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Paris, le 4 juillet 1938

Date de la création :
Raison sociale : "France-Navigation"
Pavillon : Porte la mention I et O liés ensemble (Internationale ouvrière).
Objet : II s'agit de l'exploitation de tous navires de mer.
Siège social : Son siège social était 1, boulevard Haussmann. Il serait transfert d'ici quelque temps au boulevard Malesherbes.
Capital : Le capital était de 1 million à l'origine ; il fut porté à 5 millions de francs en juillet 1937, et il atteint maintenant 11 millions depuis le mois de janvier dernier.
Premiers souscripteurs : Le capital originel fut souscrit à l'American Express, par les neuf actionnaires suivants :
Dauzier Paul, ingénieur électricien : 50 actions de 1.000 F
Delaugère Jean, pilote :100 actions de 1.000 F
Escoli Jean, ingénieur (Marseille) : 225 actions de 1.000 F
Flori Toussaint, chef manoeuvrier : 50 actions de 1.000 F
Fritsch Joseph, ingénieur : 225 actions de 1.000 F
Jubert Marcel, ingénieur (Marseille) : 70 actions de 1.000 F
Legrand René, employé de commerce : 100 actions de 1.000 F
Moissiard Joseph, officier-mécanicien : 100 actions de 1.000 F
Piquemal Jean, ingénieur (Marseille) : 80 actions de 1.000 F
La presse a donné des précisions sur chacun de ces personnages, mais certaines d'entre elles n'ont pu être vérifiées : il semble que celles qui suivent soient bien exactes.
La présidence du Conseil fut confiée à M. Joseph Fritch, 57, rue Charlot à Paris, qui avait, et a probablement encore, la délégation.
M. J. Fritch est né en 1868, à Lagneux, dans l'Ain ; il sortirait de l'Ecole centrale, mais il ne semble pas très au courant des affaires maritimes.
Son adresse, 57, rue Charlot, coïncide avec l'ancienne adresse d'une organisation du Parti communiste. Au surplus, d'après des renseignements venant de sources différentes, il serait propriétaire d'immeubles qui abritent d'autres organismes du Parti. Il est, en même temps, associé-gérant de la société R. L. Fritch, 73, rue Turbigo, transférée au 57, rue Charlot, dont l'objet est la vente d'imperméables.
Conseil d'administration : Les autres administrateurs étaient, à l'origine :
M. Marcel Delaugère, 173, boulevard de la Corderie, Marseille
René Legrand, 1, rue Dante, à Paris
Jean Piquemal, 23, rue Vuffault, Marseille
Paul Dauzier, 3, avenue Coli, Marseille.
Le commissaire aux comptes était M. Lucien Vinges, 4, rue Cartier, Enghien-les-Bains.
Plus tard, est venu M. Augonnet, qui avait acheté avant même la création de "F.N", "Lucie Delmas", pour la somme de quatre millions, et qu'il remit plus tard à "F.N".
A cette occasion, le capital fut porté d'un million à cinq millions, et Augonnet reçut en rémunération de son apport, 3.200 actions ; le surplus ayant été souscrit par des tiers.
Son entrée dans le Conseil coïncide à peu près avec celle de M. Jegou et aussi avec la démission de MM. Dauzier et Delaugère.
M. Augonnet est né le 13 janvier 1900, à Saint-Amand (Cher) et il habite au 121, rue de Turenne. Il fut d'abord manoeuvre dans une maison d'électricité et il devint gérant d'un magasin d'articles de sports "Les Sports", société anonyme créée, le 23 septembre 1933, par le Parti communiste, à capital variable.
Les premiers administrateurs en avaient été précisément M. R. Augonnet, qui habitait à cette époque, 16, rue de la Corderie, et qui se disait métallurgiste, et M. René Legrand - celui qui est maintenant dans "France-Navigation", qui habitait 22, rue Sainte-Marthe.
M. Augonnet n'avait pas un sou vaillant avant d'acheter "Lucie Delmas". Il ferait partie du conseil d'administration de "Ce Soir".
M. René Legrand demeure 1, rue Dante, dans un appartement de la "Famille nouvelle", qui est une société de coopération communiste ayant un restaurant à la même adresse et plusieurs autres dans Paris.
La presse a donné des renseignements qui n'ont pu être vérifiés, sur les autres membres du conseil d'administration.
Origine du capital : La source du capital était mystérieuse mais les renseignements concourent pour lui attribuer les origines suivantes :
a) - PC espagnol poussé, dit-on, par un ancien organisme judéo-allemand, de caractère communiste, qui avait crée et essayé d'exploiter, avant le régime nazi, une affaire similaire.
b) - le gouvernement de Valence, c'est-à-dire, Indelacio Prieto ou mieux Alvarez Buylla, président de la Commission d'achat du gouvernement espagnol et consul général à Marseille.
c) - le Parti communiste français désireux d'aider la section espagnole.
d) - l'organisme central de Moscou.
e) - et enfin la CGT française. On ne peut que rester sceptique en ce qui concerne ce dernier, car s'il était tout naturel qu'il ait aidé la création de "F.N.", singulièrement en facilitant le recrutement des équipages ; en laissant, comme à Rouen, travailler à bord de ses navires, à l'exclusion de tous autres, pendant un mouvement de grève, on n'a, en revanche, aucun indice certain d'une aide pécuniaire.
Personnel sédentaire
Il semble bien que M. Fritch ne soit que le responsable apparent, car son inexpérience en matière de "shipping" ne permet pas de supposer qu'il soit réellement le chef. Celui-ci serait en Suisse, et c'est ce qui expliquerait l'importance du courrier que reçoit "F.N." de Lausanne.
Nombreuses sont, enfin, les lettres provenant de Berlin, de Marseille, de Montauban et... de la Chambre des députés.
Parmi les employés qui sont à Paris, se trouve un jeune homme, lieutenant ou capitaine au Iong-cours, M. Perraudin, qui a servi dans la maison Bigard Frères. Rien ne faisait prévoir son entrée dans "F.N.", en tous cas, elle ne fut point causée par affinités de doctrine. C'est un garçon intelligent, travailleur, qui fera un excellent dirigeant en peu de temps ; mais qui ne possède point beaucoup d'expérience à l'heure actuelle.
Le chef comptable, M. Blary, est de nationalité espagnole.
L'inexpérience, à l'origine, était grande. Naturellement elle s'atténue mais il arrive encore fréquemment que, lorsqu'une question est posée, qui sort de la banalité, le client est prié de s'adresser à Ely. 29-33, qui est le numéro de l'ambassade d'Espagne.
Quoi qu'il en soit, il y a peu de temps encore, le personnel reconnaissait par écrit, tous les quinze jours, qu'il n'était embauché qu'à titre précaire et pour essai.
A la tête du service technique semble être placé M. Dumay.
II s'agit d'un officier mécanicien de la Marine marchande, qui navigua autrefois à bord d'un pétrolier de la société Jupiter ; qui a été contremaître aux Ateliers Terrin à Marseille et qui a laissé partout la trace d'un homme intelligent, honnête, consciencieux et actif. Dans une des maisons où il est passé, son patron, qui l'estimait beaucoup, lui offrit le poste d'ingénieur. Il répondit qu'une acceptation serait contraire à ses principes, et c'est ainsi que l'on sut par l'intéressé lui-même, qu'il était inscrit au Parti communiste.
Ce Monsieur semble avoir créé autour de lui beaucoup de sympathie, même chez ses adversaires politiques.
Personnel naviguant
Peu de renseignements. Plusieurs officiers de diverses compagnies sont rentrés à "F.N.". Les uns, comme de la Nochap, pour affinités politiques ; d'autres, simplement attirés par des avantages spéciaux.
On a tout dit sur le caractère de la discipline à bord ; mais il semble que ce soit à tort que l'on continue à croire qu'il n'y a pas de discipline ; cela fut peut-être exact au début ; il semble que ce ne le soit plus. Tout laisse supposer qu'au contraire il en existe bien une, mais qui est double : l'autorité du capitaine, on effet, dont le champ et l'époque sont strictement limités, et remplacée, quand elle disparaît, ou soutenue (?) quand elle est en action, par celle d'un homme désigné à cet effet. Le danger qui pourrait résulter pour la Marine nationale d'une telle méthode serait d'ailleurs plus redoutable qu'une anarchie relative provenant d'un laisser-aller : une énergique intervention en aurait beaucoup plus vite raison que d'une hiérarchie spéciale.
Agences
Les principales agences sont :
à Rouen - la maison Poissant avec la "Manutention moderne" (coopérative ouvrière, comme stevedore).
à Oran - Le Comptoir oranais de consignation et Joseph Lasry.
à Alger - Le Comptoir algérois de consignation, dont il sera question plus loin.
à Sète - M. Domen, frère du président de la Chambre de commerce.
à Tunis - Comptoir tunisien de Consignation : gérance - Samuel Lasry acconage - René Stewart.
à Sfax - Elie Lasry.
à Sousse - Boccara Frères.
Flotte
Elle se compose des unités suivantes :

Soit 18 navires représentant 68.000 tonnes dw.
Si cette liste comprend quelques petites unités sans valeur, elle compte, en revanche, de beaux et grands cargos de charge et des paquebots. Elle vient de s'enrichir du "Cap Pinède", récemment lancé en Norvège, vraisemblablement par les chantiers Fredristad-Mek-Vaerks et qui a ses chaudières et ses soutes sur le pont arrière, dans le château. La presse a fait grand bruit de cette apparition qui ne constitue cependant pas une innovation.
En attribuant à la tonne dw de cette flotte, une valeur de 3.180 (moyenne entre le prix d'une tonne à la démolition et d'une tonne à la construction pour un cargo de 4 à 5.000 t.) on obtient une somme supérieure à 200.000.000 F. D'aucuns suivent le problème de plus près et considérant chaque unité en particulier arrivent à une estimation voisine de 150.000.000 F.
On dit enfin que "F.N." est sur le point de faire construire un navire aux chantiers de la Société provençale de C.N., navire qui serait spécialement destiné aux transports des fûts :
Assurance
Au début, les bateaux étaient couverts par l'intermédiaire d'un courtier-juré, Léon A. Touchard. Il fut abandonné vers le 5ème ou 6ème navire et le bruit court que depuis cette époque, aucun navire de "F.N." n'est plus couvert. Ce fait mériterait confirmation ou infirmation, car il est important en soi : s'il est exacte en effet, il serait de nature à prouver, à lui tout seul, la présence d'un ou plusieurs gouvernements dans la fourniture des capitaux.
Affrétés
Outre la flotte ci-dessus, "F.N." dispose, à l'heure actuelle, des affrétés suivants :
- "Highwear"
- "Stanrock"
- "Jomar"
- "Hepburn"
- "Lola" ex-"Tuskar"
- "Djebel Antar"
- "Jaron"
- "Prado" ex-"Regina Pacis"
- "Cap Janet" ex-"Brush"
- "La Marsa"
Trafics
II est de notoriété publique, et les créateurs ne l'ont pas caché, que le but qu'ils se proposaient était de venir en aide au gouvernement espagnol. En fait, c'est au ravitaillement de l'Espagne que les navires ont tout d'abord été employés, notamment sur Bilbao, puisque les achats des premières unités ne sont que de peu antérieurs à l'évacuation de cette région.
Mais, depuis, "F.N." a étendu son activité dans bien des directions, notamment dans le trafic France/Algérie, qu'il s'agisse des ports métropolitains du sud ou de ceux du nord. Il est permis de s'en étonner, et bien davantage encore de la composition de la flotte qui ne saurait être plus hétérogène.
S'il faut en croire les renseignements de presse, aussi bien que ceux qui ont pu être obtenus par ailleurs, le programme d'exploitation était, outre le ravitaillement de l'Espagne :
1) le transport éventuel des boeufs russes du sud ;
2) - l'évacuation éventuelle des grands ports espagnols ;
3) - la constitution d'une flotte ouvrière, qui n'a d'ailleurs pas craint de mettre en évidence son pavillon, ce qui montre qu'il ne s'agit pas d'une coopérative à nationalité définie, mais bien d'un organisme international.
4) - et enfin, ce qui est plus grave, le transport de contingents de l'Afrique du Nord - Algérie, Maroc ou Tunisie.
Sans doute, beaucoup sont restés sceptiques quand, pour la première fois, cette nouvelle a été lancée par une presse d'ailleurs extrémiste, et, en effet, on était bien en droit de douter.
La composition même de la flotte conduit à la réflexion, car il faut bien avouer que les apparences ne sont pas faites pour faire repousser la possibilité d'une éventualité qui pouvait être prise, à l'origine, comme le fruit de l'imagination.