1944.00.De Hypolite Worms.Note (non datée)
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Le PDF est consultable à la fin du texte.NB : Note non datée, classée après le 26 septembre 1944, date la plus récente mentionnée dans le texte.
J'ai été arrêté pour la première fois le jeudi 7 septembre à 9 h. du matin par deux inspecteurs de la police judiciaire, qui avaient pour mission de m'amener au commissariat de police le plus rapproché de mon domicile. Ces inspecteurs ne connaissaient pas le commissariat, c'est moi qui leur ai indiqué la rue Amélie. Arrivés là, les deux inspecteurs ont demandé une pièce où ils m'ont interrogé sur mon identité qu'ils ont notée et m'ont demandé, après avoir tiré des papiers de leur poche, si je connaissais un certain nombre de personnes dont ils m'ont lu la liste. D'abord, quelques-unes (comme René Dommange, député du 7ème, Verge, etc.) que je ne connaissais pas, puis, Le Roy Ladurie, Barnaud, Lehideux, Bichelonne. Ils m'ont également, à deux reprises, demandé qui je connaissais au ministère de la Production industrielle ; j'ai répondu par la négative. Cette formalité a duré dix minutes. Après quoi, me laissant dans la pièce, ils sont partis téléphoner et, revenus quelques minutes après, ils m'ont fait descendre dans le poste de police où le gardien-chef a commencé à vider mes poches, pris mes papiers, montre, bretelles, lacets de souliers, etc., mais, immédiatement après, sur un ordre venu d'en haut, m'ont tout rendu.
Une heure plus tard, on m'a fait remonter et j'ai été interrogé de nouveau ; cette fois par le secrétaire du commissaire de police : identité, ma situation, ce que je gagnais, pourquoi j'avais été arrêté (!) et m'a demandé si j'appartenais à un parti politique. Ramené ensuite au poste, on a recommencé la fouille, enlevé mes bretelles, lacets, etc. Mais, de nouveau, sur une intervention du commissaire provoquée par ma femme, qui était venue dans l'intervalle, tout me fut rendu et je restais au poste. A noter que d'autres arrestations opérées ce jour-là et les jours suivants je n'ai pas remarqué qu'elles étaient l'objet de fouille, sauf dans le cas d'un détenu de droit commun, accusé d'avoir essayé d'étrangler sa petite amie et qui a été mis au cachot.
Je suis resté ainsi sur un banc jusqu'au lendemain, vendredi 8 (juillet), à 16 heures. A ce moment, le commissaire de police, que je n'avais pas encore vu, me fit appeler pour me dire que j'étais libre, qu'il venait de recevoir des instructions de me libérer immédiatement. Je suis donc rentré chez moi, accompagné de Robert Labbé, qui venait justement me voir au commissariat.
Le même jour, à 22 heures, au moment où j'allais me coucher, deux autres inspecteurs de la police judiciaire sont arrivés chez moi pour m'arrêter de nouveau ; d'autres ordres supérieurs, dirent-ils, ayant été donnés depuis ma libération, quatre heures plus tôt. Malgré mes protestations et celles de ma femme, ils m'amenèrent de nouveau, cette fois-ci à pied, rue Amélie, au moment où le panier à salade venait prendre une partie des personnes arrêtées au dépôt. Après quelques minutes, les inspecteurs revinrent me dire que j'étais maintenu en état d'arrestation et je m'installais dans le poste avec quelques personnes dont certaines disaient ouvertement avoir été agents de la Gestapo.
Je suis resté au poste de la rue Amélie jusqu'au mardi 12 septembre, couchant la nuit sur une table en bois qui, en temps normal, doit servir de réfectoire. Rien de spécial à signaler, si ce n'est que dans la nuit du 9 au 10 (ou du 10 au 11, je n'en ai pas le souvenir précis), vers les minuit ou 2 heures du matin, un agent fit à très haute voix, en criant même très fort, une tirade contre les banquiers (car il avait certainement la fiche de mon interrogatoire par le secrétaire du commissaire, entre les mains) qui gagnaient des millions pendant que le peuple crevait de faim ; il me nomma à plusieurs reprises, suggéra qu'on me fasse passer tout de suite devant eux pour être interrogés, qu'il fallait me fusiller tout de suite, ou mieux, me pendre par le menton, etc. Cela dura au moins un quart d'heure. Toutes les personnes présentes dans le poste, qui avaient été arrêtées au cours des trois derniers jours, l'entendirent naturellement et le commentèrent le lendemain avec moi. J'ai bien crû, cette nuit-là, ma dernière heure arrivée. Sur le moment, pendant cette scène, j'ai pensé qu'on allait me pendre, me faire subir toutes sortes de sévices, pour raconter ensuite que j'avais essayé de m'évader. J'ai vraiment vécu une nuit d'épouvante. A part cet incident dû à un énergumène peut-être pris de boisson, je dois reconnaître que plusieurs des agents et brigadiers ont été parfaitement humains, permettant que ma femme m'apporte mes repas deux fois par jour et que beaucoup de gens viennent me voir pendant les cinq jours que j'ai passés au commissariat. Tous les jours on nous annonçait que nous partions le soir pour le dépôt, mais rien ne vint.
Le mardi 12 septembre, à 11 h. 30, deux inspecteurs de la police judiciaire vinrent me chercher pour m'amener à Drancy (il y avait déjà dans la voiture une femme qu'on amenait également). Arrivé à Drancy, après avoir passé par le bureau de la direction, on me fit rentrer dans le bureau du chef de camp, où je restais une demi-heure. A ce moment-là, le chef de camp vint dire aux inspecteurs que contrordre était donné en ce qui me concerne et qu'on devait m'amener à Fresnes. Nous repartons, les deux inspecteurs et moi, et, comme la voiture s'arrêtait à la police judiciaire, sur une question posée par moi, les inspecteurs dirent qu'ils venaient prendre des ordres. On me fit descendre de voiture et on me mit dans un petit bureau où plusieurs inspecteurs lisaient le journal ou parlaient entre eux. Va et vient continuel qui dura de 1 h. à 5 h. de l'après-midi, lorsque deux nouveaux inspecteurs, sur un ordre reçu, me demandèrent de les suivre et me dirent qu'ils avaient ordre de me ramener à Drancy.
Après avoir passé dans les bureaux de la direction, on me mit dans une chambrée de dix personnes, dans l'aile où se trouvaient toute une série de personnalités marquantes : Taittinger, Romanozzi, Coquelin, Ripert, des Finances, Hericault, Jean Berthelot, Sacha Guitry, général Herbillon, Paul Chack, etc.
Séjour de deux jours à Drancy.
Le jeudi 14 septembre, à 17 h., le haut-parleur m'appelait en bas avec tous mes bagages. Je trouvais trois inspecteurs de la police judiciaire, dont le chef était le même qui m'avait pris rue Amélie pour m'amener à Drancy deux jours plus tôt, et me dirent avoir l'ordre de m'amener à Fresnes.
Arrivé là à 19 h., après les formalités d'écrou et de fouille, on me mit dans une cellule provisoire pour la nuit. Puis, je fus transféré, le lendemain matin dans une autre cellule où se trouvaient déjà deux détenus : un vendeur des Trois-Quartiers, membre du PPF et un mécanicien, membre du RNP. J'étais, bien que prévenu seulement, comme les autres au secret.
Du jeudi 14 au mardi 19, séjour sans histoire. J'apprends simplement que Le Roy Ladurie est arrivé le vendredi 15 dans une cellule voisine.
Le mardi 19, nous sommes, Gabriel et moi, appelés en bas, où trois inspecteurs des délégations judiciaires nous amènent en voiture, menottes aux mains, à la préfecture de police, où un commissaire, Monsieur Peres [ou Pérès] m'interroge pendant quelques minutes et me dit que j'allais être inculpé par le juge d'instruction Thirion de commerce avec l'ennemi - article 75 - et qu'il m'avait fait venir avec Le Roy Ladurie, suivant commission rogatoire, pour perquisitionner au bureau, à mon domicile et chez Gabriel. Matinée passée au bureau : perquisition ; à mon domicile, passage rapide et perquisition faite d'une façon, du reste, parfaitement correcte. Retour à la préfecture où j'attends Gabriel et le soir retour à Fresnes.
Samedi 23
Je suis extrait ainsi que Gabriel, et amené quai des Orfèvres pour interrogatoire d'identité et inculpation définitive - article 75 - et mise, par le juge d'instruction lui-même, sous mandat de dépôt, régularisant ainsi une situation anormale, puisque, en fait, j'étais arrêté depuis quinze jours par une autorité autre que celle du juge d'instruction, qui avait reçu ordre de m'inculper.
Dans une note suivante, je décrirai ce qu'est le "martyre de l'extraction", lorsqu'on vous prend à Fresnes à 7 h. du matin pour vous interroger au Palais et vous ramener le soir à Fresnes.
Mardi 26
Je suis extrait seul pour premier interrogatoire du juge d'instruction sur le fond. Interrogatoire de 3 h. ½ en présence de mes deux avocats.