1944.11.13.Du Molybdène.Procès-verbal du conseil d'administration du 07.04.1944
Copie de lettre
Le PDF est consultable à la fin du texte.Société Le Molybdène
Procès-verbal
Le Conseil s'est réuni le 7 avril à onze heures au siège social.
Sont présents : Messieurs Guernier, Meynial, Simon, Vinson, ainsi que M. Friedel, représentant le BRPM.
Absents excusés : Messieurs Pitavino, Wyatt, von der Weid, Geneux, Sigrist.
Monsieur Guernier préside la séance et Monsieur Hoffmann remplit les fonctions de secrétaire.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté à l'unanimité.
Monsieur le président indique à ses collègues que depuis l'interruption des relations avec le Maroc aucune nouvelle ne nous est parvenue de notre exploitation. Les derniers comptes et pièces de caisse reçus se rapportant à l'exploitation du mois de juillet 1942, la société n'est pas en mesure d'arrêter les bilans et comptes de profits et pertes relatifs aux exercices 1942 et 1943.
- Assemblée
A la suite de cette communication, le conseil décide à l'unanimité de renoncer à convoquer l'assemblée générale de la société puisqu'aucune information ne pourrait être donnée aux actionnaires sur les comptes et sur la marche de l'exploitation.
- Livraison de 25 tonnes de minerais aux autorités allemandes
Monsieur Guernier fait savoir à ses collègues qu'il croit qu'une enquête aurait été ouverte au Maroc contre la société au sujet de la livraison aux autorités allemandes de 25 tonnes de MoS.2 et que des mesures auraient été prises contre notre société à la suite de cette enquête.
A ce propos, Monsieur Guernier expose de nouveau à ses collègues les circonstances qui ont contraint la société à effectuer cette livraison contre notre volonté et sur les instructions formelles des autorités françaises.
Dès le mois d'août 1940, nous avons été saisis de nombreuses demandes de minerais de la part de l'Allemagne, demandes que nous avons éludées sous le prétexte que nous n'étions pas libres de disposer de notre production. En septembre 1940, nous fûmes approchés par Monsieur Acker, représentant de la Maison Otto Wolff, et par un représentant de Krupp. Ces Messieurs étaient mandatés par les autorités allemandes pour les achats de minerais français ou coloniaux.
Monsieur Acker nous fit comprendre qu'il savait qu'un stock d'environ 70 tonnes se trouvait à Azegour et qu'il serait amené à en exiger la livraison aux autorités allemandes. Notre réponse fut qu'à la suite de la création de comités d'organisation nous n'étions pas maîtres de nos stocks et que, dans ces conditions, il devait s'adresser aux autorités françaises, notre société ne pouvant effectuer aucune livraison sur sa propre initiative.
Monsieur Acker ajoutait que le gouvernement allemand désirait augmenter la production de notre mise et, qu'à cette fin, la Maison Krupp était toute disposée à mettre à notre disposition une seconde laverie de manière à doubler la production. Nous éludâmes la proposition et répondîmes par une fin de non-recevoir.
Notre premier soin fut de prévenir le Comité d'organisation et la Direction des mines de cette visite.
Monsieur Acker revient quelques temps plus tard, se faisant plus pressant et menaçant la société de sanctions, en présence de ce qu'il appelait nos atermoiements, indiquant qu'il avait obtenu l'autorisation du Comité d'organisation et de la Direction des mines. Nous avons objecté à Monsieur Acker que la Direction des mines ne pouvait lui donner son accord qu'après que la question ait été posée à la Commission de l'armistice.
Monsieur Guernier expose au conseil qu'il a rendu visite à ce moment-là à Monsieur Blondel, directeur du Comité d'organisation des minerais par l'entremise duquel nous étions tenus de correspondre avec le ministère de la Production industrielle (M. Friedel, directeur de l'École des mines, assistait à cette conversation). Monsieur Blondel donna instructions à Monsieur Guernier de faire une offre à Monsieur Acker en lui précisant que celle-ci était faite sous les réserves les plus formelles de l'accord du gouvernement français. Monsieur Guernier écrivit alors la lettre du 15 mai 1941 dans laquelle, en dehors de la double réserve indiquant que la production du minerai de molybdène est soumise à la réquisition du gouvernement du Maroc et qu'il avait un engagement vis-à-vis de ses acheteurs habituels, il ajoutait : « II est formellement convenu que la présente offre ne saurait comporter aucun engagement de notre part tant que le Comité d'organisation des minerais et métaux ne nous aurait pas signifié l'autorisation formelle de livrer la quantité proposée et donné son accord sur le prix indiqué ».
Monsieur Acker revint quelques mois plus tard et nous indiqua que la Commission d'armistice avait donné son accord. Toujours dans le but d'obtenir le maximum de délais pour cette livraison, nous indiquâmes à Monsieur Acker que la décision de la Commission d'armistice n'était pas suffisante puisque le Maroc était un gouvernement souverain et que les interdictions d'exportation prises par ce gouvernement devaient faire l'objet d'un nouvel accord à obtenir par Monsieur Acker auprès de la Résidence générale et du sultan.
Monsieur Acker, sans se décourager, obtint de la Résidence et du sultan les autorisations d'exportation nécessaires et revint nous trouver vers octobre/novembre 1941.
En effet, au début de 1942, nous apprîmes par le Comité d'organisation que des instructions avaient été données au service des mines du Maroc relatives à cette livraison. Nous avons indiqué à Monsieur Acker que nous ne pouvions résister à l'ordre qui nous était donné par toutes nos autorités supérieures mais que nous ne pouvions admettre qu'un transport à travers la Méditerranée, de minerai, fût fait sur bateau français risquant ainsi la vie d'un certain nombre de marins français.
Au mois de février ou mars 1942, Monsieur Acker vient nous prévenir qu'il avait pris ses dispositions pour faire effectuer le transport. Notre société n'aurait par conséquent pas à s'en occuper et le minerai devrait être livré par nous à Casablanca.
En même temps d'ailleurs qu'il nous forçait ainsi à cette livraison, Monsieur Acker faisait une seconde demande pour 35 tonnes de minerai à laquelle nous répondions de la même manière, c'est-à-dire en prenant tous les atermoiements possibles, si bien qu'en novembre 1942, au moment de l'entrée des alliés au Maroc, cette livraison n'était pas effectuée.
Monsieur Guernier indique également au conseil que, se rendant compte de l'impossibilité dans laquelle nous serions de résister plus longtemps aux demandes allemandes, il avait obtenu de la Direction des mines du Maroc l'autorisation d'arrêter l'exploitation du molybdène à Azegour et de porter tout son effort sur l'exploitation d'un gisement de cuivre dont la production serait utile à l'Afrique du Nord pour la fabrication de sulfate de cuivre et ce qui priverait l'Allemagne du tonnage de molybdène que la mine produisait auparavant.
En résumé, si nous avions opposé un refus brutal, nous aurions vu le stock entier de la mine réquisitionné par les Allemands. Dans l'intérêt des alliés, nous n'avions donc qu'une solution, celle de prendre des délais et d'atermoyer autant qu'il était possible les livraisons, d'une part, d'autre part, d'arrêter l'exploitation du molybdène.
Sur le premier point, en renvoyant Monsieur Acker de notre société au Comité d'organisation, du Comité d'organisation à la Direction des mines, de la Direction des mines à la Commission de l'armistice, de la Commission de l'armistice au gouvernement général du Maroc, et en refusant le transport, nous avions fait le maximum de ce qu'il nous était possible de faire. II est inutile d'ajouter que ces atermoiements n'ont pas été sans entraîner de très graves difficultés et que le président et certains des administrateurs ont été menacés dans leur personne pour n'avoir pas effectué une livraison plus rapide.
En fait, sur une production de plus de 70 tonnes de molybdène, seules 25 tonnes ont été livrées.
Le conseil ayant entendu l'exposé de Monsieur Guernier s'associe à lui et lui confirme qu'à son avis tout ce qu'il était humainement possible de faire pour priver les autorités allemandes de minerai lui paraissait avoir été réalisé.
13/11/44