demandes à des quantités insignifiantes, parce que manquant de fret à la sortie, elles prenaient le plus possible de charbon à Marseille. Par égard pour les efforts accomplis par la Maison Worms, elles prirent cependant quelques dispositions pour donner à leurs demandes plus de régularité.
- Madagascar & îles voisines
Le dépôt de Zanzibar ayant semblé, les premiers temps, devoir donner des résultats satisfaisants, la Maison Worms fut également tentée, en 1886, de faire quelque chose à Madagascar.
Elle songea à Tamatave et à Diego-Suarez, mais les renseignements qu'elle recueillit l'amenèrent à abandonner son idée.
L'année suivante, les Messageries maritimes la consultèrent au sujet de la création d'un dépôt à Mahé. Les besoins étaient primitivement estimés à 1.000 tonnes (par mois), mais, par la suite, les prévisions furent réduites à 400 tonnes. II semblait difficile qu'un dépôt pût vivre avec un aussi modeste débouché, les perspectives de traiter d'autres affaires par ailleurs semblaient, en outre, bien restreintes, la Maison Worms n'en resta pas moins à la disposition des Messageries maritimes mais celles-ci prirent finalement le parti de faire le dépôt elles-mêmes, le matériel devant être utilisé pour leurs autres services.
Alger
Avant de se consacrer au commerce des charbons, M. Hyp. Worms s'était déjà intéressé à l'Algérie comme banquier. Il avait eu en vue, notamment, la mise en valeur de vastes terrains, puis la concession d'une mine de plomb dans la province de Constantine. Bien qu'il ait procédé à ce sujet à des études assez approfondies et à des démarches auprès des autorités administratives, il ne semble pas que ses projets aient été mis à exécution.
Au mois de juillet 1851, il songea à étendre vers ce pays ses ventes de charbon et se prépara à prendre part aux adjudications qu'y faisait la Marine française. Il s'entendit alors avec un négociant de Rouen, M. Fernand de Loÿs. Le 18 juin 1852, il remit au Ministre de la marine une proposition pour 600.000 K à livrer, par navires dénommés, à Alger avant le 31 juillet. Il avait déjà arrêté trois navires français pour aller charger en Angleterre, de façon à pouvoir arriver à Alger avant la date prévue.
Il précisait que cette proposition était faite au nom et pour le compte de M. F. de Loÿs, mais engageait sa responsabilité personnelle pour le cas où le ministre le désirerait. Il était entendu entre lui et M. F. de Loÿs que l'opération serait faite en participation (de compte à demi) entre eux.
Il eut l'occasion, par la suite, de faire d'autres fournitures à la Marine française. Au début du mois de mars 1854, peu de temps avant l'annonce officielle de l'état de guerre avec la Russie, le ministre de la Marine lui donna, pour différents ports de la Méditerranée, un ordre comprenant 600 tonnes pour Alger. Ce chiffre augmenta rapidement : avant la fin du même mois, M. Hyp. Worms avait assuré des affrètements pour 2.800 T pour l'Algérie.
Pour la réalisation de ces opérations, ii prit comme correspondant, à Alger, la Maison Richard Duvallet & Cie.
La même année, lorsque les Messageries impériales eurent obtenu la concession des lignes reliant Marseille à l'Algérie et à la Tunisie, elles lui confièrent le soin d'approvisionner leurs dépôts d'Alger, d'Oran, de Bône et de Tunis. Les besoins mensuels de ces dépôts étaient, en 1856, d'après les prévisions de la Compagnie, de l'ordre de grandeur moyen d'environ 290 T pour Alger, 220 T pour Oran et 140 T pour Bône.
Les importations de la Maison Worms, par ailleurs, en Algérie restèrent pendant quelques années peu fréquentes et d'importance modeste. A partir de 1888 elles augmenteront dans de notables proportions grâce à des fournitures assez suivies, faites au chemin de fer de l'Est algérien et au chemin de fer Bône, Guelma et prolongement.
La Maison Worms avait alors pour correspondant à Alger M. P. Cherfils. Elle l'entretint (15 février 1889) d'un projet d'établissement d'un dépôt de charbon qu'elle étudiait depuis quelques temps et qu'elle aurait déjà réalisé si les difficultés que présentait alors le marché des charbons à Cardiff ne l'en avaient momentanément détournée. Elle lui demanda son concours en faveur de la personne qu'elle serait amenée à envoyer sur place le jour où elle donnerait suite à son idée. (Vers cette même époque, elle entra en relation, par son intermédiaire, avec la Maison Schiaffino, pour la réception des charbons qu'elle avait à expédier à Alger et à Bougie pour compte du chemin de fer de l'est algérien).
En mai 1890, elle lui remit une lettre pour lui servir d'introduction auprès des navires anglais, clients de ses dépôts, qui seraient amenés à faire escale à Alger et à y faire appel aux maisons de la place, pour des fournitures des charbons et d'autres services.
Alger lui paraissait un port de relâche favorable pour les navires faisant le commerce de l'Orient et de la mer Noire et appelé a prendre un grand développement comme station charbonnière. Les navires de certains armements étrangers importants, en, particulier ceux de la Maison A. Holt, y touchaient régulièrement et avaient tendance à y charbonner, au détriment de Port-Saïd. La Maison Worms était d'ailleurs informée, depuis la fin de l'année 1888, que l'Armement A. Holt envisageait de diminuer l'importance de ses achats à Port-Saïd au profit du port d'Alger. Elle jugea que par ses relations avec les armateurs anglais elle pourrait arriver à détourner une partie du mouvement qui se faisait aux escales de Malte et de Gibraltar, et, au mois d'octobre 1891, elle envoya sur place un membre du personnel de sa Maison de Port-Saïd qui, depuis la fin de l'année 1888, était prévenu de la nouvelle mission qu'il pourrait avoir à remplir et lui confia le soin d'organiser le dépôt de manière à pouvoir commencer le charbonnage des navires dès le début de l'année 1892.
Son intention était d'exploiter ce dépôt suivant les principes et la méthode qui avaient établi sa réputation à Port-Saïd, et de faire également la consignation des navires. Son initiative fut accueillie favorablement par les armateurs et reçut immédiatement de nombreux encouragements.
Par suite du manque d'emplacement, elle se heurta d'abord à de grandes difficultés et même à un refus de la part des autorités du port. Elle était menacée, pour le moins, d'un grand retard et se trouva même dans une grande gène pour remettre en temps utiles des offres précises aux armateurs qu'elle avait avisés de la création de sa nouvelle succursale. Au prix de grands efforts (appui de M. G. Thomson) elle réussit à obtenir une solution satisfaisante. Vers le milieu du mois de décembre 1891, elle put se risquer à faire un commencement et donna l'ordre à sa Maison de Cardiff de faire une expédition le plus tôt possible. Le premier navire affrété à cette fin fut le "Stakesby" ; il arriva à Alger le 11 janvier 1892, il était parti de Cardiff le 2 janvier.
Ses services s'installèrent boulevard de la République au n°19.
N'ayant pas disposé du temps nécessaire pour se procurer le matériel indispensable, elle s'était entendue provisoirement avec la Maison Schiaffino pour l'exécution des manutentions.
Son installation, à Alger provoqua une réelle émotion, parmi les maisons déjà installées sur la place, Dès le début, elle avait d'ailleurs enregistré un important succès : la Marine française ayant lancé, au mois de décembre 1891, un avis d'adjudication pour Alger, Oran, Bône et Philippeville, elle décida de soumissionner et obtint l'affaire pour trois ans. Le résultat de cette adjudication donna lieu, au mois de février, à des critiques dans un journal local.
Après avoir rappelé qu'antérieurement l'amirauté française faisait directement ses approvisionnements en s'adressant aux charbonnages français, le journal signalait que c'était une maison anglaise (sans la nommer) qui avait été déclarée adjudicataire. Il soulignait que celle-ci semblait tenir beaucoup à la fourniture, car les prix offerts par elle étaient de F 2,40 au-dessous du prix de revient du charbon à Alger, qu'en sa qualité d'adjudicataire des fournitures de la Marine elle aurait dans les mouvements du port un droit de circulation privilégié, jouirait de faveurs spéciales pour l'établissement de ses approvisionnements et que dans ces conditions elle serait dans d'excellentes dispositions pour faire pièce aux autres entreprises, qui étaient des entreprises françaises qui avaient mis 50 ans à faire d'Alger une tête de ligne charbonnière et que leur trafic allait passer entre des mains anglaises.
« ... Tant que le parlement, ajoutait l'article publié, ne s'était pas déclaré nettement protectionniste, tant qu'il avait laissé à chacun de nos voisins toute liberté pour venir sur notre marché faire concurrence aux produits français, le gouvernement avait eu la sagesse pour protéger nos établissements houillers de s'approvisionner aux mines françaises. Mais à partir du moment où ledit parlement a reconnu la nécessité de changer de régime, où il a décidé que partout devant la consommation française, l'étranger devait céder le pas aux Français, à partir de ce moment le service algérien des approvisionnements de la Marine a cru devoir s'émanciper de la règle officiellement admise et offrir sa clientèle à la bonne fortune des enchères publiques, sans respecter les restrictions précédemment admises... Il paraît que l'amirauté n'a pas bien compris que fermer la frontière aux étrangers cela voulait dire les tenir hors de la frontière. Elle a tout simplement fermé le loup dans la bergerie... »
Ces critiques furent reproduites dans un article d'un journal de la métropole : "La Bataille", du 24 février 1892, sous le titre sensationnel :
"L'amirauté d'Alger - Les fournitures de charbon pour la flotte française confiées aux Anglais".
La mise au point suivante parut dans le journal "Le National" du 24 février 1892 (rédacteur en chef : M. Gaston Thomson).
« L'Akhbar d'Alger a publié il y a quelques jours, et la "Bataille" dans son numéro de ce jour reproduit un article disant "qu'une société anglaise a été déclarée adjudicataire des fournitures de charbon à faire aux bâtiments de la Marine à Alger".
La bonne foi de nos confrères a été surprise : il s'agit bien en effet d'une fourniture de charbons anglais mais l'adjudicataire est une maison française, fondée et établie à Paris et dans les principaux ports de France depuis près de 45 ans et possédant entre autres une flotte importante de navires naviguant naturellement sous pavillon français : elle est d'ailleurs, comme maison française, le fournisseur de la Marine de l'État depuis un nombre considérable d'années.
Plusieurs autres mises au point parurent également dans la presse algérienne. Dans un article du 26 février, le "Petit Alger", après avoir rappelé les titres de la maison adjudicataire et fait ressortir que le taux demandé par elle était très sensiblement inférieur à celui de la concurrence, ajoutait, entre autres choses :
« Mais l'accusation mal fondée mise à part, nous ne saurions rester insensible en qualité de patriote (...) aux menées sourdes et quelque peu mesquines engagées contre l'introduction à Alger de charbons à bas prix.
Cette innovation peut et doit décider de la prospérité d'Alger et même de toute l'Algérie.
En effet, le charbon à des prix abordables attirera de plus en plus les navires dans notre port.
Ceux qui d'Angleterre vont aux Indes font du charbon à Gibraltar, Malte et Port-Saïd, soit trois escales.
Or, les soutes des Peninsular et Oriental Cy, par exemple, comme tant d'autres, sont d'une capacité leur permettant de tenir de Londres à Alger et d'Alger à Port-Saïd.
Si donc des maisons importantes pouvaient lutter de prix avec Gibraltar et Malte, elles concentreraient le trafic de ces deux ports, au grand profit commun des compagnies de navigation et de notre ville.
Inutile de faire entrevoir le développement colossal qu'y trouverait Alger... »
La cause était ainsi définitivement jugée.
Satisfaite des premiers résultats obtenus, la Maison Worms sa préoccupa immédiatement d'organiser sa succursale d'une manière complète et avec du matériel à elle. Elle commanda, dès l'année 1892, une flottille de chalands à une maison de Marseille et un remorqueur à un chantier écossais.
Il semble que les difficultés qu'elle avait rencontrées pour son installation aient contribué à attirer l'attention des autorités administratives sur la situation du port et le peu de facilités qui y étaient offertes au commerce. Les autorités du port entreprirent une enquête qui alla jusqu'à Port-Saïd et fournit à la succursale de la Maison Worms de cette ville l'occasion de formuler son opinion sur les conditions à remplir par les ports désireux de faciliter les opérations de charbonnage.
Le directeur de la succursale d'Alger, qui avait fait un long séjour à Port-Saïd, estimait au mois de mars 1892 que les dépôts de charbons occupaient dans ce dernier port 60.000 m2 tandis que l'emplacement dont on disposait à Alger n'était que de 4.300 m2 et que chaque maison, importante ou non, n'avait à sa disposition que 1.078 m2.
Anciens dépôts
- Port-Saïd
Les progrès de la succursale de Port-Saïd continuèrent à être rapides, favorisés par le développement de la navigation à vapeur dans le Canal. Le nombre des passagers atteignit en 1891 le chiffre record de 4.206, pour diminuer l'année suivante, mais reprendre ensuite sa progression.
La Maison Worms charbonna à elle seule 1.109 navires en 1881 et 1.324 en 1890. Pour l'année record, 1891, son chiffre s'éleva à 1.543 navires auxquels elle fournit un total de 497.831 tonnes(1).
Elle réussit à la fois à augmenter l'importance absolue de ses opérations et à en maintenir l'importance relative. La concurrence était cependant devenue de plus en plus vive et prit parfois, notamment en 1891, l'allure d'une véritable guerre des prix.
Le nombre des dépôts existant dans le port s'éleva à 7 en 1900, puis à 9 en 1909.
Sa part dans les importations de charbon à Port-Saïd fut :
en 1882 de 200.510 tonnes pour un total de 469.493 tonnes,
en 1890 de 431.780 tonnes pour un total de 1.032.291 tonnes,
en 1900 de 456.519 tonnes pour un total de 1.195.701 tonnes.
Elle eut la satisfaction non seulement d'enrichir sa clientèle de nouvelles et importantes compagnies qui se mettaient à faire la navigation par vapeurs pour l'Inde et l'Extrême-Orient, mais aussi celle de voir revenir à elle des armements que la concurrence avait réussi à détourner d'elle ou qui l'avaient quittée pour des raisons de convenance personnelle.
La Compagnie des messageries maritimes, qui partout ailleurs avait ces propres dépôts, en avait également établi un à Port-Saïd, mais elle le ferma et lui confia le soin de fournir à ces navires tous les charbons dont ils auraient besoin.
Soucieuse de conserver la réputation qu'elle s'était acquise dans les milieux maritimes, elle avait repris ses démarches auprès de la mine Nixon's Navigation, dont le charbon continuait à être très en faveur auprès des armateurs et que certains demandaient par préférence à tout autre, malgré son prix plus élevé. Aux termes d'un arrangement qu'elle conclut avec cette mine en. 1879, elle avait obtenu en compensation des quantités qu'elle s'était engagée à lui prendre, le monopole exclusif de son charbon à Port-Saïd. Cet arrangement prit par la suite une grande importance, fut étendu à d'autres dépôts de la Maison, arriva à porter sur des quantités annuelles totales de plus de 200.000 tonnes.
Pour éviter l'encombrement, et des frais et des retards dans ses livraisons, elle agrandit ses installations à Port-Saïd et à Suez et augmenta son matériel dans de notables proportions. En 1892, elle avait déjà en service une flotte de 62 chalands en fer, d'un déplacement absolument régulier et vérifié.
Navigation de nuit. En 1887, lorsque fut autorisée la navigation de nuit dans le Canal, elle décida d'organiser un service spécial pour permettre à sa clientèle de mettre plus aisément à profit les mesures prises par la Compagnie du canal.
La progression constante du trafic avait amené un véritable encombrement et de grandes pertes de temps pour les croisements. La durée moyenne du transit avait augmenté dans des proportions sensibles : de 38 heures 46 en 1880, elle s'était élevée à 43 heures, en 1885. La Compagnie du canal se rendit compte que la navigation de nuit pourrait être pratiquée à l'aide de protecteurs de lumière électrique placés à l'avant des navires, éclairant la nappe d'eau du Canal sur une longueur de 1.200 mètres au minimum, de feux à terre repérant les grands alignements du Canal et de bouées lumineuses indiquant les courbes.
Limitée d'abord, par prudence, aux navires postaux, l'autorisation de transiter la nuit fut étendue, le 1er mars 1887, à tous les navires munis d'un projecteur électrique en bon état et d'une portée suffisante.
Lorsqu'il fut bien clair que la Compagnie du canal n'entendait pas fournir elle-même les protecteurs, la Maison Worms pensa que les armateurs qui ne voudraient pas engager les frais élevés qu'entraînerait l'équipement de tous leurs navires seraient enchantés d'utiliser ceux qui pourraient être mis à leur disposition moyennant un prix de location modéré. Elle décida de tenter l'expérience et d'avoir à chaque extrémité du Canal un certain nombre d'appareils et le personnel qualifié pour en assurer le fonctionnement.
Elle se mit alors en rapport avec la maison L. Scotter, Lemonnier & Cie de Paris, qui construisait un modèle répondant aux exigences de la Compagnie du canal et qui avait pour le moment une espèce de monopole de fait.
Cette maison était justement en train d'étudier la constitution d'une petite société, dans un but identique à celui qu'envisageait la Maison Worms. Elle se montra disposée à renoncer à son propre projet. II fut alors convenu que, pendant une période de deux ans, la Maison Worms utiliserait exclusivement les appareils de la maison L. Sautter, Lemonnier & Cie et qu'elle prendrait livraison d'au moins 3 appareils ; celle-ci s'interdisait d'en fournir à aucun acheteur désireux d'en acquérir aux fins envisagées par les deux parties.
Le premier appareil fourni fut accepté par la Compagnie du canal et pour son début mis à la disposition du s.s. "Prometheus", de M. Holt, au mois de juin 1887. Ce navire effectua le transit en 16 heures 1/2.
Malgré les difficultés rencontrées, surtout pour le recrutement d'un personnel qualifié et son logement à Suez, les résultats obtenus furent satisfaisants.
Le nombre des navires qui profitèrent de l'autorisation de transiter la nuit augmenta d'ailleurs très rapidement. Les appareils de la Maison Worms acquirent une bonne réputation : en 1888, elle fournit 690 éclairages de nuit sur un total de 1.610, soit plus de 42% et en 1891, 1.295 sur un total de 3.740, comprenant 463 navires qui fournirent leur propre éclairage.
En 1888, la durée moyenne du transit ne fut plus que de 31 heures, L'organisation de la navigation de nuit avait apporté un remède efficace à l'encombrement du Canal.
M. Marcus Samuel & Co. Grâce à la réputation que s'était acquise la Maison Worms, il lui fut donné, en 1891, de devenir l'agent au Canal d'une entreprise qui allait être appelée à prendre un immense développement.
La maison Marcus Samuel & Co. de Londres, qui avait décidé d'entreprendre le transport direct du pétrole russe, de Batoum à destination de l'Orient, par navires citernes, demanda à la Compagnie du canal, le 20 avril 1891, d'autoriser le passage des navires qu'elle désirait construire.
Jusqu'alors les transports de pétrole par la voie du Canal ne s'étaient faits qu'au moyen de navires ordinaires chargés de caisses en fer blanc contenant le pétrole.
La Compagnie du canal examina la question et après avoir constaté qu'aucun canal, aucune rivière, aucun port n'excluait les navires chargés de pétrole en vrac et qu'ils y étaient seulement soumis à des règlements édictés dans l'intérêt général, elle estima pouvoir concilier tous les intérêts et respecter les droits de chacun en admettant ces navires à passer le Canal et en publiant un règlement, annexa du règlement de navigation, qui leur imposait des obligations particulières.
Ce règlement stipulait que tout navire de pétrole en vrac devrait se faire convoyer pendant toute la durée de son transit par un remorqueur citerne aménagé en vue de l'allégement rapide et immédiat en cas d'échouage. Il était prévu que la Compagnie aurait elle-même un remorqueur-citerne qu'elle mettrait à la disposition des navires chargés de pétrole en vrac lorsque les capitaines lui en feraient la demande.
La décision de la Compagnie du canal souleva de vives protestations de la part des armateurs transporteurs de pétrole en caisses et donna lieu à de grandes discussions dans la presse britannique. La question fut portée devant le Foreign Office ; celui-ci fit connaître son opinion dans la lettre suivante à la Chambre de commerce de Hull, dont M. F. de Lesseps donna connaissance à l'assemblée générale des actionnaires du 21 mai 1892 :
« Monsieur, je suis chargé par sa Seigneurie de vous déclarer, pour la gouverne des armateurs, que le gouvernement de sa Majesté est d'avis que la Compagnie du canal de Suez a le pouvoir, d'après les termes de sa concession, de faire tels règlements qui peuvent lui paraître nécessaires pour le trafic passant par le Canal et qu'elle n'a pas le pouvoir de refuser l'admission d'une classe quelconque de navires de commerce qui observent ces règlements. La Grande-Bretagne n'est pas une partie contractante à la charte de la Compagnie et aussi longtemps que la Compagnie observera la disposition de la charte, que les pavillons de toutes les nations doivent être traités sur pied d'égalité, aucune intervention de la part du gouvernement de Sa Majesté ne serait justifiée. C'est pourquoi l'adhésion du gouvernement de Sa Majesté aux règlements en question n'est pas nécessaire à la Compagnie pour qu'elle soit à même de les mettre en vigueur. Les administrateurs anglais de la Compagnie ont reçu toutefois du gouvernement de Sa Majesté l'aide des conseils les plus experts mis à leur disposition pendant que les règlements étaient étudiés par la Compagnie. Je suis... » Signé : James W. Lowther.
Interpellé à la Chambre des communes, le gouvernement britannique maintint les termes de sa réponse.
Les amateurs, assureurs, etc., qui s'estimaient lésés ne désarmèrent pas. Ils portèrent la question devant les tribunaux et assignèrent la Compagnie du canal, avec le gouvernement égyptien, devant le tribunal d'Alexandrie pour faire déclarer le nouveau règlement illégal, nul et non opposable aux transporteurs de pétrole en caisses.
Par jugement du 17 janvier 1893, le tribunal les déclara mal fondés dans leur demande. La cour d'Alexandrie, saisie à son tour, confirma, par arrêt du 17 mai 1894, le jugement du tribunal.
Ainsi se trouva définitivement réglé un procès qui était, en somme, "un procès de concurrence dirigé par les transporteurs de pétrole en caisses contre les transporteurs de pétrole en vrac à l'aide de bateaux citernes" ( v. L'Isthme et le Canal de Suez, par Charles Roux - annexes).
C'est donc dans une atmosphère d'agitation et de polémique que la Maison Worms fut appelée à donner son appui à l'initiative de MM. Marcus Samuel & Cie. Pour répondre au désir de ces Messieurs, la Compagnie du canal consentait à faire construire un navire citerne spécial pour accompagner leurs navires pendant le passage par le Canal, mais elle demandait à être couverte des dépenses qu'allaient entraîner cette construction par une garantie de 16.000 livres sterling qui cesserait d'être obligatoire pour MM. Marcus Samuel & Cie dès que leurs navires pétroliers auraient effectué 160 passages. Ces Messieurs demandèrent à la Maison Worms, par l'intermédiaire de MM. Galbraith Pembroke Co. et de MM. James Burness & Sons Ltd (15 septembre 1891) de lui servir de caution pour la garantie en question.
Bien que le transport du pétrole en vrac pût ne pas paraître favorable aux intérêts de sa succursale de Port-Saïd, étant donné qu'il faudrait moins de vapeurs que pour le transport de la même quantité en caisses, et bien que la garantie lui parût susceptible de durer un assez grand nombre d'années (10 à 12 ans) en raison du petit nombre de passages prévus pour les débuts, la Maison Worms décida d'entrer en pourparlers avec Messieurs Marcus Samuel & Co. Une entente s'établit entre les deux maisons, à la suite d'une entrevue avec M. Samuel, qui eut lieu à Paris le 21 septembre 1891.
Les accords à intervenir entre les trois parties en cause ne furent définitivement conclus qu'au début de l'année 1892. La lettre d'engagement de la Maison Worms vis-à-vis de la Compagnie du canal porte la date du 15 février 1892.
Au cours des négociations celle-ci avait consenti à limiter à 100 passages la durée de la garantie. Entre-temps MM. Marcus Samuel & Co. avaient déjà sensiblement augmenté, par une nouvelle commande de 6 navires à livrer en 1893, la flotte qu'ils comptaient utiliser. Ils espéraient faire de 15 à 20 traversées dès cette même année et qu'avant 1895, leur commerce aurait pris le développement qu'ils prévoyaient. Ils soulignaient, à l'appui de leur optimisme le fait que les acheteurs n'osaient déjà pas risquer des expéditions par voiliers de peur qu'elles n'aient pas le temps d'arriver avant que les navires citernes aient débarqué du pétrole en vrac.
Une puissante organisation était en voie d'organisation le gouvernement des Indes anglaises avait autorisé la création à Calcutta, Madras, Hong-Kong, de réservoirs destinée à l'emmagasinage du pétrole, analogues a ceux qui existaient à Londres, Rouen, Dunkerque, Calais, etc., pour les pétroles d'Amérique. Les gouvernements siamois et japonais avaient pris des décisions du même genre. Des démarches avaient été entreprises auprès des autorités de la Cochinchine pour obtenir la permission d'acquérir un terrain et d'y établir un réservoir.
En compensation des engagements que la Maison Worms avait pris à leur profit vis-à-vis de la Compagnie du canal, MM. Marcus Samuel & Co. lui donnaient, entre autres choses, toutes leurs affaires dans le canal de Suez et les fournitures de charbon dont ils auraient besoin à Constantinople, Aden et Colombo. Arrangements financiers. En 1888 prirent fin les relations de la Maison Worms avec MM. Ed. Lazard & Cie de Londres, qui n'avaient cessé d'exister depuis que ceux-ci avaient pris, en 1855, la suite des affaires de la Maison Marc Goudchaux & Cie. Ces relations consistaient en tirages assez réguliers des succursales de la Maison Worms de Port-Saïd et de Suez, pour les demandes de papier sur Londres qui leur étaient adressées. La succursale de Cardiff était également accréditée auprès de MM. Ed. Lazard & Cie pour un montant déterminé.
MM. Samuel Montagu & Co. à qui M. Ed. Lazard avait cédé ses affaires continuèrent à être les correspondants de la Maison Worms pour ces opérations jusqu'en 1890. A partir de cette date, elles furent confiées au Comptoir national d'escompte de Paris pour être effectuées par l'intermédiaire de son agence de Londres. Marseille
L'ouverture du canal de Suez avait rendu à la Méditerranée l'importance qu'elle avait perdue au XVe siècle comme route des Indes.
- Marseille en bénéficiait largement. Lorsque fut promulguée la loi du 29 janvier 1881, instituant le régime des primes à la navigation maritime et à la construction des navires sur laquelle on fondait de grands espoirs pour le développement de la marine marchande française, la Maison Worms décida de réorganiser sa succursale de Marseille et d'y reprendre les affaires de charbon qu'elle y avait délaissées depuis plusieurs années. Elle se mit d'accord avec MM. James Burness & Sons pour tenter d'y développer les fournitures à la navigation et entreprit une active propagande auprès des armements français et étrangers. Elle calqua la nouvelle organisation de sa succursale sur celle de Port-Saïd et conclut un accord avec la mine Nixon's Navigation pour faire du charbon de cette mine l'objet exclusif de ses livraisons.
La clientèle de la Compagnie P & O y devint un élément important de ses affaires.
Pour aider le développement de sa succursale, elle autorisa celle-ci à s'occuper de consignation de marchandises et de navires, mais tenant à exclure toute idée de spéculation elle limita son rôle pour les marchandises à la simple réception pour vente sur consignation, sans "del credere".
Agence des dépôts étrangers - Contrats pour fournitures de charbon de soutes
En même temps qu'elle augmentait le nombre de ses dépôts, la Maison Worms devint l'agent d'un grand nombre de dépôts étrangers.
Par amour propre professionnel, elle tenait à pouvoir renseigner rapidement sa clientèle sur les conditions dans lesquelles les opérations de charbonnage s'effectuaient dans les ports les plus lointains et à lui procurer même des facilités pour s'y ravitailler, elle fut ainsi amenée à choisir des correspondants dans les stations de charbonnage les plus diverses. Le point de départ de cette politique peut être vu dans l'accord qu'elle conclut en 1872 avec MM. James Burness & Sons de Londres à propos de Port-Saïd. Elle la développa ensuite, à mesure que la navigation à vapeur augmenta son rayon d'action et multiplia ses parcours. Elle devint ainsi l'agent d'un grand nombre de dépôts, était tenue régulièrement au courant des modifications qui y étaient apportées dans les prix et les autres conditions des opérations de charbonnage, et était qualifiée pour traiter pour leur compte avec les armateurs qui s'adressaient à elle.
La liaison était établie, la plupart du temps, par l'intermédiaire d'autres maisons importantes d'exportation de charbons anglais ou de "coaling agents" qui, par réciprocité traitaient à l'occasion pour le compte des dépôts de la Maison Worms.
Cette organisation ne lui était d'ailleurs pas particulière. Elle répondait trop aux besoins de la navigation pour ne pas correspondre à un usage général. Elle se compléta bientôt par la mise en pratique de contrats de durée déterminée conclus entre les propriétaires de dépôts et les armateurs. Par ces contrats, les propriétaires de dépôts donnaient aux amateurs, pour s'assurer leur fidélité, la garantie que le charbon ne leur serait pas facturé au-dessus du prix fixé au contrat et qu'ils jouiraient de plein droit du bénéfice de toute baisse qui viendrait à se produire sur ce prix.
Ces contrats, très utiles pour les lignes régulières connaissant à l'avance leurs besoins et les ports où leurs navires auraient à charbonner, avaient également un grand intérêt pour les "tramps" car ils n'entraînaient pas pour l'armateur l'obligation de prendre une quantité quelconque dans les ports désignés, mais simplement celle de s'adresser au fournisseur indiqué dans le cas où une unité de leur flotte aurait à s'approvisionner dans ces ports.
Au moment du renouvellement des contrats, chaque fournisseur remettait à sa clientèle une proposition comprenant ses propres dépôts et ceux des maisons pour le compte desquelles il agissait comme correspondant.
La liste de la Maison Worms comprenait déjà pour l'année 1886, en plus des ports où elle avait des succursales : Gibraltar, Malte, Le Pirée, Constantinople, Aden, Pointe-de-Galles, Colombo, Singapore, Madère, Ténériffe, Saint-Vincent (cap Vert), Cap-de-Bonne-Espérance, Rio de Janeiro, Montevideo. En 1888 s'y ajoutèrent le Pirée, Constantinople, Pernambuco, Bahia, Santos. Elle s'allongea encore par la suite, sans avoir d'ailleurs un caractère limitatif.
Divers
La Maison Worms fut également appelée à envisager l'extension de ces opérations à quelques centres méditerranéens importants, notamment au Pirée, à Beyrouth et à Constantinople, sans songer cependant à y ouvrir elle-même un établissement quelconque.
Pour répondre à la demande d'une maison du Pirée, elle accepta d'envoyer dans ce port une cargaison d'essai. Les résultats de l'opération ne lui permirent pas de renouveler lexpérience.
Pour Beyrouth, elle se heurta à la difficulté de combiner avec des expéditions de charbon à gaz des expéditions assez importantes pour permettre l'affrètement de navires.
En ce qui concerne Constantinople, où elle avait eu précédemment un agent, elle avait dû renoncer à y traiter des affaires importantes pour différentes raisons, en particulier l'incertitude des paiements. Elle préféra s'en tenir à de petites affaires qu'elle envoya de loin en loin à une maison qu'elle connaissait.
Industrie
Sans parler des fournitures que ses succursales obtenaient localement, la Maison Worms fut appelée à conclure directement des marchés importants avec des grandes entreprises. On peut citer :
- la Compagnie napolitaine d'éclairage et de chauffage par le gaz,
- la Société du gaz de Port-Saïd,
- la Compagnie française du Centre et du Midi pour l'éclairage au gaz
- la Compagnie générale du gaz pour la France et l'étranger,
- la Compagnie française des mines du Laurium, pour Ergasteria,
- le Nickel,
- la Compagnie du Boleo pour Santa Rosalia,
- la Société des forges et fonderies de Montataire pour compte de la maison A. Grandchamp et Fils,
- la Société anonyme des aciéries, hauts fourneaux et forges de Trignac, en compte à demi avec la maison Watts, Ward & Co., mais sous la responsabilité de la Maison Worms pour la totalité, vis-à-vis de l'acheteur.
- la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, à laquelle elle eut à faire des livraisons nombreuses à Colon (Aspinwall)
- la Compagnie du chemin de fer de Bône, Guelma et prolongements,
- la Compagnie du chemin de fer de l'est algérien,
- la Compagnie du chemin de fer de Dakar à saint-Louis.
Exportations d'Angleterre
Les progrès de l'activité de la Maison Worms se marquèrent par l'augmentation notable de ses exportations d'Angleterre.
Elles atteignirent : 1.292.633 tonnes en 1888 ; 1.574.251 tonnes en 1890.
Ce dernier chiffre ne fut peut-être pas dépassé par aucune autre maison. Il se répartissait comme suit :
1° - pour le quartier de Cardiff, Newport et Swansea : 925.287 tonnes, dont 97.742 en charbons de soute fournis aux navires dans ces trois ports,
2° - pour le quartier de Grimsby, Hull et Goole : 392.330 tonnes,
3° - pour le quartier de Newcastle et Thunderland : 202.134 tonnes,
4° - pour le quartier de la Clyde : 54.500 tonnes.
Les charbons qu'elle fournissait à la navigation, dans tous ses dépôts : Nixon's navigation, Océan, Ferndale, National, Cambrian et Albion étaient classés les premières marques de Cardiff.
L'emploi de Cardiff par les armateurs était devenu presque universel. Au début de 1889, la demande dans ce quartier devint sans précédent. Les difficultés pour y charger les navires étaient telles que M. H. Goudchaux ne se rappelait pas en avoir jamais vu de pareilles pendant toute sa carrière qui comptait déjà 26 ans.
Services maritimes
Un fait capital dans l'histoire des Services maritimes de la Maison Worms, pendant les premières années qui suivirent la mort de M. Hyp. Worms, fut l'achat par elle de la Maison F. Mallet & Cie, dont elle était commanditaire et de la part d'un tiers de celle-ci dans les navires dont elle était elle-même co-propriétaire pour les deux autres tiers. Elle prit en charge directe l'exploitation des services de cette maison.
L'opération fut réalisée à la fin de lannée 1881. La société Worms, Josse & Cie prit à son nom, à partir du 1er janvier 1882, la maison du Havre de la société F. Mallet & Cie dont elle fit une de ses succursales.
Flotte
A la suite de cette opération, l'ensemble de la flotte de la Maison Worms se trouva composé, au point de vue de son exploitation, de deux groupes de navires placés sous deux directions techniques indépendantes l'une de l'autre :
1° - Le groupe du Havre, qui comprenait les navires à vapeur exploités précédemment par la Maison F. Mallet & Cie, savoir : "Louise-Jenny", "Frédéric-Franck", "Marguerite-Franchetti", "Blanche", "Président", "Isabelle", "Lucien" et "Emma".
2° - Le groupe de Bordeaux, savoir : "Séphora", "Commandant-Franchetti", "Frigorifique" et "Marie", qui constituaient auparavant la flotte propre de Maison Worms, étaient exploités par elle-même et placés sous la direction de sa succursale de Bordeaux. Après son séjour en Mer Rouge, le "Séphora", aîné de la flotte de la Maison Worms, fut longtemps affrété à la maison F. Mallet & Cie. II fut rendu à la succursale de Bordeaux en 1881.
Cette flotte s'enrichit, peu après, du s.s. "Hypolite-Worms", commandé pour la maison Mallet en 1881 en remplacement du "Séphora" et qui prit son service en 1882, puis du s.s "Ville-de-Nantes" acheté à une société française en 1884, et plus tard, en 1890, des s.s. "Suzanne-et-Marie" et "Séphora-Worms" qui entrèrent en service en 1891, à peu de temps d'intervalle.
Ces quatre unités furent affectées au groupe du Havre.
Par contre, le s.s. "Frigorifique", de Bordeaux, et le s.s. "Louise-Jenny" du Havre, se perdirent : le premier, en 1884, à la suite d'un abordage près des côtes de Bretagne, le second en 1890, à la suite d'un échouage par brume épaisse sur les rochers de Penmarch.
Le "Frigorifique" avait été acheté par la Maison Worms en 1880. Il avait été construit pour le transport, entre La Plata et la France, de viandes fraîches, conservées par le froid. L'essai n'avait pas réussi et le navire, amarré en Seine, au quai de l'Horloge, avait été mis en vente à l'audience des criées au tribunal de la Seine. La Maison Worms le fit transformer. Son nom n'ayant plus de raison d'être pour la navigation à laquelle elle le destinait, elle entreprit des démarches en vue d'obtenir l'autorisation de le changer, mais les abandonna devant les difficultés administratives auxquelles elle se heurta.
Le "Lucien" fut vendu en 1891.
En 1889, le "Marie" et le "Commandant-Franchetti" furent transférés de la succursale de Bordeaux à celle du Havre.
Exploitation
La Maison Worms continua à limiter, en principe, l'utilisation de ses navires au cabotage réservé et au cabotage international et n'apporta pas de modifications aux conceptions qui avaient présidé à l'organisation de ses services propres et de ceux de la maison F. Mallet & Cie.
- Le Havre
La Maison F. Mallet & Cie et la Maison Worms avaient été trop étroitement liées pour que l'achat de la première par la seconde entraînât de profondes modifications dans l'organisation des services qu'elles exploitaient.
En fait, rien ne fut changé que le nom. La Maison du Havre, devenue succursale de la Maison Worms, et la succursale de Bordeaux conservèrent leurs rôles antérieurs. La succursale du Havre fut placée sous l'autorité de deux fondés de pouvoirs de M. Mallet et resta chargée de la direction de ses services maritimes, en particulier de celle des lignes Bordeaux-Le Havre-Hambourg et Bordeaux-Rouen.
La première de ces lignes conserva son rôle prédominant et absorba la plus grande partie des soins et des préoccupations de la Maison Worms. C'est contre elle que furent faites les tentatives les plus graves pour disputer à la Maison Worms les transports qu'elle effectuait.
La première en date de ces tentatives et la plus longue fut celle de l'armement hambourgeois Perlbach. Commencée du vivant de M. Hyp. Worms, elle ne prit fin qu'en 1879. Les maisons Mallet, Deppe et Worms, toutes les trois associées et intéressées dans la lutte s'étaient entendues pour créer par représailles un service entre Anvers et Hambourg ; elles y mirent fin quand l'entente avec la maison Perlbach fut réalisée.
En 1882, le trafic Hambourg-Le Havre fut de nouveau menacé. Cette fois par une Compagnie française. Le conflit prit, vers la fin de la même année, un caractère assez vif et menaça même de s'étendre. Il prit fin en 1884, après une durée de 18 mois. La bonne entente fut rétablie entre les deux armements et en exécution de l'accord qui intervint à cette occasion, la Maison Worms procéda à l'acquisition du s.s. "Ville-de-Nantes".
Cette concurrence était à peine terminée que de nouvelles menaces surgirent de la part d'un autre armement hambourgeois. Comme les précédents, elles avaient pour appui et même pour animateur à Hambourg l'ancien agent que la Maison Worms y avait pris pour la vente des charbons anglais et avec lequel elle avait dû cesser ses relations. Les menaces furent cette fois écartées rapidement.
Quelques années plus tard, en 1890, des difficultés de même nature naquirent encore, du fait d'un armement français : la Compagnie navale de l'Ouest. Pour protéger sa ligne, la Maison Worms entreprit, par mesure de représailles, de créer à nouveau un service Le Havre-Anvers et vice-versa, par le s.s. "Marie" et se disposa à prendre d'autres mesures plus étendues. Le danger dura cependant peu de temps et fit place à un accord.
D'une manière générale, la Maison Worms s'efforça d'entretenir des relations amicales avec les autres sociétés de navigation françaises. Non seulement elle avait la satisfaction d'en compter un grand nombre, et des plus importantes, parmi les clients de ses services charbons, mais, dans le but d'augmenter le trafic de ses lignes, elle fut amenée à conclure avec plusieurs des accords pour le transport, par transbordement, de marchandises en provenance ou à destination de ports non desservis par elle. Ses lignes devenaient ainsi le prolongement des leurs et vice-versa.
Les plus importants de ces accords intervinrent avec la maison Chevillotte, la Compagnie générale transatlantique, les Chargeurs réunis, MM. Louis Flornoy & Fils de Nantes, etc.
- Bordeaux.
La succursale de Bordeaux, à laquelle avaient été attachés les premiers navires achetés, en propre, par M. Hyp. Worms et qui avait été l'inspiratrice de quelques-unes de ses initiatives les plus importantes continua, après l'achat de la Maison Mallet à gérer elle-même les navires dont elle était dotée. Elle les utilisa fréquemment pour son ravitaillement en charbon, mais s'en servit principalement pour assurer le service des lignes de navigation suivantes, qui eurent des fortunes diverses :
Ligne Bordeaux-Bremerhaven. Avec le s.s. "Frigorifique" acheté à son intention, elle inaugura en 1880 une ligne Bordeaux-Bremerhaven, qui devint, en 1882, pour remédier à l'insuffisance des frets de retour, une ligne Bordeaux-Bremerhaven-Newcastle, sans réussir à donner de bons résultats. La Maison Worms conserva cependant par la suite un service régulier Bordeaux-Anvers-Bremerhaven.
Ligne Pasages-Rouen, Ligne Santander-Pasages et Bordeaux. On peut voir l'origine de ces lignes dans l'habitude qu'avaient les navires charbonniers qu'employait la Maison Worms d'effectuer leur retour en Angleterre en transportant des minerais de Bilbao.
La Maison Worms organisa d'abord un service du nord de lEspagne pour Bordeaux et par transbordement pour les points desservis par ses lignes au départ de Bordeaux. Elle prit, en premier lieu, un agent à Santander et Pasages pour rechercher du fret à commission, puis le remplaça, au début de l'année 1884, par une succursale établie à Pasages et placée sous la direction de celle de Bordeaux.
Entre-temps avait été créé un service Pasages-Rouen, auquel le s.s. "Frigorifique" fut affecté jusqu'à sa perte. Pour ne pas perdre la place qu'elle avait acquise sur la ligne, elle envisagea alors d'assurer le service par navire affrété.
La ligne était consignée à Rouen à la Compagnie de navigation du Havre à Paris et Lyon.
La Maison de Pasages ne donna que de médiocres résultats. Le service était réduit en 1886 au s.s. "Séphora". Les associée gérants de la Maison Worms mettaient en doute l'utilité de cette maison et se demandaient s'il n'y aurait pas lieu d'y renoncer et de se contenter d'un consignataire choisi parmi les maisons de la place.
Ligne de Bordeaux à Alicante. Cette ligne ne donna lieu qu'à de simples essais. Elle ne fonctionna pas longtemps. Il semble que son service ait pris fin en 1883.
Ligne Bordeaux-Anvers. Créée en 1869, cette ligne avait fait l'objet, avec la maison Deppe, d'un accord qui fut renouvelé en 1879 pour cinq ans, puis en mars 1883 sans stipulation de durée, il fut alors convenu que chaque partie pourrait y mettre fin en prévenant l'autre le 1er juillet pour le 1er janvier suivant.
Hyp. Worms avait craint à sa fondation l'insuffisance des frets de retour. En fait, les départs restaient irréguliers. Les réclamations du commerce bordelais contre les retards qui en résultaient amenèrent la Maison Worms à souder ce service sur celui de Hambourg, ce qui permit, après entente avec la maison Deppe, de faire quatre départs réguliers par mois.
D'une manière générale, les lignes exploitées par la Maison de Bordeaux ne donnèrent pas les résultats souhaités. Leur organisation recevait de fréquents remaniements, la Maison de Bordeaux était souvent obligée, par suite de l'insuffisance du fret, d'envoyer les navires charger du charbon en Angleterre.
Leurs résultats inspirèrent des inquiétudes aux gérants de la Maison Worms. Ils envisagèrent même, en 1883, de limiter les opérations de la Maison de Bordeaux au commerce du charbon et de vendre les s.s. "Marie", "Commandant Franchetti" et "Séphora", qui constituaient toute la flotte à sa disposition, le s.s. "Frigorifique" ayant fait naufrage en 1884. C'est alors que le s.s "Marie" et le s.s. "Commandant-Franchetti" furent affectés à la Maison du Havre.
En 1883 décéda M. Schacher qui pendant 27 ans avait dirigé la Maison de Bordeaux.
- Autres succursales - Agences
La Rochelle. En 1883, la Maison Worms décida de fermer la succursale qu'elle avait ouverte à la Rochelle, qu'elle utilisait à la fois pour le commerce des charbons et pour ses services maritimes. Elle céda à MM. Delmas Frères sa clientèle et leur promis la consignation des vapeurs qu'elle aurait l'occasion d'envoyer dans ce port.
Bayonne. Par contre, elle autorisa sa Maison de Bordeaux, en 1887, à ouvrir une agence à Bayonne.
Rouen et Dieppe. La maison A. Grandchamp Fils & Cie continua à être pour elle, dans ces deux ports, ce que MM. F. Mallet & Cie avaient été au Havre. Elle avait à Paris une maison avec dépôt de charbon qui s'occupait des ventes à l'industrie et aux gros détaillants. A la suite de la mort de son chef, M. A. Grandchamp, ses opérations furent continuées par la maison Leblanc Charlemaine & Cie, dans laquelle la Maison Worms resta intéressée.
Sauvetage effectué par le s.s. "Emma"
Le 16 décembre 1889, au début de l'après-midi, le vapeur "Emma", commandé par le capitaine Basroger, opéra, par temps brumeux et pluie fine, le sauvetage de 396 passagers, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d'enfants et de 25 hommes d'équipage provenant du vapeur hollandais "Leerdam", qui se rendait d'Amsterdam à Buenos Aires, et de 26 passagers et 25 hommes d'équipage provenant du vapeur anglais "Gaw-Quan-Sia" allant de Chine à Hambourg. Les deux navires s'étaient abordés dans la nuit. Passagers et équipages s'étaient réfugiés dans une dizaine de grands canots et de chaloupes.
Malgré la faiblesse de son tonnage (509 tonneaux), l'"Emma" réussit à recueillir tous les naufragés grâce à l'énergie du capitaine et au dévouement de tout l'équipage.
Ne pouvant tenter d'accoster sans danger, en raison de la brume, le capitaine décida de faire route pour Hambourg. Le navire arriva à Cuxhaven le surlendemain, après une traversée difficile, de plus de 50 heures. Les naufragés y furent débarqués.
L'eau douce et les quelques provisions du bord avaient été vite épuisées. On avait été obligé de faire appel aux ressources de la cargaison.
La Maison Worms reçut de la Nederlandsch Amerikaansche Stoomvaart Maatschappij, armateur du "Leerdam", ainsi que des officiers et de l'équipage de ce navire, de flatteuses marques de gratitude. Questionnée sur le montant des dépenses que lui avait occasionnées le sauvetage, elle demanda à garder entièrement pour elle la satisfaction d'avoir sauvé un aussi grand nombre d'existences et, s'il pouvait y en avoir un, le mérite d'un acte bien simple d'humanité.
Elle sollicita, cependant, pour le capitaine Basroger, la reconnaissance honorifique de sa belle conduite et fut heureuse de lui voir attribuer le Croix de chevalier du lion néerlandais et celle de Chevalier de la légion d'honneur.
Le sauvetage des passagers du "Leerdam" fit l'objet, dans la grande presse, d'articles élogieux à l'adresse du capitaine Basroger et de l'équipage du "Emma".
(1) D'après le "Bulletin décadaire" de la Compagnie du canal, le total du charbon embarqué à Port-Saïd en 1891 fut de 1.001.878 tonnes, la part de la Maison Worms aurait donc été de 49,70 % soit près de la moitié.