1944.11.16.De Gabriel Le Roy Ladurie.Au juge Georges Thirion.Interrogatoire
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Le PDF est consultable à la fin du texte.Interrogatoire de M. Gabriel Le Roy Ladurie
L'an mil neuf cent quarante quatre, le 16 novembre, devant nous, Georges Thirion, juge d'instruction etc., assisté de Lombard, greffier, a été amené :
M. Le Roy Ladurie, inculpé, déjà entendu, assisté de Maître Bizos, son conseil.
Il déclare :
Lors de mes précédentes déclarations, je n'ai pas cru devoir vous parler du Molybdène, parce que d'une part nous n'étions pas majoritaires dans cette société pour les raisons que je vais vous exposer d'autre part, nous ne considérions pas en aucune façon comme responsables de la gestion technique et commerciale de cette société.
Au début de l'année 1940, le gouvernement français (ministère de l'Armement) s'inquiète de ce qu'il pourrait advenir d'un important paquet d'actions qui se trouvait en Suisse d'une société holding qui assurait une position importante dans la société marocaine Le Molybdène. Déférant immédiatement au désir du ministère de l'Armement, je procédais à l'achat de ce paquet de titres par l'entremise de la maison de coulisse Foulonneau et Pitavino, pour une somme d'environ 8.000.000 de francs.
Le Molybdène est une société au capital de 18.500.000 francs divisé en 185.000 actions de cent francs dont les actionnaires principaux sont :
1° - Le Bureau de recherches et de participations minières (BRPM) organisme officiel de résidence générale du Maroc pour 1.500.000 francs soit 15.000 titres à vote plural ;
2° - La société Falta qui détient 50.000 actions dont 10.000 à vote plural ;
3° - Un groupe représenté par Vernes et Cie détenant environ 10.000 actions.
Le reste des actions se trouve en grande majorité entre des mains suisses ou nord-africaines.
La société Falta est au capital de 8.500.000 divisé en 85.000 actions de cent francs. Elle est elle-même contrôlée par une société suisse appelée Metalla au capital de francs suisses 1.000.000, divisé en 50.000 actions de 20 F. C'est donc par l'intermédiaire de la société Metalla que Worms se trouve avoir des intérêts dans Molybdène. En effet,
1° - Worms détient 29.000 actions Metalla sur 50.000.
2° - Metalla détient 50.000 actions Falta sur 85.000.
3°- Falta détient 59.140 actions Molybdène sur 185.000.
Mais comme 10.000 de ces actions ont un droit de vote plural, Falta représente à l'assemblée du Molybdène, 65.000 voix sur 215.000.
En résumé Worms détient 32% des actions du Molybdène, 44% des voix par la voie indirecte des deux sociétés holding, ces intérêts en capitaux sont seulement de 10,75%.
Le conseil d'administration comprend 10 membres dont trois ont été proposés par Worms : M. Jean Marie Vinson, M. Raymond Meynial, M. Martiel Pitavino, mais Worms a maintenu en place le président directeur général et tout l'appareil directeur (technique et commercial) de la société.
En fait, les pouvoirs publics se trouvent avoir dans le Molybdène une situation absolument prédominante.
a/ Du fait de la législation particulière au Maroc en matière de mines métalliques.
b/ Du fait de leur position d'actionnaires.
c/ Du fait des subventions qu'ils ont accordées pour les recherches à différentes reprises.
Cette emprise de l'État s'est trouvée renforcée depuis septembre 1939 par la réquisition de tous les produits des mines métalliques. Le représentant du BRPM au conseil est M. Friedel, inspecteur général des Mines et directeur de l'École nationale des Mines. C'est dans ces conditions que Worms ne s'est jamais considéré comme qualifié pour intervenir dans la gestion du Molybdène, les responsabilités étant normalement réparties entre le BRPM, et le président-directeur général. Aussi lorsqu'à l'automne 1940, Worms décida de grouper dans une société holding, la Setem (Société d'études et d'entreprises minières), tous les intérêts qu'elle possédait dans des mines métalliques dont ses propres techniciens assuraient l'exploitation (Charrier, Montmain, plus d'autres mines nord-africaines), il ne nous est pas venu à l'idée d'y intégrer notre participation indirecte dans Le Molybdène. De même que nous n'avons pas désigné des ingénieurs des mines pour nous représenter au conseil du Molybdène, mais des techniciens de la Banque.
Nos représentants au conseil nous ont informés des pressions très vives effectuées sur les dirigeants du Molybdène par les représentants des autorités d'occupation pour obtenir la livraison au Reich d'une centaine de tonnes de minerai concentré disponible sur le carreau. Nous avons fait toute confiance à la vigilance du président Guernier pour saisir les autorités françaises de la question. Celles-ci tant par le BRPM, par le ministère de la Production industrielle que par la Commission d'armistice se trouvaient seules qualifiées pour traiter de ce problème avec les autorités allemandes. J'ai seulement su qu'à la suite d'un voyage de M. Raymond Meynial au Maroc on était arrivé à dissimuler la plus grande partie du stock disponible et pour couper court à toutes prétentions ultérieures des Allemands on avait pris la décision d'arrêter complètement la production du Molybdène pour exploiter quelques gisement de minerai de cuivre appartenant à la société avec l'intention de mettre ce cuivre à la disposition de l'agriculture nord-africaine. Ce changement de politique n'a été rendu possible que par l'octroi de facilités bancaires consenties par notre maison et qui, parties de 1.000.000 se sont élevées jusqu'à 3.000.000 de francs. Nous n'avons eu en dehors de cela d'autres opérations importantes avec Le Molybdène que pour lui servir d'établissement domiciliataire à l'occasion d'expédition dont l'ordre d'exécution avait été notifié par les pouvoirs publics.
En résumé, nous n'avons donc dans ces deux opérations que rempli le rôle normal de banquier commercial de la société. II est impossible de relever un cas quelconque où nous avons eu à intervenir dans la gestion technique et commerciale de cette entreprise.
Lecture faite, persiste et signe.