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Paris, 24 novembre 1915
Monsieur le ministre de la Marine
Paris

Monsieur le ministre,
Notre Maison du Havre, qui a la direction de nos Services maritimes, a été informée hier matin par l'inscription maritime que notre steamer "Haut-Brion" allait être réquisitionné par vous pour effectuer des transports de combustible dans les mêmes conditions que nos deux autres vapeurs "Pontet-Canet" et "Séphora-Worms", et nous avons à présent l'honneur de nous adresser à vous pour vous prier instamment de ne pas donner suite à cette réquisition.
Le "Haut-Brion" dessert avec notre vapeur "Hypolite-Worms" la ligne hebdomadaire que nous avons créée en juillet dernier entre Bristol, Swansea et Le Havre, et dont le trafic est constitué uniquement par des marchandises destinées soit à la Guerre, soit à des fournisseurs travaillant pour compte de la Guerre ; ces deux vapeurs sont devenus insuffisants pour enlever tout le tonnage qui se présente et après leur départ il reste sur les quais de Bristol et de Swansea autant de marchandises qu'il en a été embarqué.
Chaque courrier apporte à notre Maison du Havre des lettres de réclamations de la part de réceptionnaires exposant la situation difficile dans laquelle ils se trouvent pour l'exécution de leurs commandes parce que les matières premières qu'ils attendent par notre ligne ne leur arrivent pas assez vite, ces lettres sont accompagnées d'attestations de l'autorité militaire et nous pouvons donc nous rendre compte de la destination finale des différents envois constituant nos chargements.
C'est ainsi que sur "Haut-Brion" en cours de débarquement et que la Marine songe à réquisitionner, il y a :
210 tonnes de fonte pour la fabrication d'obus,
18 tonnes de tubes en fer pour des lits d'hôpitaux,
300 paquets de tôles qui doivent servir à la confection d'emballages de grenades destinées à la Serbie,
3 tonnes de clous de fers à cheval,
42 tonnes de coton pour la fabrication de tissus commandés par l'intendance,
18 tonnes de tôles ondulées pour le Génie, 400 tonnes de tôles noires à destination des Ateliers de Besançon et de Saint-Dié,
39 tonnes de bois de pin pour la construction des avions (Établissements Nieuport),
sans parler d'un lot de planches réclamé par le génie britannique et de tôles pour l'armée belge.
Enfin de lourdes plaques d'acier à l'adresse de la Société de construction des Batignolles sont si impatiemment attendues qu'un convoyeur militaire est venu ici pour en prendre livraison avec des ordres spéciaux émanant du 4ème Bureau.
Nous croyons que le sous-secrétariat de l'artillerie et des munitions qui suit attentivement le fonctionnement de nos services entre l'Angleterre et la France vous aura éclairé sur l'intérêt que présente au point de vue de la défense nationale le maintien de leur fonctionnement actuel sans qu'il y soit apporté aucun dérangement, et nous espérons en conséquence que vous voudrez bien donner les instructions nécessaires pour que notre vapeur "Haut-Brion" ne soit pas définitivement l'objet de la réquisition qui nous a été annoncée.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l'assurance de notre parfaite considération.

Worms & Cie