1918.11.22.De Worms et Cie Alger
Worms & Cie
Alger, le 22 novembre 1918
MM. Worms & Cie - Paris
Messieurs,
Main d'uvre.
Sous cette rubrique, nous vous écrivions ce qui suit dans notre lettre générale du 13 février dernier :
Cette question est à l'état aigu comme vous pourrez vous en rendre compte par le fait qu'il nous a fallu deux jours pour faire "Aghios Gerassimos" : ce bateau était sur lest et il faut dans ces conditions presque deux fois plus de monde pour embarquer le charbon que si le navire était chargé. (Nous n'avons pu en trouver suffisamment pour faire tout le travail, 605 tonnes en un jour.) Le s/s "Santo-Antao" se trouvait dans les mêmes conditions.
Les hommes trouvent à s'employer en France à des prix très rémunérateurs et ils sont assez enclins à y aller de leur propre gré : la pression administrative, quand ce n'est pas la force armée, intervient lorsque l'appât du gain est insuffisant à décider les hommes susceptibles d'être engagés, et nous sommes dans une situation excessivement difficile d'autant plus que notre entrepreneur, ayant rarement l'occasion d'engager des hommes, n'a plus beaucoup d'action sur eux. Nous avons plus que jamais l'occasion de regretter de n'avoir pas à notre disposition des moyens mécaniques d'embarquement."
Depuis le mois de février on a continué à tirer des travailleurs de la colonie et notre situation au point de vue main d'uvre est plus mauvaise que jamais comme vous allez pouvoir en juger par les exemples suivants :
Le 5 courant le Transit maritime faisait livrer à la "Ville-de-Tamatave" par M. Schiaffino, 160 tonnes de charbon et nous prescrivait d'en livrer 270. Il fallut à M. Schiaffino, gêné, il est vrai, le premier jour, par le mauvais temps, deux jours pour embarquer les 180 tonnes, en employant de la main d'uvre pénitencière et dans l'impossibilité de trouver des hommes, notre entrepreneur dut s'adresser à lui pour faire notre travail et il fallut un jour et demi pour exécuter notre commande.
Mardi soir l'intendance nous a prescrit de fournir le lendemain matin 60 tonnes de charbon au vapeur "Marie-Louise" et c'est seulement hier matin, jeudi, que nous avons pu exécuter l'ordre.
Cette pénurie d'hommes est générale et vous en aurez une idée par ce fait qu'on a donné cet été douze francs par jour aux moissonneurs qu'on paye en temps ordinaire deux francs cinquante.
L'Algérie est très appauvrie de travailleurs dont les meilleurs sont les Kabyles et il faut compter que cette situation se prolongera longtemps après la guerre : il va y avoir beaucoup à faire en effet dans les provinces qui ont souffert de l'invasion, les salaires y seront élevés et les kabyles sont assez intelligents pour le comprendre.
De plus nos concurrents d'Oran avaient dès longtemps adopté des moyens mécaniques d'embarquement dont nous avions pu nous passer jusqu'à la guerre et cela leur confère maintenant sur nous une supériorité à laquelle il va devenir urgent d'opposer des moyens égaux si nous ne voulons pas voir la situation de notre port compromise au bénéfice de celui d'Oran qui est déjà singulièrement favorisé par le développement des affaires affiliées à la Cambrian combine.
Il n'y a à Alger, actuellement, que deux grues flottantes dont l'une appartient à M. Schiaffino et est destinée à des opérations générales ; elle est plus forte qu'il n'est nécessaire pour nos opérations. L'autre appartient à MM. Valéro et Laffont ; le premier de ces Messieurs était l'entrepreneur du DKD et il s'était associé le second, ex-employé de la Compagnie algérienne, pour la construction de grues. Leur projet était d'en construire six et la Chambre de commerce les avait autorisés à en introduire deux dans le port au mois de juin 1913, en même temps qu'elle donnait à M. Schiaffino l'autorisation d'en construire quatre.
Ainsi que nous vous l'avons dit, il n'y a actuellement que deux grues construites sur les six autorisées, la guerre ayant tout arrêté. Ce sont des grues à vapeur montées sur chaland et l'intention de leur propriétaire était de les exploiter par location. Il faudra sans doute assez longtemps à MM. Valéro et Laffont pour réaliser leur programme et il ne nous paraît pas qu'on puisse les attendre d'autant plus que nos affaires ne peuvent être à la merci d'une location qui pourrait être devancée par d'autres. Il semble donc que nous devions agir pour notre propre compte à moins qu'il ne soit dans les projets de la Compagnie charbonnière des appontements de Bassens et de Lagrange d'étendre ses opérations à Alger et de construire à cet effet un matériel que nous pourrions exploiter pour son compte. Nous avons causé ces jours-ci avec l'agent de MM. Watts, qui en est préoccupé comme nous, de cette question, sur laquelle nous avons dit le moins possible pour réserver notre action, mais nous avons l'impression qu'il serait heureux de la voir résolue et il ne pourrait manquer d'être notre client, comme les autres Maisons d'ailleurs.
Si la Compagnie charbonnière était disposée à faire quelque chose à Alger il faudrait agir vite pour prendre position au regard de la Chambre de commerce : il y aurait également intérêt à aller le plus vite possible si vous préférez que nous agissions pour nous seuls auquel cas nous estimons que nous aurions à demander l'autorisation d'introduire quatre grues dans le port d'Alger qui serviraient à la mise à bord du charbon embarqué sur les relâcheurs et au déchargement des charbonniers :
elles pourraient également servir à la mise sur chalands du charbon entreposé à terre lorsque nous aurions à y puiser. Dans tous les cas envisagés elles réduiraient considérablement le nombre des hommes qui nous seraient nécessaires et nous permettraient de réaliser une économie sur le prix des manutentions qui restera plus élevé que par le passé.
Cette question est très importante et nous appelons sur elle toute votre attention. Ce qui importe le plus pour le moment c'est de prendre une décision de principe de manière à nous permettre de demander à la Chambre de commerce l'autorisation d'introduire les appareils dans le port d'Alger avant que d'autres ne le fassent.
Il restera alors à fixer le choix des appareils les plus adaptés à nos besoins et vous avez plus de facilités, que nous pour le faire.
Nous ne devons vous signaler qu'une chose pour le moment, c'est que les chalands destinés à porter les grues ne doivent pas dépasser la longueur de dix-huit mètres maximum assigné aux embarcations de servitude et qu'il ne serait d'ailleurs pas nécessaire d'atteindre : il conviendra en cela de s'en tenir au strict nécessaire étant donné le prix de la construction.
Veuillez agréer, Messieurs, nos bien sincères salutations.
Ch. A. Rouyer