1979.05.04.De Banque Worms.Discours de Pierre Bazy Cinquantenaire de la banque

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Discours prononcé par Pierre Bazy le 4 mai 1979, cinquantième anniversaire de la Banque

Mes chers amis,
Il y a 30 ans, une réunion semblable, amicale et commémorative rassemblait tous les collaborateurs de la maison Worms et un certain nombre de ses anciens et de ses amis pour célébrer le centenaire de sa fondation par Hypolite Worms.
Lors de cette réunion, la banque que j’ai le grand honneur de présider n’avait que vingt ans. Elle en a cinquante aujourd’hui et durant ces trente années elle a beaucoup changé. Aussi, en ce jour où nous fêtons son cinquantième anniversaire, essayons de nous rappeler d’où elle vient, ce qu’elle est devenue et aussi de nous interroger sur ce qu’elle devrait être demain.
La maison Worms a créé la banque en 1929. Celle-ci a été l’œuvre de milliers d’hommes et de femmes de tous rangs qui ont accompli, à leur place, le travail qui leur était confié. Vous comprendrez que ma première pensée soit pour eux et que mon premier devoir soit de leur exprimer notre reconnaissance.
L’une des chances de la banque fut de trouver pour la conduire dès sa fondation des hommes éminents dont nous devons saluer la mémoire d’autant plus respectueusement qu’ils sont tous disparus aujourd’hui. Je pense, d’abord, à Hypolite Worms qui a eu le premier l’idée de la créer et de vouloir qu’elle soit une banque d’affaires, mais non exclusivement ; à Jacques Barnaud qui a eu la charge de l’organiser et de mettre en place les collaborateurs qui devaient diriger ses différents services ; à Gabriel Leroy-Ladurie qui lui a apporté ses dons de création et ses qualités de rassembleur d’hommes et d’idées. Dès avant la guerre la banque qui n’était encore que les « services bancaires de la maison Worms » avait réussi à occuper une position telle qu’il avait été fait appel à elle pour la création ou la réorganisation de grandes entreprises industrielles ou financières. C’est dire qu’en quelques années la maison Worms et ses services bancaires s’étaient taillé une place de choix parmi les grandes banques d’affaires dont certaines étaient plus que centenaires.
La guerre et la défaite de 1940 apportèrent leurs immenses problèmes et leurs lourdes responsabilités. Il fallut poursuivre et développer les activités bancaires, les déplacer vers la Province encore libre, à Marseille, puis vers l’Outre-mer, à Alger d’abord, puis à Casablanca dans l’immédiat après-guerre. Et, au lendemain de la libération du pays, il fallut faire face aux difficultés qui accompagnent toujours les grands événements nationaux et aux mutations qu’ils entraînent.
C’est à ce moment que la banque a eu la chance que Raymond Meynial prenne en mains ses destinées et qu’en tant que directeur, puis gérant, puis associé de la maison, lui permette, par son intelligence et son caractère, de maîtriser les problèmes de l’heure et de poursuivre son ascension. L’après-guerre fut une période d’intense activité où le caractère de banque d’affaires s’affirme davantage encore et les choses sont allées si vite que lors précisément de la célébration du centenaire de la maison, en 1949, la place des services bancaires de la maison Worms dans l’ensemble des banques privées françaises, si elle n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui, était discutée et apparaissait déjà riche de promesses. Durant ces années, la banque participa à bon nombre de restructurations des affaires industrielles ou financières qui intervinrent à cette époque.
Pour que la banque prenne enfin sa physionomie actuelle, il fallait accroître considérablement ses moyens. C’est ce qui permit sa transformation en société anonyme et l’absorption de ses filiales, la banque industrielle de l’Afrique du Nord et Sofibanque Hoskier. Il fallait aussi l’ouvrir davantage au marché international dont le rôle apparaissait déjà l’essentiel pour notre économie. Ce qui fut fait, notamment par l’entrée dans son capital, aux côtés de la maison Worms, de grandes banques étrangères anglaise, écossaise, allemande, américaine, et c’est un grand plaisir pour moi de saluer ici ceux de leurs dirigeants qui ont bien voulu venir auprès de nous ce soir pour donner sa pleine signification à cette réunion de l’amitié.
C’est encore Raymond Meynial qui joua un rôle déterminant dans cette mutation si profonde de notre maison. Mais je ne saurais oublier la confiance totale et l’appui dont il bénéficia de la part d’Hypolite Worms tant qu’il vécut. Pas davantage ne peut être oublié tout ce que l’expérience et l’amitié de Jacques Barnaud lui apporta. L’un et l’autre, hélas, disparurent avant que l’œuvre ne fut totalement achevée. En ce qui concerne Jacques Barnaud, je pense que vous me permettrez de saisir cette occasion pour exprimer à son fils, Jean, mes sentiments personnels de reconnaissance à l’égard de son père pour tout ce que j’ai appris à ses côtés et pour la bienveillance qu’il me témoigna.
Je ne saurais davantage oublier dans l’expression de ma reconnaissance Guy Brocard et Robert Dubost. L’un, entré dans les services bancaires dès avant la guerre, lui a apporté le bénéfice de son intelligence des problèmes de notre profession et de l’amitié et de l’estime dont l’entourent tous nos confrères, le second, artisan dès après l’armistice de 1940 de notre implantation en Afrique du Nord, a été, aux côtés de Guy Brocard, l’organisateur très actif et compétent de notre banque commerciale et de notre réseau de succursales en province.
Sans vouloir faire une revue complète des activités de la banque dans les domaines industriel et commercial pendant cette époque, je ne saurais passer sous silence la part très importante prise par elle dans le développement d’un grand secteur nouveau, celui des assurances. La politique qui a été conduite depuis une quarantaine d’années a donné à la maison une place de premier rang dans cette branche de l’activité économique nationale et le secteur des assurances constitue désormais un des grands secteurs de la maison aux côtés des affaires maritimes et de la banque. À cette politique a été largement associé et y a pris une très grande part, mon ami, Guy Taittinger, qui fut également président de la banque pendant une trop courte période. Je ne saurais évoquer sa mémoire sans émotion. Depuis plus de 40 ans il était mon ami et notre estime et notre affection étaient réciproques.
Telles furent les principales étapes de ce demi-siècle pour notre banque et tels furent les hommes qui les ont conduites.
Mais la tâche n’est pas terminée. Tous ensemble nous devons travailler à la poursuivre.
Notre force c’est l’esprit qui anime notre maison, esprit qui est fait de loyauté dans les rapports réciproques et d’attachement à une œuvre commune. Nous voulons que chacun puisse exercer toutes les responsabilités permises par ses qualités et que chacun soit considéré comme une personne et non comme un objet. Le respect de la dignité personnelle a toujours été la marque de notre maison.
Le développement auquel nous nous attacherons sera à la fois de maintenir et de développer ce qui existe et d’explorer des voies nouvelles.
Maintenir et développer, cela veut dire que nous resterons fidèles à notre double image de banque d’affaires et de banque commerciale qui se soutiennent et se renforcent l’une l’autre. Cela veut dire aussi que nous apporterons la collaboration la plus active aux autres départements de la maison en les assistant non seulement dans leur gestion mais aussi dans leur développement et dans leur évolution.
Je pense particulièrement à la Compagnie navale Worms, aux destins de laquelle préside avec tant de compétence et de sûreté Jean Barnaud, au groupe d’assurances dont j’ai déjà parlé et à la société Pechelbronn qui regroupe également sous la direction dynamique de Nicholas Clive Worms bon nombre de nos participations industrielles. À ces sociétés sœurs nous devons apporter notre concours de la même façon qu’elles nous fournissent le leur sur le plan de l’ouverture et des moyens. Nous ne devons jamais oublier que nous faisons partie d’un groupe et que, grâce à lui, nous sommes plus forts que nous le serions si nous étions isolés.
Explorer des voies nouvelles, cela veut dire en priorité et avec toute la prudence et les connaissances nécessaires, nous ouvrir encore plus vers l’extérieur. Le monde actuel n’est pas seulement la France, l’Europe occidentale, la méditerranée, comme ce fut le cas depuis quelques millénaires. Ce n’est plus seulement le Nouveau monde, ces Amériques vieilles de cinq siècles et l’Océan atlantique qui a été le centre du monde depuis deux cents ans. Ce sont aussi ces pays qui grandissent en Afrique, au Moyen-Orient, et autour des deux océans du vingt-et-unième siècle, l’Océan indien et l’Océan pacifique. Nous devons savoir dépasser nos champs et nos bornes. La maison l’a toujours fait. Quand son fondateur l’entraînait sur le canal de Suez, il y a près de 120 ans, il l’ouvrait avec prescience et audace sur le monde lointain. Mes associés, Jean Barnaud, Nicholas Clive Worms et moi-même avons certes un attachement charnel pour notre pays, mais nous savons que rien de grand ne s’accomplit si l’on n’est pas capable d’accompagner l’avenir. Si l’avenir c’est toujours la terre de France qu’il faut enrichir, c’est aussi ce monde qui devient chaque jour plus petit et qui fait que Hong Kong est infiniment plus près de Paris en 1979 que ne l’était Port-Saïd il y a cent ans. La France telle qu’elle est ne peut se développer et s’épanouir que si elle est largement ouverte sur le monde. La position géographique de notre pays, la tradition de notre maison, les moyens dont nos disposons nous donnent vocation à exercer dans cette voie un rôle utile et, je l’espère, fructueux pour notre maison comme pour notre pays.
Que les plus jeunes d’entre vous y songent. Paul Valéry a parlé du monde fini. Il avait raison s’il voulait dire qu’il était entièrement découvert et connu au début du siècle, mais il avait raison aussi d’ajouter que le temps de ce monde fini commençait. Il commençait, c’est-à-dire qu’après avoir été entièrement exploré, il fallait maintenant le bâtir. C’est à cette construction qu’une banque et une maison comme les nôtres doivent participer, et ceux d’entre vous qui ont le privilège de la jeunesse doivent être heureux de prendre leur place dans cette nouvelle aventure.
En ce jour où nous célébrons notre passé, où nous nous souvenons avec reconnaissance de ceux qui l’ont fait, qu’ils soient morts ou vivants, vous comprendrez que mon dernier mot et mon dernier souhait soient pour espérer que l’avenir que nous bâtirons ensemble soit digne de ce passé.
 

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