1977.05.07.De Henri Nitot.Témoignage
NB : Note classée avec d'autres témoignages, dans une reliure de couleur rouge intitulée "Banque Worms (1928-1978)".
La copie-image de ce document, établi sur traitement de texte, n'a pas été conservée.
Notes de Monsieur Nitot
II est important de rappeler que parallèlement au développement de ses activités bancaires, la Maison Worms, par ses Ateliers et Chantiers de la Seine maritime, situés dans la commune du Trait, proche de Rouen, s'était assuré une place importante dans le domaine de la construction navale française. C'est vers 1917, en pleine guerre, que le gouvernement français, soucieux d'assurer la renaissance de nos transports maritimes sitôt le rétablissement de la paix, s'était adressé à elle pour lui demander de s'intéresser à la création d'un nouveau chantier naval, et le ministre responsable de l'époque, Monsieur Anatole de Monzie, faisait d'ailleurs des demandes parallèles à la Maison Schneider et à la Banque de Paris et des Pays-Bas. C'est ainsi qu'au Trait, à Harfleur près du Havre et à Caen, s'édifièrent de 1917 à 1921, selon les conceptions les plus modernes, trois nouveaux chantiers navals capables de répondre à la demande considérable de l'après-guerre. Messieurs Hypolite Worms et Georges Majoux, associés gérants ne ménagèrent, pendant toute cette période, aucune peine pour atteindre le but fixé par le gouvernement. Le 29 novembre 1921, le premier navire, un cargo charbonnier de 4.700 tonnes, était lancé au Trait, marquant la bonne fin de ces efforts considérables et, depuis lors, jusqu'au moment où en 1967 le gouvernement français, soucieux cette fois, par un retournement de la conjoncture, d'assurer une concentration de notre construction navale sur un nombre réduit de chantiers, imposa la fusion des Chantiers de la Seine maritime avec les Chantiers navals de La Ciotat, près de deux cents navires furent construits sur les cales du Trait.
Il était d'ailleurs indispensable pour la direction et les ingénieurs du Trait de gagner rapidement les "galons" leur assurant une place de choix dans la construction navale française, en passant progressivement de la réalisation de cargos d'un tonnage de plus en plus important à celle de pétroliers, de chalutiers, de navires spécialisés, puis, enfin, de torpilleurs et de sous-marins et ceci jusqu'aux limites extrêmes d'importance du déplacement et du tirant d'eau permises par les sujétions de navigation dans le Seine maritime.
Notons pour la petite histoire qu'en 1935 le lancement du pétrolier "Shéhérazade" d'un port en lourd de 18.500 tonnes assurait au Trait pour quelques semaines un record mondial et cela fait sourire aujourd'hui devant les pétroliers géants construits partout dans le monde. Les liens de famille existant entre les Chantiers de la Seine maritime et les armements dépendant de la Maison Worms, notamment la Nouvelle Havraise Péninsulaire et la Société française de transports pétroliers qui permirent de larges concertations de leurs ingénieurs, assurèrent aux Chantiers du Trait d'être toujours à la pointe des progrès techniques, notamment lorsqu'à la construction rivée se substitua progressivement la construction soudée. Ces réussites techniques permirent une large exportation de navires auprès de compagnies étrangères, notamment en Grande-Bretagne, en URSS, en Suède et Norvège, au Canada, en Grèce et même aux États-Unis. Parallèlement, la marine militaire française plaçait de plus en plus de confiance dans les Chantiers du Trait qui, à la fin de 1939, avaient reçu la commande de pas moins de huit sous-marins, arrêtée malheureusement par les circonstances de la guerre. Enfin, c'est sur les cales du Trait qu'est né le premier navire méthanier français, le "Jules-Verne", consacrant une avance technique remarquable.
Les Chantiers occupant dès lors deux mille ouvriers, il avait aussi fallu, pour assurer leur logement, que la Maison Worms prît l'initiative de l'édification d'une grande cité-jardin qui constitua longtemps un exemple pour toute la France avec son implantation panoramique largement en avance sur les idées de l'époque, ses facilités d'approvisionnements, son réseau complet d'oeuvres sociales, ses initiatives en matière d'apprentissage et l'esprit public exemplaire qui ne cessa d'y régner.
Hélas, les Chantiers du Trait, suspectés à tort par certains états-majors anglais et américains, de pouvoir pendant la seconde guerre contribuer au renforcement de l'effort industriel allemand, alors que tout le personnel sut merveilleusement conserver une attitude patriotique exemplaire, attirèrent à plusieurs reprises de meurtriers bombardements d'avions qui causèrent de douloureuses pertes humaines.
Et les derniers jours de la bataille de Normandie placèrent le Trait également au milieu d'opérations qui achevèrent la ruine de ses installations. Mais, dès l'armistice, le plan de rénovation était dressé, les travaux de restauration entrepris et de très bonne heure une activité complète et même largement renforcée put être reprise. L'histoire des Ateliers et Chantiers de la Seine maritime constitue ainsi certainement une très belle page dans celle plus vaste de la Maison Worms.
Henri Nitot, 7 mai 1977