1918.01.13.Au ministre de la Marine marchande
[Courrier provenant du volume 479 (5 janvier au 14 janvier 1918) des copies de lettres émises par Worms & Cie Paris - le texte a été retranscrit manuellement.]
13 janvier 1918
Ministre de la Marine marchande
Hier matin, nous étions avisés par notre Maison de Bordeaux que notre vapeur "Château-Lafite" avait été attaqué et coulé, le matin même, à 5 milles au nord de Penmarch ; elle l'avait appris du commandant de la Marine à Bordeaux.
Ne pouvant obtenir de communication téléphonique avec notre Maison de Brest, pour avoir de plus amples renseignements, nous envoyâmes dans l'après-midi un de nos directeurs à votre ministère, et il lui fut répondu qu'on n'avait aucune nouvelle fâcheuse au sujet de notre vapeur et que l'avis du commandant de la Marine à Bordeaux était certainement le résultat d'une erreur. Par conséquent, à 3 h 40 de l'après-midi, vos services ne savaient encore rien sur ce sinistre.
Nous renvoyâmes notre directeur une heure plus tard et à ce moment-là (4 h 30) on lui communique un télégramme qu'un sémaphore avait transmis du capitaine de notre navire signalant qu'à 5 h du matin il se remplissait d'eau, c'est tout ce qu'on savait.
A 7 h 30 du soir nous avons fini par obtenir la communication avec notre Maison de Brest, elle nous signala que le capitaine de notre autre vapeur, le "Margaux", qui avec une équipe spéciale à bord, précédait de 300 mètres notre "Château-Lafite", avait entendu à 4 heures du matin 4 coups de canon, était revenu en arrière, mais ni voyant rien par suite de la brume, avait continué son chemin. Il faut croire que le "Château-Lafite" faisait de même puisque ce n'est qu'une heure plus tard qu'il signalait se remplir d'eau. Notre Maison de Brest ajoutait avoir depuis appris que 19 hommes de l'équipage avaient été débarqués à Audierne, mais que le capitaine, avec 5 officiers ou hommes, était resté à bord pour essayer de sauver son bateau. Nous avons compris également qu'on avait envoyé de Brest des patrouilleurs et un remorqueur à la recherche de notre "Château-Lafite".
N'ayant toujours rien de vos Services notre Sieur H. Worms, qui n'avait pas quitté son bureau, leur téléphona, hier à 11 heures du soir, pour demander des nouvelles. On lui répéta le télégramme que nous connaissions déjà, à savoir qu'à 5 heures du matin le capitaine du "Château-Lafite" signalait qu'il se remplissait d'eau.
Par conséquent on ne savait rien au ministère de la Marine, à ce moment-là, du "Château-Lafite", attaqué à 20 milles de Brest, 18 heures auparavant, en dehors d'un massage du capitaine qui avait mis 12 heures à arriver, et que nous connaissions nous-mêmes depuis le matin.
C'est seulement aujourd'hui à 10 heures, que sans autre nouvelle, nous avons appris, en téléphonant à votre ministère que notre vapeur avait été coulé, d'après les informations qu'on avait eues pendant la nuit.
Nous en sommes encore à nous demander quelles mesures ont été prises pour essayer de sauver, et notre bateau, et le capitaine qui était resté à bord avec quelques braves pour faire son devoir.
Nous n'avons pas pour habitude de nous plaindre, Monsieur le Ministre, mais vous jugerez certainement utile de faire faire une enquête sur cette affaire que nous nous permettrons de qualifier de scandaleuse, et nous vous serons très obligés de bien vouloir nous en communiquer le résultat.
Worms & Cie