1940.05.25.De Jacques Barnaud.Paris.A Hypolite Worms.Londres.Original
Document original
Dimanche 25 mai
45, bd Haussmann, Paris
Mon cher Hypolite,
J'ai reçu votre lettre ; elle m'a profondément touché. C'est une grande perte pour moi que nous ne soyons pas à côté l'un de l'autre dans ces circonstances, pour nous étayer l'un l'autre, comme nous savons si bien le faire. Mais il est mieux pour nous tous que vous soyez là où vous êtes.
J'ai fait replier sur Nantes la plus grande partie des Services bancaires (environ 75 sur 114 (ou 115 ou 119 ?) personnes, le reste étant mis en congé. De la CHP, environ 18 sur 29. De la SFTP, environ 14 sur 20. La Direction générale charbons a envoyé un échelon sur Bordeaux pour décongestionner Nantes. La DGSM a envoyé un échelon sur Nantes : contrôle en comptabilité - environ 18 personnes - et une autre sur Bordeaux : services techniques et armement.
Mais tous les directeurs et principaux chefs de service sont restés sur place, soit à Paris, soit au Havre. Si une situation se stabilisait de façon quelconque, on aviserait à opérer les regroupements de façon plus logique. J'ai envoyé Michel à Bordeaux et à Nantes pour s'occuper des questions de cantonnement.
Aucune nouvelle de Dunkerque et de Boulogne. Dieppe fortement endommagé mais sans perte de ce personnel. Rien de particulier au Havre, à Rouen et au Trait.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Les raisons profondes, vous les connaissez. Vingt années de politique jouissance, de profiteurs, de paresse, de démagogie, de criailleries, de forfanterie, d'indécision en face d'un peuple sacrifiant tout pour le même but, tendu par une volonté de fer dans le même effort. Et les mêmes personnes, chez nous, qui sont responsables de l'impréparation et qui sont responsables de la guerre, les mêmes qui ont été antimilitaristes et bellicistes, et tous les noms vous montent aux lèvres, à vous comme à moi.
Les raisons immédiates de la rapidité et de l'ampleur de l'échec ? Sans aucun doute la conception qui nous a fait voler avec trois de nos plus belles armées au secours de la Belgique et de la Hollande, à marches forcées, découvrant nos frontières et nos fortifications, pour rencontrer un ennemi qui avait déjà franchi les fortifications de nos alliés.
Les Belges n'avaient pas voulu que nous allions chez eux les premiers. Si nous étions restés sur nos lignes de défense, nous n'aurions pas vu ce que nous voyons.
Et maintenant, nous avons l'impression que les Anglais n'ont pas fait l'effort maximum, qu'ils nous ont envoyé des troupes et du matériel en quantité dérisoire - sauf les avions de bombardement, mais pas ceux de chasse - conservant pour la défense de leur sol, sans comprendre que leur sol, c'est le nôtre.
Notre ami est magnifique, travaille nuit et jour. Nous avons choisi, pour commandant en chef, le meilleur général. Et qui plus est un des plus beaux Français : il est d'une jeunesse et d'une clarté d'intelligence merveilleuses. Nous ne pouvons plus que nous en remettre à lui et à Dieu.
Je vous écrirai de nouveau - pardonnez-moi de ne pas l'avoir fait plus tôt. Bernadette et les enfants sont à Montesquieu. Noisy évacué. Amitiés à Dolly, à Meynial, à Robert et à vous. Très, très affectueusement.
[Signature illisible] Jacques Barnaud