1968.01.00.De la Compagnie nationale de navigation.Plaquette de présentation

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Compagnie nationale de navigation
Société des transports maritimes pétroliers

N° 3, janvier 1968

Un peu d’histoire à propos de la Compagnie nationale de navigation
Par Pierre Valdant, secrétaire général

3e époque : 1945 à 1962[1]

La renaissance de la Compagnie nationale de navigation fut lente car, au lendemain de la guerre 1939-1945 les destructions, les prélèvements effectués par les Allemands touchaient tous les secteurs de l’économie. La reconstitution du matériel et des moyens financiers, condition nécessaire pour permettre d’autres développements, fut entreprise progressivement et méthodiquement sans perdre de temps.
Le "Vendémiaire", échoué à Lavera après avoir été incendié, la machine étant détruite et noyée, ne termina son rôle peu glorieux d’appontement qu’en février 1945 ; il fut renfloué et remorqué à Port-de-Bouc, puis à Marseille. Les très importantes réparations et rénovations furent retardées par la fourniture des tôles, câbles, tubes, machines, turbines, pour lesquels l’industrie française avait des difficultés de fabrication en ces dures années de 1945-1946. Ce n’est donc qu’en juin 1946 que le Vendémiaire put quitter Marseille ; hélas, l’opération eut lieu de nuit, le phare du Planier était détruit et le navire alla s’échouer devant les rochers du phare. Finalement, le "Vendémiaire", rajeuni malgré ses 17 ans, reprit du service en novembre 1946 ; son premier voyage fut Haïfa.
Parallèlement, depuis 1945, des négociations étaient menées entre les USA et la France, pour mettre à la disposition de notre pays un certain nombre de navires pétroliers nécessaires pour le relèvement de notre Marine.
En février 1947, la CNN, tout comme la STMP, demanda l’acquisition d’un T2 et, dès avril, plusieurs membres de nos sociétés partirent aux USA pour prendre livraison de ces navires. M. Salomon, chef du service technique, remplacé peu de mois après par M. Bontemps ; M. Fauveau, entré depuis le début de l’année à la CNN comme attaché à la direction, chargé des fonctions de capitaine d’armement, le commandant Péné, M. Durand, chef mécanicien, suivis peu de temps après par le commandant Le Dantec et par M. Sorin. Le chef de la mission navale française aux USA était M. Poirier, alors ingénieur en chef du génie maritime, il remit deux T2 affrétés à nos compagnies. Ces navires, qui avaient navigué dans le Pacifique pendant la guerre, étaient armés de batteries de DCA, de ponts supplémentaires pour le transport d’avions en caisse ; ils furent transformés pour leur service de paix par un des meilleurs chantiers américains, le « Maryland dry Docks » de Baltimore.
Le « Camp défiance », affecté à la CNN avait le gouvernail quelque peu tordu ; après remise en état complète, il fut baptisé "Lavera", avant de prendre, en 1952, son nom définitif "Ventôse". Le "Lavera", équipage, commandant Hus, second Kraut, chef mécanicien Durand, second Bouché, quitta les USA en septembre 1947, chargea du mazout à Curaçao pour le Havre.
Un second T2, attribué à la CNN quelques mois plus tard, fut baptisé "Nivôse" ; il avait été construit par Kayser (à Swan Island – Portland – Orégon), le grand ingénieur américain qui, faisant de la construction navale préfabriquée en très grande série, permit aux USA d’assurer les transports océaniques, malgré les torpillages allemands.
Il est piquant de constater que, pendant la guerre, ces navires avaient mauvaise réputation, quant à leur solidité. Or, dans le temps de paix, après certaines consolidations de la coque et mis entre des mains expertes, ils ont été utilisés pendant plus de vingt ans, et certains sont encore en service. La propulsion électrique leur assurait une très grande souplesse de manœuvre, la gouverne était excellente, et ils étaient équipés des derniers perfectionnements de l’époque ; sondeur à ultra-sons, radiogoniomètre reliés au compas gyroscopique par exemple ; de même la conduite de la chaufferie était automatique. Le principal inconvénient était d’ordre économique, la consommation dépassait 40 tonnes par 24 heures pour 6.000 CV.
Quoi qu’il en soit, le "Nivôse" dirigé par le commandant Le Dantec, avec M. Hervé pour second, M. Sorin comme chef mécanicien, quitta Corpus Christi le 14 juin 1948 pour le Havre.
Ainsi, début 1948, la CNN disposait d’une flotte déjà solide de 3 unités : le "Vendémiaire" rajeuni, et les deux T2, "Lavera" et "Nivôse". À la déréquisition de la marine de commerce en mars 1948, ces navires furent affrété respectivement pour 5 ans à la Compagnie française de raffinage, à Esso et à la BP.
Désormais, le redémarrage était assuré, la CNN entrait dans la voie d’une exploitation valable sur le plan technique, économique et financier, aussi dans la séance du conseil d’administration en date du 24 juin 1948, « M. le gouverneur Léal, en tant que représentant du ministère de la France d’Outre-mer et M. Counillon, en tant que représentant du ministère des Finances, adressent à la direction et au personnel de la Compagnie leurs félicitations pour les résultats atteints au cours de ces longues années pendant lesquelles la société a traversé une période difficile et les remercient, au nom de leur département des efforts qu’ils ont fournis. »
« Le président prenant motif des 25 ans de service fournis à la Compagnie par son directeur général, M. Pierre Poulain, lui adresse, tant en son nom qu’au nom de la société, ses remerciements. Il souligne combien au cours de ces longues années, la société n’a eu qu’à se féliciter de son activité et de sa compétence. Il est heureux au nom du conseil de lui en apporter le témoignage. »
Il allait de soi que l’équipe dirigeante ne voulait pas rester sur ces lauriers ; sur le plan de la flotte, il fallait obtenir du gouvernement un pétrolier qui compense la perte du "Frimaire" torpillé en mer des Caraïbes le 15 juin 1942 près de Rio Hacha, et prévoir le remplacement du "Vendémiaire" qui, malgré sa remise en état et sa modernisation, ne pouvait plus durer très longtemps. Tout ceci nécessitait des études, des démarches, et surtout des moyens financiers, car si les réparations ou remplacements étaient bien aux frais de l’État, la modernisation et la livraison de navires neufs nécessitaient le versement de soultes très importantes ; il fallait, en outre, payer les annuités de la location-vente des "Nivôse" et "Ventôse".
Le capital de la société fut une première fois augmenté et porté de 26 millions à 32.800.000, en mai 1947, par la conversion des parts de fondateur en actions, à raison de 17 actions pour une part, puis porté de 32.800.000 francs à 55.760.000 francs par l’affectation directe au compte capital de la somme de 22.960.000 francs, prélevée sur le compte de réserves de réévaluation.
En mai 1949, puis en juin 1951 et en juin 1952, nouvelles opérations d’augmentation du capital par utilisation de réserves de réévaluation ou de reconstitution de la flotte ; le capital fut ainsi porté à 820.000.000 de francs. Précisons bien qu’il ne s’agissait pas d’incorporation de bénéfices, mais de réévaluations effectuées dans le cadre des dispositions légales par la mise en harmonie du capital avec la valeur réelle des navires, à leur valeur exprimée en francs de 1949, 1951, 1952, et non pas à celle de leur valeur en 1939, telle qu’elle figurait jusqu’alors au bilan.
Quant aux bénéfices à proprement parler, ils furent utilisés pour payer la modernisation et l’équipement des bateaux anciens : "Vendémiaire", "Nivôse", "Ventôse", puis les soultes à payer sur la construction du nouveau "Frimaire", navire de 15.680 tonnes, construit aux Chantiers d’Odense et mis en service le 12 avril 1951. Ce navire, affrété par la Caltex, fut le premier à être doté d’un radar (Raythéon).
Ainsi reconstituée sur le plan du matériel naval comme sur celui de son bilan, la société avait une solidité financière de bon aloi qui permit deux opérations : d’un côté, dès 1949, les actions furent introduites au marché des courtiers de la bourse ; en effet, il y avait environ 64.000 titres susceptibles d’être négociés. Par ailleurs, le ministère des Finances détenait toujours 46.942 actions provenant de la Banque française de l’Afrique, dont le passif pouvait être éteint par la cession de ces actions ; le volume en était trop important pour faire l’objet d’une vente en bourse. Il fut décidéd que 30.176 actions seraient apportées par l’État à la société nationale d’investissement dans le cadre d’une augmentation de capital. Enfin, 16.766 actions furent cédées, par moitié, à la Caisse des dépôts et consignations et à MM. Worms et Cie. Ces deux groupes possédaient déjà un paquet important de ces titres. Dans ces trois cas, les conditions de la cession furent facilitées par la cotation en bourse.
En conséquence de ces opérations, le conseil d’administration fut progressivement remanié et complété, pour avoir en dehors du président Mieg et du directeur général M. Pierre Poulain, des personnalités ayant appartenu au ministère de la marine marchande, dont la compétence était toujours opportune, et des administrateurs représentant les principaux actionnaires, c’est-à-dire MM. Worms et Cie, le ministère des Finances, la Caisse des dépôts et consignations, le ministère de la France d’Outre-mer – au nom des territoires d’Outre-mer qui représentaient alors les principaux porteurs d’actions – la Société nationale d’investissement.
Désormais, la reconstitution de la flotte et des moyens financiers permettaient un développement très sensible et l’on pouvait profiter au mieux des possibilités d’affrètement et de crédit pour passer de nouvelles commandes.
Le "Brumaire" est lancé aux Chantiers d’Odense le 6 octobre 1952 ayant pour marraine Mme Robert Labbé, épouse de notre administrateur. Ce navire de 19.360 TM, ayant un moteur de 9.200 CV, entre en service le 6 janvier 1953, après des essais réussis en rade d’Elseneur au Danemark, avec le commandant Péné, M. Guezennec comme second et M. Chédot comme chef mécanicien.
Déjà un autre navire est commandé, en France, aux Chantiers du Trait ; c’est le premier qui dépasse les 20.000 tonnes (20.648 TM), il a une turbine de 8.500 CV. Le lancement a lieu le 8 février 1955, la marraine étant Madame Pierre Poulain, il entre en service le 17 mai 1955, il est affecté par Antar ; le premier équipage comportait le commandant Le Dantec, avec pour second J. Pacé qui commençait ainsi sa série de mises en service des nouvelles unités ; le chef mécanicien était Sixte Latorre, qui représente aujourd’hui le comité d’entreprise au conseil d’administration de la STMP.
En compensation, il fallut vendre le Vendémiaire, dont la carrière avait été extrêmement longue et fertile en péripéties puisqu’il avait été lancé en 1929, en Allemagne, sabordé en 1944, refondu en 1946. Un acheteur avait été trouvé : une compagnie libérienne qui déposa une caution de 9.500 livres dans une banque anglaise. Le jour de la livraison du navire en mars 1955, M. Fauveau attendit les acheteurs… mais, en montant à bord du "Vendémiaire", amarré près de Donges, il ne trouva rien d’autre qu’une « chèvre » qui avait utilisé le planchon pour essayer de trouver un peu d’herbe ou de feuillage. Après deux jours d’attente et sans réponse des acquéreurs, il fallut se résigner à encaisser la caution et rechercher un autre acheteur ; le bateau fut enfin vendu en juin 1955.
La flotte de la CNN comportait dès lors 5 unités, s’étageant de 16.747 TM à 20.648 TM, et construits de 1944 à 1955, le tonnage global était de 89.496 TM. En ce début de 1955, la crise des frets était sévère, certains, par prudence, limitaient leurs commandes, d’autres s’engageaient dans des constructions neuves qualifiées de supertankers.

[Photographie ayant pour légende : Lancement du "Pluviose", le 8 février 1955, aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime – Le Trait]

Des négociations engagées avec les Chantiers d’Odense permirent, à la même époque, de commander un nouveau navire auquel fut attribué le nom de "Vendémiaire" ; cette fois, la taille augmentait sensiblement, puisqu’il s’agissait d’un 30.000 tonnes (rappelons que le plus grand navire lancé dans le monde en 1955 dépassait pour la première fois les 50.000 tonnes) ; il y a seulement 10 ans, en 1958, il n’y avait que 13 navires de plus de 50.000 tonnes en service.

[Photographie ayant pour légende : L’ancien T/2 "Ventôse" dans les glaces en Baltique (mai 1956)]

Avec ses 30.000 tonnes, le Vendémiaire paraissait être d’un bon tonnage, sa construction entrait dans le cadre des accords commerciaux franco-danois et permettait l’équilibre des échanges avec le Danemark ; il fut affrété à Esso Standard saf pour 5 ans.
Quelques mois après, toujours en 1955, un deuxième 30.000 tonnes fut commandé, en France, aux Chantiers de La Ciotat ; c’était le premier d’une longue série auprès d’un chantier dont nous sommes devenus les principaux clients.
Devant la crise des frets pétroliers de 1955, la CNN avait réagi avec dynamisme en utilisant tous ses moyens pour commander et affréter deux très grands navires (pour l’époque !) à un moment où une légère remontée des taux d’affrètement rendait l’opération plus aisée.
Survint la première crise de Suez, en octobre 1956, la fermeture du Canal et le détour par Le Cap pendant tout l’hiver 1956-1957 ; les raffineurs surpris par les événements recherchaient du tonnage à tout prix, les cales de construction furent rapidement garnies pour plusieurs années et les prix demandés par les chantiers devenaient très onéreux. Cependant, M. Poulain obtint des Chantiers d’Odense une cale pour 1961, et conclut un affrètement intéressant auprès de la BP. C’est ainsi que fut commandé le "Passy".
Les ressources étaient limitées, les disponibilités étaient engagées par les futurs "Montmartre" et "Vendémiaire", mais la livraison du "Passy" était prévue trois ans après ces deux unités. Pour donner plus de crédit et faciliter la conclusion d’emprunts importants, le capital fut porté à 1.700.000.000 de francs, le 30 octobre 1956, par incorporation des réserves de reconstitution de la flotte.
L’essentiel pendant plusieurs années était d’assurer une bonne gestion, de façon à pouvoir faire face aux importants engagements financiers qui devaient assurer un rajeunissement et une expansion de la flotte ; M. Bontemps s’y employait à Marseille. Il y eut à faire, car le "Ventôse" (T2) fut pris par les glaces entre Kiel et Stockholm, l’avant fut abimé et les tôles de côté malmenées, si bien qu’il fallut plusieurs mois de réparations qui obérèrent le bilan pendant un certain temps.
Enfin, le 17 mai 1958, eut lieu la mise en service du Montmartre, premier navire construit sur la « grande cale » de La Ciotat, et qui avait pour marraine Mme Lachèvre, épouse du sénateur Lachèvre, déjà président de la commission de la marine marchande depuis plusieurs années. Le Montmartre quitta La Ciotat sous la conduite du commandant Kraut, avec pour second le capitaine Adam, et pour chef mécanicien Le Moel.
Le 5 septembre 1958, ce fut le tour du Vendémiaire, à Odense ; commandant Le Dantec, second Fritsch, chef mécanicien Miossec.
Avec ces deux unités, pour la première fois la flotte de la CNN avait atteint et même franchi le cap des 100.000 tonnes : 149.500 TM ; ce record ne sera battu que fin 1965.
Les six navires étant affrétés par Antar, Esso, BP, Caltex, ces groupes les employaient en fonction de leurs besoins dans le monde, si bien qu’ils allaient réellement sur tous les océans, aux quatre coins du monde : Ceylan, Singapour, le Japon, l’Australie, le Venezuela, les États-Unis, les pays scandinaves…
En 1961, le "Passy" fut lancé, puis mis en service (le 18 septembre) ; il était confié au commandant Le Mouellic, le second étant Fritsch, et le chef mécanicien Miossec.
Le tonnage global ne varie pas, car le Nivôse et le Ventôse furent vendus cette même année, le premier à une société des Bermudes, le second à une affaire des Bahamas ; seuls des pavillons jouissant de conditions particulières (équipages, fiscalité) sont en mesure de tenir la concurrence internationale dans des conditions financières satisfaisantes.
Les taux de fret se maintenaient toujours très bas en 1961, les raffineurs disposaient de navires en quantité suffisante, et le renouvellement des chartes devenait très difficile. C’est ainsi que le "Brumaire", affrété à Antar, dut être désarmé du 6 janvier 1961 au 4 mai 1961, date où il fut repris par la BP.
La CNN avait atteint un état de développement enviable avec trois unités de fort tonnage récentes ou neuves, pour lesquelles depuis 1958 elle avait emprunté 3.600.000.000 de francs anciens ; cependant, les difficultés de placement de ses navires risquaient de compromettre le rétablissement spectaculaire entrepris depuis la guerre. (Nous verrons dans la suite de ce rappel historique comment la CNN réussit, une fois de plus, à s’adapter aux réalités économiques).

 

 

[1] V. Bulletins n° 1 et 2.

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