1938.07.22.De Worms & Cie.Au ministère de la défense et de la guerre
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Flotte pétrolière française
I. Situation
1/ en temps de paix :
Dans les deux dernières années, les besoins en carburants de la France ont été les suivants :
|
1936 |
1937 |
Pétrole brut |
6.008.700 |
6.151.700 |
Essence |
581.500 |
614.800 |
Kerosene |
2.000 |
2.500 |
Lubrifiants |
98.600 |
88.000 |
Gasoils et fuel oils |
575.700 |
843.000 |
|
7.266.500 |
7.700.000 |
La France a actuellement en service un tonnage utile en tankers de 392.000 tonnes – dont on trouvera en annexe n° 1 le relevé nominatif, une capacité annuelle de transport « golfe – atlantique français » d’environ 392.000 x 7[1], soit : 2.750.000.
Elle est donc, en temps de paix, tributaire du pavillon étranger pour environ : 5.000.000 t.
2/ en cas de conflit :
La France consommera un tonnage de carburants deux plus important. Le jour même de la mobilisation, elle ne pourra compter :
a) ni sur la flotte britannique, déjà très insuffisante pour assurer le ravitaillement propre de l’Angleterre (le Gouvernement anglais se préoccupe, en ce moment, d’accroître par tous les moyens son tonnage en pétroliers, et il est donc évident que l’intégralité de sa flotte pétrolière sera réservée aux nécessités de la Défense impériale) ;
b) ni sur la flotte américaine à peine en mesure d’assurer le cabotage sur les côtes des USA. Les dispositions prises à la suite de l’acte de neutralité prévoient d’ailleurs qu’aucun tanker ne pourra être utilisé pour l’étranger sans l’autorisation du Gouvernement fédéral.
Restent les flottes neutres, principalement scandinaves, dont on ne peut préjuger l’utilisation Il est seulement évident :
- qu’elles ne seront pas capables de satisfaire les besoins de tous les pays d’Europe.
- qu’elles risquent d’être, dès le début des hostilités, réquisitionnées par les Gouvernements d’Oslo et de Stockholm. À noter que divers projets ont été établis tendant à assurer à la France l’usage d’un tonnage scandinave, en le prenant dès maintenant en time-charter de très longue durée ; il est inutile de démontrer combien de pareilles dispositions seraient illusoires. Au moment où la Défense nationale pourrait avoir à en disposer, ces tankers ne navigueraient plus que suivant des ordres transmis par leurs Gouvernements respectifs.
En résumé, le jour des hostilités et dans le cas le plus favorable, le Gouvernement français ne parviendrait à assurer qu’une très faible partie du tonnage indispensable à la Défense nationale, le reste étant subordonné à des accords avec des Gouvernements étrangers, principalement scandinaves, accords qui comporteraient inévitablement, et des délais désastreux, et des conditions draconiennes.
II. Objet
La présente note se propose d’examiner les conditions auxquelles pourra être créée très rapidement et mise sous pavillon français une flotte pétrolière de 70.000 tonnes de port en lourd, pouvant être portée à 100.000 tonnes.
Nos services techniques ont actuellement connaissance, dans divers pays étrangers, d’un certain nombre de navires sur lesquels ils pourraient obtenir, dans un court délai, des options à des conditions qui semblent a priori favorables.
Ces navires, d’un tonnage moyen d’environ 14.000 tonnes chacun, actuellement à flot depuis dix-huit mois au plus ou en construction, pourront être livrés rapidement. Ils devront être de construction irréprochable et dotés des perfectionnements techniques les plus récents. Ils devront, en outre, remplir les conditions exigées pour être inscrits à la première cote du Bureau Veritas ou du Lloyd register.
Le prix de revient d’une flotte d’ensemble 100.000 tonnes, acquises dans ces conditions, s’établirait à environ £15, par tonne, soit un effort financier global approximatif à prévoir de :
£ 1.500.000.
L’acquisition et la gérance de cette flotte seront assurées par une société dans le cadre de laquelle collaboreront les pouvoirs publics et un groupement de maisons privées.
L’on peut envisager une société en capital au minimum de :
Frs : 25.000.000 environ
destiné à constituer le fonds de roulement et à assurer les frais d’établissement. Le capital sera ainsi réparti :
- 30 % à l’État, sous forme d’actions de capital, souscrites en espèces,
- 70 % au groupe privé, sous forme d’actions de capital, souscrites en espèces.
Toutes dispositions seront prises pour que les actions restent entre les mains de personnes physiques ou morales françaises agréées par l’État et par les autres actionnaires.
Il sera, en outre, créé et remis à l’État un nombre de parts bénéficiaires égal à 20 % du nombre d’actions créées, donnant droit à 25 % du solde disponible après attribution de l’intérêt statutaire aux actions et affectation à la réserve légale et à la réserve spéciale des pourcentages prévus ci-dessous au paragraphe « répartition des bénéfices ». En cas d’augmentation de capital, la Société pourra racheter ces parts en actions à raison d’une action nouvelle pour une part.
Le groupe privé sera constitué par un certain nombre de maisons françaises, d’une surface et d’une qualité propres à donner tous apaisements aux pouvoirs publics et pourra comprendre des armateurs et affréteurs, des entreprises pétrolières et des maisons de banque.
De ce fait, le groupe privé aura qualité :
- pour négocier, avec toutes les garantis de discrétion et de célérité indispensables, l’achat du tonnage disponible dont il a été parlé ci-dessus,
- pour assurer, en temps de paix, la gérance et l’exploitation, dans de bonnes conditions commerciales, de la flotte ainsi constituée,
- pour obtenir les crédits ou assurer l’émission des emprunts – d’ensemble environ £1.500.000 – nécessaires à l’acquisition des navires.
La collaboration de l’État consistera à :
- rendre possible au groupe privé l’obtention de ces crédits en garantissant leur bonne fin ;
- exercer, sur l’activité de la Compagnie, dans l’intérêt de la Défense nationale, le contrôle qu’il jugera utile.
Dès maintenant, les représentants du groupe privé déclarent qu’ils s’efforceront, par tous les moyens en leur pouvoir, de réduire le chiffre pour lequel ils feront appel à cette garantie.
III. Plan financier
a) amortissement
Les £ 1.500.000 de crédits et emprunts doivent être remboursés en quinze ans, période considérée comme normale pour la vie d’un tanker ;
On trouvera, en annexe n°2, un tableau montrant le programme :
- de l’amortissement en quinze annuités fixes de £ 100.000
- et des charges financières calculées sur un taux global de 7 %.
Le groupe privé a bon espoir d’obtenir auprès des constructeurs et des propriétaires de bateaux des délais de paiement :
- s’étendant sur cinq ans,
- portant sur 40 % du montant des navires,
- garantis par une première hypothèque sur les navires, et non par l’État français.
Dans cette hypothèse, les engagements de ce dernier se trouveront donc ramenés à environ £ 900.000 que la Compagnie se procurerait par l’émission d’obligations garanties par l’État.
On trouvera, en annexe n° 3, le plan de l’amortissement financier envisageant un amortissement annuel de :
- £ 120.000 pendant les cinq premières années, réservées uniquement aux vendeurs de navires,
- £ 50.000 pendant les dix années suivantes, réservées aux obligataires, les intérêts sur les sommes dues restant toujours décomptés à 7 %.
b) Garantie de l’État
Il importe absolument, pour la bonne réussite de l’opération, que les souscripteurs éventuels n’aient pas, lors de l’émission, la moindre hésitation quant à la nature et à l’étendue des engagements pris par l’État.
En vert du décret-loi du 17 juin 1938 (JO du 29 juin 1938), l’ONCL est autorisé à apporter son concours financier sous forme de participation en capital, prêts ou garantie de prêts, à des entreprises ayant pour objet le développement de la flotte de navires citernes dans les conditions fixées par le décret du 14 juin 1938. Cet organisme n’a pas encore, à notre connaissance, eu l’occasion de faire appel à l’épargne privée : il sera donc rigoureusement indispensable que, par un texte très précis – une lettre du ministre des Finances au groupe privé, par exemple – l’État confirme que la signature de l’ONCL engage la sienne sans discussion.
c) obligations
Les modalités de l’émission des obligations seront arrêtées en plein accord avec les services qualifiés du ministère des Finances.
d) répartition des bénéfices
Après affectation de 5 % à la réserve légale, il sera réparti :
1/ une somme suffisante pour servir 6 % d’intérêts au capital à titre de premier dividende,
2/ sur le solde, après toutes provisions ou réserves que le Conseil d’administration jugera utile d’effectuer :
a) 10 % au Conseil d’administration,
b) 30 % à une réserve spéciale destinée à éviter de faire jouer la garantie de l’État. Sur cette réserve seront prélevées, en conséquence, les annuités d’amortissement des emprunts garantis par l’État, lorsqu’il sera impossible de faire face au paiement de ces annuités sur les ressources propres de l’exercice. En outre, - avec l’accord du Commissaire du Gouvernement – pourront être prélevées sur cette réserve des sommes destinées à acheter ou à faire construire d’autres navires pétroliers,
3/ sur le solde :
a) 25 % aux parts bénéficiaires attribuées à l’État,
b) 75 % aux actions, à titre de superdividende.
c) droit de contrôle de l’État
L’État désignera pour le représenter au Conseil d’administration un nombre de représentants proportionnel à sa part dans le capital social, deux d’entre eux étant des Commissaires du Gouvernement nommés par décrets rendus : l’un sur la proposition du ministre des Finances, l’autre sur la proposition du ministre des Travaux publics, après avis du Conseil d’administration de l’ONCL. Les prérogatives et attributions des commissaires du Gouvernement seront définies dans les statuts de la société et établies par analogie avec celles en vigueur pour les commissaires du Gouvernement près la Compagnie française des pétroles.
Conclusion
Le projet, dont les grandes lignes viennent d’être exposées, doit permettre de résoudre partiellement le grave problème de l’approvisionnement en carburants de la France en dotant celle-ci, dans un très bref délai, d’un tonnage moderne imporant :
- dont, le jour même de la déclaration de guerre, la Défense nationale sera certaine de pouvoir disposer librement,
- dont l’exploitation, en temps de paix, se poursuivra dans des conditions telles, qu’à moins de bouleversements très profonds sur le marché des frêts dans les années à venir, les comptes d’exploitation se trouveront normalement équilibrés,
- qui peut constituer la première tranche d’un programme qu’il sera à tout moment possible de développer et d’améliorer.
En dehors des avantages d’ordre général qui justifient à eux seuls ce projet, il convient de rappeler que l’État :
D’une part,
Recevra gratuitement un nombre de parts de fondateur égal à 20 % du nombre d’actions créées, lui donnant droit à 25 % des bénéfices dans les conditions prévues ci-dessus ; ces parts lui permettront d’avoir éventuellement, en cas de rachat, une part du capital social beaucoup plus importante que celle qu’il aura souscrite en espèces ;
D’autre part,
N’aura à fournir ni prêts, ni subventions particulières. (La Société devant seulement bénéficier des subventions normales octroyées à tout armateur pétrolier français).
Au terme de cette étude, les représentants du groupe privé se permettent d’attirer à nouveau l’attention des pouvoirs publics sur le fait que le présent projet n’a de chances d’aboutir que si les négociations qui l’entourent sont menées :
- dans le secret le plus absolu. Il est évident que si les propriétaires de tankers connaissaient l’ampleur du programme envisagé, ils élèveraient de telle façon leurs prétentions qu’ils rendraient beaucoup trop onéreuses les acquisitions nécessaires,
- avec la plus grande célérité possible, le groupe privé ayant, sitôt l’accord de principe intervenu entre les pouvoirs publics et lui-même, la tâche particulièrement délicate de mener de front, et les négociations relatives aux achats des navires, et l’obtention des concours financiers indispensables.
22/7/38.
Annexe n° 1
Liste des pétroliers français en service
|
Date de mise en service |
Tonnage utile |
Récapitulation |
I Flotte privée |
|
|
|
1° Pétroliers de moins de 15 ans |
|
|
|
s/s Fibuz |
1929 |
10.500 |
|
s/s Kobad |
1930 |
10.500 |
|
s/s Pallas |
1925 |
7.200 |
|
s/s Rhéa |
1928 |
11.000 |
|
s/s Roxane |
1929 |
11.000 |
|
s/s Général Gassouin |
1926 |
6.000 |
|
s/s Brumaire |
1930 |
11.000 |
|
s/s Pluviose |
1931 |
13.000 |
|
s/s Émile Miguet |
1937 |
21.000 |
|
s/s Shérazade L |
1935 |
18.000 |
|
s/s Marguerite Finaly |
1933 |
17.800 |
|
s/s Vendémiaire |
1929 |
13.000 |
|
s/s Frimaire |
1930 |
13.000 |
|
s/s Henry Desprez |
1932 |
14.800 |
|
s/s Socombel |
1930 |
2.000 |
|
s/s Rexphalte |
1928 |
2.000 |
|
s/s Sphanex |
1928 |
2.000 |
|
s/s Stanasfalt |
1929 |
1.500 |
|
s/s Hélik |
1931 |
3.400 |
|
|
|
|
188.700 |
Pétroliers de plus de 15 ans |
|
|
|
s/s Rakeam |
1923 |
11.000 |
|
s/s Shapur |
1922 |
5.000 |
|
s/s Monique |
1922 |
10.000 |
|
s/s Melpomène |
1923 |
10.000 |
|
s/s Hérope |
1923 |
10.000 |
|
s/s Orphale |
1922 |
8.500 |
|
s/s Ophélie |
1922 |
8.800 |
|
s/s Capitaine Daminni |
1921 |
6.000 |
|
s/s CIP |
1921 |
8.800 |
|
s/s Motrix |
1922 |
8.800 |
|
s/s Président Sergent |
1923 |
6.500 |
|
s/s Sukik |
1915 |
6.300 |
|
s/s Phénix |
1920 |
7.400 |
|
s/s Rigny |
1919 |
2.400 |
|
s/s Arbeshir |
1914 |
7.000 |
|
s/s Massis |
1914 |
6.300 |
|
s/s Aragaz |
1914 |
6.300 |
|
|
|
|
129.400 |
II Marine nationale |
|
|
|
s/s Var |
1918 |
7.800 |
|
s/s Rhône |
1910 |
4.000 |
|
s/s Garonne |
1912 |
6.500 |
|
s/s Dordogne |
1914 |
14.000 |
|
s/s Le Loing |
1927 |
5.500 |
|
s/s Le Niger |
1930 |
8.000 |
|
s/s Le Mékong |
1929 |
8.000 |
|
s/s Nivôse |
1931 |
13.000 |
|
s/s Klohn |
1931 |
8.000 |
|
|
|
|
74.800 |
|
|
|
392.900 |
Annexe n° 2
Amortissement sur 15 ans
|
Capital à rembourser |
Amortissement |
Intérêts |
Total |
1A |
£ 1.500.000 |
£ 100.000 |
£ 105.000 |
£ 205.000 |
2A |
1.400.000 |
100.000 |
98.000 |
198.000 |
3A |
1.300.000 |
100.000 |
91.000 |
191.000 |
4A |
1.200.000 |
100.000 |
84.000 |
184.000 |
5A |
1.100.000 |
100.000 |
77.000 |
177.000 |
6A |
1.000.000 |
100.000 |
70.000 |
170.000 |
7A |
900.000 |
100.000 |
63.000 |
163.000 |
8A |
800.000 |
100.000 |
56.000 |
156.000 |
9A |
700.000 |
100.000 |
49.000 |
149.000 |
10A |
600.000 |
100.000 |
42.000 |
142.000 |
11A |
500.000 |
100.000 |
35.000 |
135.000 |
12A |
400.000 |
100.000 |
28.000 |
128.000 |
13A |
300.000 |
100.000 |
21.000 |
121.000 |
14A |
200.000 |
100.000 |
14.000 |
114.000 |
15A |
100.000 |
100.000 |
7.000 |
107.000 |
Annexe n° 3
|
Sommes dues |
Amortissement |
Intérêts |
Total |
1A |
£ 1.500.000 |
£ 120.000 |
£ 105.000 |
£ 225.000 |
2A |
1.380.000 |
120.000 |
96.600 |
216.600 |
3A |
1.260.000 |
120.000 |
88.200 |
208.200 |
4A |
1.140.000 |
120.000 |
79.800 |
199.800 |
5A |
1.020.000 |
120.000 |
71.400 |
191.400 |
6A |
900.000 |
90.000 |
63.000 |
153.000 |
7A |
810.000 |
90.000 |
56.700 |
146.700 |
8A |
720.000 |
90.000 |
50.400 |
140.400 |
9A |
630.000 |
90.000 |
44.100 |
134.100 |
10A |
540.000 |
90.000 |
37.800 |
127.800 |
11A |
450.000 |
90.000 |
31.500 |
121.500 |
12A |
360.000 |
90.000 |
25.200 |
115.200 |
13A |
270.000 |
90.000 |
18.900 |
108.600 |
14A |
180.000 |
90.000 |
12.600 |
102.600 |
15A |
90.000 |
90.000 |
6.300 |
96.300 |
[1] Chaque navire fait en moyenne 7 voyages par an.