1918.05.30.De Worms et Cie Le Havre.Au ministre de la Marine.02

Le Havre, le 30 mai 1918
Monsieur le commissaire aux Transports maritimes
et à la Marine marchande - Paris

Monsieur le ministre,
Vous nous avez invités à retirer de notre ligne Dieppe-Grimsby le s/s "Pessac" pour le mettre à la disposition du Ravitaillement.
Nous ne savons pas à quoi le Ravitaillement destine ce vapeur et notre impression est qu'à l'heure présente il l'ignore lui-même.
Si, comme nous vous le proposons dans une autre lettre, vous nous laissez le soin d'organiser et d'exploiter les services de cabotage entre Bayonne et Dunkerque, nous avons la certitude qu'il nous sera possible de satisfaire aux besoins du Ravitaillement sans désorganiser une ligne datant de 1857 et nous pensons qu'un tel résultat est fort désirable pour le pays.
Pendant de très longues années et jusqu'au moment de la francisation de la ligne Dieppe-Newhaven, notre service a été le seul sous pavillon français entre la France et l'Angleterre. Il n'a pas toujours été prospère et pour le maintenir contre la convoitise des armements anglais qui admettent difficilement des empiétements sur ce qu'ils considèrent être leur empire, il nous a fallu nous imposer de très lourds sacrifices.
Au cours de la Guerre, nous n'avons pas un seul instant cessé l'exploitation de cette ligne et cependant, à plusieurs reprises, la navigation entre la côte Est de l'Angleterre et la Manche était si périlleuse que le gouvernement français ne consentit jamais, malgré nos sollicitations, à couvrir, à l'aide de la caisse instituée à cet effet par les décrets des 13 août, 10 octobre et 12 novembre 1914, puis par la loi du 10 avril 1915, les risques de navigation dont nous assumions toute la charge plutôt que de laisser une fissure par laquelle auraient pu s'introduire dans notre trafic des voisins qui en ont le persistant désir et il suffit de regarder ce qui se passe pour constater que pendant que l'armement français est ligoté, les Anglais et même les Belges, qui ont conservé toute leur liberté d'action, multiplient la création de services entre la Grande-Bretagne et la France : ce sont eux qui transportent les matières destinées à notre Armement et à notre Ravitaillement et ce seraient eux qui prendraient immédiatement notre place entre Dieppe et Grimsby si vous nous obligiez à nous retirer car il faudrait bien que le charbon et les approvisionnements nécessaires à nos usines de guerre soient amenés de la rivière Humber et aussi que soient exportés les chiffons et les bourres que la France s'est engagée à fournir à l'Angleterre.
Nous vous demandons, donc, parce que cela est conforme aux intérêts du pays, que "Pessac" continue à desservir la ligne sur laquelle il n'a cessé de naviguer depuis le premier jour. Nul autre navire ne pourra mieux y être employé au point de vue de la rapidité de rotation et de la parfaite utilisation du tonnage.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l'assurance de notre haute considération.

Worms & Cie


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