1914.08.05.De Georges Majoux - Worms et Cie Le Havre
Worms & Cie
Le Havre, le 5 août 1914
Messieurs Worms et Cie - Paris
Messieurs,
Nous avons reçu ce matin votre lettre du 3 courant et nous vous confirmons les nôtres des 2, 3 et 4 courant.
Nous avons eu le plaisir de causer au téléphone avec M. Goudchaux et nous avons immédiatement communiqué à M. Michel les nouvelles qu'il nous a données.
Nous attendons le résultat de votre démarche auprès du ministre des Affaires étrangères.
Hier au soir, nous avons causé assez longuement avec Monsieur Auvray, le jeune homme qui avait songé à partir par "Listrac" ; c'est le neveu d'un de nos anciens capitaines, Monsieur Servet, il était à Hambourg depuis deux ans dans une Maison de commission. Le 31 juillet vers midi il a téléphoné à M. Cellier pour demander s'il pourrait obtenir une place à bord ; il lui a été répondu que toutes les cabines étaient prises ; il s'est alors informé de la possibilité d'expédier par notre vapeur ses bagages, mais on lui a dit qu'il était trop tard, tous les papiers étant déjà déposés à l'Administration car le navire devait partir le soir même.
Monsieur Auvray s'est rendu à bord vers 15 h ½ pour solliciter du capitaine la faveur de lui confier sa malle et M. Redon ayant donné son accord, le jeune Français s'est précipité chez lui pour tout boucler, il était de retour à bord à 16 h 1/2, à ce moment là le capitaine lui a dit qu'il était prêt et comptait quitter le quai à 18 h.
Vers 7 h le bruit courait à Hambourg que tout mouvement maritime serait suspendu en raison d'exercices militaires dans l'Elbe.
M. Auvray a pris le train à 23 h 15 et au moment du départ l'employé d'un fournisseur qui livre les approvisionnements à nos vapeurs est venu lui serrer la main lui disant que "Listrac" était bien parti à 18 h après avoir reçu la visite d'une commission maritime ; il paraît que l'on se préoccupait de la présence à bord de jambons et de farines.
A la gare frontière d'Herbesthal tous les voyageurs du train ont dû descendre et parcourir à pied sous escorte, en passant par le village, près d'un kilomètre pour regagner le train belge, ce qui leur a fait supposer qu'il était procédé à la jonction des deux lignes des travaux qu'ils ne pouvaient pas voir, le train de Cologne est arrivé à Paris seulement avec 3 h 1/2 de retard, il était naturellement encombré.
Nous sommes assaillis de demandes de renseignements par les familles de l'équipage et des passagers.
Nous venons de nous mettre d'accord avec la Maison de Bordeaux pour qu'elle expédie "Bidassoa" sur Bayonne et "Fronsac" sur Nantes et nous espérons bien réussir à réorganiser nos services réguliers entre ports français mais ce qui sera difficile ce sera d'effectuer nos manutentions car presque partout la main d'uvre fait défaut. Il serait pourtant bien désirable au point de vue général que des communications soient établies depuis Dunkerque jusqu'à Bayonne et nous étudions en ce moment avec nos collègues ce qu'il serait possible de réaliser.
Nous vous avons priés de faire virer à notre crédit à la Banque de France F 100.000 ; nous préférons cette combinaison à l'envoi d'un chèque qui pourrait ne jamais nous parvenir alors qu'il est absolument sûr que les relations entre les diverses succursales de la Banque de France et Paris sont assurées normalement.
Vous savez sans doute que les Banques privées ne versent plus rien sur les comptes de dépôt sauf les sommes destinées à payer les salaires.
Veuillez agréer, Messieurs, nos salutations empressées.
P.Pon Worms & Cie
Georges Majoux