1944.11.20.De Gaston Bernard.Au juge Georges Thirion.Note n°3
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Le PDF est consultable à la fin du texte.NB : Ce document provient d'un dossier consacré au Molybdène, intitulé "Tome 1" et classé au 24 septembre 1945, qui n'a pas été numérisé. En effet, à l'exception de rares éléments, y sont rassemblés les doubles de toutes les pièces (interrogatoires, dépositions, notes, annexes...) qui se trouvent conservées sous la forme de tirés à part et sont intégrées individuellement à la base de données.
Affaire : Ministère public contre Worms Hypolite et Le Roy Ladurie Gabriel
Note n°3
De Monsieur Gaston Bernard expert-comptable
à Monsieur Thirion, juge d'instruction au tribunal de première instance de la Seine
Monsieur le juge d'instruction,
Par votre ordonnance, en date du 12 septembre vous avez bien voulu me commettre dans cette affaire.
Je vous prie de trouver ci-après le résultat de mes investigations en ce qui concerne une opération effectuée par la société Le Molybdène dans lequel la Maison Worms avait une participation, opération sur laquelle vous m'avez demandé de vous fournir tous renseignements utiles.
L'opération incriminée consiste en une livraison de 25 tonnes de minerai de molybdène à 80% effectuée aux Allemands, en 1942, à destination de la Gesellschaft für Electrometallurgie mbH à Berlin Charlottenburg.
Une facture provisoire a été établie le 4 février 1942 et la facture définitive a été faite le 3 août 1942 pour un total de F 2.052.444.
Le règlement a été effectué par virement d'ordre de la Gesellschaft für Electrométallurgie, au crédit du compte courant ouvert au nom de la Sté Le Molybdène chez Worms & Cie; ce virement a été effectué en deux fois, à savoir :
le 18 mai 1942 (acompte) | F 2.040.000 |
le 12 janvier 1943 (solde) | F 12.444 |
Total égal | F 2.052.444 |
Le secrétaire général de la société Le Molybdène a déclaré que la livraison en cause avait été demandée par les Allemands, dès 1940, et que celle-ci n'eut lieu qu'en 1942 grâce aux retards volontaires apportés par les dirigeants de la société.
Tous les documents relatifs aux circonstances dans lesquelles a eu lieu l'opération ont dû vous être communiqués par ailleurs par les intéressés.
La livraison a porté, ainsi qu'il a été dit, sur 25 tonnes à 80% équivalant à 20 tonnes à 100% facturées sur la base de F 102 le kilogramme.
Or, cette livraison a eu lieu par prélèvement sur l'ensemble du stock de la société, le dépouillement du compte d'exploitation a montré que le prix de revient dudit stock était de F 9.345.090,99 se décomposant comme suit :
cuivre : 451 t. à 28% | F 1.145.368 |
molybdène : 81 t. 250 à 80% | F 8.199.722,99 |
Total égal | F 9.345.090,99 |
Les 81 tonnes 250 à 80% équivalant à 100% il apparaît donc que le prix de revient du kilo à 100% (tous frais et charges compris) était de F 126,15 supérieur de F 24,15 au prix de vente aux Allemands, soit, sur les 20 tonnes livrées, une perte totale de F 423.000.
L'examen de la balance clients de la société n'a révélé l'existence d'aucune autre vente, en 1941 et 1942, soit aux Allemands, soit même à des clients français.
D'après la comptabilité, la fraction de stock non livrée aux Allemands (451 tonnes de cuivre et 56 tonnes de molybdène) devait encore se trouver sur le carreau de la mine en novembre 1942 à l'arrivée des troupes américaines.
La société Le Molybdène a exposé que cette politique d'abstention de vente n'avait pu être pratiquée que grâce aux avances qui lui furent consenties par la Banque Worms (succursale d'Alger). La première avance a été consentie par cette banque en juin 1941, pour F 1.000.000. Au 1er janvier 1942, le découvert atteignait F 2.915.562,05 et, en dernier lieu, celui-ci se trouvait ramené à F 1.925.409,20, chiffre demeuré inchangé depuis juin 1942.
Les comptes ouverts au nom de la société Le Molybdène chez la Banque Worms & Cie, à Paris et à Marseille, n'ont au contraire été que des comptes de chèques normaux, n'ayant pas donné lieu à avances de la part de la banque.
De l'ensemble des investigations qui ont été faites ces jours derniers, il ressort donc que, ainsi que l'a déclaré Monsieur Hoffmann, secrétaire général de la société Le Molybdène, aucune autre livraison que celle incriminée n'a été faite aux Allemands.
Il vous appartiendra, Monsieur le juge d'instruction d'apprécier à la lueur des documents que vous avez saisis ou qui vous ont été communiqués, dans quelle mesure cette livraison est le résultat d'une offre, ou, au contraire, d'une obligation imposée par les autorités occupantes.
D'après la comptabilité, cette livraison a fait subir à la société une perte de F 423.000.
Tels sont, Monsieur le juge d'instruction, les résultats de mes investigations en ce qui concerne l'opération reprochée à la société Le Molybdène.
Veuillez agréer, Monsieur le juge d'instruction, l'assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.
Paris, le 20 novembre 1944
Bernard