1948.01.00.De Roger Mennevée.Les Documents de l'AIII.Article

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Les Documents de l'Agence indépendante d'informations internationales

Janvier 1948

La Banque Worms
Introduction
Ses Origines historiques

Après la défaite de 1940, et à l'occasion, d'une part, des mesures anti-juives prises par le gouvernement du maréchal Pétain, et, d'autre part, de la synarchie, puis aussi depuis l'armistice, on a beaucoup parlé de la "banque" Worms, étant précisé qu'il s'agit du groupe Hyppolite Worms, et non de la banque Édouard Raphaël Worms qui, malgré le concours que lui avait apporté le sénateur Henry Lémery, n'eut, au fond, jamais d'importance, ni d'influence.
Mais l'expression "Banque Worms" appliquée au groupe commercial et industriel Hyppolite Worms, était, en réalité, une expression erronée, car il n'y avait pas, à proprement parler, de "Banque Worms". II y avait un groupe commercial Worms, dont la base reposait sur l'armement maritime et l'affrètement, et qui avait un "département bancaire", tout comme il possédait un "département charbon", et un "département constructions navales".
Ce n'est d'ailleurs qu'en 1896 que la maison Worms étendit son activité aux opérations bancaires, c'est-à-dire 20 ans après sa constitution en la société qui s'est poursuivie jusqu'ici, mais, en réalité, un demi-siècle après sa création véritable puisque c'est en 1846 que l'on trouve M. Hippolite Worms (premier du nom) comme négociant en plâtres à Paris et étendant par la suite son champ d'activité au commerce des charbons avec bureaux ou succursales en ce qui concernait les charbons anglais à Rouen et au Havre, en France, et à Newcastle, en Angleterre.
Mais ce "département bancaire" de la Maison Worms fut longtemps réservé à ce que l'on appelle aujourd'hui "l'autofinancement", d'abord de l'affaire elle-même, puis, plus tard, des sociétés filiales que la Maison Worms devait créer pour ses différents besoins.
C'est après la guerre de 1914-18 que ce "département bancaire" commença à prendre un développement important, du fait des relations que la Maison Worms avaient nouées avec certains autres grands établissements ou groupes financiers, et, plus précisément encore, avec ceux dont les liens d'affaires avec l'Angleterre étaient plus actifs, particulièrement avec la banque Lazard Frères.
Mais ce n'est qu'en 1928 qu'on trouve ce qu'on a appelé depuis "la Banque Worms" officiellement mêlée aux grandes affaires financières internationales lors de sa participation à la création de la Société canadienne : French and Foreign Investing Corporation de Québec, en combinaison avec le groupe international Lazard Frères (Paris-Londres-New-York) avec la grande banque américaine Morgan and C°, les Rothschild, le groupe Samuel, de Londres, la banque protestante Vernes et Cie, de Paris, et la Kreuger and Toll, du financier suédois Ivar Kreuger, mais dont l'ensemble des noms confirme bien les relations de la Maison Worms avec les célèbres "intérêts permanents anglais".
L'année suivante, Worms et Cie fondait à Rotterdam la Société franco-néerlandaise de finance et de commerce : en 1930, elle intervenait dans la Société française dite Société franco-persane de recherches (de pétrole) et en 1931, elle participait aux opérations, en France, de la Société hollandaise dite Compagnie générale des prêts fonciers, en accords encore une fois avec la banque Lazard Frères et le groupe Kreuger, représenté par la Banque de Suède et de Paris.
Jusqu'en 1939, l'activité internationale de la "Banque Worms" n'a cessé de se développer, tant sur le terrain intérieur que sur le terrain international, mais dans le sens d'une modification d'influences sur laquelle nous aurons à revenir ultérieurement.
Disons, pour le moment, que, en effet, cette série d'évolutions de la maison Worms & Cie a coïncidé, d'une part, avec l'entrée de M. Barnaud, comme directeur général (en 1928), puis comme associé-gérant au début de 1930, au moment même où M. Gabriel Le Roy Ladurie, celui que l'on devait appeler, après 1940, dans certains milieux, "le patron", y était nommé fondé de pouvoirs.
Et où la coïncidence prend son importance, c'est que c'est à partir de la même époque que les influences synarchiques les plus précises s'y firent jour et que la maison Worms et Cie devint un centre de recrutement et d'action secrète synarchiques.
Mais, comme nous l'avons déjà dit, dans nos fascicules spéciaux, sur la synarchie, s'il est incontestable que la Maison Worms et Cie - et pas seulement son "département bancaire" - fut une véritable pépinière de synarchistes, l'examen attentif de la question paraît confirmer que ce fut très probablement à l'insu de M. Hyppolite Worms et de ses associés familiaux.
Le même examen montre encore - comme nous l'avons également déjà dit - que le noyautage de la Maison Worms et Cie par les éléments synarchistes n'a pas été dû à un simple hasard, mais qu'il a été au contraire, un élément d'un plan minutieusement élaboré et conduit, et dont on comprendra assez aisément l'esprit si l'on veut bien se reporter, d'une part, à l'histoire de la synarchie telle que nous l'avons écrite dans notre fascicule spécial de juin 1946, et, d'autre part, si l'on connaît ou si l'on veut se souvenir des relations internationales très spéciales de la Maison Worms et Cie, que nous avons signalées précédemment, et que précise davantage le fait que MeIle Marguerite Worms a épousé en avril 1935, à Nice, M. Robert W. Clive, fils de l'ancien ambassadeur britannique à Tokio, d'autant plus que l'on assure, dans certains milieux bien placés que cette dernière haute personnalité diplomatique n'était pas sans relations étroites avec la fameuse "Puissance inconnue" anglaise, qui, elle aussi, comme la Synarchie, envisageait dès avant 1930, la substitution au régime politique français de celle d'une démocratie autoritaire qui aurait fait de notre pays moins qu'un dominion anglais (voir à ce sujet le rapport de M. Perrier, alors directeur des Renseignements généraux, dont nous avons donné, dans le même fascicule de juin 1946, un extrait de la partie la plus suggestive).
Si bien, ajoutions-nous, que l'on peut être amené à penser que les hautes influences directrices de la synarchie, n'ignorant rien des visées de la "Puissance inconnue", et voulant s'assurer le concours inconscient de celle-ci pour la subversion de la 3ème République, avaient décidé de noyauter les organismes ou les affaires plus ou moins liés en France à la "Puissance inconnue" afin de ne pas être débordées, le cas échéant, par cette dernière mais d'en dériver, au contraire, l'action éventuelle au bénéfice de la synarchie.
Ce qui est incontestable c'est que, au moment de la débâcle française de juin 1940, les éléments purement familiaux de M. Hyppolite Worms - a tendances plus ou moins anglophiles - furent, sous des prétextes divers, et exception faite de ceux intimement liés à l'Église catholique - écartés, tandis que les éléments synarchistes du groupe Worms et Cie prenaient les premières places dans l'organisation économique du nouveau régime français.
Les noms de MM. Jacques Guérard, Barnaud, Le Roy Ladurie, Pucheu, Paringaux, de Feuilhade de Chauvin, etc. ont été assez connus du public à l'époque, sans parler des Vignet, des Fenez, des Bardet, des Meynial, et autres "représentants" du groupe Worms qui bien qu'inconnus de ce même public n'en jouèrent pas moins un rôle important.
II n'est d'ailleurs pas sans intérêt de noter que c'est précisément M. Raymond Meynial qui a, depuis la libération, été nommé "gérant-statutaire" - poste créé pour lui - de la Maison Worms et Cie en remplacement - de nom - de M. Hyppolite Worms qui, lui, a fait l'objet de poursuites pour collaboration économique.
Nous avons signalé, dans notre fascicule de janvier 1947, la loyale intervention de M. Jacques Barnaud à cet égard. Nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement sur ce sujet.
L'évolution qui en est découlée pour la société Worms et Cie ne paraît pas encore terminée. II semble même - si nous sommes bien renseignés - que cette évolution va s'accentuer d'ici peu, que les intérêts personnels Worms vont en être éliminés sous des formes et des prétextes divers.
Aussi avons-nous pensé qu'il ne serait peut-être pas sans intérêt de revenir un peu sur l'histoire de ce groupe "oligarchique" tant en ce qui concerne son origine que son activité, aussi bien que sur ses relations internationales et sur son rôle - direct ou indirect - dans la politique française.
La famille Worms, d'origine israélite et venant d'Allemagne - au moins à s'en tenir au nom qu'elle avait adopté entra en France vers la fin du XVIIème siècle, et particulièrement s'installa à Sarrelouis - qui dépendait alors de la Généralité de Metz - en 1682, au moment de la fondation de cette ville.
Nous emprunterons à des documents émanant de cette famille même, mais tombés depuis dans le domaine public, les quelques renseignements liminaires sur l'activité historique de la famille Worms qui suffisent à cette introduction.
C'est ainsi que dans un mémoire judiciaire justificatif, daté de 1784, les défenseurs de MM. Worms précisaient que les frères Worms étaient domiciliés de père en fils à Sarrelouis, qu'ils étaient employés par le gouvernement à diverses opérations concernant le service des troupes du Roi, faisant un grand commerce avec la France et l'Allemagne et qu'ils jouissaient d'une confiance publique héréditaire, car dès l'année 1770 ils avaient été à portée, l'un et l'autre, de donner des preuves honorables de leur zèle pour le service public et pour les malheureux.
Aussi bien apportaient-ils à l'appui de ces prétentions certains témoignages officiels et officieux dont particulièrement celui du lieutenant général de Sarrelouis que nous reproduisons intégralement ci-dessous :
« Nous, Nicolas Laurent, président, lieutenant général au siège, bailliage et présidial de Sarrelouis et Laurent Maillefaire tenant le siège de police de la dite ville, certifions que les Sieurs Hayem et Cerf Worms, juifs, marchands établis en la même ville, de père en fils, depuis la construction de la dite ville, ont bien voulu, pour le soulagement du peuple, pendant la disette qui a duré depuis les premiers jours de juin dernier (1770) jusqu'à la récolte suivante, distribuer successivement de leurs greniers la quantité de quatre cents sacs de froment, à raison de dix livres la quarte, tandis qu'elle se vendoit treize et jusqu'à quinze livres la dite mesure ; de plus, sur nos invitations, qu'ils ont fait venir par eau, du pays étranger, pareille quantité de quatre cens sacs de froment, pour être distribués au prix coûtant et pour trois mois de crédit ; que ces quantités n'ayant point à beaucoup près suffi aux besoins publics, dans la vue d'opérer le bien proposé ils avoient ouvert leurs magasins destinés à la subsistance des chevaux du régiment de Montecler-Dragons, de laquelle fournitures ils sont chargés par la Cour en cette place, depuis la nouvelle composition des troupes, pour distraire de leurs approvisionnemens ordinaires de deux années la quantité de trois mille sacs d'avoine, qu'ils ont cédés à bas prix, afin d'aider de cette ressource tant les habitans de cette ville et de la campagne, jusqu'à dix lieues de distance, où le pain manquoit et où la disette étoit extrême et totale, que dans la vue de favoriser également les personnes en place ou chargées du service de Sa Majesté, sans que l'emploi de ces moyens les ait mis dans le cas de manquer leur service, auquel nous avons la preuve certaine qu'ils ont satisfait avec beaucoup d'exactitude ; d'où il résulte qu'ils ont donné dans cette occasion, ainsi que dans celles qui l'ont précédée, soit par les sacrifices qu'ils ont faits, leurs offres ou leurs démarches, les témoignages les plus satisfaisans d'humanité et de leur désintéressement ; en foi de quoi nous leur avons délivré le présent certificat pour servir et valoir à ce qu'il appartiendra après avoir y apposer le sceau de notre juridiction.
Fait à Sarre-Louis le quinze septembre mil sept cent soixante dix.
Signé : Laurent et Maillefaire et scellé d'un sceau sur pain à chanter rouge, au bas duquel est écrit : Scellé le dit jour. »
Le comte de Romanet, lieutenant pour le Roi, commandant au gouvernement de SarreLouis, M. Baconière de Salverte, commissaire des Guerres, au département de la même ville, et le major de la place Serrier, confirmèrent quelques jours après (le 20 septembre) que « le zèle patriotique qu'ils (les frères Worms) ont marqué dans cette circonstance et les sentimens de désintéressement dont ils étoient animés, leur avaient acquis l'estime générale et mérité les témoignages particuliers de la satisfaction des signataires. »
La même disette ayant récidivé l'année suivante, les frères Worms prirent des mesures identiques et reçurent de nouveaux satisfecit.
Pourquoi faut-il qu'à ces documents qui avaient une valeur par eux-mêmes, les frères Worms n'hésitèrent point à joindre d'autres "témoignages" d'un caractère sensiblement différent ? nous voulons parler de ceux des commandants de troupes séjournant à Sarrelouis et félicitant les intéressés de la faveur dont ils avaient fait bénéficier les régiments en vendant à ceux-ci la viande à un tarif inférieur aux autres prix du commerce. (Lettres des officiers du régiment de Montecler-Dragons en date du 25 septembre 1770, du régiment de cavalerie Royal-Lorraine, du 27 septembre 1780, etc.)
Témoignages d'un caractère sensiblement différent de celui des précédents, puis ces prix de "faveur" n'étaient pas dus à l'initiative des frères Worms, mais avaient été imposés à leur père par une ordonnance de l'intendant de Metz en 1737.
II faut croire, en effet, que les Worms n'eurent pas toujours - peut-être en raison de leur religion - la sympathie totale des habitants de Sarrelouis, puisque, en 1736-37, les bouchers de la ville avaient adressé à l'intendant de Metz, une requête tendant à faire expulser la famille Worms de Sarrelouis, requête qui, d'ailleurs, n'aboutit pas et fut même très probablement à l'origine de la fortune ultérieure des Worms.
En effet, le 5 juin 1937 [sic], M. de Creil, alors intendant de la Généralité, rendait l'ordonnance suivante :
« Nous avons débouté les maîtres et communautés des marchands bouchers de la ville de Sarrelouis de leur demande portée en ladite requête... En conséquence, ordonnons que conformément à la décision contenue en la Lettre de Monsieur le duc Dautun, du 12 décembre 1719, le nommé Olry Worms, juif et sa famille, et la famille du nommé Cerf, résidens actuellement en ladite ville de Sarrelouis continuront jusqu'à nouvel ordre d'y faire leur demeure, à la charge de donner la viande de bonne qualité aux troupes à six deniers meilleur marché en tous tems que les autres bouchers. »
On a bien lu : "à charge". Donc, obligation !
Obligation que, bien entendu, ne connaissaient pas les chefs de corps qui, près de cinquante ans après, apportaient leurs témoignages à MM. Worms croyant qu'il s'agissait bien d'une faveur consentie par ceux-ci.
Mais nous pensons que les intéressés qui, eux, n'ignoraient rien de la réalité eussent dû montrer davantage de réserve aussi bien dans la sollicitation que dans l'utilisation de ces témoignages.
II n'en reste pas moins que c'est vraisemblablement dans cette obligation faite à l'un des premiers Worms de fournir la viande aux troupes à un taux réduit qu'il faut rechercher l'origine de l'activité qui permit, ultérieurement, à celui-ci ainsi qu'à certains de ses fils de se qualifier "d'entrepreneur général de fournitures militaires", ce qui ne les empêcha pas de se livrer en même temps, à l'exemple de leurs coreligionnaires, au commerce de l'argent.
Non sans heurts d'ailleurs, d'autant moins que si les conditions de ces opérations furent parfois d'une modération relative, il arrivait souvent aussi que les débiteurs, usant et abusant des mesures restrictives dont les Israélites étaient alors frappés par les lois et les ordonnances royales, s'essayaient à se libérer de leurs dettes en soulevant contre ceux qu'ils avaient sollicités, des accusations diverses dont la plus commune était celle d'usure.
C'est ainsi que le mémoire de 1784, que nous citons plus haut, était relatif à une instance de ce genre, instance intervenue à la suite de prêts d'argent fait par M. Hayem Worms, l'un des frères Worms, à divers personnages spécialement à MM. Groult de Beaufort et Louis de Saint Janvier Fils dans laquelle les débiteurs se livrèrent aux manœuvres dilatoires dont nous parlions plus haut, et dont on trouvera le curieux détail dans le mémoire précité.
M. Worms fut libéré de l'accusation d'usure ainsi portée contre lui.
Quelques années plus tard, les frères Worms recevaient un autre satisfecit plus important encore.
Le roi Louis XVI leur accordait en juillet 1787, des lettres patentes leur reconnaissant tous les mêmes droits que les autres sujets français, en levant en leur faveur les restrictions imposées généralement aux juifs, et dont voici la teneur :
« Lettres-patentes du roi qui assurent en France aux sieurs Hayem et Cerf Worms, tous les droits dont y jouissent les régnicoles,
donné à Versailles, au mois de juillet 1787,
Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre.
A tous, présens et à venir, Salut, nos biens aimés les Sieurs Hayem et Cerf Worms, juifs, nous ont fait exposer que leur famille domiciliée à Sarrelouis depuis 1682, époque de la fondation de cette ville, est du nombre de celles dont l'établissement est autorisé dans la généralité de Metz ; qu'ils y font un commerce très considérable qu'ils ont étendu à l'étranger et dont la ville de Sarrelouis tire les plus grands avantages ; que, chargés pendant la dernière guerre d'Allemagne de faire des fournitures en pain, viandes, chevaux, fourrages et équipages, ils se sont acquittés de ces différentes parties de service de la manière la plus satisfaisante ; qu'ils sont encore actuellement chargés d'approvisionnemens pour notre compte, et que leur exactitude et que leur honnêteté leur ont mérité les témoignages les plus avantageux de la part, soit des personnes préposées pour les surveiller, soit des chefs de corps ; que des certificats du commandant, du commissaire des Guerres et du lieutenant général du baillage de Sarrelouis, attestent que la disette s'étant fait sentir en 1770-177I, dans la partie de la frontière où est située cette ville, les exposans, à la sollicitation des officiers municipaux, firent venir de l'étranger des denrées de toute espèce et qu'ils vendirent à un prix très inférieur à celui des achats, et que, par ce moyen, ils mirent leurs concitoyens à l'abri de la famine qui les menaçoit ; enfin, que la bonne conduite des exposans et la manière distinguée avec laquelle ils trafiquent leur ont acquis la confiance et la bienveillance du public ainsi que des chefs de la ville, qu'ils se flattoient donc que Nous les jugerions susceptibles de la même faveur que les Sieurs Calmer, Cerf-Beer, Hombert, Lallemant, Jacob de Perpignan et Lévy, particuliers de leur religion, auxquels il a été accordé des lettres patentes qui leur assurent en France tous les privilèges dont y jouissent les régnicoles.
A quoi ayant égard, et voulant favorablement traiter les exposans ;
A ces causes et autres bonnes considérations, à ce Nous mouvant, de l'avis de notre conseil qui a vu les certificats ci-dessus mentionnés et de Notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, Nous avons accordé, et par ces présentes signées de Notre main, Nous accordons aux exposans, à leurs femmes et à leurs enfans, nés (et) à naître, en légitime mariage, tous les droits, facultés, exemptions, libertés, avantages, privilèges et prérogatives  dont jouissent nos sujets naturels ou naturalisés. Voulons en conséquence qu'ils puissent acquérir dans notre Royaume par achat , donation, legs, concession ou autrement, tous biens meubles ou immeubles, de quelque nature qu'ils puissent être, les y tenir et posséder, enfin en disposer par donation, vente, testament, ordonnance de dernière volonté ou de toute autre manière, en faveur de telles personnes qu'ils jugeront à propos, pourvu qu'elles soient régnicoles, sans que, sous prétexte des dispositions portées par les ordonnances ou règlemens de notre Royaume, il leur soit suscité aucun trouble ou empêchement , qu'ils puissent être recherchés en façon quelconque, pour raisons de leurs usages , ni que Nous ou nos successeurs puissions, pour quelque cause que ce soit  nous emparer des dits biens, à l'effet de quoi, Nous les avons déclarés exempts de tous droits de marque, aubaine, représailles et confiscations. Voulons qu'après leur décès, leurs enfans nés et à naître en légitime mariage, ou à leur défaut, leurs autres héritiers naturels et légitimes, puissent leur succéder, même ab-intestat, et que ceux de la qualité ci-dessus marquée, en faveur desquels ils pourroient avoir disposé de leurs biens par donation entre vifs, testament, ordonnance de dernière volonté ou autrement, puissent les recueillir et les posséder. Exceptons, à l'effet de tout ce que dessus les exposans, leurs femmes, ensemble leurs enfans et héritiers, de tous édits, déclarations, ordonnances, arrêts et règlemens qui pourroient être à ce contraire. Si donnons en mandement  à nos amés et féaux les gens tenant notre cour de parlement à Metz, et à tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, que ces présentes ils ayent à faire registrer, et du contenu en icelles faire jouir et user les exposans et leurs femmes, ainsi que leurs enfans ou autres héritiers légitimes pleinement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchemens quelconques et nonobstant toutes choses à ce contraire. Car tel est notre plaisir, et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, Nous avons fait mettre nos scels à ces dites présentes. »
Données à Versailles, au mois de juillet l'an de grâce mil sept cent quatre vingt sept et de notre règne le quatorzième.
Signé : Louis - et plus bas : Par le Roi : Le maréchal de Ségur.
Visa : De Lamoignon - Et scellées du grand sceau de soie verte en lacs de soie rouge et verte."
La Révolution n'arrêta pas l'activité de M.M. Worms, père ou fils, et ils continuèrent leur entreprise de fournitures aux armées.
C'est ainsi qu'en mai 1792, M. Hayem Worms obtenait, en association avec son fils Olry Hayem Worms, du ministre de la Guerre Servan, l'adjudication de l'approvisionnement des villes de Huningue, Fort-Louis et Neuf-Brisack, ce qui d'ailleurs, ne fut pas sans soulever certaines difficultés, puisque, après le départ de Servan du ministère de la Guerre, M. Worms à la tribune de l'Assemblée nationale fut accusé d'avoir corrompu Le Page, un des commis du bureau de la Guerre, en lui donnant 12.000 livres pour avoir l'adjudication à meilleur compte. L'affaire fut renvoyée à une commission, mais comme, d'une part, une importante partie des approvisionnements avait été livrée l'Assemblée nationale, dans sa séance du 7 juillet 1792, décrétait d'en faire faire le paiement, tout en réservant une somme de 300.000 livres sur le montant total des fournitures portées au marché en cause, et, d'autre part, dans sa séance du 28 juillet décidait de ne pas se saisir de la question en raison de la nécessité dans laquelle on se trouvait de faire effectuer les approvisionnements restant à livrer.
Entre-temps, M. Hayem Worms était devenu membre du conseil général de Sarre-Libre (dénomination révolutionnaire de Sarrelouis), et au cours d'un de ses voyages à Paris, il soumettait peu après, à la Convention nationale, un « moyen pour retirer promptement de la circulation une grande quantité d'assignats, rendre la plus grande confiance à ceux conservés et rétablir l'activité dans le commerce par la circulation du numéraire ».
« L'Histoire est un éternel recommencement ! » a dit nous ne savons plus très bien qui.
Ne croirait-on pas entendre l'un de nos modernes prophètes anti-inflationnistes ?
L'un des fils de M. Hayem Worms fut M. Olry-Hayem Worms, né à Sarrelouis le 18 septembre 1759 et qui s'était installé à Paris, vers 1790, lors de son troisième mariage, à la synagogue de la rue Brise-Miche, avec Mademoiselle Flore Zacharie, comme banquier et commissionnaire, rue de Bondy.
Nommé en 1801 adjoint au maire du 5ème arrondissement (de l'époque) par décision des consuls en date du 18 Ventôse an VIII, alors qu'il était en voyage à Amsterdam - ce qui d'ailleurs, faillit annuler cette nomination, il remplit les fonctions jusqu'en 1814 et son ralliement à la Restauration lui valut d'être nommé le 27 juillet 1814 chevalier de la Légion d'honneur, comme banquier et ex-adjoint.
En août 1807, alors qu'il bénéficiait de la faveur particulière du ministre de la Police Fouché, il sollicita la place de maire du VII° arrondissement en remplacement de M. Dupont, nommé sénateur de l'Empire, mais sans que l'appui du ministre la lui ait fait assurer.
C'est en 1808, à la suite du décret impérial du 20 juillet sur l'état civil des juifs, que M. Olry Hayem Worms prit les noms et prénom de Olry Worms de Romilly, du nom d'une propriété qu'il possédait dans la commune du même nom, dans l'Aube.
Le plus curieux, c'est que si cette façon de faire en opposition formelle avec l'esprit du décret impérial, souleva les protestations de l'administration, M. Worms de Romilly bénéficiait de protections suffisantes pour que l'on tournât en sa faveur les prescriptions du décret précité. Aussi bien avait-il su - à l'exemple de son père - jouer du fait accompli en signalant que (ce qu'il s'était probablement empressé de faire en toute connaissance de cause) il avait, en qualité d'adjoint au maire du Ve arrondissement, "signé de son nouveau nom - un grand nombre d'objets relatifs à la correspondance et autres de la Mairie" et que si l'on obligeait à abandonner les mots "de Romilly" les actes qu'il avait signés de ce nom, s'ils n'étaient pas vicieux « laisseroient néanmoins quelques craintes dans l'esprit des parties intéressées ».
Et alors que les services administratifs du ministère de l'Intérieur avaient déjà rédigé une réponse montrant clairement l'illégalité du nouveau nom pris par M. Worms de Romilly, et l'obligation où se trouvait celui-ci de rectifier sa déclaration car « M. Worms ne pouvait faire ce qui ne serait pas permis à un autre citoyen », et que si rien n'empêchait M. Worms de se qualifier de "de Romilly" dans sa correspondance d'affaires, il ne pouvait légalement que s'appeler Worms, ordre vint, de plus haut, de faire au plaisir de l'intéressé et de considérer comme bonne et valable sa déclaration en nom de Worms de Romilly. Le dossier de cette affaire est véritablement suggestif.
C'était la réédition sous une nouvelle forme, de la décision de l'Assemblée nationale de juillet 1792, où les intéressés jouaient des événements qu'ils s'étaient empressés de réaliser afin de mettre les autorités compétentes en face du fait accompli.
M. Olry Worms de Romilly, se retira des affaires peu après sa nomination comme chevalier de la Légion d'honneur, laissant sa maison de banque à son troisième fils, Félix, né à Paris le 12 Frimaire an V (30 décembre 1796) le second Emmanuel, né également à Paris, le 2 janvier 1793 ayant choisi la carrière des armes et étant entré à l'École militaire de Saint-Germain par décret du 14 septembre 1810, carrière que M. Emmanuel Worms de Romilly devait abandonner, au bout de quelques années, et devenir commanditaire de la banque qui, depuis janvier 1823, fonctionnait entre MM. Félix Worms de Romilly et M. Maurice Salomon Haber qui avait épousé une fille de M. Olry Worms de Romilly, donc sœur de Félix.
Les affaires de la banque se ressentirent à la fois de la retraite de M. Olry Worms de Romilly, des événements politiques et surtout des conflits d'ordre familial qui opposèrent bientôt les associés entre eux et leur commanditaire et la banque fut dissoute en 1826, mais les conflits persistèrent à ce point que ce n'est que 50 ans après environ que la question de la liquidation de la banque fut résolue.
Entre temps, des incidents graves - d'un point de vue, d'ailleurs, très particulier - étaient survenus à l'égard de M. Olry Worms de Romilly qui avait pourtant manifesté, en faveur de ses coreligionnaires, des sentiments de réelle charité. II suffit, en effet, de se reporter à la revue "Les Archives israélites" pour constater que l'ancien banquier était un des plus généreux donateurs au bénéfice de plusieurs communautés israélites, et, à ce titre, il avait été nommé président du Consistoire central israélite de Paris, en même temps qu'il y était délégué du Consistoire de Nancy.
Or, en juillet 1843, sa petite-fille Ida de Haber - fille de Melle Germance Olry Worms de Romilly, mariée à M. Maurice de Haber - se convertissait au catholicisme et épousait M. de Grouchy. Leur mariage était célébré dans l'église de Notre-Dame-de-Lorette à Paris.
A la suite de ce fait, une violente campagne se manifestait dans les milieux israélites contre M. Worms de Romilly et si celui-ci était réélu, par ses collègues, président du Consistoire central, la campagne prenait un caractère tel que M. Worms de Romilly s'en trouvait dans l'obligation d'abandonner cette fonction à la fin de l'année 1843.
Bel exemple de la tolérance des milieux juifs et qui permet de sourire lorsque les Israélites crient à la persécution.
M. Olry Worms de Romilly mourut à Paris, 62, rue de Bondy, le 7 mai 1849 à l'âge de 89 ans.
Un autre fils de M. Hayem Worms fut M. Lyon Hayem Worms qui eut une carrière moins brillante et moins connue que celle de M. Worms de Romilly encore qu'il ait été un des principaux négociants de Metz.
Mais, il présente pour nous un intérêt particulier puisque c'est de lui qu'émane la "Maison Worms et Cie" actuelle.
En effet, de son mariage avec Mademoiselle Gela Lévy, née à Metz, et qui devait mourir en 1829 à Landau, en Bavière, il eut particulièrement comme enfants :
Olry Worms, né à Metz, le 31 juillet 1793,
Gothon, née à Metz, le 20 Fructidor an III,
Adolphe Abraham, né à Metz le 19 Messidor an VII, (7 juillet 1799) qui, après avoir succédé à son père, devint ensuite banquier à Metz, et fut une des plus hautes personnalités de la colonie israélite de cette ville - lors de sa mort en septembre 1843, il était président du Consistoire israélite de Metz,
et enfin :
Hyppolite né à Metz le 16 Brumaire an X (8 novembre 1801) qui fut le fondateur de la Maison Worms et qui de son mariage, en 1837, avec Mademoiselle Séphora Goudchaux, fille d'un banquier juif de Nancy, eut deux enfants : un fils, Lucien, né à Paris le 3 mars 1839, et une fille Emma Louise, née également à Paris (2°) le 6 mars 1842.

De son côté, M. Lucien Worms qui devait mourir au Vésinet le 22 juillet 1914, ayant épousé Mademoiselle Virginie Adèle Houcke, en avait eu un fils : Hyppolite Worms - deuxième du nom - né à Paris (8°) le 26 mai 1889 qui fut le chef de la Maison Worms et Cie jusqu'en 1940.
De son mariage avec Mademoiselle Lewis-Morgan, d'origine anglaise, celui-ci n'a eu qu'une fille Marguerite, qui a épousé, comme nous l'avons dit plus haut, en 1935, à Nice, M. Robert W. Clive, fils de l'ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Tokio.
Telles sont les grandes lignes de l'histoire de la famille Worms étant entendu que nous avons laissé de côté, dans cette introduction, certaines autres branches émanant du même Olry Worms de Sarrelouis, et qui pourront prendre place dans des chapitres ultérieurs éventuels.

R. Mennevée

Annexe
Répertoire des sources utilisées soit dans cet article, soit dans les articles ultérieurs

A
Sources Manuscrites Archives personnelles
Archives particulières et privées diverses Archives nationales Archives de la Moselle
État-civil de Sarrelouis - Metz - Nancy - Rouen - Pau - Lunéville -Paris - Seine et Seine-et-Oise - Bordeaux, etc.
Bibliothèque nationale (manuscrits)

B
Sources imprimées

Anchel Robert : Napoléon et les Juifs, Paris, 1928 Barbe J.J. : Metz - Les Maisons Historiques - Metz, 1913 Barbe J.J. : Metz - Documents généalogiques - Metz, 1934
Bibliothèque nationale (factums) Kahn Léon : Les Juifs de Paris sous la Révolution, Paris, 1898
Procès-verbaux de l'Assemblée nationale, tome X du 1er au 20 juillet 1792
Les Archives israélites
Le Droit, 1872
Le Journal de Paris, 1792
Le Patriote français, 1792
Recueil général des lois et arrêts, 1863
Journaux d'annonces légales divers (de 1822 à nos jours), etc., etc.
Nous préciserons d'ailleurs les sources qui intéresseront certains chapitres ultérieurs.


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