1927.04.05.Du Journal de Rouen.Article (incomplet).Lancement du "Loing"
Le PDF est consultable à la fin du texte.
Au Trait
Un pétrolier de 10 000 tonnes est lancé aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime
(De notre envoyé spécial)
Alors que l’industrie des constructions navales subit à l’étranger une crise fort grave, la France connaît dans ce domaine de son activité nationale un essor qui prouve une fois de plus sa vitalité économique.
La superbe cérémonie qui s’est déroulée hier au Trait est à ce point de vue parfaitement symbolique.
Les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime de création relativement récente puisqu'ils datent de la guerre — ne furent-ils pas créés au moment où la bataille de Verdun faisait rage ? — consacraient en effet leur premier effort pour la marine nationale. Il s’agissait du lancement d’un pétrolier, ravitailleur d’escadre "Le Loing", destiné à la marine militaire française.
Cette importante opération, qui prouva — point besoin n’en était cependant — combien la maison Worms contribue au bon renom de l’industrie française, fut aux Chantiers du Trait l’occasion d’une manifestation qui constitua en quelque sorte le jubilé de cette firme si importante et prouva tout ce que l’initiative française sait réaliser avec ses propres moyens, pour le plus grand bien de la prospérité nationale. Les pouvoirs publics avaient délégué à cette cérémonie les personnalités les plus marquantes et le succès de la journée vint récompenser les organisateurs de cette fête de la façon la plus magnifique.
La matinée
Le petit village du Trait, si pittoresque en sa nouveauté, vit arriver vers 10 h 30, une longue caravane automobile amenant de Rouen, où le rapide de Paris les avait conduits, un certain nombre de notabilités du monde maritime, en tête desquelles se trouvait M. le vice-amiral Salaün, chef d’état-major général, représentant le ministre de la Marine.
Reçu à sa descente de voiture par M. Hypolite Worms, qui le remercie d’avoir bien voulu honorer de sa présence la cérémonie qui va se dérouler, M. le vice-amiral Salaun accompagné de sa suite tient à visiter en détail Le Trait dont tout concourt à faire un délicieux petit coin d’un modernisme de bon goût.
Avec ses maisonnettes claires, aux toits de tuiles rouges, aux volets de couleurs vives, avec ses jardins aux rosiers grimpants, aux parterres fleuris, le Trait évoque quelque village hollandais, à la propreté légendaire, au charme si spécial. Mais il possède en plus le merveilleux panorama du plus majestueux des fleuves et l’abri d’une colline, généreusement boisée.
Ce petit village connaît aussi tous les conforts de l’urbanisme moderne, et c’est, par l’école ménagère, par la salle des fêtes si judicieusement comprises, que commence la visite. Mais Le Trait c’est avant tout les Chantiers de la Seine-Maritime et c’est vers eux que l’on se dirige lorsque l’on vient de jeter un dernier coup d’œil aux cottages tout battant neuf.
Et c’est tout de suite une impression à la fois de grandeur et de force qui s’impose à la vue des énormes bâtiments qui constituent cette ruche toute jeune où travaillent mille ouvriers. On sent que ceux qui les voulurent tels, conçurent d’emblée les vraies dimensions qui répondent à l’industrie moderne, et furent conscients du développement auquel elle peut prétendre.
Alors commence la visite des ateliers, où règne la plus vivante activité, où le bruit de cent marteaux ponctue le roulement sourd d'un pont roulant : atelier de modelage, où les pièces à usiner sont d’abord construites en bois ; atelier de petit ajustage, forges aux gigantesques marteaux pilons ; atelier de grand ajustage où se fabrique, à grande échelle, de la mécanique à haute précision ; atelier de chaudronnerie, etc. C’est la plus moderne des usines répondant à la plus moderne des conceptions.
Il faudrait des heures pour assister en détail à chacune des fabrications qui s’y font quotidiennement, pour y voir fonctionner les tours et les machines-outils qui taraudent, rabotent, liment l’acier comme du bois tendre.
Sous l’intéressante conduite des directeurs de la Maison Worms, l’on s’achemine vers les chantiers, où les squelettes des navires en construction montrent leurs flancs rouillés et percés d’œillères que boucheront les rivets.
Au centre de ces chantiers rutile "Le Loing", fin prêt sur son berceau, tout mâté, et fraîchement peint de l’étrave à la poupe, mi-brun, mi-gris.
Le lancement du "Loing"
Depuis le matin, toute une équipe de gars solides s'occupe, à grands coups de bélier, à faire tomber les accores, solides pièces de bois qui étayent la coque du pétrolier.
Bientôt, celui-ci ne repose plus que sur son berceau, et seules deux clés suffisent à le retenir, que tout à l'heure il n’y aura qu'à libérer pour faire glisser l’énorme masse.
Déjà "Le Loing", qui porte le pavois des jours de fête, est sous pression et, vers midi 10, comme passe un navire de la Maison Worms, il lance aux échos son premier sifflement, saluant ainsi son frère aîné, qu’il lui tarde de rejoindre sur l’élément liquide.
Derrière le navire, a été édifiée une estrade décorée aux couleurs tricolores, où prennent place les personnalités du monde maritime, parlementaire et industriel qui sont venues assister au lancement du dernier né des chantiers de la Seine-Maritime.
C'est ainsi qu’aux côtés de M. le vice-amiral Salaün, nous avons noté la présence de :
M. le contre-amiral Robert, sous-chef d’état-major de la Marine ; H. Worms, directeur des Chantiers de la Seine-Maritime ; Geccaldi, préfet de la Seine-Inférieure ; Brindeau, de Pomereu, sénateurs ; Dubreuil, Tilloy, députés ; Denise, conseiller général [pour la suite de la liste – voir le PDF].
Une hachette d’honneur est remise entre les mains de M. le vice-amiral Salaün. Le moment solennel est venu et l’unité la plus importante lancée jusqu’à ce jour en Seine-Maritime va être enfin libérée des dernières entraves qui la retiennent. Si confiants que soient en eux ceux qui, avec toute leur science et tout leur labeur, ont travaillé à l’édification du beau bâtiment n’échappent cependant pas à l’inquiétude qui précède le lancement de tout navire. Le calcul permet d’affirmer, mais l’expérience a parfois connu des déboires. Le lancement d’un bateau comporte des aléas. Mais M. le vice-amiral Salaün a le geste rapide et décidé et, d’un coup net, il tranche le ruban tricolore qui semble retenir encore "Le Loing" sur son berceau. Au même instant, la sirène retentit, les clés cèdent, la masse imposante du grand pétrolier s’ébranle sur sa base et, progressivement, glisse sur le ber et prend contact avec l’eau grise qui jaillit à ses côtés. La foule nombreuse, venue du village, des environs, de Rouen même, qui se presse aux abords du chantier, pousse une clameur de joie, heureuse d'être témoin de la triomphale opération.
Et maintenant il vogue le beau bâtiment, dont les caractéristiques sont les suivantes :
Longueur hors tout 123 mètres ; longueur entre PP 117 m 84 ; largeur 15 m 42; creux 9 m 26; déplacement en pleine charge 9 915 tonnes. Deux moteurs à simple effet et à quatre temps du type Burmërster et Wain d’une puissance totale de 4 100 cv.
Le banquet
La direction des Chantiers de la Seine-Maritime, désireuse de retenir quelques heures encore ses hôtes venus si nombreux, leur offrit à l’issue de la cérémonie un excellent déjeuner. Dans le réfectoire du personnel, décoré à profusion de plantes vertes et de drapeaux, de grandes tables avaient été dressées au milieu desquelles de magnifiques corbeilles de fleurs jetaient une note gaiement printanière.
La chair fut de qualité, les vins capiteux — la renommée du restaurant de la Cathédrale n’est plus à faire — et le repas se déroula dans l’ambiance la plus cordiale.
Au dessert des toasts furent prononcés.
Les discours
M. Dubreuil, député-maire de Rouen, se leva le premier. Ce fut d’abord pour rendre hommage à ceux qui avaient conduit à si bonne fin le lancement du "Loing", et pour les féliciter de leur œuvre. Puis, abordant la grande question du rôle de la Seine-Maritime, il parla avec compétence et autorité des travaux de l'estuaire si nécessaires au trafic naval, si essentiels au développement de tous les ports hauts-normands, qui forment les plus magnifiques débouchés français.
Son éloquente allocution, la pointe d’humour dont il sut l'agrémenter, lui valurent de vifs bravos.
Après lui, M. Brindeau, sénateur de la Seine-Inférieure, se fit l’interprète du monde maritime pour rendre à l’industrie navale l’hommage qui lui revient. Sa qualité de président de la commission de la marine marchande au Sénat ne donna que plus de force à ses paroles quand il indiqua l’urgence du rétablissement des primes à cette industrie. Et ainsi il se fit le vrai défenseur de la marine de guerre qui trouve dans les chantiers civils ses meilleurs auxiliaires.
Très applaudi, il laissa la parole à M. Ceccaldi, préfet de la Seine-Inférieure, qui en une improvisation, dit tout l’effort fait par la maison Worms pour créer, en faveur de son personnel des habitations ouvrières claires et saines, répondant aux meilleures conditions d'hygiène et de bien-être.
Puis M. H. Worms se leva et prononça un très substantiel discours, ayant remercié tous ses hôtes, et complimenté ses fidèles collaborateurs, il continua ainsi :
« L'intérêt que tous, vous voulez bien nous témoigner, m’autorise, Messieurs, à profiter de votre présence au Trait pour vous dire en quelques mots rapides ce qu'un « constructeur de navires moyen » pense de la situation difficile de son industrie et des remèdes que l’on y propose, autour desquels, malheureusement, les polémiques n’ont point manqué de s'élever.
Un point semble dès maintenant acquis : c'est qu’une industrie des constructions navales ne [la suite manque – voir http://www.wormsetcie.com/fr/archives/1927/19270404de-hypolite-wormsle-traitdiscourslancement-du-loing].