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1955.12.30.De Michel Leroy et Raymond Roche - Worms & Cie.A Louis Vignet.Brochure
Le PDF est consultable à la fin du texte.
[La date du 30 décembre 1955 est indiquée sur la première de couverture.]
A Monsieur Vignet
Cher Monsieur,
Trente-six années d'activité passées au service de la Maison Worms, dont 27 ans à la tête de notre département, c'est beaucoup plus qu'un bail : c'est toute une carrière.
Aussi, ce n'est pas sans mélancolie et émotion que tous sans exception aussi bien à Paris, que dans vos succursales et filiales, nous vous voyons quitter un poste où toute votre vie publique durant, vous avez donné le meilleur de vous-même.
Le meilleur de vous-même : le terme est inexact, mais je n'en trouve pas de plus fort pour exprimer ce que je voudrais dire.
Souvenez-vous, mes chers amis, et j'en appelle aux plus anciens, des années qui ont précédé la guerre où le charbon étant libre, l'on était vraiment « le maître de l'œuvre » pour importer et vendre.
Époque bénie dira-t-on ; c'est exact, mais notre directeur général s'était tellement donné à sa tâche que l'année précédant la guerre de 1939, il y avait laissé sa santé et avait dû, de longs mois durant, abandonner son poste pour se soigner.
Vous rappellerai-je qu'à peine convalescent, et contre l'avis formel des médecins, il avait voulu lors de la déclaration de guerre, reprendre ses fonctions pour ne pas, soi disant, rester à ne rien faire alors que la plupart de ses collaborateurs étaient mobilisés. N'est-ce pas là une illustration frappante de ce que je vous disais il y a un instant : Monsieur Vignet nous a donné le meilleur de lui-même.
La direction générale de notre département a été, cher Monsieur, votre œuvre, votre chose.
Appelé par les associés de notre Maison en 1928 pour la créer, vous l'avez bâtie de toutes pièces, vous l'avez façonnée, vous l'avez faite ce qu'elle est aujourd'hui.
Cela ne s'est pas réalisé au départ sans à-coups, car, nouveau directeur général et jeune par l'âge, vous aviez à faire à des succursales qui, jusqu'à votre arrivée, étaient pratiquement indépendantes et à des directeurs chevronnés dont certains furent de grands directeurs, mais qui ne voyaient pas sans inquiétude une personnalité plus jeune qu'eux, s'insérer entre eux-mêmes et le siège social. Tout en m'excusant de cette liberté de langage, vous avez dû leur faire un peu l'effet « d'un corps étranger ».
Très rapidement cependant, grâce à votre personnalité, à votre tact, à votre dynamisme, la liaison fut établie, l'union réalisée et si vous me permettez cette figure, l'orchestre fin prêt à « attaquer l'ouverture » au premier coup de baguette de son chef.
Vous avez su créer, cher Monsieur, au cours de vos années passées à la Maison Worms, l'esprit d'équipe : ce fameux esprit d'équipe, certes craint, mais toujours envié par beaucoup de nos confrères de l'importation, cet esprit d'équipe qui nous permet de brandir très haut le pavillon de notre Maison.
Il y a quelque temps, l'un de nos confrères me disait à ce propos : « Ce qu'il y a d'ennuyeux dans votre maison, c'est que vous avez tous un W dans le dos ». Quel hommage pour la Maison et pour vous, Cher Monsieur, puisque c'est à vous que nous le devons.
Vous avez demandé aux associés d'être déchargé de vos fonctions : nous ne pouvons que nous incliner devant votre décision, mais vous nous voyez tous peinés pour ne pas dire désespérés, moi le premier, car ce n'est pas sans une réelle émotion que je vois une collaboration intime de près de vingt ans se terminer aujourd'hui alors que je ne vous considérais plus comme un directeur général mais comme un Grand Ami.
Votre décision étant irrévocable, nous nous inclinons donc. Sachez seulement que nous ferons nôtre votre façon de faire, que nous suivrons la ligne que vous nous avez tracée et que l'orchestre que vous avez formé continuera, sans fausses notes je l'espère, à jouer la symphonie que vous avez composée et mise au point.
Notre collègue Roche, m'ayant manifesté son intention de vous dire deux mots, je termine, mais avant de lui passer la parole, permettez-moi encore, cher Monsieur, en mon nom propre et au nom de tout votre personnel, de vous dire du fond du cœur un grand merci pour tout ce que vous avez réalisé et fait pour nous tous.
Michel Leroy
Monsieur,
J'ai récemment eu l'occasion de prendre la parole au cours d'une réunion électorale ; ma tâche s'est révélée fort ingrate car je défendais une cause difficile et j'avais autour de moi des contradicteurs de talent. Ici, dans cette assemblée, le talent n'est pas rare mais ce sont les contradicteurs qui feront défaut. Je suis en effet persuadé de faire autour de moi l'unanimité en m'efforçant d'exprimer les sentiments que nous éprouvons aujourd'hui.
Il me paraît particulièrement approprié que cette manifestation ait lieu à une époque où dans les bureaux, comme dans les familles, petits et grands, sans discrimination d'âge ou de fonction, se sentent plus près les uns des autres et communient dans cet esprit de famille ou mieux d'équipe si joliment évoqué tout à l'heure par Monsieur Leroy. Je m'empresse d'ajouter que cet appoint saisonnier de sympathie n'était certes pas nécessaire mais, s'il n'ajoute rien à la sincérité, il donne une intensité plus grande encore aux émotions que nous ressentons.
Or, pour la première fois depuis les plus ou moins longues années que chacun de nous a passées à la Maison Worms, l'euphorie traditionnelle de fin d'année fait place à un sentiment plus grave et plus profond. Nous avons commencé à l'éprouver dès les premières rumeurs nous faisant présager qu'à la fin de l'année vous quitteriez vos fonctions. Le temps a passé vite et nous voici maintenant au dernier jour de 1955 où il nous est difficile de réaliser que lorsque nous reviendrons au bureau le 3 janvier 1956, ce n'est pas votre voix que nous entendrons en téléphonant au 331 et que ce n'est pas vous qui répondrez lorsque nous frapperons à la porte de la pièce qui dans l'esprit des anciens, restera toujours le « bureau de Monsieur Vignet ».
Pour répondre à l'avance à ce qui constitue certainement l'un de vos vœux les plus chers, qu'il me soit permis, toujours au nom de tous, de vous assurer de la continuité de nos efforts et de notre bonne volonté et de vous affirmer que nous saurons poursuivre sous la direction de Monsieur Leroy l'œuvre entreprise sous votre ferme autorité. Mais, ce qui vous est acquis, Monsieur, c'est l'estime, l'affection et l'admiration de tous ceux qui ont travaillé sous vos ordres ainsi que la fierté d'appartenir à ce Département de la Maison Worms qui a su rester, grâce à vous, le « Senior Service » non seulement par la loi de l'ancienneté, mais par l'Esprit et la Tradition.
Croyez toutefois que ce n'est pas par simple souci de la Tradition, mais bien pour répondre au désir spontanément et unanimement manifesté que nous avons tenu à vous offrir une preuve tangible de nos sentiments.
C'est ainsi que l'ensemble du personnel de Paris, de toutes vos succursales et de vos proches filiales, a bien voulu me confier l'honneur de vous présenter ce souvenir. Nous avions d'abord pensé vous le remettre décoré d'Anthracite, malheureusement nous n'en n'avons pas trouvé d'assez beau à la SACC ; quant aux produits de la SACG, ils risquaient fort de ternir l'éclat du métal précieux. Nous nous sommes alors souvenu que vous aimiez aussi les fleurs et il nous serait agréable que ce bouquet soit l'interprète des sentiments que nous éprouvons pour notre directeur général et envers Madame Vignet vers qui vont également nos pensées ce soir en vous rendant, Monsieur, cet hommage.
Raymond Roche