1940.05.25.De Gabriel Le Roy Ladurie.A Georges F. Doriot.Boston

Copie de lettre

Mon bien cher Georges,
Lorsque [...] te remettra cette lettre, le premier acte du grand drame sera joué. Un miracle est toujours possible mais il vaut mieux raisonner [dans la vie] comme s'il n'y avait pas de miracles. En ces heures terribles - terribles en soi et terribles parce qu'on n'en voit pas la fin - c'est vers toi que ma pensée se tourne - et vers [Edna] pour vous confier ma femme et mes trois gosses. Si la dictature hitlérienne s'établit dans ce pays - et comment empêcher une telle dictature sans tanks et sans avions ? - je préfère voir ceux qui me sont chers périr que condamner à subir le régime des Polonais et des Tchèques. A moins qu'à un moment donné on ne puisse les faire partir sur l'Espagne et de là sur l'Amérique. Georges il n'y aura que toi qui pourras un jour tenter la chose. Je sais que tu le feras avec tous les moyens en ton pouvoir. Si jamais tu réussis, je te confie les miens comme s'ils étaient tiens. Fais-les travailler dur et élève-les en suivant mes idées. Ma belle-sœur, Madeleine, pourra prendre la petite Anne. Parmi les fonds que tu [sais] environ 25.000 $ [sont à elles]. En tout cas aucun sacrifice matériel ne devra être négligé.
[...] et ses petites sont actuellement aux Sables-d'Olonne, 1, rue [Rapide].
Pour les autres affaires, je te rappelle que tu es seul responsable. Donc à toi de veiller sur Ludi et les autres.
Parmi les adresses où en cas de tragédie tu pourras t'adresser avec certaines chances, j'ai fait un choix que tu trouveras ci-annexé. A toi de devenir le moment venu le centre de ralliement de tous ces points.
Jacques B. et moi allons bien, sommes plus unis que jamais et décidés à avoir un calme et un moral à la hauteur des événements.
J'ai vu hier ton père. Il m'a paru bien résolu. Je l'ai réconforté et veillerai sur lui dans la mesure du possible.
Fais toutes mes amitiés à Ludi. Transmets-lui de cette lettre ce que tu en croiras convenable.
Je vous embrasse, Georges et Edna, avec le meilleur de moi.

Gabriel

Accuse par un câble la bonne réception de cette lettre.


Retour aux archives de 1940