1932.01.00.Note (sans émetteur ni destinataire).Armement français
"Note sur l'armement français"
La situation critique de I'armement français mérite l'attention immédiate des pouvoirs publics.
Il y a déjà près de 10 ans que cette industrie souffre ; la crise économique qui déferle sur le monde depuis deux ans est venue rendre cette situation tragique. Il ne faut pas oublier que l'armement français est particulièrement désavantagé par rapport à ses concurrents étrangers par le fait qu'il a, seul, à subir la loi de 8 heures, en plus de lois et de règlements particulièrement onéreux.
Or, la France est un pays protectionniste, mais l'armement est la seule industrie qu'il ne soit pas possible de mettre à l'abri des barrières douanières. L'État se doit donc de protéger sous une autre forme son industrie maritime au même titre que les industries terrestres. Il ne ferait en cela que suivre l'exemple qui lui est donné par les pays étrangers.
Situation actuelle de l'armement
Voici quelle est la situation actuelle de l'armement français.
Un certain nombre de lignes sont subventionnées par I'État. Dans certains cas, le Trésor paie les déficits annuels (services contractuels des Messageries maritimes, Sud-Atlantique), dans d'autres, il verse chaque année des sommes forfaitaires pour Ie maintien des services (Amérique du Nord, Amérique centrale, Algérie, Corse et, demain, la Roumanie).
Le reste de l'armement est libre, mais comme il ne peut plus vivre sans aide, chaque catégorie de navigation a demandé, et dans certains cas, obtenu, depuis un certain temps, assistance et sous des formes différentes. C'est ainsi que les pétroliers reçoivent des primes de l'Office des combustibles liquides, que les navires charbonniers ont obtenu que les services publics affrètent leurs bateaux à des taux supérieurs aux frets mondiaux. De plus, les armateurs de navires frigorifiques demandent des subventions et certains amateurs de lignes régulières paquebots ou mixtes réclament assistance sous une forme ou sous une autre.
Une politique d'ensemble est nécessaire car il n'y a pas de raison de ne pas aider toutes les catégories d'armement et tous les amateurs les uns après les autres ; ils sont tous, petits et grands, également méritants et dans tous les cas l'intérêt national est également en jeu.
D'autre part, le régime des primes et subventions des compagnies contractuelles étant constamment insuffisant, on est obligé de le réviser comme c'est le cas actuellement pour la Compagnie générale transatlantique qui par la réorganisation en cours, se trouvera recevoir assistance de l'État pour ses lignes subventionnées en même temps que pour ses lignes libres.
Programme d'avenir
C'est ce programme d'ensemble qu'il y a lieu d'envisager dans un avenir immédiat.
Il semble qu'on pourrait diviser l'armement en deux catégories :
1°. Armement subventionné
2°. Armement libre
1°. Armement subventionné
Dans cette catégorie entreraient toutes les lignes dites "impériales", celles que l'État estime nécessaire de maintenir, quel qu'en soit le coût et est disposé à en payer l'exploitation quel que puisse en être le déficit, par exemple, les lignes de l'Amérique du Nord et de l'Amérique centrale (de la CGT), de l'Amérique du Sud (Sud-Atlantique), la ligne postale d'Algérie (CGT), d'Égypte (services contractuels des Messageries maritimes), des colonies françaises (services contractuels des Messageries maritimes).
II s'agirait de prendre dans les différents armements déjà subventionnés les lignes postales que l'État veut maintenir coûte que coûte.
II serait constitué avec tous ces éléments une grande société contractuelle avec un conseil d'administration composé, en majorité, de représentants désignés par l'État et pris dans les grandes administrations intéressées (ministères des Finances, des Colonies, des Travaux publics, de la Marine marchande, du Commerce) ou dans les Chambres de commerce des ports, en minorité, d'armateurs choisis, en partie, dans les compagnies gérant actuellement les lignes subventionnées. Un administrateur délégué-directeur général, technicien nommé par l'État, émanation du conseil d'administration, gèrerait la société ayant sous son autorité plusieurs directeurs, un par groupe de lignes, ces directeurs de groupes pouvant être choisis dans le personnel dirigeant actuellement les mêmes lignes. Le schéma qui suit montre comment pourrait fonctionner cette société.
Conseil d'administration Administrateur délégué-directeur général |
|||
Direction Nord-Amérique et Amérique centrale |
Direction Sud-Amérique |
Direction Méditerranée |
Direction Colonies françaises |
Ce regroupement permettrait de fondre tous les services des compagnies existantes : services techniques, réparations, services d'approvisionnements, etc. Il serait ainsi possible de réduire considérablement les frais généraux d'exploitation tels qu'ils existent actuellement dans les différentes compagnies subventionnées.
Les lignes actuellement exploitées par des compagnies subventionnées mais non considérées d'un intérêt national suffisant pour être comprises dans la grande Contractuelle d'État seraient supprimées et remises aux armements libres désirant en continuer l'exploitation pour leur propre compte.
II ne faut toutefois pas perdre de vue que la constitution d'une grande Contractuelle serait difficile à réaliser immédiatement, car il existe déjà des conventions avec certaines compagnies gérantes de lignes contractuelles, avec les Messageries maritimes pour les lignes contractuelles des Messageries maritimes, avec les Chargeurs réunis pour la Sud-Atlantique, qu'il n'est peut-être pas en le pouvoir de l'État de modifier radicalement sans accord préalable. II faudrait donc procéder par étapes.
2°. Armement libre
Pour tout le reste, l'armement restera libre mais l'État devra lui donner une aide pour compenser les droits de douane dont il ne peut bénéficier. Il n'y a, à cet égard, ni à innover, ni à créer ; il n'y a purement et simplement qu'à revenir au régime d'avant-guerre qui a fonctionné au mieux de l'intérêt général pendant de longues années, grâce aux lois de 1904 et 1906. La plus efficace était la loi de 1906 qui accordait à tous les amateurs une compensation par navire et par jour d'armement. Il n'y aurait qu'à prendre la base de 1906 multipliée par un coefficient équivalant à la dépréciation du franc, ce qui permettrait à chaque armateur de toucher tant par tonne et par jour armé. Ce coefficient étant modifié en hausse pour les navires marchant à grande vitesse mais, par contre, réduit suivant l'âge du navire.
Ceci étant, toutes primes, subventions, règlements d'exception s'appliquant actuellement à une partie de l'armement dit armement libre, seraient supprimés.
Ne pourrait, naturellement, bénéficier de la compensation d'armement, la flotte pétrolière qui reçoit déjà sous une autre forme, sa compensation par l'Office des combustibles liquides, conformément aux lois en vigueur.