1940.08.01.De Hypolite Worms.Au secrétaire dÉtat à la Marine.Vichy.Rapport
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Les pièces données dans les annexes 1 à 6 ont été reclassées dans des fichiers à part ; elles sont consultables à partir de ce fichier en cliquant sur leurs dates (en bleu + soulignement). Hypolite Worms a produit en annexe 7, plus de 60 télégrammes qu'il a échangés avec M. Morin de Linclays - French Mission New York - entre le 14 juin et le 16 juillet 1940. Le résumé qu'il en donne à la fin de son rapport dans le chapitre intitulé "Communications avec New York" a permis de faire l'économie de leur numérisation.
1er août 1940
Monsieur Hypolite Worms
Chef de la délégation française au Comité exécutif des Transports maritimes
À Monsieur le secrétaire d'État à la Marine
L'interruption des communications entre Paris et Londres ne m'ayant pas permis de vous rendre compte, journellement, de mon activité, j'ai dû, dès le 12 juin, et grâce aux pouvoirs qui m'avaient été conférés par votre ordre de mission du 21 mai (annexe 1) prendre, dans l'intérêt du pays, un certain nombre de décisions, tant pour l'exécution des accords en cours, que pour faire face à la situation nouvelle, créée par la cessation des hostilités entre la France et l'Allemagne.
Je vais maintenant vous rendre compte de mon activité depuis le 12 juin et jusqu'à mon départ de Londres.
Répartition des bateaux neutres entre la France et l'Angleterre
Je vous rappelle qu'il avait été passé, à la suite de l'invasion de la Norvège, avec le Groupement des armateurs norvégiens, un nouvel accord, dont je vous ai envoyé copie, et aux termes duquel une grande partie de la flotte norvégienne était mise à la disposition de la France et de la Grande-Bretagne. Des accords similaires étaient en cours de négociation avec les Hollandais et les Suédois. Ils ont été réalisés dans des conditions qui apparaissaient très avantageuses, à l'époque, et l'exécution de ces dits accords comportait le partage et la répartition entre la France et la Grande-Bretagne, de ces flottes ainsi mises à notre disposition.
Je vous rappelle également qu'en raison du manque de tonnage de la France, j'avais obtenu que les premiers partages se fassent sur la base de :
60% à la France
40% à l'Angleterre.
Après les premières allocations, c'est-à-dire après que la proportion des flottes aux besoins des deux pays, a été équilibrée, la règle de partage devait se faire à raison de :
30% à la France
70% à l'Angleterre,
ces chiffres équivalant aux besoins des deux pays.
Mais lorsque l'invasion du nord de la France a amené le gouvernement français à acheter aux États-Unis des quantités considérables d'acier, vous m'avez demandé d'obtenir les navires nécessaires au transport de ces tonnages. C'est pourquoi, j'avais exigé et obtenu de l'Angleterre, que notre part dans la distribution des bateaux longs courriers soit égale à celle de la Grande-Bretagne, et le partage s'est donc effectué sur la base de :
50% pour la France
50% pour l'Angleterre.
Jusqu'à ce que les communications avec le ministère de la Marine marchande aient été interrompues, je vous ai avisé régulièrement du nom des navires alloués, et il vous appartenait d'en attribuer les gérances et d'en fixer les trafics.
Conformément aux dernières indications qui m'avaient été données, au cours des dernières communications téléphoniques que j'avais pu avoir avec les directeurs de votre Ministère, et étant donné le programme considérable des importations d'acier des États-Unis, j'ai affecté au trafic de l'Atlantique Nord et en gérance à la Compagnie générale transatlantique, tous les navires que leur position et leur tonnage rendaient aptes à ce voyage. Ceux qui se trouvaient en Extrême-Orient ont été affectés au trafic d'Indochine, et la gérance attribuée aux Messageries maritimes et aux Chargeurs réunis.
C'est ainsi que se présentait la situation à la date de la demande d'armistice.
Dès la signature de l'armistice, la plus grande partie des navires, qui avaient été attribués ou que nous devions prendre en time-charter, devenait inutilisable pour les raisons suivantes :
Les gouvernements hollandais et norvégiens, qui continuaient la guerre aux côtés de l'Angleterre, se voyaient contraints de refuser l'autorisation, à leurs navires, de naviguer à destination des ports français ;
Les accords signés conjointement par l'Angleterre et la France avec ces pays, avaient été négociés pour la poursuite de la guerre. Le gouvernement britannique estimait, en conséquence, que les navires faisant l'objet de cet accord devaient être utilisés entièrement aux transports pour la Grande-Bretagne, et ne pouvaient être autorisés à naviguer à destination des ports français ;
Tous ces bateaux étaient assurés, ou réassurés, par le War Risks Insurance Office, et le gouvernement britannique se refusait à couvrir des voyages sur les ports français. Toute la flotte des navires attribués à la France risquait donc de n'être plus assurée du jour au lendemain ;
Les autorités britanniques, enfin, interceptaient sur toutes les mers du monde, les navires à destination des ports français, et les dirigeaient sur des ports britanniques.
D'autre part, pour les navires neutres affectés, en time-charter, par la France, en exécution des accords franco-anglais, le fait, pour l'Angleterre, de refuser de les laisser passer aux bases de contrôle et de résilier les polices d'assurance rendait leur voyage absolument impossible.
De toute façon, ce que je désirais éviter était de faire supporter à notre pays les charges considérables de location de navires, d'assurance, de bonus aux équipages, etc. - qui s'élevaient de 15 à 20 millions par jour - s'il apparaissait que les navires restaient bloqués dans les ports, sans être assurés contre les risques de guerre. D'autre part, le gouvernement français courait un risque considérable en capital, puisque ces navires n'étant plus assurés, les 2 millions de tonnes mises à notre disposition - représentant une valeur de près de 7 à 8 millions de francs, en prenant pour base de calcul la livre sterling à 176 francs.
La restitution des bateaux à leurs armateurs soulevait un certain nombre de questions qui nécessitaient une négociation d'ensemble avec les autorités britanniques. En effet, les points généraux, qui m'apparaissaient comme devant être réglés, étaient les suivants :
Comment éviter que les cargaisons se trouvant à bord des navires interceptés et déroutés par les Anglais, et faisant l'objet de la procédure de prises, ne soient vendues aux enchères, c'est-à-dire presque toujours à un prix inférieur au prix d'achat.
Comment éviter que l'afflux de navires sur le marché, par suite de l'impossibilité de naviguer sur la France, en raison de la position prise par l'Angleterre, n'ait pour résultat un effondrement des frets, et que, de ce fait, la Grande-Bretagne ne décide de reprendre les chartes, que nous étions forcés d'abandonner, à des taux inférieurs, donnant lieu à des réclamations au gouvernement français de dommages et intérêts considérables de la part des armateurs, avec lesquels nous avions signé des chartes-parties.
Comment régler les questions d'assurance de tous ces navires, afin qu'il n'y ait aucune cessation de continuité entre la date à laquelle celle-ci expirait, et la nouvelle date à laquelle elle serait reprise par la Grande-Bretagne. Je ne me reconnaissais pas le droit, en effet, de faire courir à la France le risque de bateaux non-assurés.
Comment essayer de conserver des bateaux neutres pour nos trafics coloniaux.
Comment régler les questions financières découlant tant des engagements du passé, que des accords nouveaux à conclure. Ces questions, dont le point de départ était les Transports maritimes, intéressaient, en fait, toutes les missions, et, plus particulièrement l'attaché financier près l'Ambassade de France.
En pleine liaison avec l'attaché financier, j'ai donc passé, avec le Ministry of Shipping, un premier accord (annexe 2).
Par cet accord, sont transférés à l'Angleterre tous les bateaux alliés, par conséquent, norvégiens et hollandais, dans tous les ports, et est également réglée la question des cargaisons pour éviter leur réquisition. Je vous ai rendu compte des grandes lignes de cet accord dans mon télégramme du 5 juillet, fort de l'accord de principe que vous aviez bien voulu me donner par votre télégramme du 27 juin, répondant aux suggestions que vous portait mon télégramme du 25 juin, en me demandant, en outre, d'essayer de retenir les bateaux neutres sur trafic colonial.
L'accord prévoyait :
que tous les bateaux, en time-charter à la France, se trouvant dans les ports anglais, seraient repris par la Grande-Bretagne, au prix courant, et sans qu'il puisse, par conséquent, y avoir lieu à aucune demande de dommages et intérêts de la part des armateurs,
de même, pour tous les bateaux alliés à l'Angleterre dans tous les ports et pour les bateaux neutres, à l'exception de navires sur trafic colonial français, que j'avais pu réserver pour une discussion ultérieure, afin de ne pas retarder la signature de cet accord,
toutes les cargaisons se trouvant à bord de ces navires rendus, après avoir été déroutés par les autorités britanniques, seraient rachetées au prix courant, fob plus le fret payé, sur la base des taux de compensation britanniques.
Ceci réglait donc sans perte sensible pour la France, la question des navires en time-charter, et leur assurance, ainsi que leurs cargaisons.
En ce qui concernait la reprise des cargaisons, qui se trouvaient à bord des navires étrangers affrétés au voyage, cet accord n'était plus de mon ressort, puisqu'il n'avait plus pour base la livraison des navires en time-charter, qui seule concernait ma mission.
J'avais donc laissé à chaque Mission d'achats le soin de négocier avec le ministère compétent anglais les conditions de reprise de ces cargaisons. Mais, au cours de nos réunions avec la Trésorerie britannique, l'assurance m'avait été donnée que des conditions similaires pourraient être obtenues, et j'en avais ainsi avisé les chefs des différentes Missions (annexe 3).
Après la réalisation de cet accord, j'ai voulu reprendre la question des navires sur trafic colonial.
Mais vous vous rappelez que j'avais attiré votre attention, par mon télégramme du 29 juin, sur les difficultés que je savais devoir rencontrer.
J'ai eu à cet égard la plus grande peine à obtenir une réponse des autorités britanniques, qui ne voulaient, à aucun prix, définir, pour moi, leur politique de blocus vis-à-vis de la France.
Il ne faut pas en effet confondre les accords "Shipping" et "Blocus".
Je vous ai expliqué l'attitude du Ministry of Shipping en ce qui concernait les bateaux neutres, dont il voulait le transfert intégral.
Mais le fait de réclamer ces bateaux n'impliquait pas que le gouvernement britannique rejetait définitivement, et pour toujours, la possibilité de laisser certaines marchandises passer par les bases de contrôle anglaises.
En raison de l'urgence qui s'attachait au règlement des questions d'assurance et de location des navires, il n'était pas possible d'attendre qu'une décision de principe soit prise sur la question du blocus, décision qui pouvait être longue à régler, et de faire, par conséquent, dépendre la situation du "Shipping" de celle de la politique de blocus, entièrement du ressort du Foreign Office.
Quelques jours avant mon départ, le Ministry of Shipping m'avait donné une réponse négative à la demande que je lui avais faite de conserver les navires neutres sur le trafic colonial, et je vous ai télégraphié que la Grande-Bretagne demandait que tous les bateaux alloués à la France en time-charter, en exécution des accords signés par la France et l'Angleterre, lui soient rendus. Je vous en ai informé par mon télégramme du 12 juillet, et j'ai ajouté, d'accord avec le Ministry of Shipping, que si l'Angleterre modifiait sa politique à l'égard de la France, il semblait qu'il n'y aurait pas d'objection majeure à nous laisser reprendre un certain nombre de navires.
En attendant, étant donné :
que le gouvernement anglais refusait de continuer l'assurance de ces bateaux, (annexe 4),
qu'elle refusait de les laisser naviguer à destination de la France et était décidée, pour le moment, à les intercepter,
que la Trésorerie britannique refusait d'avancer à la France les Sterling nécessaires au paiement des locations nouvelles de ces mêmes bateaux,
il m'était apparu qu'il n'y avait d'autre solution que de transférer également ces navires. Mais, étant donné votre télégramme du 27 juin, je ne me reconnaissais pas le droit de le faire sans vous consulter.
J'ai donc pris l'initiative de négocier un nouvel accord spécial (annexe 5), laissant une option de 30 jours, pendant lesquels les navires neutres non livrés à l'Angleterre, se trouvant dans les ports français de la métropole ou des colonies, continueraient à être assurés par le War Risks Insurance Office, étant entendu que, pendant cette période de trente jours, j'aurais le temps de vous entretenir à fond de ce problème, et vous, de prendre votre décision, en pleine connaissance de cause. Si cette décision était conforme à mes suggestions, ces navires devraient être relâchés à destination du port britannique le plus rapproché, et rejoindre ce port dans le même délai de trente jours, délai qui part du 17 juillet, date de la lettre du Ministry of Shipping, qui forme accord, comme vous le constaterez à la lecture de cette annexe n°5.
Avant de partir, j'ai tenu à commencer l'exécution du premier accord signé. Pour la grande majorité des bateaux livrés, je me suis mis d'accord avec le Ministry of Shipping pour décider de la date de reprise des chartes, qui a été, presque toujours, fixée au 28 juin.
J'ai eu, d'autre part, pour conserver à notre pays le bénéfice de cet accord vis-à-vis des armateurs étrangers, des réunions avec les représentants des armateurs de chaque pays ou leurs représentants officiels, suivant les cas, et leur ai indiqué :
que la France leur réglerait tout ce qui leur est dû, et ceci en conformité de l'accord financier passé entre l'attaché financier près l'ambassade de France et la Trésorerie britannique (annexe n°6),
que j'avais l'engagement du Ministry of Shipping pour la reprise, par lui, de nos chartes-parties dans les mêmes termes et aux mêmes conditions, c'est-à-dire sans aucune perte pour eux.
J'ai, pour terminer l'exécution de cet accord, laissé à Londres, dans l'organisation de la Mission des Transports maritimes, un agent, qui, bien au courant de toutes mes négociations, devra régler, tant vis-à-vis du Ministry of Shipping que vis-à-vis des armateurs ou de leurs représentants officiels, tous les détails d'exécution et ajuster tous les comptes de location, sous la surveillance des représentants que l'attaché financier a, lui aussi, laissés sur place.
Si vous acceptez de confirmer cet accord fait par moi, et qui complète l'accord général, pour les navires neutres actuellement affectés aux trafics coloniaux, le résultat de ces différents accords sera que la France aura pu se dégager, sans perte sensible, des 1.900.000 tonnes de navires neutres et alliés qui lui avaient été attribués par les accords franco-anglais ; être créditée par l'Angleterre de toutes les marchandises saisies, au prix courant, au lieu des prix bas qu'aurait pu donner la vente de ces mêmes marchandises aux enchères publiques, après réquisition ; et confirmer à tous les pays alliés et neutres, et plus particulièrement à la Suède, à la Norvège, à la Hollande et à la Grèce, dont nous avions les navires en affrètement, que la France tenait ses engagements et ne les laissait pas seuls en face du Ministry of Shipping, qui aurait pu, sans ces accords amiables, profiter des circonstances nouvelles pour modifier les contrats passés, pour tous les navires qui avaient été attribués à la France.
D'autre part, ainsi que j'ai eu l'occasion de vous l'indiquer plus haut, et dit dans mes télégrammes, j'ai la profonde conviction qu'il sera possible, lorsque la France et l'Angleterre se seront mises d'accord sur le principe de libre commerce de la France avec ses colonies, d'obtenir, soit du Ministry of Shipping, soit même de certains groupements d'armateurs neutres, les navires nécessaires à ce transport.
Profitant des bonnes dispositions du Ministry of Shipping, j'ai essayé de me rendre compte s'il serait possible d'envisager un échange des bateaux français, dans les ports anglais, contre des bateaux anglais se trouvant dans les ports français de la métropole ou des colonies. Je m'en suis ouvert à mes collègues du Ministry of Shipping, et, après quelques jours de réflexion, il m'a été répondu que le gouvernement britannique envisagerait favorablement cette solution, dont la réalisation me paraît pouvoir être poursuivie, si elle entre dans vos vues, et cela malgré la réquisition actuelle des bateaux français dans les ports anglais.
Communications avec New York
Dès le 12 juin, en vue de préparer les importations d'acier, je désirais connaître la situation exacte des transports d'Amérique du Nord. Au cours des mois de juin et de juillet, j'ai dû me mettre en rapport direct avec M. Morin de Linclays, ainsi, d'ailleurs, que j'ai été autorisé à le faire par votre Département, au cours de nos dernières communications téléphoniques.
Comme M. Morin de Linclays n'avait, lui non plus, aucune relation avec votre Département, je lui ai demandé de m'aviser de toutes questions dont il ne pourrait trouver la solution sur place. Ceci vous explique la suite de télégrammes échangés avec lui (annexe 7).
Les différents points traités dans ces télégrammes sont les suivants :
déchaussage
désignation des navires
achats de navires
position des navires
ordres donnés aux navires
Normandie
Comme il ressort de cet échange de télégrammes, j'ai eu l'occasion de donner à M. Morin de Linclays un certain nombre d'instructions qui, je le pense, auront votre agrément.
[Annexe 1]
Ordre de service établi par le ministère de la Marine marchande - direction des Transports maritimes - à l'attention d'Hypolite Worms, en date du 21 mai 1940.
[Annexe 2]
Agreement with regard to ships time-charter by the French government and to the cargoes loaded in those vessels which have been or will be paid for by the French government, en date du 4 juillet 1940.
[Annexe 3]
Note d'Hypolite Worms à l'attention de M. Thibault, chef de la Mission des charbons, en date du 16 juillet 1940.
[Annexe 4]
Note de Sir Cyril Hurcomb, Ministry of Shipping, à l'attention d'Hypolite Worms en date du 17 juillet 1940.
[Annexe 5]
Note du War Risks Insurance Office, Ministry of Shipping, à l'attention d'Hypolite Worms en date du 17 juillet 1940.
[Annexe 6]
Accord financier établi entre Emmanuel Monick et S.D. Waley en date du 6 juillet 1940.