1932.03.12.Note (sans émetteur ni destinataire).Crise de la marine
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Le PDF est consultable à la fin du texte.Paris, le 12 mars 1932
La crise si anormale par sa durée et son intensité, que subit notre Marine marchande, a conduit navigateurs et armateurs de toutes catégories, à présenter aux pouvoirs publics une demande d'aide qui, proportionnée à l'importance de cette crise, doit disparaître automatiquement avec elle. Or, à l'origine même de l'examen de cette requête l'idée a été émise que l'octroi éventuel d'un tel soutien ne saurait s'étendre à la navigation du cabotage et du bornage.
Sans doute ne s'agit-il que du cabotage national car il ne peut être question de l'autre - le grand - qui est combattu, non seulement comme le long-cours, par la concurrence du pavillon étranger, mais encore par celle des différents réseaux de chemins de fer européens et il suffit, en fait, que la configuration géographique ne s'y prête qu'un peu pour que ceux-ci absorbent la quasi-totalité des échanges. C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que 13 ans d'efforts n'ont pas réussi à créer un courant maritime de trafic entre la France et la Pologne, malgré des départs fréquents et maintenus sévèrement réguliers, malgré des conditions de prix tout à fait raisonnables.
On peut donc admettre que seuls le cabotage national et le bornage sont en cause, sans doute parce qu'ils bénéficient déjà d'un privilège qui a pour conséquence de les maintenir, au point de vue de la concurrence, sur le plan national.
Une telle observation n'est exacte qu'en apparence et une telle discrimination serait à la fois inopportune et souverainement injuste.
Avant d'essayer de prouver l'exactitude de cette affirmation, peut-être n'est-il pas inutile d'examiner d'un peu près le caractère du petit cabotage - bornage compris - et surtout celui de la clientèle dont il dépend.
Durement concurrencé par le chemin de fer, le petit caboteur vit surtout du transport des marchandises de valeurs relativement faibles et dont l'expédition se fait, la plupart du temps, par lots importants. Il recrute donc sa clientèle chez le producteur-industriel ou agricole - chez le transformateur, ou chez les transitaires de ceux-ci. Mais il la recrute aussi dans l'armement hauturier lui-même car il joue le rôle très important de distributeur et de collecteur puisqu'il répartit dans les différents ports secondaires, denrées et matières plus ou moins pauvres qui ont été apportées dans les grands établissements portuaires, par les navires long-courriers et du cabotage international, de même qu'il cueille, là où ceux-ci ne peuvent aller, à cause de leurs dimensions, le fret qu'il leur apporte dans leurs lieux d'escales. C'est dire que sa fortune est intimement liée avec celle du navire au long-cours et du grand cabotage : il le comprend tellement qu'il s'ingénie à consentir aux tonnages de transbordement qui lui sont offerts, des prix extrêmement modestes, sachant bien que si le navire exportateur ou importateur ne peut tenir, il perdra une partie importante de l'aliment qui le fait vivre. Il le comprend tellement bien qu'il va beaucoup plus loin ; ne pouvant avoir la prétention de se livrer lui-même à l'exploitation coûteuse des lignes au long-cours, il ne manque jamais quand il le peut, de chercher à s'étendre vers le grand cabotage où il peut utiliser les mêmes bateaux et les mêmes méthodes de travail. En fait, les entreprises les plus importantes de cabotage national sont - à l'exception de celles qui exploitent le trafic franco-algérien - des entreprises de cabotage international et réciproquement.
Les deux genres de navigation se tiennent et se complètent et la crise qui frappe la grande navigation ne peut pas ne pas avoir de répercussion sur la petite. A vrai dire, cette dernière a été, jusqu'à la fin de l'année, beaucoup moins touchée que l'autre et cela tient, tout simplement, à ce que notre pays n'ayant subi cette crise que le dernier dans le monde, petit cabotage et bornage avaient conservé intacte la fraction de leurs tonnages résultant du marché intérieur. Mais la pénurie des frets se fait actuellement sentir et, à défaut de statistiques complètes et exactes, on peut dire que sur un certain nombre de lignes déterminées dont le tonnage transporté atteignait 52.000 tonnes pour les mois de janvier et février 1931, il a diminué de 20% pendant les 2 premiers mois de 1932.
Dans cette communauté du sort, il y a déjà là un motif pour ne pas traiter les petits navires autrement que les grands ; on en trouvera un autre dans le fait que l'armateur au cabotage ou au bornage supporte les mêmes frais, les mêmes charges que son collègue hauturier.
Si, se plaçant au point de vue fiscal, on examine le cas du navire, on constate que la différence entre les patentes est insignifiante ; que si les droits de quai sont moitié moins lourds pour le caboteur, comme celui-ci ne reste jamais une semaine sans entrer dans un port, il finit par payer au bout de l'année, des sommes beaucoup plus considérables que les navires plus forts qui naviguent au long-cours.
Le même raisonnement subsiste pour les taxes de péage et quant aux charges fiscales se rapportant au personnel, il n'y a aucune différence entre les deux navigations, que ce soient les versements à la Caisse des gens de mer, les taxes d'apprentissage, etc. ; ou du moins, s'il y en a une, c'est au détriment des petits navires qui, toutes choses égales d'ailleurs, ont des équipages plus nombreux.
A noter, au surplus, qu'au contraire de ses voisins, le cabotage seul paie l'impôt sur les transports (3% ou 4% suivant les cas) et ce serait en vain qu'on essaierait de soutenir qu'en réalité c'est la marchandise qui paie car l'argument n'aurait aucune valeur.
Les tarifs du cabotage sont, en effet, déduits de ceux du chemin de fer avec un écart de 20 à 30% et cet écart doit subsister en entier, c'est-à-dire, après paiement de l'assurance, des frais de statistiques et divers et de l'impôt, de façon qu'il ne représente, en fin de compte, qu'une compensation aux délais plus grands qui sont nécessaires à la voie d'eau : c'est dire que le fret net qui revient au navire, est diminué, de toutes les charges que l'on impose à la marchandise, et le sacrifice est donc bien consenti par l'armateur lui-même.
En ce qui concerne les impôts que nous appellerons "commerciaux", est-il besoin de rappeler que seul encore, le cabotage national qui paie tous les autres, est frappé en outre par l'impôt sur le chiffre d'affaires.
Dans ces conditions, serait-il équitable de frapper d'une exclusive bornage et petit cabotage, sous prétexte qu'un privilège les maintient sur le plan national.
Poser la question est la résoudre si l'on songe que les navigateurs de l'une et de l'autre catégorie doivent équitablement recevoir des salaires équivalents.
Il convient enfin de souligner qu'il serait assez piquant de voir l'État venir en aide, au cours de cette crise, aux grandes compagnies de navigation, à l'exclusion des petites et des particuliers qui sont à la fois propriétaires et capitaines ou subrécargues du navire.
Une telle discrimination serait donc injuste et il est facile de prouver qu'elle serait inopportune.
Pour l'armement hauturier lui-même il y a intérêt à ce que le caboteur et le borneur continuent à naviguer.
Nos établissements portuaires interrogés répondraient certainement qu'ils ont le même avantage à voir soutenir la petite navigation car, bien que cela puisse paraître paradoxal à première vue, les caboteurs sont parmi les premiers qui donnent la vie au port, qui lui fournissent des recettes, qui utilisent intensivement les engins de manutention et les mètres courants des quais, si bien que beaucoup de ports ne pourraient entretenir leur outillage, ni offrir aux grands navires français et étrangers les moyens dont ils ont besoin si le cabotage et le bornage disparaissaient.
C'est un point de vue important qu'il ne faut pas oublier ; mais il en est un autre : si l'armement français et ses collaborateurs navigant ont demandé à l'État de les aider à passer le pénible moment actuel, c'est pour éviter le chômage, c'est-à-dire la misère dans les foyers des travailleurs et aussi la ruine pour un temps peut-être fort long, de notre Marine marchande.
Il ne s'agit donc nullement d'aider les uns ou les autres à lutter contre le pavillon étranger qui se débat dans les mêmes difficultés que le nôtre : dès lors ne paraîtrait-il pas étrange qu'en France, contrairement à ce qui a été fait partout ailleurs, on fît une discrimination entre l'armement qui concurrence l'étranger et l'autre. Un tel geste serait certainement de nature à provoquer des représailles et il est permis de penser que ce n'est point le moment de courir un risque pareil.