1965.02.13.Des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime.Note.Projet de fusion
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13 février 1965
Malgré l'évolution défavorable de la construction, la politique des ACSM a dû, depuis 1962 et jusqu'à février 1965, être très prudente et plutôt conservatrice, tant il a fallu concentrer tous les efforts sur la réalisation du méthanier "Jules-Verne" dans un climat social sensibilisé au plus haut point par la menace de fermeture contenue dans la lettre du gouvernement en date du 7 avril 1962.
Cette politique générale de maintien s'est traduite par un chiffre d'affaires et un niveau de travail élevés, et par de lourdes pertes : pertes sur le méthanier, sacrifices consentis sur les commandes prises pour "couvrir" la construction de ce dernier et ainsi rassurer le personnel, suppléments de charges dus au rythme de travail particulièrement fort à certaines époques.
Elle n'a cependant pas fait obstacle à la poursuite d'efforts qui ont été menés avec continuité depuis 1962 dans 3 directions différentes :
- réduction des coûts de production :
- réorganisation profonde de certains services, institution d'un service des méthodes mise en place pour débuter en mars 1965 d'une opération de licenciement de 150 personnes, dont 64 mensuels. En fait, l'écart entre les prix de devis navires des ACSM et ceux des chantiers français et étrangers, marque une diminution très sensible depuis 6 mois ; par suite de l'arrêt total du recrutement, l'effectif se sera réduit de 200 personnes depuis le 1er octobre 1964 quand l'opération de licenciement de 150 hommes sera achevée.
- amélioration des bases techniques et commerciales de la reconversion :
- sur le plan technique : les investissements du chantier ont été affectés pour 75% à la reconversion depuis 1962 ; la mécanique a été confiée à une société indépendante ; la plus grande autonomie possible a été donnée au service des équipements industriels,
- sur le plan commercial : les assises de la reconversion ont été largement étendues et diversifiées (colonnes GEM, Saviem, silos...) et des jalons ont été jetés pour de futurs développements (botteleuses, abattoirs, épuration des eaux de laiterie, constructions préfabriquées, liaisons étroitement établies avec Procofrance, Hydrocarbon, Didier Werke...),
- la reconversion dépasse maintenant largement 30% en chiffre d'affaires et en effectif (250 hommes au SEIT, 90 à CMT) ; les résultats du SEIT se sont continuellement améliorés depuis 1962 ; en mécanique ils restent par contre mauvais,
- recherche de solutions permettant au chantier de sortir de son isolement :
- tentatives de fusion à deux en 1962,
- rapprochement des 4 à partir d'avril 1964.
Le méthanier étant enfin à la veille de prendre la mer, il est évident qu'une politique doit être définie à moyen terme, qu'elle doit être réaliste et qu'il conviendra de la mener avec une grande résolution.
Dans la conjoncture actuelle de la construction navale et des branches de mécanique et de chaudronnerie, quelles sont les solutions possibles ?
On en voit deux. Elles procèdent l'une et l'autre d'un certain nombre d'observations fondamentales :
- le chantier a été conçu pour faire au minimum 2.500.000 heures/an, productions en construction navale, appliquées essentiellement à des navires pétroliers, ce qui impliquait une certaine répétition de navires assez simples et comportant le minimum de travaux de finition. Il n'y a plus de pétroliers à construire de la taille compatible avec les dimensions des cales du Trait et l'évolution de l'armement maritime est telle que la répétition est très rare, s'agissant de navires autres que les pétroliers.
La répétition réapparaît sans doute depuis quelques mois dans la catégorie "car-ferries". Mais ces bateaux comportent des installations de passagers assez importantes pour lesquelles le chantier du Trait n'est pas spécialement bien outillé.
- deux causes sont à la base de la lourdeur, encore très excessive du chantier, malgré les efforts tentés pour l'atténuer :
- l'isolement de tout centre industriel, qui ne permet pas de supprimer ou de réduire autant qu'on le ferait ailleurs les corporations et les services secondaires ;
- l'ampleur et la qualité des travaux qu'ont exigés la construction de sous-marins il y a quelques années, du "Jules-Verne" plus récemment, et la recherche, depuis 2 ans, de bateaux neufs à construire dans des types devenant, par suite des besoins nouveaux des armateurs, de plus en plus divers.
Compte tenu de ces observations, compte tenu également de ce que les ACSM sont réputés pour leur sérieux et la qualité de leurs fabrications, la première solution qui vient à l'esprit n'est pas de mettre un terme à la construction navale au Trait comme le demande le gouvernement ; c'est, au sein d'un regroupement à 4, de transformer le chantier du Trait en un simple établissement de fabrication, que les services centraux de prospection commerciale et de projets, d'études d'exécution et d'approvisionnements déchargeraient d'une part appréciable de ses frais généraux et à qui serait confiée la seule construction de navires de 3.000 à 8.000 tdw si possible, et n'exigeant pas une trop grande part de travaux d'armement.
Le chantier - y compris la reconversion supposée maintenue à son niveau actuel - fonctionnerait alors avec une équipe d'ingénieurs très réduite et accomplirait, compte tenu des quotas limitant dès maintenant ses possibilités de constructions navales, entre 2 millions et 2.500.000 heures productives par an.
Cette solution ne pose pratiquement pas de problème social. Mais il va de soi qu'au point où en sont les choses elle appelle une négociation délicate avec les pouvoirs publics : elle ne peut dès lors être retenue que dans le cadre de la fusion des 4.
A défaut de pouvoir mettre en oeuvre cette première solution, la seconde consistera à abandonner la construction navale et à cantonner l'entreprise dans des activités de reconversion.
Les limites d'une reconversion totale apparaissent cependant devoir être vite atteintes dans le cadre des installations actuelles (bâtiments et moyens de production). Elles se situent approximativement à :
- effectif total : 800, dont 600 ouvriers productifs,
- heures de travail (directement productives) : 1.400.000 par an,
- chiffre d'affaires : 50 à 60 millions francs.
L'équilibre financier de l'entreprise peut-il être trouvé sur ces bases ? On ne peut l'affirmer catégoriquement, en l'absence d'une étude approfondie, et celle-ci n'a pu être effectuée jusqu'à présent en raison de la démoralisation qu'elle aurait produite aur le chantier si elle avait été connue... et elle n'aurait pas manqué de l'être.
Mais il faut bien noter ici :
- que la seule réduction de l'effectif de 1.800 hommes à 800 posera un problème social redoutable, eu égard à l'isolement géographique du chantier ;
- qu'il est infiniment peu probable que les pouvoirs publics autorisent des licenciements au-delà de ceux qui seront strictement inévitables après la cessation de l'activité de construction navale : ils exigeront que soit tenté l'effort maximum de reconversion et ne s'inclineront sans doute que devant les justifications qui pourront être dûment administrées des limites de cette reconversion, à la fois sur les plans technique et financier ;
- que la Maison Worms ne peut sans renier son passé ni faillir à sa réputation, prendre à la légère les responsabilités sociales qui lui incombent dans ces circonstances ;
- qu'après tout Loire-Normandie s'est trouvé à Rouen devant un problème analogue et semble en être arrivé à bout ;
- mais que de toute évidence, dans le chantier du Trait particulièrement étendu et aux installations très dispersées, l'équilibre financier nouveau ne pourra être trouvé sans que soient passés par profits et pertes les amortissements non encore effectués des installations, spécifiques ou non à la construction navale, qui reviendront sans objet.
Compte tenu de ce qui précède, il a été convenu, le 10 février, entre les associés de :
1 - considérer la fusion des 4 comme un objectif majeur,
2 - avant même que la fusion soit juridiquement faite, s'efforcer de réaliser sans tarder la centralisation des services de prospection commerciale, d'études et d'approvisionnement, de façon à alléger les frais généraux des ACSM,
3 - ne rien faire immédiatement qui puisse compromettre la livraison du méthanier ni la mise en oeuvre de l'opération de licenciement collectif dès maintenant préparée,
4 - par contre, dès qu'il sera possible, procéder à l'étude de l'équilibre financier de l'entreprise cantonnée à des activités de reconversion, et informer les pouvoirs publics des limites sociales de cette reconversion, éventuellement même de sa fragilité sous l'angle financier.
5 - constituer auprès du président des ACSM un comité consultatif composé de MM. Guy Brocard et Gilles ; ce comité sera saisi de toutes les questions importantes qui ne manqueront pas de se poser dans les prochains mois et préparera les délibérations mensuelles du comité des associés sur les ACSM.
[Signature illisible]