1914.08.08.De Worms et Cie Bordeaux.A Worms et Cie Le Havre
7, allées de Chartres,
Bordeaux, le 8 août 1914
Messieurs Worms & Cie Le Havre
Messieurs,
Nous avons reçu ce matin vos lettres des 3 & 4 août, relatives aux mesures à prendre en ce qui concerne nos vapeurs.
Nous avions reçu jeudi soir à 6 heures vos deux lettres du 2 août sur le même sujet.
Nous voyons que vous êtes bien d'accord sur la nécessité où nous nous sommes trouvés, bon gré, mal gré, d'arrêter provisoirement tous les mouvements.
Nous tenons à vous faire remarquer que lorsque nous vous avons lancé samedi soir et dimanche matin les dépêches qui ont provoqué votre étonnement, l'arrêt des transports par chemins de fer existait déjà, du fait même de la mobilisation générale, et nous sommes certains que vous comprenez maintenant notre attitude. De même, vous admettrez certainement que si vous devez nous retourner "Emma", à charge de débarquer ici les 445 T qu'il a prises à Bordeaux pour Hambourg, notre proposition de conserver le vapeur ici, était assez naturelle.
Vous savez que nous avons entre temps procédé au débarquement de toutes les marchandises à destination de Bordeaux, chargées sur "Bidassoa", "Fronsac", "Hypolite-Worms", "Suzanne-et-Marie", "Pontet-Canet", "Pomerol" et "Margaux", et nous sommes donc allés de ce côté au devant de vos instructions.
C'est également d'accord avec vous que nous avons procédé au chargement de "Bidassoa" pour Bayonne et que nous commencerons lundi ou mardi le chargement de "Fronsac" pour Nantes et, éventuellement, pour la Pallice.
Nous avons bien noté que dans votre pensée l'arrêt de nos navires ne sera que tout à fait momentané et que vous comptez reprendre dès que possible, soit vos services réguliers, soit tout autre service de port à port qui pourrait être réclamé par le gouvernement.
Vous ajoutez que les navires doivent être tenus de reprendre la mer aussitôt que possible après réarmement. Ici également, nous sommes allés au devant de vos instructions et nous vous référons à ce que nous vous avons écrit les 3, 5 et 6 courant.
Vous savez notamment que nous avons pris sur nous de faire faire le plein des soutes, de conserver les états-majors à bord et de faire mettre les machines en état.
Reste la question des inscrits maritimes et, ici, nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec vous.
Vous nous dites que nous pourrons toujours former facilement nos équipages. Or, voici la situation ce matin vapeur par vapeur :
- "Bidassoa" - équipage non débarqué
Manque : le second mécanicien.
Nous avons désigné pour ce poste, M. Chapelle, second mécanicien de l'"Hypolite-Worms".
- "Fronsac" - équipage débarqué le 4 août
Manque : le second mécanicien que nous remplacerons soit par M. Moyon de "Suzanne-et-Marie", soit par M. Régnier du "Pomerol".
2 matelots, dont un a été blessé et le second a passé sur "Bidassoa" pour compléter l'effectif de ce vapeur.
Un matelot doit partir aujourd'hui.
Les autres hommes sont restés en subsistance à bord et nous ne pensons pas avoir de difficultés pour armer ce vapeur au début de la semaine prochaine.
- "Hypolite-Worms" - équipage débarqué du 4 courant
En dehors de l'état-major, il ne reste à bord de ce vapeur que :
1 matelot,
1 novice,
1 mousse,
2 chauffeurs, que nous avons fait embarquer aujourd'hui pour les travaux de mise en état de la machine.
Nous avons préféré faire embarquer ces deux hommes plutôt que de les payer à la journée, à cause des risques d'accidents et de leurs conséquences, pour des hommes non assurés. Nous avons appliqué du reste cette mesure sur tous les bateaux, pour ceux des hommes conservés pour les travaux du bord.
- "Suzanne-et-Marie" - équipage débarqué le 5 courant
Manque (mobilisés) :
3me mécanicien,
1 matelot,
3 chauffeurs,
1 soutier.
Demandent à partir dès aujourd'hui:
3 matelots,
1 mousse,
1 soutier.
- "Pontet-Canet" - équipage débarqué le 5 courant
Sont partis hier:
1 maître d'équipage,
3 matelots.
Partira aujourd'hui : 1 matelot.
- "Pomerol" - équipage non débarqué
Manque (partis de leur plein gré) :
1 soutier,
2 matelots.
- "Margaux" - équipage non débarqué
Manque (mobilisés) :
2me mécanicien,
3me mécanicien,
2 matelots,
2 chauffeurs.
1 soutier, parti de son plein gré.
Les deux chauffeurs ont été remplacés, provisoirement, par deux chauffeurs du "Pontet-Canet".
Tous les cuisiniers restent à la disposition jusqu'à nouvel ordre, sauf celui du "Pomerol" qui sera mobilisé lundi.
Nous avons bien reçu ce matin copie de votre circulaire n°377 aux capitaines, ainsi qu'un exemplaire du décret du 26 mai 1913, sur les mesures à prendre en ce qui concerne la navigation en temps de guerre. Nous avons également reçu la lettre que vous avez adressée aux capitaines de chacun des 7 vapeurs présents ici et nous leur avons confirmé vos instructions.
Nous leur avons également fait part de ce que vous nous écrivez au sujet des mesures de sécurité à prendre à bord et nous leur avons confirmé, par écrit, vos ordres, à cet égard.
D'après ce que vous nous écrivez, nous voyons que nous étions dans vos intentions en ne débarquant pas les états-majors, puisque vous dites que la garde doit être assurée par tous les officiers du bord indistinctement.
Nous demandons à la Maison de Bayonne et à la Maison de Nantes, par dépêche, de nous renseigner par la même voie, sur l'état de l'éclairage et du balisage de ces deux ports, ce sont, en effet, ceux qui nous intéressent spécialement pour le moment.
Pour votre gouverne, le s/s "Fauvette" de la General Steam Navigation C° part ce soir de Bordeaux pour Londres ; il est bondé de passagers en surnombre.
La ligne Moss a suspendu ses services et "Vendée" reste ici.
De même, la ligne Hutchison arrête, provisoirement, ses vapeurs : il n'y en a pas dans notre port.
Le "Brestois", de la maison Chevillotte Frères, est ici depuis le 1er courant et a désarmé.
Les Vapeurs du Nord ont également ici, depuis la semaine dernière : "Ville-de-Cette" pour Dunkerque, et "Verberckmoes" pour Marseille.
L'"Asie", des Chargeurs réunis, qui devait partir le 5 courant, a été arrêté ici, sur l'ordre du gouvernement, et sera probablement réquisitionné. Les Chargeurs réunis ont deux autres vapeurs du type "Amiral", arrêtés l'un à Pauillac, l'autre sur rade du Verdon. Ils attendent incessamment un autre "Amiral" et le "Formosa" qui seront probablement réquisitionnés.
Le "Saint-André", de la Maison Ballande, est arrêté à Pauillac, sur l'ordre du gouvernement, et doit également être réquisitionné.
Quant à la Transatlantique, ses services sont complètement arrêtés et le gouvernement réquisitionne ou va réquisitionner la plupart de ses unités pour des transports de troupe. C'est ainsi que "Martinique" doit partir aujourd'hui pour le Maroc.
A propos du Maroc, le "Mingrelie", de la Compagnie Paquet, vient d'entrer dans notre port avec un premier convoi d'hommes du Maroc.
Nous vous donnons ces divers renseignements, pour votre gouverne, car ils nous paraissent de nature à vous intéresser.
En ce qui concerne notre flotte, nous sommes désolés d'apprendre par le boulevard Haussmann, que, suivant toutes probabilités, "Listrac" a été saisi par les allemands.
Ceci nous paraît un véritable attentat au droit des gens, car "Listrac" devait quitter Hambourg le 31 juillet, d'après vos feuillets de mouvements, et la guerre n'a été déclarée par l'Allemagne à la France, que le 5 août à 18 h 45. Il est donc certain pour nous que nous aurons droit à des réparations après la fin des hostilités.
D'un autre côté, nous lisons ce matin dans les journaux, un décret qui donne aux vapeurs allemands, actuellement dans les ports français, un délai de 7 jours, à partir de la date dudit décret, c'est-à-dire du 4 août, pour quitter les ports français où ils se trouvent. Il nous semble évident que ce décret n'a été signé que sur l'assurance qu'un décret analogue était signé ou serait signé en Allemagne. Nous devons ajouter qu'en ayant parlé cette après-midi au commandant du port, il nous a déclaré qu'il n'entendait nullement tenir compte de ce décret et qu'il retient les deux vapeurs allemands et le vapeur autrichien qui ont été saisis à Bordeaux.
Nous avons vainement essayé d'avoir quelques renseignements par le commandant du port, sur les raisons exactes qui s'opposent au départ des divers vapeurs des Chargeurs réunis et de la CGT. Par contre, M. de Vial, revenu cet après-midi de Paris, où il vient de passer 12 heures, pour 48 heures de voyage aller et retour, nous a dit que "Martinique" restait ici jusqu'à nouvel ordre, à cause de la présence de deux croiseurs allemands qui se sont réfugiés hier à Vigo. Le gouvernement espagnol leur a donné 24 heures pour partir, sinon, ils devront désarmer ; s'ils partent, ils sont sûrs de leur affaire, car ils sont guettés par six navires de guerre anglais. A ce propos, nous vous répétons que nous ne mettrons en route "Bidassoa" et "Fronsac", qu'après nous être assurés qu'ils ne courent aucun risque.
Veuillez agréer, Messieurs, nos sincères salutations.
[Signature illisible]
PS. Veuillez noter que cet après-midi, un chauffeur du "Pomerol" et le mousse de "Bidassoa" sont partis.
Veuillez noter également qu'on a charbonné aujourd'hui, "Suzanne-et-Marie", qui a pris 100 tonnes gros Cardiff, et "Hypolite-Worms", 16 tonnes même charbon.
Il vous intéressera également de savoir que nos entrepreneurs ont travaillé aujourd'hui avec 40 hommes sur "Margaux", 24 sur "Bidassoa" et 36 sur "Pomerol".
M. Goudchaux nous a dit ce matin au téléphone, que vous nous expédieriez probablement "Michel" aujourd'hui. Nous en attendons confirmation, ainsi que vos instructions pour la cargaison que ce vapeur nous rapporte.