1927.04.04.De Hypolite Worms.Le Trait.Discours.Lancement du "Loing"
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Le PDF est consultable à la fin du texte.Messieurs,
Permettez-moi de rappeler que ce fut au moment où la bataille de Verdun faisait rage que ce Chantier fut conçu : acte de foi - non point seulement symbolique - dans le succès de nos armes d'abord, dans l'impérissable vitalité économique du pays ensuite !
Les événements ont montré, en 1926, comme en 1918 que cette confiance qu'à lui seul le devoir imposait, était parfaitement justifiée : n'y a-t-il pas là une précieuse leçon pour l'avenir, n'en déplaise aux éternels "Jeans qui pleurent".
En 1921, avait lieu le lancement de la première unité construite ici : un cargo charbonnier, le "Capitaine-Bonelli", commandé par la Marine marchande.
A cette occasion, le jeune chantier était "consacré", si je puis dire, par Monsieur le sous-secrétaire d'État à la Marine marchande de cette époque, l'honorable Monsieur Rio.
Eh bien ! Messieurs, il s'agit encore aujourd'hui d'une "consécration" car "Le-Loing" représente le premier effort des Chantiers du Trait pour la Marine nationale : l'amiral Salaün, chef d'état-major général, a bien voulu accepter de la réaliser, en présidant ce lancement et en y représentant le ministre de la Marine.
Je vous suis infiniment reconnaissant, Amiral, de votre geste bienveillant : vous donnez ainsi une nouvelle preuve ajoutée à tant d'autres, de tout l'intérêt que vous portez, vous que les problèmes militaires assaillent, à toutes les questions dont dépendent la prospérité et la grandeur du pays, et au premier rang desquelles se place celle de l'industrie des constructions navales.
J'imagine, en effet, que vous n'avez pas abandonné, pendant toute une journée, votre dur labeur, pour rechercher une émotion dans le lancement du "Loing", ni même pour le plaisir d'entendre un discours. Dans ma Maison où vous êtes si connu - plusieurs de mes collaborateurs n'ont-ils pas été d'abord les vôtres - on sait de quelle largeur de vue, de quelle lumière s'éclaire votre patriotisme !
En chef que vous êtes, vous savez encourager.
A vrai dire, cette "consécration" dont je viens de parler ne saurait intéresser que la nouvelle branche d'activité de la Maison Worms car ses relations avec la Marine de guerre sont assez anciennes pour qu'on puisse parler plutôt d'un... jubilé.
C'est en 1848 que notre société fut créée. Des recherches effectuées dans nos archives - à la faveur des crises qui parfois viennent malheureusement modérer notre activité -permettent de retrouver le premier contrat conclu entre votre département et ma Maison.
En effet, le 1er mars 1850, le ministre de la Marine lui achetait, pour Cherbourg, 2.050 tonnes de charbon (on disait alors 2.050.000 kilos). Il fallut 18 navires pour transporter ce lot "impressionnant".
Pendant la guerre de Crimée, ces relations deviennent plus étroites : en 1854, la flotte française du Levant est ravitaillée par la Maison de mon grand-père, Hypolite Worms, à Milo, au Pirée, à Gallipoli, à Constantinople, à Bëicos - que voilà, amiral, des noms qui vous sont familiers !
C'est à cette époque que l'Amirauté britannique ayant désigné M. L. G. Gillespy, la Marine française choisit M. Hypolite Worms pour effectuer, à l'exclusion de tous autres, les affrètements nécessaires aux approvisionnements des deux pays avec mission d'enrayer la hausse des frets provoquée par la guerre : ils y réussirent d'ailleurs parfaitement.
Cette confiance accordée par la Marine à la Maison Worms dès son origine est considérée par elle, Messieurs, comme un des titres dont elle croit avoir le droit de s'enorgueillir le plus.
En même temps, d'ailleurs, sa flotte naissante servait au transport du matériel de la Marine, particulièrement en Baltique qui est restée un des principaux champs d'activité de son armement.
Ainsi, pendant 78 années, les relations continuent au cours desquelles les chefs de cette Maison ont été heureux et fiers d'apporter leur collaboration à la Marine chaque fois que celle-ci leur a fait l'honneur de la demander, et c'est par tradition, par atavisme, pourrais-je dire, que s'explique en grande partie, la joie si vive que j'éprouve aujourd'hui en constatant qu'une troisième branche de son activité, celle des constructions navales, peut être mise à sa disposition.
Je m'excuse de cette digression un peu longue, mais elle vous fera mieux comprendre, amiral, le caractère du sentiment de reconnaissance que je garde à Monsieur Leygues, ministre de la Marine, d'avoir daigné se faire représenter ici. Je vous demande de lui en transmettre l'expression de ma gratitude et de le remercier particulièrement d'avoir choisi, pour cette mission, votre haute personnalité.
J'adresse mon salut respectueux et reconnaissant à Monsieur le préfet, dont la présence ici serait une preuve de sa sollicitude pour l'industrie, s'il en était besoin après celles qu'il a données dans toutes les régions où l'a conduit sa belle carrière administrative riche de 30 ans d'expérience.
Merci à vous, Messieurs les sénateurs et députés, d'avoir si aimablement répondu à notre appel, à vous Messieurs de la marine, à vous, amis de Paris et de Rouen, qui avez quitté vos occupations pour venir nous donner une preuve de l'intérêt que vous portez à une industrie vitale pour le pays.
Je n'aurai garde d'oublier M. René Fould, empêché au dernier moment, président de la Société des chantiers et ateliers de Saint-Nazaire, nos associés pour la construction du "Loing" : ce sont eux en effet qui en ont fourni les moteurs Burmeister & Wain que, les premiers, ils ont réalisés en France.
L'intérêt que tous, vous voulez bien nous témoigner, m'autorise, Messieurs, à profiter de votre présence au Trait pour vous dire en quelques mots rapides ce qu'un "constructeur de navires moyen" pense de la situation difficile de son industrie et des remèdes que l'on y propose, autour desquels malheureusement les polémiques n'ont point manqué de s'élever !
Un point semble dès maintenant bien acquis : c'est qu'une industrie des constructions navales ne peut subsister en France sans le concours attentif et bienveillant des pouvoirs publics. Mais où les divergences commencent, c'est quand il s'agit de déterminer la forme et le quantum de ce concours. Et je me permettrai de dire à notre ami, M. le Sénateur Brindeau, que même dans les conclusions auxquelles a abouti le 4 février dernier, après de laborieux et méthodiques travaux, cette Commission extra-parlementaire de la Marine marchande qu'il a présidée avec tant d'autorité, ces divergences subsistent sous une forme atténuée.
Vous savez, en effet, que si le vœu présenté par M. le député Morinaud et adopté à l'unanimité se prononce nettement en faveur du rétablissement des primes à la construction, il admet cependant, par suite de la difficulté des temps, l'éventualité d'un certain nombre de mesures provisoires : exonération d'impôts, exonération de droits de douane et organisation du Crédit maritime. Or, Messieurs, laissez-moi vous dire franchement que dans l'état critique où elle se trouve, notre industrie ne pourra peut-être pas attendre aussi longtemps que semble le désirer le gouvernement, la substitution des mesures définitives aux mesures temporaires. Chacun sait quels lourds sacrifices les chantiers ont dû faire ces dernières années pour s'assurer un minimum de travail et il nous serait vraiment impossible de continuer plus longtemps un pareil effort. Aussi, Messieurs, nous vous demandons avec insistance de porter très rapidement le problème de la protection de notre industrie devant les pouvoirs publics, devant le Parlement et devant le pays, non plus sous des formes atténuées, avec les réserves et les précautions usitées jusqu'à présent, mais dans toute sa gravité. Malgré ses énormes charges, je ne puis croire que notre pays désire voir péricliter ses chantiers et que le parlement ne puisse accepter l'idée de discuter du rétablissement des primes si celui-ci est vraiment comme je le crois avec beaucoup d'autres, indispensable au relèvement de la construction navale.
Et si l'opinion à cet égard a besoin d'être instruite et réformée, ne perdons pas une seule minute, Messieurs, à entreprendre la campagne nécessaire. L'étranger nous montre la voie. Tandis que l'Angleterre n'hésite pas à consentir à l'armement des crédits à long terme et à utiliser la puissance que lui donne, dans nombre de pays, ses ressources considérables de crédit, en faveur de ses industries et plus particulièrement de celle de la construction navale, l'Allemagne subventionne directement ses chantiers, et sur tous les marchés du monde, soutenus à fond par leur gouvernement, nous trouvons devant nous les constructeurs italiens. Pour lutter contre cette concurrence active, il nous faut à nous aussi l'appui substantiel des pouvoirs publics.
Une fois que l'on aura compris partout cette nécessité, que les constructeurs seront convaincus, de leur côté, qu'ils peuvent dans un délai raisonnable compter non seulement sur des demi-mesures, mais sur des mesures vraiment efficaces, combien s'atténueront les frictions et les divergences dont je vous parlais tout à l'heure qui se sont produites et se produisent encore (vous rappellerai-je de récentes discussions sur l'admission temporaire ?) entre gens également bien intentionnés, également sincères, également soucieux des intérêts de la Marine marchande et des chantiers.
Nous attirons en particulier l'attention du gouvernement sur le fait que, pour juger sainement de notre véritable situation, il ne faut point trop s'illusionner sur les avantages que nous avons pu retirer des commandes reçues de l'étranger, dont l'ère semble d'ailleurs suspendue pour une longue période de temps au moins pour la Marine marchande.
Peut-être, en effet, dans le désir de nous assurer des marchés qui semblaient s'ouvrir à nous, sommes-nous allés à la bataille des prix de revient internationaux avec trop d'optimisme. En fait, je ne crois pas que les chantiers qui ont construit pour l'extérieur, pareils en cela à ceux qui ont travaillé pour le marché intérieur, s'en soient tirés sans perte, d'autant plus que nos clients étrangers n'ont point manqué de tirer de nous le maximum et que nous avons tenu spontanément à donner aux navires exportés, en coûtât-il un peu plus d'argent, la marque et le cachet du pays. Aussi, nous serait-il pénible de voir différer les mesures de protection de la construction en tirant prétexte de l'apparente prospérité des chantiers qui travaillent pour l'exportation.
Je demande également aux pouvoirs publics de se rendre compte dans la considération de nos prix de revient qu'une terrible lutte pour l'existence a entraîné les constructeurs, ces dernières années, dans une concurrence sans merci et qu'il convient de rétablir dans les esprits la notion du juste bénéfice. Il n'est désirable pour personne que nous nous appauvrissions au point de ne pouvoir entretenir et renouveler notre matériel ni suivre les progrès de la technique moderne ; il faut également éviter que les capitaux ne se détournent définitivement d'une industrie susceptible de jouer en défense nationale un rôle de premier plan. Aussi, nous parait-il tout à fait légitime que nous revendiquions de travailler avec une marge raisonnable de profit.
"Aide-toi, le ciel t'aidera", Messieurs, les constructeurs de navires, depuis de longues années, luttent par eux-mêmes et bien que l'os à ronger soit fort maigre, ils ne répugnent point à essayer dans toute la mesure du possible à perfectionner leurs méthodes de travail en commun. Mais il faut aussi qu'on nous aide du dehors. Du dehors, c'est-à-dire d'abord de la part de certaines industries sœurs qui n'ont peut-être pas encore compris complètement tout ce qu'elles pouvaient faire pour nous sans qu'il leur en coûtât un bien gros sacrifice. Je fais allusion en particulier à la métallurgie qui doit pouvoir nous fournir les tôles et les profilés, non point seulement au cours mondial d'exportation, mais même au-dessous de ce cours.
Le contingent qui nous est nécessaire n'est pas tellement important qu'on ne puisse en réaliser très facilement la péréquation sur l'ensemble du tonnage métallurgique. Déjà, il y a quelques années, un essai fort intéressant a été fait ; nous demandons à nos collègues métallurgistes de renouveler cet essai le plus tôt possible, en se rendant compte que notre industrie étant une des industries de transformation les plus poussées, le seul fait que nous sommes prospères rend prospères avec nous une foule d'autres constructeurs et permet l'absorption d'une main d'œuvre totale considérable. D'ailleurs cette première entre-aide, venue du monde industriel lui-même, ne saurait manquer d'inciter les pouvoirs publics à hâter l'adoption des autres mesures de protection.
Je n'ai, Messieurs, voulu faire ici aucune oeuvre de polémique, mais vous dire très franchement ce que je pense ; j'ai confiance qu'à quelque titre que vous m'ayez entendu vous voudrez bien nous apporter votre bienveillance et votre aide afin que notre industrie, si chancelante aujourd'hui et si menacée de toutes parts, retrouve enfin la sécurité et la stabilité nécessaires à son existence.