1940.04.19.A Robert Labbé.Londres.Note
Copie
Paris, le 19 avril 1940
Cher Monsieur Labbé,
Je m'excuse de n'avoir pu répondre hier à votre lettre du 15 avril.
Depuis ce moment, j'ai reçu copie de celle que Monsieur H. Worms a adressée au ministre. Je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à ce que "Gaelic Star", qui prend 3.000 T de viandes à Majunga, à destination de la France, charge pour se compléter, 3.000 T de peaux, de suif, de viande en conserves et d'engrais.
Sans doute, il eut mieux valu qu'il prit du manioc à Nossi-Bé, car, pour le moment, c'est ce qui est le plus gênant, mais il n'y a aucun inconvénient grave à ce qu'il prenne autre chose.
Voici un aperçu de la situation à Madagascar et à la Réunion.
D'après nos informations, les Messageries maritimes et Nochap ont laissé en arrière fin mars 65.000 m3, ce qui représente un volume de 6 unités du type de "Ville-de-Majunga". Or, ont été affrétés en time-charter, deux bateaux grecs, et au voyage, 4 autres navires grecs, ce qui donne, à très peu de choses près, soit en plus soit en moins, le volume en retard.
Mais :
- sur les six bateaux grecs précités,"Niritos" a été victime d'un accident en mer du Nord et se trouve immobilisé pour de longs mois,
-"Yiannis", dont la gérance est à Nochap, n'a qu'une faible capacité cubique,
- les 4 bateaux grecs ne pourront pas prendre de marchandises pour les "au-delà" de Marseille, de sorte qu'on risquait, sans l'aide du "Gaelic Star", de ne pas pouvoir faire face aux besoins des ports de l'Atlantique et de la Manche,
- la capacité de nos navires est presque toujours diminuée de celle de l'entrepont, car le ministre des Colonies demande que des travailleurs indigènes ou des troupes (de 800 à 1300 par unité) soient embarqués sur chacune des unités Messageries Maritimes et Nochap. Cette mesure diminue le volume utilisable pour la marchandise, de quart environ,
- le tonnage régulier est encore diminué du fait que fréquemment il y a priorité pour les marchandises que le ministère de l'Armement fait charger ailleurs qu'à Madagascar. C'est ainsi que "Bourbonnais" n'a pris que 500 tonnes à la Grande Ile et s'est rendu à Mombasa pour y prendre 3.339 tonnes de coton, à destination du Havre,
- "Ville de Majunga", qui vient d'arriver au Havre, de l'Océan Indien, a été réquisitionné avec son équipage et Dieu seul sait pour combien de temps.
Mais ce qu'il y a de plus grave, c'est que la campagne des maïs va commencer le mois prochain et je ne vois pas, malgré les avis qui ont été donnés au service navigation de la sous-direction Exploitation, que l'on se soit préoccupé de ce problème.
Enfin, si par hasard, ce qui me paraît absolument impossible, une des unités de la Havraise n'était pas absolument remplie à la Réunion et à Madagascar, pour la France, elle trouverait à Port-Soudan tout ce qu'il faudrait pour la compléter : ce serait évidemment un pis-aller.
Etant donné qu'on vit ici, du moins depuis le début, un peu au jour le jour, et que dès que le retard paraît être sur le point d'être rattrapé quelque part, on le laisse se reconstituer, je crois que d'ici longtemps il y aura tout intérêt pour le pays, sans aucun inconvénient pour Nochap, à ce que, les liners anglais qui viennent à Madagascar, ou dans la région, prennent des "parcels" pour la France.
Veuillez agréer, Cher Monsieur Labbé, l'assurance de mes sentiments cordiaux et dévoués.