1914.09.29.De Worms et Cie Port-Saïd
Worms & C°
Branch houses in Egypt
Port-Saïd, le 29 septembre 1914
Messieurs Worms & Cie Paris
Messieurs,
Marine française
Les cuirassés "Saint-Louis" et "Charlemagne" et le croiseur "Cassini" sont venus charbonner ici, et dès vendredi soir 25 courant le consul de France nous avait avisés confidentiellement d'avoir à tenir prête une assez forte quantité de charbon de Cardiff pour ces unités, sans toutefois pouvoir spécifier l'importance exacte de la livraison que nous aurions à leur faire.
Notre prix de 45 francs avait été télégraphié à Bizerte et tout était apparemment en règle de ce côté, et nous n'avions qu'à fournir les quantités que nous demanderaient ces navires à leur arrivée. Nous nous sommes donc rendus dimanche après-midi à bord du "Saint-Louis" et du "Cassini", arrivés les premiers, mais le Commandant du "Saint-Louis" était indécis s'il prendrait du Cardiff en roches ou des briquettes, et à cause de l'exiguïté et de la mauvaise disposition des soutes de ces navires il paraissait disposé à prendre des briquettes. Il se réservait toutefois de nous faire connaître sa décision après avoir vu le consul de France.
Entretemps et sans nous avoir consultés ni avisés, nos voisins Savon offraient leurs briquettes, à un prix qui par pure coïncidence se trouvait être le même que le nôtre pour le Cardiff. Nous fûmes avisés un peu plus tard par le consulat que le commandant du "Saint-Louis" avait décidé de passer un marché avec nos voisins pour la fourniture de 1.100 tonnes environ de briquettes, soit 150 au "Cassini", 450 au "Saint-Louis" et 500 au "Charlemagne", attendu le jour suivant, mais nous apprîmes en même temps, non sans mécontentement, que MM. Savon avaient réduit leur offre à F 42.50.
M. Skeggs, directeur de la Maison Savon, que nous avons vu hier matin (n'ayant pu le joindre la veille) nous dit en réponse aux observations que nous lui avons faites, qu'il ignorait qu'il dût nous consulter au sujet du prix, et que le consul et la commission lui ayant demandé avec insistance de réduire son offre, qu'on trouvait beaucoup trop élevée pour des briquettes fabriquées sur place, il n'avait pu échapper à l'obligation de consentir à une réduction de F 2.50 par tonne sur son offre de 45 francs. Il ajoute qu'il était sans instructions de sa direction au sujet du prix à coter à la Marine française et il a télégraphié et écrit à Marseille pour rendre compte de cet incident. En attendant qu'il reçoive des instructions précises, qu'il nous a promis de nous communiquer, il s'est engagé à coter pour les prochaines fournitures à la Marine le même prix que nous, soit F 45.
Nous avons eu la surprise et le grand plaisir de recevoir hier après-midi la visite de M. Denys, de la Maison du Havre, lieutenant de vaisseau à bord du "Charlemagne" qui nous charge de le rappeler à votre bon souvenir.
Nous avons pu nous rendre compte de visu à bord du "Charlemagne" de la difficulté qu'il y a de charbonner ce genre de navire en Cardiff en roches. Les trous de soutes sont en effet juste suffisamment grands pour laisser passer une briquette à la fois, et M. Denys qui était avec nous nous a dit que lorsqu'il est impossible de se procurer des briquettes, l'embarquement du charbon se fait par les manches à air.
Au carré du "Charlemagne" nous avons entendu, sans y prendre part, une discussion entre plusieurs officiers au sujet de la validité des contrats passés avec la Marine française à Port-Saïd pour l'année 1914. D'après les uns le contrat est bien devenu caduc du fait de la guerre, mais d'autres soutenaient que, d'après la jurisprudence française, l'état de guerre n'entraîne nullement la caducité des contrats en cours. Il nous semble en effet avoir lu tout dernièrement dans un journal français que les fournisseurs de l'Etat étaient tenus d'exécuter les obligations de leurs contrats, même dans les régions envahies par l'ennemi, mais sans doute il n'en est pas de même pour les contrats passés à l'étranger. Il est possible que ces mêmes navires, qui partent ce soir pour Alexandrie, reviennent ici dans quelques semaines, ou que d'autres unités françaises viennent ici pour convoyer des transports.
Vous voudrez bien nous dire, au besoin par télégramme, si nous devons maintenir le prix de 45 francs par tonne que nous avons coté au consulat de France de conformité avec vos instructions, ou si ce prix vous paraît susceptible d'être modifié.
Veuillez agréer, Messieurs, nos bien sincères salutations.
[Signature illisible]