1948.00.De Worms et Cie.Historique.Séphora en mer Rouge.(1873-1876)

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NB : Synthèse préparatoire à la rédaction de l'ouvrage intitulé "Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie".

Port-Saïd - Navigation du s.s. "Séphora" en mer Rouge

Au cours d'un séjour qu'il fit en France, au début de l'année 1873, un des deux directeurs de Port-Saïd, le plus ancien des collaborateurs de M. H. Worms, celui-là même qui l'avait secondé, dès la première heure pour l'organisation de ses affaires en Angleterre et en France et qu'il avait envoyé en Égypte en 1869 pour fonder sa succursale de Port-Saïd, se fit chaleureux avocat auprès de lui de la création d'un service de navigation à vapeur, en mer Rouge, sous pavillon français.
L'idée n'était pas neuve. Elle se rattachait à un ensemble de projets conçus par les deux directeurs pour donner du développement à leurs affaires et occuper leur activité alors que le trafic du canal était encore presque insignifiant. Un ami de la Maison Worms, membre de la Maison Géo & A. Herring de Londres, de passage à Port-Saïd, très au courant du commerce des Indes, leur avait conseillé alors (fin de novembre 1869), la création d'un service entre l'Europe et les Indes par navires à vapeur de petit tonnage, en attendant le jour où les gros navires pourraient passer pratiquement et plus facilement par le Canal ; quoique peu favorable à l'idée, les directeurs de Port-Saïd en avaient fait part à Mr. H. Worms en lui demandant de les renseigner sur le prix probable de revient de l'exploitation d'un ou deux vapeurs qui seraient affectés à un trafic entre Marseille ou Barcelone et Bombay, mais M. H. Worms écarta complètement l'idée.
En 1871, dans le but de rendre plus productive l'agence de Suez où ils étaient obligés d'entretenir un matériel coûteux, ils conçurent un projet moins vaste basé simplement sur le désir d'étendre la vente du charbon aux ports de la mer Rouge. Ils espéraient trouver à Djeddah et surtout en face, sur la côte d'Abyssinie, différents produits indigènes, café, bestiaux, etc. qui constitueraient un fret de retour. M. Stapledon, mis au courant de ce projet l'approuva tout à fait et se réserva même de prendre la moitié des cafés qu'on pourrait ramasser.
Le transport des charbons à Djeddah correspondait à des besoins réels, déjà existants. Le gouvernement turc semblait désireux de conclure un marché à ce sujet, d'autre part il avait à effectuer des envois de troupes et d'approvisionnements. Enfin, le transport des pèlerins pour La Mecque, du moment qu'il y aurait une ligne régulière bien desservie, pourrait fournir un élément de trafic intéressant, dans les deux sens.
Un des deux directeurs se rendit à Constantinople pour préparer le terrain, mais une épidémie de choléra ne lui permit pas de pousser ses démarches à fond. Par ailleurs, les conditions proposées par la Maison F. Mallet & Cie pour la location du s.s. "Séphora" parurent trop onéreuses, la Maison de Port-Saïd abandonna, une nouvelle fois, son idée.
Elle la reprit en 1873 avec plus de conviction et avec une grande confiance dans le succès. Les circonstances poussaient à l'optimisme.
L'influence française en Égypte était à son apogée, la création d'une entreprise de navigation sous pavillon français destinée à faciliter les relations commerciales entre ce pays et des régions avoisinantes de même civilisation, était un développement naturel au moment où ces régions, restées très éloignées de l'Europe, depuis la découverte de la route du Cap, redevenaient subitement aussi accessibles aux navires à vapeur qu'aucune autre de la Méditerranée.
Indépendamment de la situation qu'il avait prise sur le Canal, M. H. Worms venait lui-même d'enregistrer de gros succès à Alexandrie et dans l'intérieur du pays. Après de longs efforts il avait obtenu d'importants marchés pour la fourniture de charbon à diverses administrations et pour la fourniture de traverses en pin des Landes au chemin de fer. Il venait d'affecter le s.s. "Commandant-Franchetti" au transport de ces dernières, et avait envoyé M. H. Goudchaux faire un long séjour à Alexandrie pour mettre au point l'organisation de ses autres marchés avec les administrations.
De son coté la Maison de Port-Saïd, en prévision de prochains grands développement du trafic du Canal, avait récemment conclu d'importants arrangements avec la Maison Stapledon, nouvellement établie à Port-Saïd, et avec la Maison J. Burness. Ces derniers donnaient l'espoir d'affaires nouvelles et écartaient en même temps une dangereuse concurrence vis-à-vis de la P & O C° qui était depuis plusieurs années cliente de la Maison Worms à Suez et qui faisait de plus en plus appel à ses services à Port-Saïd.
Au cours du séjour qu'il venait de faire en Égypte, M. H. Goudchaux avait visité le Canal et avait écrit à M. H. Worms le 8 octobre 1872. « Le mouvement de la Maison est très grand, son organisation qu'on m'a montrée en détail est admirable et sa position dans le Canal comme estime et considération est tout ce qu'on peut désirer. »
Les choses n'allaient cependant pas toutes seules. La Maison avait à lutter contre des concurrents très actifs, jusque dans ses positions les plus essentielles. Cette concurrence était d'autant plus vive que le Canal avait définitivement fait ses preuves. Son trafic était en progression constante ; la P & O C° prenait ses dispositions pour adapter complètement son organisation à la nouvelle route ; l'heure approchait ou le gouvernement britannique allait sortir de ses dernières réserves et lever l'interdiction qu'il avait mise au transport de la Malle des Indes par le Canal.
Le moment était en quelque sorte décisif. Il s'agissait pour chaque maison désireuse de traiter des affaires sur le Canal d'assurer sa place et de consolider sa position.
L'organisation d'un service de navigation à vapeur en mer Rouge, par navires de petit tonnage, apparaissait à la succursale de Port-Saïd susceptible de répondre à ce but : elle ajouterait à son prestige, lui permettrait d'étendre plus facilement ses ventes de charbon au-delà de Suez et en dehors de Égypte, et de resserrer ses liens avec les grands armements fréquentant le Canal, par des transbordements de marchandises et des transports combinés.
Il fut convenu que la ligne serait exploitée avec le navire "Séphora" alors placé sous la direction de la Maison F. Mallet & Cie, et que le navire serait envoyé à Port-Saïd avant la fin du mois d'août pour prendre part au transport des pèlerins dès l'ouverture de la saison des pèlerinages.
La Maison F. Mallet & Cie ne participait pas à l'entreprise ; sa part d'un tiers dans la propriété du navire ainsi que les deux tiers de M. H. Worms furent transférés au compte de la Maison de Port-Saïd.
Après avoir été pionnier de la ligne Bordeaux-Le Havre, le s.s. "Séphora" allait devenir celui d'une ligne plus lointaine entièrement nouvelle.
Lorsque le directeur de Port-Saïd eut mis les choses au point en France, il écrivit à M. H. Worms, au moment de s'embarquer à Marseille pour rejoindre son poste : « Je pars en bonne santé et plein d'une belle ardeur. Je veux avaler la mer Rouge, l'amirauté[1] et plus encore ».
Connus bien avant l'arrivée du "Séphora" en Égypte les projets de la Maison Worms avaient suscité un vif intérêt. Le codirecteur resté sur place écrivait à son collègue qui était encore en France, le 5 juin : « Tout cela fait déjà du bruit dans la mer Rouge où le nom de Worms est aussi connu que celui du Khédive... Le consul de Massaouah nous attend comme le Messie ».
Arrivé à Port-Saïd le 13 août, le navire entreprit son premier voyage le 21 août, au départ de Suez, pour Djeddah, Hodeidah, Massaouah et Souakim. Fait dans la mauvaise saison, ce voyage ne fut pas rémunérateur, mais le deuxième fut entrepris sous de meilleurs auspices très peu de temps après. L'intention de la Maison de Port-Saïd était de continuer les départs périodiquement tous les 20 à 22 jours.
Les circonstances ne permirent pas de donner au navire une marche régulière.
Les premiers voyages furent limités à Yambo et Djeddah. En février et mars 1874 on fit de nouvelles tentatives pour toucher Hodeidah et Massaouah, mais Djeddah semble être resté le but final permanent et le plus important des voyages.
Les éléments de trafic escomptés se composaient, au départ de Suez, de produits manufacturés d'Europe transportés par voie d'Alexandrie ou du Canal par steamers anglais et italiens jusqu'à Suez et de produits de toutes natures recueillis dans la Méditerranée depuis Constantinople jusqu'à Port-Saïd transportées par les Messageries maritimes, par la Compagnie russe de navigation, enfin par le Lloyd autrichien jusqu'à Djeddah et Hodeidah. Le service assuré par ce dernier n'était que temporaire et résultait d'un contrat passé avec la Porte ottomane pour le transport de troupes et d'approvisionnements. Ce contrat expiré, les bateaux ne s'arrêteraient plus à Djeddah et Hodeidah.
Partant de cette constatation la Maison de Port-Saïd conclut immédiatement un arrangement avec la Compagnie russe dont les navires touchaient dans tous les petits ports de la côte de Syrie et proposa également aux Messageries maritimes une entente pour des transports combinés : elle recevrait de cette compagnie les marchandises à Port-Saïd et les transporterait aux ports principaux de la mer Rouge.
A part quelques voyages, les marchandises ne firent pas défaut, mais elles ne permirent pas de maintenir les itinéraires projetés. D'autre part les transports de charbon à Djeddah ne prirent pas l'importance espérée ; aucun accord ne fut conclu avec le gouvernement turc et le correspondant de la Maison à Constantinople conseilla même « d'attendre des jours meilleurs pour les finances turques ».
Les pèlerinages fournirent au contraire un élément de trafic satisfaisant, parfois même abondant.
En fait les difficultés à vaincre furent considérables.
Tout était pratiquement à créer. Dans les ports où l'on se proposait de toucher il fallait trouver des agents ou correspondants sûrs et réguliers alors qu'il n'y avait pour ainsi dire pas d'européens : à Djeddah « toutes les nations étaient représentées par six personnes » ; on était obligé de confier les affaires à des aventuriers ou à des indigènes qu'il n'était pas possible de laisser sans surveillance.
L'entreprise joua d'ailleurs de malheur. Une longue suite de circonstances malencontreuses, et parfois pénibles, vint jeter le trouble dans l'exploitation et entraîna des frais supplémentaires et des pertes de temps.
Décès, maladies, défaillances, fautes de l'équipage, qui amenèrent la Maison de Port-Saïd à se plaindre amèrement de la manière dont celui-ci avait été recruté au Havre, quarantaines pour cause d'épidémie, décidées et prolongées arbitrairement, au dire de la Maison de Port-Saïd, pour fournir des ressources aux autorités ou pour favoriser la concurrence d'un armement indigène, furent les plus importantes.
Le capitaine embarqué au Havre mourut d'une insolation quelques semaines après son arrivée. Son remplaçant, qui avait cependant acquis l'habitude du climat par un séjour de plusieurs années en Égypte, décéda également peu après d'une attaque d'apoplexie. Il fallut faire venir un autre remplaçant de France. Plusieurs membres de l'équipage, mécontents du capitaine provisoire, demandèrent à être débarqués ; le chef mécanicien tomba à son tour très gravement malade, etc.
Le même jour il fallut trouver à Suez un capitaine, un deuxième mécanicien, deux chauffeurs, deux soutiers et un matelot. « Ce serait un jeu au Havre ou à Bordeaux, écrivait la Maison de Port-Saïd (25 octobre 1973) c'est un tour de force à Suez. » La grosse difficulté venait en effet de la nécessité de recruter sur place des marins français pouvant résister aux fatigues de la navigation sous le climat de la mer Rouge, en nombre suffisant pour conserver à l'équipage la composition prescrite par les règlements français sur la navigation.
Pour remédier à cette difficulté, la Maison de Port-Saïd fit demander au ministre de la Marine l'autorisation valable pour un certain temps, de confier provisoirement, en cas de besoin, pour un ou deux voyages, le commandement à un capitaine étranger et celle de composer l'équipage de marins étrangers, en prenant l'engagement de maintenir autant de Français que possible.
Elle invoquait à l'appui de sa demande, le fait que "Séphora" était le seul bâtiment français qui touchait à Djeddah et à Hodeidah et qu'il lui paraissait très fâcheux de supprimer l'apparition mensuelle de notre pavillon dans ces ports.
Le ministre refusa par lettre du 23 juillet 1876.
Au début du mois d'octobre suivant la succursale de Port-Saïd n'avait pas encore pu réussir à composer un équipage conforme aux règlements ; le navire avait un chargement complet, marchandises et pèlerins, et se trouvait dans l'obligation absolue de partir le 13. L'autorité consulaire ne crut pas pouvoir expédier le s.s. "Séphora" sans autorisation spéciale du ministre. L'entreprise pouvant tourner au désastre l'autorisation fut demandée télégraphiquement. Elle fut accordée, mais pour la dernière fois.
Port-Saïd fut donc obligé de chercher une autre solution pour l'avenir et envisagea de faire naviguer le "Séphora" sous pavillon anglais ou sous pavillon de Jérusalem, sous ce dernier de préférence, pour continuer à dépendre du consulat de France.
M. H. Worms n'accepta pas cette proposition. Il demanda aux directeurs de prendre une décision radicale et si "Séphora" devait revenir en France, de le faire le plus vite possible.
Le navire ayant eu à subir, à ce moment, une nouvelle quarantaine de 21 jours, Port-Saïd décida d'abandonner la partie et le renvoya en France. Il quitta Port-Saïd le 16 décembre 1874 pour reprendre son service sous la direction de la Maison H. Mallet & Cie. II fut obligé de faire son voyage sur lest, faute de fret, circonstance qui aggrava encore les résultats de l'entreprise.
Peut-être une autre circonstance eut-elle une influence sur la décision de Port-Saïd ? Dans son ensemble l'année 1874 semblait devoir être pour elle fortement déficitaire. Par suite de la très vive concurrence qu'elle avait à soutenir (de la part de la Maison Lambert, en particulier) elle était obligée de vendre son charbon à un prix inférieur au prix de revient.


[1] II faisait allusion par ce mot aux efforts que M. H. Worms avait décidé d'entreprendre pour s'assurer la clientèle de l'amirauté britannique, efforts qui allaient aboutir, quelques mois plus tard, à un succès partiel (voir note spéciale).


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